La traversée du territoire fut longue et fastidieuse, car les plaines de Kuni s’étendaient à perte de vue ; parfois, des parcelles de terres étaient cultivées par les paysans locaux. Corvus et Assam avaient pris soin de ne pas quitter la grande route et leur voyage se fit sans encombre. A Venovos, sous l’insistance de son père, les deux hommes se séparèrent et Corvus s’attarda alors sur les quais du premier port qui se présenta à lui.

La mer avait toujours fasciné le jeune homme et aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle. Il régnait sur le quai une ambiance timide et Corvus n’eut qu’à regarder autour de lui pour comprendre pourquoi : la cité avait dû essuyer une tempête ou peu s’en fallait, car autour de lui se trouvait encore, çà et là, des débris apportés par la mer, amoncelés par les habitants du port. Tout comme la montagne, la mer avait sa part de cruauté et n’épargnait personne. Malgré tout, des stands avaient été érigés le long de la rue principale et curieux, Corvus n’avait pu s’empêcher d’y jeter des regards. On y vendait principalement des produits issus de la mer : de la nourriture bien sûre, mais aussi des biens qui semblaient venir des abîmes elles-mêmes. Au loin, un stand moins prisé par la foule attira l’attention du jeune homme et lorsque qu’il s’approcha, Corvus comprit de quoi il en retournait : c’était un stand d’adoption et de toute évidence beaucoup de dresseurs y étaient déjà passés, car il y régnait un calme semblable à ceux qui succédaient aux tempêtes … d’ailleurs, le vieil homme qui se tenait là ce jour-là ne remarqua pas tout de suite la présence de Corvus, ou du moins fit-il semblant de ne pas l’avoir vu.

Il restait sur le stand peu de pokémons et c’était une bonne nouvelle. Corvus n’y avait pas pensé au premier abord, mais les hommes et les femmes n’avaient pas été les seuls à subir la tempête : les pokémons aussi avaient souffert et preuve en était, certains en portaient encore les marques ; le Mustébouée qui restait avait une queue abîmée. Il y avait également un Polarhume, que le garçon connaissait car ils habitaient dans la toundra du nord de Sakai. Les mains dans les poches, Corvus les observa un instant, dubitatif … c’était la première fois qu’il rencontrait ce genre d’échoppe, si l’on pouvait appeler cela comme ça. Bien qu’étonnant, le concept était louable et cela ne manqua pas de plaire au jeune homme. Il s’apprêtait pourtant à passer son chemin lorsque, du fond d’une petite boite, apparurent deux oreilles noires qui attirèrent l’attention de Corvus. Elles étaient triangulaires et à mesure que les secondes passaient, elles s’élargissaient pour laisser apparaître la tête de la créature qui se trouvait là. Encore à moitié cachés, Corvus vit deux petits yeux noirs le fixer, mais lorsque la créature se rendit compte qu’elle était observée, elle disparut de nouveau dans sa boîte. Pendant un long instant, rien ne se passa, et puis Galerne le Polarhume y mit son grain de sel. A sa manière.

Avec autant de discrétion et de délicatesse qu’un Mammochon, l’ourson fondit dans la boite et y délogea tout ce qui s’y trouvait : des babioles, des morceaux d’étoffes, quelques pièces perdues … ainsi que la petite créature qui, comme un éclair doré, partit se réfugier en hauteur en hurlant Piiiiiiiccchhuuuu d’une voix stridente. Curieux, Corvus découvrit alors cette petite chose au regard envoûtant : c’était un Pichu, un bébé pokémon. Tandis que le Pichu se laissait découvrir, le vieux qui tenait le stand l’interpella enfin.

« — Alors, on a fait son choix mon garçon ? » lui demanda-t-il.

Corvus détestait lorsqu’on l’appelait mon garçon, mais force était de constater que face à l’ancêtre qui tenait en ce jour le stand, le jeune homme n’était qu’un enfant. Le futur guerrier de Sakai fit le choix de ne pas relever et continua de fixer le Pichu.

