Ashar aurait peut-être dû changer d'accoutrement avant de se rendre aux Iles Deija. Il faisait chaud, mais c'était encore supportable. Non, le problème concernait l'état de son long manteau noir. Le pauvre vêtement, laissé ouvert au maximum, s'accrochait aux rochers et arbres morts sur le chemin, réduisant en charpie le beau tissu. Déjà que la traversée lui avait coûté un bras, et qu'elle n'était pas sans rappeler la dernière fois qu'il avait pris le bateau… L'érudit n'osait pas pénétrer plus loin que les terrains plats, son guide refusant de toute façon catégoriquement de grimper un des volcans en cette saison. L'idée de se perdre définitivement au beau milieu de nul part arrachait les entrailles de l'historien. Il s'était rendu sur l'îlot afin d'affronter ses peurs et ses problèmes, et voilà tout le contraire qui se produisait, encore. Les termes de Noctali lui revenaient toujours à l'esprit : poltron, faible, incapable. Artreos allait devoir fournir beaucoup d'efforts s'il souhaitait ressortir vainqueur de cette épreuve. Et tant pis pour la cape.

Son objectif premier était de tenter la capture d'un nouveau compagnon. Même si sa rencontre avec Mila commençait à dater, contrairement à ce qu'il aurait cru, Ardashnir se souvenait très bien de la jeune femme, et surtout des encouragements qu'elle lui avait procuré. C'était la première fois depuis bien longtemps que le Sakaien s'était -en partie- confié à quelqu'un, et Dame Valni ne s'était pas moquée de lui pour cela, toute bienveillante qu'elle est. C'est tout l'inverse qui s'est produit, même. Elle lui avait insufflé des mots réconfortants et motivants, insufflé l'envie de voir plus dans un Pokémon qu'une simple créature. Ils étaient nos compagnons, nos amis, nos alliés. Ils prenaient soin de nous, si en retour on s'occupait d'eux. C'est à l'occasion de cette rencontre entre érudits que Ashar avait réalisé cela pour la première fois. Ou plutôt, qu'il avait vaguement assimilé le concept. Oh oui, il lui avait fallu beaucoup plus de temps pour approfondir les choses. De temps, et de rencontres.

La visite du Lac Noctali lui avait bien fait comprendre qu'en dehors de la Grande Bibliothèque (et encore), l'intellectuel était quasiment vulnérable dans un monde de plus en plus obscur. Il ne se promenait jamais avec une arme et ne connaissait rien à rien à la défense au corps-à-corps. Seuls ses Pokémon seraient capable de le défendre en situation de crise, et Ardashnir allait devoir apprendre à compter bien plus sur eux qu'il ne l'a jamais fait. Le noiraud n'avait pas la personnalité autoritaire du mercenaire qu'il avait trouvé sur les rivages de l'étendue d'eau. Il ne pouvait pas pousser ses compagnons à faire de leur mieux, c'était au-delà de ses forces. Après tout, entreprendre des actions n'a jamais été son point fort. Alors Ardashnir devrait les persuader de se dresser pour lui, avec des mots. C'était plus facile ainsi pour lui. Enfin, c'est vite dit. L'humain allait devoir apprendre à s'ouvrir à ses Pokémon. Leur exprimait ses peurs, ses doutes, sa confiance. Ashar devait laisser libre court à ses émotions. Et c'était un énorme pas à franchir.

C'est pourquoi il avait tenu à se rendre aux Iles Deija, bien loin de sa patrie natale ou de n'importe quel terrain familier que l'érudit a pu connaître. Le fragment de terre détaché du continent était complètement vierge d'activité humaine. Il n'y avait que les visites touristiques ou les rondes des militaires de Kuni pour venir déranger la quiétude de l'endroit. En même temps, ce n'est pas vraiment le genre d'endroit pour passer des vacances en famille. Non, ici le territoire est sauvage et imprévisible. Il était beaucoup plus facile de rencontrer des Pokémon, mais aussi beaucoup plus dangereux. Vivants en marge de la société humaine, les monstres de poches de cette terre n'avaient pas vraiment de contact avec les bipèdes parlants. Il s'agissait d'un défi de taille à relever, mais Artreos était enfin prêt à sortir des sentiers battus et plonger dans l'inconnu. Pour tous ceux qu'il avait pu rencontrer et lui avait appris une leçon de grande importance. On ne pouvait pas compter uniquement sur soi-même, il ne faut pas avoir peur de se lancer à l'eau pour se forger de belles expériences. Les Ruines de Leros n'avaient pas porté leurs fruits, mais l'ancien enseignant comptait bien repartir avec un troisième Pokémon en poche. Quitte à se battre, s'il le fallait !

