Salon d'Adoption de Kashaï

Sarya ne se détendit qu’une fois à l’extérieur du plus gros de la foule. Kashaï grouillait de monde, plus qu’elle n’en pensait la ville capable, à croire qu’un autre pays avait décidé de migrer par là pendant qu’elle traversait Sakai et ses vents trop violents pour la saison. La forêt embaumait le bois et la terre humide et l’air crépitait du son des gouttes tombant des arbres. Les environs lui paraissaient beaucoup plus accueillants, malgré les tentures trempées et les présentoirs vides, pour la plupart. « Salon d’adoption », lut-elle sur une pancarte. Syo s’agitait sur son épaule, tournant sa tête jaune dans tous les sens.

—Syo, on n’est pas venus là pour adopter qui que ce soit, soupira-t-elle. On ne fait que passer.

Le Pokémon se mit à piailler son mécontentement pendant de longues secondes, dans ce qui ressemblait fort à un discours sur la justice, l’aide aux plus démunis et probablement des notions d’altruisme dont seul Syo avait le secret.

—Ils n’ont même pas l’air si malheureux, en plus. Regarde la tête de canaille de celui qui te ressemble, là-bas.
—Chu !

Syo pointa quelque chose de son petit bras. Une femme dans la trentaine montait la garde auprès d’un Pokémon orange avachi sur le sol. Sa grosse tête toute lisse s’entrouvrait sur une mâchoire impressionnante pour un être aussi petit, mais le Pokémon paraissait abattu. Syo sauta à terre sans que Sarya puisse le retenir et s’approcha du déprimé. Sarya l’insulta dans ses moustaches et le rejoignit avant qu’il ne se fasse manger. Si ce truc ouvrait la bouche assez grand, nul doute que le Pichu y entrait sans problème.

—Pi Pichu ! s’exclama joyeusement Syo devant la mâchoire sur pattes.
—Oh, il est adorable ! s’attendrit la gardienne du Pokémon orange. Il est à vous ?
—Ouais, on peut dire ça comme ça. Le Pokémon lui faisait de la peine. Je suppose qu’il essaie de le réconforter.

Le Pichu sautillait, grimaçait et débordait de joie, ce qui suffit à peine à relever la tête du Pokémon. Un faible « Kraaaaa » s’échappa de lui.

—Tornade n’est pas dans son assiette depuis que son dresseur l’a abandonnée. Je crois qu’elle ne s’y attendait pas. Vous savez, elle n’est pas méchante, au contraire ! Mais c’est une Kraknoix qui est… très ravie d’être une Kraknoix, expliqua la dame en laissant échapper un rire.
—Et c’est quoi le problème des Kraknoix en général ? Elle a mangé le Miaouss de la famille ?
—Les Kraknoix font des trous. Et Tornade adore creuser des trous. Elle en faisait beaucoup, partout, y compris sur les « beaux parquets » et forcément, ça a fini par énerver son ancien dresseur. Donc…
—Donc cette Kraknoix se retrouve là juste parce qu’un type a plus de considération pour son parquet que pour un être vivant ? Dites-moi, il avait un balai dans le fondement ? Si la réponse est non, ça peut toujours s’arranger, remarquez.

Sarya jeta un coup d’oeil vers la Kraknoix, qui semblait retrouver un semblant de vie devant la persévérance de Syo. Sa grosse tête se balançait en rythme des gesticulations du Pichu et un éclat joyeux animait de nouveau les minuscules éclats d’onyx qui lui servaient d’yeux.

—Qu’on la laisse faire ses trous si ça lui fait plaisir, conclut Sarya. C’est quand même pas bien compliqué de trouver une solution pour qu’elle en fasse sans embêter personne. Encore que je ne vois pas pourquoi on ne voudrait pas s’en servir pour emmerder le monde. De toute évidence, son ancien propriétaire ne sait pas très bien réfléchir.
—Vous voudrez bien prendre soin d’elle, alors ? s’enthousiasma la dame, la voix pleine d’espoir.
—Wow, j’ai pas dit ça, j’ai déjà bien assez à faire avec la boulette et puis-
—Pi-ii ! l’interrompit Syo.

Le Pichu, oreilles tirées en arrière, yeux larmoyants, l’implorait du regard. Pire, Tornade la fixait, sa grande mâchoire entrouverte béatement et ses petits yeux brillants. Il fallait qu’elle dise trois mots à Syo sur le sujet « On ne parle pas aux inconnus » et surtout, sur celui « On n’adopte pas tous les trucs attendrissants qu’on croise dans la rue ».

—C’est pas la peine de me regarder comme ça, c’est non.
—Chuuu…
—Je sais même pas ce que ça mange, une Kraknoix !
—Oh, ils vivent dans le désert de Ran alors ils ne sont pas bien difficiles, intervint la gardienne. Et puis je peux vous fournir toute la nourriture que j’ai en réserve pour elle !

Sarya foudroya du regard l’adulte qui prenait le parti de l’autre abruti tout jaune. Cela ne parut pas l’impressionner. Au contraire, elle papillonna des paupières avec toute l’innocence qu’elle possédait.

—Je peux vous assurer que vous ne le regretterez pas, lui promit-elle.

Sarya l’observa, baissa le menton vers Syo qui continuait ses lamentations en étreignant sa botte, puis se tourna vers la Kraknoix, qui pencha sa grosse tête sur le côté.

—Kra ?

La Sakaienne soupira un grognement, ou grogna un soupir, impossible de savoir et s’accroupit en face des deux Pokémon. Elle menaça Syo d’un index menaçant :

—Si jamais j’arrive pas à trouver de quoi la nourrir, je la laisse te bouffer. C’est clair ?
—Pi !

Syo lui frappa le bout du doigt avec détermination pour sceller le deal. Sarya reporta ensuite son attention sur Tornade, qui paraissait attendre le verdict avec nervosité.

—Et toi… Si tu es d’accord, je suppose que ça ne pose pas de problème. Tu peux nous accompagner. Et faire des trous, si ça te chante.
—Krak-Krak-Krak ! sautilla Tornade.

Et d’un bond, la Kraknoix plongea dans le sol et y disparut en quelques secondes, des pelletées de terre meuble et humide jaillissant derrière elle. Une motte atterrit sur le crâne de Sarya, une pluie de débris terreux lui recouvrit les bras et Syo faillit se faire assommer par un caillou isolé. La tête de Tornade perça le sol quelques mètres à sa droite. La Kraknoix cliqueta joyeusement de la mâchoire.

—Krak-Krak-Krak ! lança-t-elle de nouveau.

Avant de retourner sous terre et de rejaillir à un autre endroit. Sarya comprenait beaucoup mieux d’où lui venait son surnom, tout d’un coup. Elle se releva, épousseta ses cheveux et ses vêtements, avant d’adresser son regard le plus résigné à la dame.

—Vous avez gagné, je la prends.

Codage par Libella sur Graphiorum