Les tentes défilent, secouées par un vent rieur. Les toiles claquent sous ses jeux, ses cordes se tendent et oscillent. Une fumée discrète envahit les lieux, embrumant ma gorge d’une sensation piquante. Des feux ont été allumés ici dans une vaine tentative de débarrasser le froid et l’humidité. Pour une Ranine endurcie telle que moi, ces conditions ressemblent à la description d’un enfer. Je m’empresse entre les différents foyers, empressée de réchauffer mes mains engourdies. Si j’ai pensé me vêtir convenablement pour l’occasion de ce voyage politique à Kuni, je grelotte tout de même en regrettant le soleil de ma terre natale. Ici, le ciel paraît gris, triste, dépourvu de vie. Neige, ciel et mer se mêlent en différents tons d’argent sans éclat. Où trouver les orange, ocre et or ? Malgré la température pour le moins inhospitalière, il règne une ambiance particulière sous ses toiles qui accueillent un nouveau Salon de l’Adoption. J’aurais cru trouver ici une certaine forme de tristesse ou de ressentiment; ne sont-elles pas des victimes de la Grande Tempête, ces pauvres bêtes exposées ? Pourtant, il règne sur ce rassemblement une certaine fébrilité, une animation chaleureuse. Je peux voir de nombreuses personnes en repartir les yeux brillants. La perspective d’adopter un nouveau compagnon me rend moi-même plutôt vigilante, à la manière d’un enfant à qui on aurait promis un présent.

Deux imposants gardes m’entourent, ce qui ne va pas sans attirer les regards. Impossible de m’en défaire maintenant, plus depuis l’attaque. Je soupire en voyant un enfant fuir à notre approche : ce n’est pas ainsi que je désire être perçue. Sauf que je dois m’avouer sécurisée par leur présence, malgré tout. Neven, l’Azurill, repose dans mes bras. Étant originaire de ce pays, j’ai pensé que cette promenade qui nous a menés ici lui plairait probablement. Effectivement, le joyeux rongeur observe tout avec une attention particulière et comme toujours, sa joie de vivre me contamine en autant de sourires. Alors que nous passons à proximité des cages, je le sens s’agiter. Je décide donc de le poser sur le sol comme il semble bien déterminé à me montrer quelque chose. Je le suis donc à travers la foule, curieuse de voir ce qui a attiré son œil. Un peu à l’écart, une cage est habitée par un Pokémon assez étrange, un type plante de ce que j’en comprends. On dirait une sorte de datte géante coiffée de feuille ! Dans tous les cas, la créature se débat alors qu’un bénévole tente de la nourrir de force. La chose se débat, crie, hurle, et projette en direction de l’homme une volute de spores visiblement toxiques. Avant que le pauvre n’en subisse les conséquences, j’interviens d’une voix forte pour qu’il cesse avant de se blesser ou de blesser la créature récalcitrante.

«Monsieur ! Reculez, vous allez respirer les spores toxiques !»

L’homme, un peu confus, se recule juste à temps pour les éviter. Il est couvert de sueur et rouge de frustration. Il lève les yeux vers moi et blêmit devant les deux gardes qui m’entourent, visiblement une garde de chef d’État. Je ne bronche pas devant ses promptes galipettes destinées à m’amadouer. J’ai agi dans son intérêt comme celui du Pokémon qui est retourné au fond de la cage, le regard farouche. Lui aussi est épuisé.

«D-désolé m’dame. C’est que cette Mystherbe n’a rien avalé depuis des jours, elle ne fait que dormir, et quand nous tentons de la forcer à manger…»

Je jette un coup d’œil à la plante qui me rend mon regard, luisant de colère. Je ne bronche pas. Neven s’est lui aussi approché pour faire des «coucou» enthousiastes à Mystherbe à l’intérieur. Celle-ci a plusieurs feuilles déchirées, comme si elle avait encaissé de nombreuses batailles. J’ai un sourire en la regardant; elle me rappelle moi-même dans mes jeunes années à Orion avec mon sourire édenté et mon mauvais caractère.

«Je ne connais pas beaucoup cette espèce, mais il me semble que les plantes en hiver mangent moins et hivernent, non ? Par ces temps froids, ce comportement ne me surprend guère, surtout si elle a peu confiance en vous. Elle a surtout besoin de soleil, à mon avis.»

La petite m’observe d’un œil très méfiant. Pour sa part, l’Azurill semble toujours aussi motivé à la détendre de ses simagrées, ce qui est parfaitement comme lui. Il oscille d’un côté à l’autre en bondissant sur sa queue à ressort, en faisant de petits sons sympathiques. Or, la Msytherbe ne semble pas exactement impressionnée. Même si elle est plus calme que quelques instants plus tôt, elle ne quitte pas son coin de la cage.

«Vous avez sûrement raison. En vérité elle est très difficile pour tous, c’est une battante celle-là, elle aime se battre. D’où la cage. Ça ne fait pas plaisir de la voir ainsi, mais nous n’avons pas le choix. Elle faisait trop de misères alors nous espérons qu’elle rencontre un humain en qui elle aura confiance et qui lui apprendra à être moins sur ses gardes.»