Justement, Ardashnir ne mit pas longtemps à rencontrer les premiers Pokémon sauvages de la région. Enfin, 'rencontrer' était un bien grand mot. Disons plutôt qu'au détour d'un rocher imposant, l'érudit et le guide touristique tombèrent sur une scène de face-à-face entre un Séléroc et un Moufouette. Immédiatement, l'accompagnateur commença à tirer un peu rudement sur l'une des manches du Sakai pour le faire reculer avant qu'ils ne se fassent tous deux repérer par les créatures hostiles. Si l'incompréhension sur le visage de l'historien parlait d'elle-même, l'habitué des Iles Deija expliqua succinctement la raison de son acte. L'homme raconta alors que l'espèce des Séléroc était connue pour être un véritable poison dans le coin. Pas dans le style territorial, mais plutôt dans le sens de parasite. Ce spécimen-là avait particulièrement l'air remonté, mais son ennemi refusait de courber l'échine, même s'il n'y avait pas encore d'affrontement. La tension était bien palpable entre les deux, et ce n'était qu'une question de seconde avant que l'un ne perde patience et passe à l'attaque, ce qui ferait un spectacle assez violent.

Ces terribles informations auraient dû avoir l'effet d'une douche froide sur le noiraud, lui qui était venu dans l'optique de recruter un nouveau compagnon. Les risques étaient beaucoup trop élevés pour un dresseur aussi inexpérimenté que lui. Et pourtant, c'est tout le contraire qui se produisit dans son esprit. Ashar avait encore plus envie d'en découdre, et il comptait bien faire de la lune de pierre son premier adversaire ! C'était un pari osé, que l'érudit d'autrefois n'aurait jamais pris s'il s'était retrouvé dans cette exacte situation. Mais les récents événements ayant bouleversé la vie de l'ancien enseignant lui ont fait comprendre que le danger pouvait se trouver partout. Et surtout, qu'il ne fallait jamais se reposer sur ses lauriers. Artreos était un bosseur, Artreos était motivé. Alors Artreos pouvait le faire. On lui avait ouvert les yeux sur sa condition en comparaison de l'immensité du monde. Il n'était peut-être qu'un grain de poussière dans l'univers, mais il avait autant sa place que les autres, malgré ce que l'on pouvait médire à son sujet. L'érudit était prêt à se défendre, à présent.

Ashar tenta donc de convaincre son acolyte de lui laisser une chance. Il devait se prouver à lui-même qu'il était capable de dépasser les jugements des autres. Cette idée principale fut tournée sans problème en petit discours qui, que ce soit par sa finesse ou au contraire par sa lourdeur, poussa le guide à accepter de ne pas interférer, sauf si la situation dégénérait, évidemment. Impossible de savoir s'il avait été admiratif ou plutôt ennuyé par la parole de l'intellectuel, mais l'autochtone de Kuni n'hésita pas à lui souhaiter bonne chance pour cette épreuve qui s'annonçait importante aux yeux du novice. A vrai dire, il était un peu stressé par la perspective de mener un combat-double si tôt dans sa carrière. Cela demandait de la concentration et de la coordination qu'il ne maîtrisait pas encore. Sans compter une indéfectible loyauté de la part de ses chers compagnons de poche (ce dont il ne doutait pas vraiment), mais aussi une autonomie d'expérience que ni Afelan, ni Bolarg n'avaient encore acquis. Avant de s'attaquer aux affrontements en équipe, il fallait déjà voir à affirmer la puissance individuelle de chacun.