« — Pourquoi est-ce que le Pichu est encore là ? » demanda Corvus, suivant des yeux chacun des mouvements de la petite créature. C’était étrange ! Les filles adoraient les bébés pokémons et elles ne manquaient pas à Venovos … qu’avait donc ce Pichu de si spécial pour ne pas avoir encore fait fondre le cœur de quelqu’un ?

« — Soleil était mal en point » répondit le vieux kuniois « Il a été blessé durant la tempête et est resté longtemps auprès des guérisseuses » raconta-t-il. Il fit une courte pause avant de continuer « Moi, je pense surtout qu’il aime les filles et qu’on s’occupe de lui, mais bon … » ajouta-t-il finalement. A peine énoncées, ses paroles furent suivies d’un Piiiiiiii désapprobateur. Le vieil homme se retourna alors vers le Pichu « Qu’est-ce t’as petite souris ? T’as que’qu'chose à dire ? »

Corvus vit le bébé hésiter, avant de finalement repartir se cacher, cette fois entre deux piles de livres. Pendant un instant, le jeune homme demeura silencieux, comme s’il réfléchissait. Derrière les livres, il pouvait entendre le Pichu gesticuler.

« — Je vais vous le prendre » déclara finalement le futur guerrier de Sakai, sans cesser de fixer la pile de livre derrière laquelle se cachait la petite souris jaune. Corvus put sentir la surprise du vieil homme, et il ne fut pas le seul à l’être, car interloqué le Pichu laissa sa tête dépasser, comme pour mieux entendre.

« — Vraiment ? Un grand gaillard comme vous ? » lui répondit le vieux kuniois « Vous ne voulez pas plutôt le Polarhume ? Ça devient grand, un Polarhume, vous savez ? » affirma-t-il. Mais le choix de Corvus était déjà arrêté.

« — Je serais bientôt cavalier aérien. J’aurai besoin d’une petite créature pour m’accompagner là-haut » expliqua-t-il. C’était une raison terre à terre mais pas moins véritable : Corvus n’avait pas honte d’affirmer qu’il choisissait ses compagnons pour leur utilité et il se fichait bien de l’avis que pouvait avoir les autres à ce sujet.

« — Ah oui, vraiment ? » répondit le vieil homme, dubitatif « Et bien, bon courage pour lui faire quitter la terre ferme alors ! » ajouta-t-il. Corvus fronça un instant les sourcils, peinant à comprendre le sous-entendu du kuniois. Le Pichu était-il peureux ? Cela ne l’effrayait pas : toutes les peurs se dépassaient, avec un peu de patience.  Corvus vit le vieillard se retourner et interpeller le Pichu « Viens-là Soleil » Puis, fouillant un instant dans la boite dans laquelle se trouvait encore le Polarhume, le vieil homme sortit une Captis Ball qu’il tendit à Corvus « Ça, c’est pour vous » Corvus l’attrapa et la détailla un instant. Elle n’avait rien de spéciale si ce n’était quelques rayures qui, il en était presque certain, formaient un éclair à qui regardait bien. Le vieil homme partit chercher Soleil dans sa cachette et le porta jusqu’au sakaien par la peau du dos, de la même manière que l’aurait fait une maman Pikachu. Des étincelles crépitaient de ses joues roses pâles, fort mécontent du sort que lui réservait son gardien « N’oubliez pas ça » déclara-t-il en lui tendant le petit pokémon.

Corvus eut juste le temps de l’attraper que le vieil homme le lâchait déjà. Les étincelles naissantes du Pichu disparurent, tandis que ses petits yeux sombres se mirent à fixer le sakaien. Les deux nouveaux amis se regardèrent un moment, se découvrant un peu plus à chaque seconde qui passait. Du coin de l’œil, Corvus vit les yeux du vieillard briller de mille feux et malgré le faux air détaché qu’il voulait se donner, le jeune homme était presque sûr d’avoir vu couler sur sa joue une larme timide, qui laissa à son passage une marque brillante et qu’un vent venu de la mer, bien vite, s’empressa de sécher.