B
ravoure avait ordonné à ce que l’on vide la salle. Les affaires avaient été envoyées à la famille par petits paquets. Malgré tout il en restait encore qui traînaient attendant d’être emporté. Elle se tenait dans l'embrasure de la porte, ne sachant si elle pouvait entrer ou si elle devait rester dehors. La première option semblait être un blasphème tant le lieu était chargé d’une émotion indescriptible. C’était comme si sa présence allait briser le semblant d’harmonie qui s’était formée après la mort de la conseillère. Le palais entier était en deuil. Sakai était en ruines. Et elle avait perdu une amie.La Dame prit une inspiration avant de se risquer à faire un pas à l’intérieur de la pièce. Le monde ne cessa pas de tourner, le soleil ne s’éteignit pas, les oiseaux chantaient toujours. Son regard glissa sur le mobilier vieillit par les années de service, lui non plus n’avait pas encore bougé de place. Ses pas la menèrent jusqu’à une large armoire en ébène, elle posa la main sur la poignée. De son vivant Marian la gardait toujours verrouillée. C’était là que la conseillère sanitaire gardait ses potions et autres expériences, elle ne pouvait pas risquer que quelqu’un y touche sans les protections nécessaires. Tout ici n’était pas bénéfique pour l’humain. Bravoure tira sur la poignée. Les gongs grincèrent mais tournèrent. L’armoire était vide.
« C’est ça que tu cherches ? » demanda une voix derrière elle.
« Non. » répondit la chef sans même se retourner. « Laisses-moi Romarin. »
Un bras se glissa autour de ses épaules. Musclé malgré l’âge. La Maître Espionne de Sakai veillait à garder la forme. Elle tenait dans sa main gauche une fiole. C’était un prototype de soin contre une violente maladie qui ravageait les populations de pokémons dragons. Auparavant les solochis, sonistrelles et ptiranydurs parcouraient les monts de Sakai, maintenant ils avaient fui à Ran. Et dire qu’il y avait des années de cela les trioxhydres faisaient la fierté de la cavalerie aérienne. Quand est-ce que le vieux royaume avait-il commencé sa descente aux enfers ?
« Elle y était presque. Je le sentais. Du bout de mon nez. Littéralement je veux dire, elle empestait les couloi- »
« ASSEZ ! » gronda la chef.
La femme à ses côtés se tut. Elles restèrent ainsi, dans un silence de plus en plus pesant, deux vestiges d’une époque révolue. La dénommée Romarin finit par retirer son bras pour faire le tour de la pièce, pas un bruit ne trahissait sa présence. Bravoure se retourna vers elle. Il n’y avait aucune animosité dans son regard, aucun dédain pour sa familiarité, ni pour sa désinvolture. La Dame y était habituée. Elle savait aussi que ce n’était que du jeu d’acteur.
« Tu devrais être à Mido. » constata-t-elle.
« Je voulais voir si tout allait bien. On m’avait dit que le palais était détruit mais… » elle soupira, faisant un signe vague. « Il lui faut un remplaçant. »
Le regard de la chef s’assombri à ces mots qu’elle savait véridique. Elle anticipait déjà la suite du discours.
« Sieur Baufond est un excellent candidat. Il est vieux, certes, mais ne le sommes-nous pas tous ? » commenta Romarin.
« L’avoir au conseil nous assureras le soutient de sa famille et une importante somme d’argent, ce dont Sakai a cruellement besoin au vu des dégâts. » confirma Bravoure, l’amertume coulant de sa voix.
« Exactement. » sourit la femme, pendant un instant avant de prendre un air plus sombre. « Mais tu ne le soutiendras pas. »
Ce n’était pas une question. La femme aux mille visages connaissait les goûts et les couleurs de sa Chef. Elle savait aussi qu’elle avait déjà un autre candidat en tête. Des pas se firent entendre dans le couloir. Romarin se glissa discrètement derrière un meuble pendant que Bravoure allait fermer la porte du bureau. Elles attendirent que les échos s’estompent puis disparaissent dans le couloir. La Chef resta quelques secondes de plus à la porte, pour s’assurer que personne d’autre ne puisse essayer d’épier. L’autre femme sortit de l’ombre, continuant la conversation comme si elle n’avait pas été interrompue.
« Elle a un enfant. »
Bravoure se figea.
« Un tout petit bébé qui pleure et couine et fait des trucs de petit bébé ennuyant. Tu ne voudrais pas séparer une mère de son enfa- »
Romarin se baissa pour éviter un livre qui alla s’écraser contre le mur. Les lèvres de Bravoure étaient retroussées dans une grimace pleine de rage. L’autre femme resta impassible, ramassant le livre comme si de rien n’était pour laisser le temps à son amie de reprendre contenance.