C'est pourquoi le Sakai choisit sa deuxième Captis Ball. Un éclair rouge plus tard, et voilà un petit dinosaure chromatique visiblement émerveillé devant cet environnement désolé. L'accompagnateur s'était placé en retrait pour ne pas se faire happer par le feu de l'action, tout en assurant un poste d'observateur des alentours. Ardashnir avait donc le champ libre pour livrer son premier combat sur les Iles Deija. Encore fallait-il trouver un moyen de séparer les deux bêtes sauvages…

« Et si je jetais une pierre plus loin ? Non, la distraction n'en serait que très temporaire. Faire du bruit ? Ah, ce serait risquer que l'un d'entre eux s'approche un peu trop près de mon cher camarade d'un jour. Hum… »

Bolarg, quant à lui, poussait quelques petits cris de joie en mordillant le bas du manteau noir de son maître. Maître qui ne faisait décidément pas très attention à son environnement imminent, concentré comme il était sur la scène devant lui. Le Moufouette avait fini par lancer l'offensive avec ce qui semblait être une attaque Griffe, que le caillou lunaire ne prit même pas la peine d'esquiver. Ashar était assez surpris par l'inefficacité de l'action. Il se doutait bien que le Séléroc était solide, mais de là à ne pas flancher sous le coup… Etait-ce finalement une si bonne idée de s'attaquer à lui ?

Oui. L'érudit ne pouvait que progresser au terme de cette rencontre. S'il gagnait, eh bien ce serait grâce à sa ruse et sa réflexion. Et s'il commettait des erreurs, cela ne pourrait que le rediriger dans le chemin de la progression et de l'apprentissage. A partir de maintenant, le noiraud refusait de reculer devant l'adversité. Une nouvelle résolution animait le regard du jeune homme, qui baissa alors la tête en direction de son compagnon de poche pour le préparer au combat. Sauf que ce qu'il découvrit lui fit instantanément écarquiller les yeux.

« Bolarg ? Qu'est-ce que tu fais ?! »

L'incriminé lâcha immédiatement le tissu avec un gémissement plaintif, comme s'il était honteux d'avoir été pris sur le fait. Problème, c'est que la voix du jeune homme avait porté un peu trop fort, et qu'à présent deux paires d'yeux fixaient le duo avec intérêt. C'est que le Sakaien n'eut même pas le temps de reprendre son Pokémon sur son comportement qu'un bruit de course lui fit tourner la tête en direction d'un Moufouette lancé en vive allure. Horreur !

C'est alors que le Ptyranidur shiny se plaça devant l'humain dans un vain espoir de faire barrage. Le fossile n'était pas content, il gronda avant de hurler de toutes ses forces. C'était une capacité ! Le Moufouette fit bien de s'arrêter, à présent le violet ne semblait plus aussi certain du succès de sa charge. Bolarg en profitant pour recommencer Hurlement, ce qui cette fois-ci fit fuir l'adversaire. Malgré toute sa bravoure, le pauvre Poison avait pris peur devant le tyrannosaure bleu. Même petit, c'est qu'il avait du coffre !

Ah, mais voilà qu'arrivait la véritable cible du duo, ce scélérat de Séléroc ! La lune aux yeux rouges semble propager des ondes, quelque chose qui perturbe l'air et qui assène le crâne des deux autres êtres vivants.

« Agh, lance une Charge ! »

Dans le feu de l'action, l'érudit se découvrait une nature inédite de dresseur Pokémon. Au lieu de perdre ses moyens, son petits compagnons bipède se précipite vers l'ennemi qui, encore une fois, reste impassible. Bolarg saute et percute le Séléroc, mais cela n'a pas vraiment d'effet mis à part stopper la capacité Psy. C'est limite si le Ptyranidur s'est pas fait plus mal à la collision !

Mais Bolarg n'en a pas fini, un cri de prédateur repousse le Séléroc en arrière bien que cela soit complètement inoffensif. Du moins, pas si sûr. On dirait que cela n'a fait qu'attiser la colère du Pokémon sauvage !

La scène qui suit est donc digne des plus grandes comédies théâtrales : Séléroc essayant de toucher sa proie avec des Rayon Gemme, tandis que Bolarg tente de courir pour sa vie. Et Ardashnir dans cette histoire ? Il complète la course-poursuite dans l'espoir d'entraver l'avancée de la pierre lunaire, ou de se rapprocher assez près afin de rentrer le Ptyranidur en sécurité dans la Ball. C'est ce qui finit par arriver. Ainsi, le Séléroc sauvage se retrouva confus lorsque son homologue Roche disparu dans un éclair rouge. L'homme de lettres avait eu assez de jugement pour prendre la poudre d'escampette au détour de plusieurs amas de gravas ou de pierres.

Le guide touristique ne tarda pas à le rejoindre, amusé par le spectacle qui venait d'avoir lieu. Effectivement, le Sakaien était un peu rouge de honte quant au résultat de son premier combat. Ils avaient peut-être visé trop haut pour cette fois-ci, mais les prochaines fois devraient mieux se dérouler !