«En tout cas, Neven a l’air de bien l’apprécier.»

Et inversement. À mesure que le petit joue, l’autre s’est approchée avec des yeux presque suppliants. On dirait qu’elle n’a jamais vraiment eu d’ami et le genre d’attention si précieux qu’offre le petit Pokémon doit lui faire du bien. L’Azurill fait illuminer sa queue, un truc dont je ne le savais pas capable, et le fait osciller sous les yeux impressionnés de la Mystherbe. Au moment où je vais questionner mon allié au sujet de sa nouvelle capacité, c’est tout son corps qui se met à briller, attirant à nous de nombreux regards. Sous nos yeux, mon ami change de forme pour prendre celle d’un Marill tout aussi enjoué. La Mystherbe se rapproche pour le regarder, impressionnée par cette transformation. Et devant la joie contagieuse de Neven, elle se met à sourire, légèrement. Je me penche vers le petit pour lui offrir un grand câlin qui me tire une grimace de douleur. Mon dos est toujours aussi sensible, mais ça valait la peine. Je suis tellement fière de mon ami ! Je ris doucement alors qu’il vibre presque dans mes bras, très content de lui. Puis il saute sur le sol avec une adresse gagnée pour revenir saluer la Mystherbe. Ses yeux passent de moi à lui, puis de lui à moi.

«Neven est un Pokémon qui évolue grâce au lien avec son dresseur et ça… bien c’est moi. Il est ma petite étoile, ma joie de vivre et moi je suis un peu comme sa mère, je le protège et m’assure qu’il ne manque de rien. Je ne sais pas ce que tu as vécu par le passé, mais je peux te dire que si tu venais avec nous, je tâcherais toujours de tenter de comprendre et de te respecter. Là où je vis, tu ne manqueras jamais de soleil.»

Ses lèvres se plissent, ses yeux s’agrandissent. Elle a enfin l’air d’une enfant plutôt que d’une petite guerrière frustrée. Je peux voir que ma proposition la surprend, mais pas autant qu’au bénévole qui n’ose rien dire de crainte que je me décourage. Ce ne sera pas le cas. Je suis passée par là. Je veux qu’elle sache qu’elle n’a pas à être seule au monde. Neven et elle discutent un moment, puis la Mystherbe hoche faiblement la tête. L’homme soupire de soulagement et me tend la Captis Ball.

«Je suis vraiment heureux… et un peu soulagé sincèrement, que Rosaly ait trouvé des amis.»

«Rosaly hein ? Bienvenue dans la famille.»

Je la rappelle à sa balle comme si je l’avais toujours fait.

Si la tempête avait causé bien des dégâts matériels, elle avait aussi fauchée bien des hommes et des Pokémons. La nature est ainsi faîtes qu'elle ne fait aucune préférence et quand l'envie lui prends, nous devenons tous ces victimes...

Avant d'aller chez l'ancienne cliente de ma mère je me décidais à passer par le salon d'adoption. J'avais besoin d'alliée intéressant pour mes préparations et si cela pouvais en plus permettre à certains de retrouvé un environnement calme, amical et serein, autant faire d'une pierre deux coups. Arpentant les tentes, j'observais, écoutais, regardais. Je n'étais pas le seul venu et ici et là, certains repartaient les mains vides tandis que d'autre se faisaient de nouveaux compagnons.

Je passais à côté de l'une de ses tentes quand j'entendis deux personnes, penchait devant je ne sais quoi, ce demandait si l'animal était malade ou simplement choqué par les récents événements. Mue d'une d'une curiosité, je m'approchais pour pencher la tête et voir une Pérégrain immobile devant les deux gens. Elle ne bougeait pas d'un poil, le souffle posé, le regard fixe.

"Vous permettez ?"

Je n'attendais pas leurs réponses que je m'approchais de l'animal. Haka, dans son bocal à ma ceinture, agita doucement ses nageoires comme un petit bonjour auquel la petite bestiole répondit d'un lent et doux hochement de tête.

Les Pérégrains, il me semble, évoluent en Prismillon. Nulle doute qu'elle pourrait usé de ses poudres qui me seront des plus utiles pour mes préparations, mais je ne voulais pas pour autant l'obliger à faire un travail qu'elle n'aimerait pas. M'accroupissant à sa hauteur, je venais caresser du bout des doigts sa petite tête.

"Bonjour toi. Je suis Vakaris et le petit hypotrempe, là, c'est Haka. On est apothicaire à Sakï. Ce n'est pas une vie palpitante, certes, mais je te promet de prendre soin de toi comme de lui si tu acceptes de nous rejoindre."

La Pérégraine posa son regard sur Haka alors que les deux gens me prévenaient qu'elle n'était pas très expressive mais cela, je m'en fichais. Bien au contraire je ne comptais pas, de toute façon, en faire un animal destiné à se battre. Je tendis la main à Masha qui hocha doucement la tête, acceptant ma demande tant qu'elle lui permettait surement de pouvoir finir ses évolutions dans un endroit calme et serein. Haka en sautilla de joie dans son bocal alors que je m'entretenais avec les autres pour récupérer sa ball et un peu de nourriture à Pokémon insecte. Et voilà, une nouvelle amie en plus!