« Marian voulait que ce soit elle. » déclara de but en blanc la chef. « Tu penses à ce qui serait le mieux pour le conseil. Je te demande de penser à ce qui servirait le mieux le royaume. »
Romarin eu un haussement d’épaule. Comme si toute cette conversation n’avait pas d’importance. Elles auraient pu parler toutes deux de la météo le ton aurait été le même. Leurs désaccords reposaient toujours sur les mêmes points. Le bien du peuple face au bien du conseil. Le court terme face au long. Evidemment, Romarin avait raison, un palais détruit ou un conseil appauvrit menacerait l’équilibre de Sakai toute entière. Une veille nation comme elle avait besoin d’une poigne ferme. De femmes et d’hommes qui savaient prendre les décisions difficiles sans craindre les sacrifices. Des fous qui dansaient toujours à la limite de l’oligarchie. Pas facile d’abandonner les anciennes traditions. Même si la royauté n’était plus, il faudrait attendre une génération neuve pour que Sakai puis réellement se débarrasser de son emprise. Nombreux sont les nobles qui cherchaient encore à étendre leurs pouvoirs comme il en était cas autre fois.
« Et puis avoir un- une descendance n’a jamais posé problème à Marian. » conclu Bravoure.
Romarin reste silencieuse, suivant le regard de sa chef. Le cadre sur le bureau de l’ancienne conseillère sanitaire n’avait pas été touché. Le croquis du nouveau-né se tenait là, l’enfant devrait avoir trois ans à présent. Bravoure ne l’avait jamais rencontré. Ça allait changer le jour où elle devrait apporter ses condoléances à la famille. Elle se demanda brièvement s’il avait les yeux de sa mère. Probablement pas.
Lorsque la Chef se décida à relever la tête, Romarin n’était plus là. Disparue de la même manière qu’elle était venue. A sa place une note griffonnée à la va-vite dans un langage codé. Bravoure la parcouru rapidement.
« Tu as pris ta décision. Rendez-vous avec la demoiselle dans le jardin à none pour une auscultation. Prends ta médecine. »
La chef froissa rapidement le bout de parchemin avant de le jeter en l’air pour qu’un zarbi puisse le détruire d’un coup de Puissance Cachée. Il lui restait un peu de temps avant le rendez-vous, elle pouvait aller finir ses comptes avec le conseiller économique puis s’assurer de l’avancement des travaux. Les premiers échafaudages devraient être élevés dans les jours qui viennent, pour l’instant on continuait inlassablement à déblayer les pierres et compter les morts. C’était sans fin.
Une quinte de toux la secoua brusquement. Fermant les yeux, elle la laissa passer. Celles-ci se faisaient plus fréquentes ces derniers temps. Il fallait dire que la poussière de cette salle avait été bien remuée et n’aidait en rien. La respiration sifflante elle s’accouda contre le mur. Marian n’avait même pas la quarantaine. Elle avait été la plus jeune du conseil, un souffle nouveau pour le pays. Un souffle qui comme celui de sa chef se retrouva brusquement étouffé. Bravoure se laissa glisser sur le sol. Ils avaient retrouvé le corps de la jeune femme dans les décombres. Méconnaissable. La seule chose qui leur avait permit de mettre un nom sur cette carcasse éclatée était une vieille broche portant les armoiries de sa famille. Un cadeau de son époux pour leur mariage quelques années auparavant. Le morceau de ferraille qui avait été porté avec tant de fierté avait perdu sa forme et son éclat. Il y avait tout juste de quoi faire des funérailles convenables. Une dernière toux fit trembler Bravoure avant que l’éclat ne se calme, pour le moment. Il lui était devenu impossible de prédire la prochaine crise depuis la Lumière. Il n’y avait plus qu’à espérer que la succession soit à la hauteur.
La Chef se redressa, remettant en place sa robe et s’assurant de l’état de sa coiffure. Elle carra ses épaules et redressa sa tête. La femme qui sortit de la pièce n’avait en rien à voir avec celle qui s’était écroulée quelques minutes auparavant. Personne n’aurait pu soupçonner la faiblesse de Bravoure Bresingra. Et c’était mieux ainsi.
La Dame savait que la jeune Jaegan devait être avec Brigit à cette heure. La veille infirmière n’avait presque pas dormi la nuit passée, trop occupée à soigner les patients et organiser les troupes. Elle ne pouvait plus s’occuper la santé déclinante de sa Chef. Darla avait été un petit miracle dans cette apocalypse, elle avait un savoir inestimable sur les troubles respiratoires. Il se trouvait aussi qu’elle était la seule personne dans tout Sakai dont la première conseillère ne tarissait pas d’éloges. Marian avait réellement eu un coup de cœur pour la jeune femme après qu’elle l’aie soutenue à travers un accouchement difficile. Elle ne cessait de dire que sa bonté était aussi vaste que le lac noctali était sombre et que ses compétences étaient sans égales. Marian avait toujours eu tendance à enjoliver les choses. Le peu de temps temps que Bravoure avait pu passer avec Darla lui avait prouvé que ce n'étaient pas juste des hyperboles. La jeune femme avait sût la calmer durant l'une de ses plus violentes crises et même maintenant ses conseils étaient appliqués. Le fait était qu’elle était l’une des rares personnes que feu la conseillère considérait comme un successeur légitime et Bravoure ne pouvait qu'approuver.
Les nobles soutenaient la candidature de Petror Baufond, le conseil ne se prononçait pas et le peuple était perdu quant à la marche à suivre. Sakai avait besoin d’un conseiller sanitaire capable d’unir ces trois partis. Urgemment. Désespérément. Baufond, n’était pas ce que Bravoure recherchait. Il était vieux, compétent et riche. Il avait l’avantage d’être connu et le défaut d’être conservateur. La Chef ne souhaitait rien de cela, elle voulait quelqu’un qui puisse réellement faire le lien entre le peuple et la noblesse, quelqu’un qui n’ait pas peur de marcher sur quelques pieds pour le bien de tous, qui n’avait pas la langue dans sa poche et l’esprit vif. Le conseil avait besoin d’énergie, de mouvement, de vie. Le fait était, il avait besoin de Marian. Allait-il avoir besoin de Darla ? Elle jugerait cela bien assez tôt.
Les jardins du palais obscur avaient été épargnés par la destruction. Si l’hiver avait laissé ses marques, quelques bourgeons commençaient tout de même à pointer le bout de leur nez. C’était un havre de paix, jalousement caché derrière les tours sombres. Il était parsemé de haies plus hautes qu’un homme aux feuilles d’un vert sombre qui offrait intimités aux habitants. Des chemins étaient pavés dans le sol mais l’herbe poussait au travers malgré le dur labeur des jardiniers. Il y avait des arbres de toutes les espèces. En été les cuisiniers cueillaient les baies directement dans les jardins pour assaisonner les plats.
S’il n’arborait pas ses couleurs les plus resplendissantes, avec un peu d’imagination on pouvait visualiser des rangées de fleurs colorées et d’arbres aux longues branches dessinant de l’ombre sur des bancs, pour le plaisir des promeneurs. Bravoure avait ses endroits favoris. Elle aimait prendre le thé sous l’arche, assise à une vieille table de fer qui commençait à rouiller malgré l’attention qu’on lui portait. Néanmoins pour la rencontre d’aujourd’hui elle avait choisi la serre. Toujours feuillue quel qu’en soit le temps, cette construction formait une muraille de vitre et d’acier entre elle et le monde. Impossible de savoir s’il y avait quelqu’un à l’intérieur tant le verre déformait. C’était en ce lieu, presque secret que le palais cultivait nombre de ses plantes médicinales. Des lierres s’étendaient sur les arches soutenant la toiture d’où pendait des pots de toutes formes et tailles. Les plantes étaient ici à leur aise, c’était leur domaine et les humaines ne faisaient qu’y entrer. Il y avait une table de bois au centre où étaient déposés quelques vases, de la terre salissait les sièges, le jardinier était passé récemment.
Bravoure déplaça quelques plantes pour faire de la place, nettoyant un peu l’endroit en brossant la table de sa main. Du coin de l’œil elle vit un rubombelle voleter, elle fit signe à ses zarbis de le chasser. Les gardiens d’Enogen s’exécutèrent avec joie, ils lévitaient dans la pièce comme si elle leur appartenait, s’étendant de tout leur être, pas assez nombreux pour couvrir les plantes mais suffisamment présents pour avoir l’air d’insectes intéressés. Obscur passait de pot en pot avec curiosité. Il tenait à peine en place. Bravoure s’installa confortablement sur son siège, non loin d’un large romarin. Elle attrapa l’une des branches pour écraser quelques feuilles et les sentir. Elle avait toujours aimé cette odeur.
La porte de la serre grinça. Voilà que la nouvelle arrivée entrait. D’ici quelques temps des serviteurs viendraient apporter des gourmandises. Pour l’instant Bravoure se préparait mentalement à se faire ausculter. Car c’était officiellement pour cela que la jeune femme venait ici, le discours sur la place libre du conseil viendrait après. Elle avait été mandatée pour s’occuper des problèmes respiratoires qui tourmentaient la chef de Sakai. Brigit avait remarqué hier que ses concoctions ne faisaient plus effet. Pour l’instant elle avait augmenté les doses à outrance mais ce n’était pas viable au long terme. Bravoure elle craignait que le Lumière ait changé quelque chose en elle. Quelque chose d’imperceptible mais d’important. Ce n’était évidement qu’un pressentiment absurde, certainement basé sur la peur. Pour l’instant elle ne voulait pas s’en soucier. Elle ne devait pas s’en soucier.
« Entrez donc, je vous en prie. » invita-t-elle la jeune femme. « C'est un plaisir de vous revoir, même si j'aurais préféré que les circonstances soient meilleures. Le trajet n’a pas été trop compliqué ? »
Elle ne pouvait pas encore bien la voir avec les pots. Elle supposait néanmoins qu'elle ne devait pas avoir trop changé depuis la dernière fois. Une frimousse rousse rayonnante de douceur et des doigts graciles mais froids au touché. Avait-elle emmené son petit être ? Elle supposait qu'il était resté auprès du père.
« halloween »