Incroyable ce que le destin nous réserve entre deux grains de sable. Au cœur de cette grotte, une émotivité particulière règne. J’ai du mal à ne pas jubiler, sous l’œil complice de Lusaline. Elle a beau ne pas connaître l’homme qui nous fait face, elle l’apprécie déjà je peux le sentir. Elle se rapproche de notre petit duo tout en surveillant la blessure de Théophile, probablement en ayant hâte de pouvoir faire davantage. Ses capacités de soins sont encore très basiques et basées davantage sur son expérience que sur de réels pouvoirs pour l’instant. Dans tous les cas, sa compassion et son attention particulière envers mon vieil ami me tirent un sourire. Que ferais-je sans elle dans ma vie ?

«Vous n’avez aucune idée ! Ma vie a été remplie d’aventures ces dernières années, depuis la mort de mon père en fait. Je n’ai pas chômé, mais j’ai surtout eu de la chance. J’ai rencontré des gens qui ont définitivement orienté mes pas ailleurs, qui m’ont aidé à trouver ma voie. Malgré tout, j’arrive encore à éprouver des doutes. Je suppose que c’est normal quand on est encore jeune.»

J’hausse les épaules. Il y a encore tellement de choses que je ne sais pas et je n’ai aucune retenue de l’avouer devant mon aîné. L’inexpérience ne cause aucune honte chez moi : j’y vois là simplement le chemin qu’il reste à parcourir vers une meilleure version de moi-même. Puis de le faire auprès de quelqu’un en ayant visiblement plus prend tout son sens. Théophile pourrait certainement me conseiller, même s’il ne connaît probablement rien à ce qu’il signifie d’être chef de nation. Il sait autre chose. Il sait ce qu’il veut dire d’être responsable, de se respecter, d’être taraudé entre deux options. Comme mon père. Me confier à lui me manque; à l’instant où mon cœur est lourd, le destin semble m’avoir envoyé un substitut tout à fait désirable.

«Loin de moi l’idée de vous retenir. J’ai déjà hâte à ce repas.»

Je suis même certaine que Nadim appréciera beaucoup le vieil homme. Peut-être celui-ci pourra apprendre au petit prince quelques leçons d’humilité et de simplicité, quelque chose qu’il n’a jamais vécu dans sa vie. Je me redresse pour aller vers l’ouverture de la grotte, histoire d’y juger l’état de la tempête. Les vents sont moins puissants et lentement le sable se fait moins violent. Nous parviendrons probablement à sortir de notre cachette d’ici quelque temps. Au moment où je m’apprêtes à faire demi-tour pour faire mon rapport à mon compagnon d’infortune, une silhouette surgit devant moi. Il s’agit d’un Pokémon venu chercher refuge, un Ecelangue. Le pauvre a du sable sur la langue. Je lui offres un petit sourire désolé en guise de support jusqu’à ce qu’un second bruit dans la grotte me tire un sursaut. J’espère que ce Débugant n’est pas de retour… Je constate qu’il s’agit plutôt d’un Teddiursa en train de tirer son butin : quelques baies qu’il garde jalousement pour lui. La petite, car il s’agit d’une femelle, gronde et sort les griffes avec un courage qui me fait sourire.

«Ne t’inquiètes pas, petite. Il ne touchera pas à tes précieuses baies, n’est-ce pas Excelangue ?»

L’intéressé baisse la tête avec déception. Je dois avouer que j’ai faim moi aussi, mais je n’oserais jamais privé cet ourson de sa nourriture. Je vais plutôt vers une des sacoches de la selle du Zéblitz pour en tirer un peu de pain, dont j’offre un morceau à l’Excelangue. Le Pokémon s’empresse de l’engloutir avec joie. Je retourne vers Théophile et lui en offre un morceau aussi.

«Heureusement qu’il était bien emballé. En voilà un peu pour vous. Peut-être que Teddiursa en voudrait aussi ?»

L’ours redresse la tête et m’observe, hésitante à laisser sa réserve. Pourtant elle s’approche avec méfiance, avant de prendre prudemment le morceau de pain que je lui tends. Une fois englouti qu’elle s’apaise un peu.

«Elle est tout simplement adorable. Et féroce en plus. Vous avez vu comment elle a défendu ses baies ?»

D’ailleurs la voilà qui tend de nouveau les pattes pour demander du pain.

«Désolée, Teddiursa, je n’ai plus de pain, j’ai tout donné.»

L’ourson m’observe avant de s’éloigner vers sa réserve. Pendant ce temps, j’en profite pour faire mon rapport à Théophile.

«La tempête s’est beaucoup amoindrie. Nous devrions être en mesure de rentrer sous peu. J’ai pensé vous faire voyager à dos de mon Zéblitz. Pensez-vous que vous serez en mesure de chevaucher ? Je vous guiderai jusqu’à Chevropolis à…»

Je m’interromps en sentant une petite patte sur mon bras. La Teddiursa est revenue et me tend une baie. Je la remercie, attendrie, avant d’y goûter. Son jus est délicieusement amer. Je tend la main vers la petite pour la remercier. Elle la renifle mais ne s’approche pas davantage. Je respecte son choix.

«Dis, tu me semble être une gourmande toi. Je vis dans un Palais qui contient plein de gourmandises. On pourrait les partager si tu le désires, ce serait toujours mieux que de vivre seule ici et de devoir se battre pour le peu collecté.»

J’attends la réaction de la petite tout en mangeant ma baie. N’ai-je pas parlé des drôles de tours du destin ?

La native des lieux m’observe avec une telle intensité que j’ai l’impression grandissante que ma proposition sera refusée. Il faut dire qu’elle est plutôt soudaine, dans un temps étrange. Sauf que je connais les tours du destin et j’ai appris à me saisir des occasions lorsqu’elles se présentent à moi. Au final, cette caractéristique de ma personnalité m’a amené loin, je n’ai donc rien à regretter. L’oursonne pose finalement une main griffue sur la mienne, de manière un peu brusque si bien que je sursaute. Elle semble comme me rappeler quelque chose, quelque chose que j’ai oublié. Je mets un long, long moment à comprendre, penchant ma tête de droite à gauche en tentant d’interpréter ce geste. Heureusement, la petite est patiente et me montre un objet à ma taille : la balle de Lusaline. Voilà ce qu’elle attend : une balle pour elle. Une preuve, un contrat. Je lui présente une balle vide avec un sourire, impressionnée par son audace. On dirait qu’elle sait parfaitement ce qu’elle veut et ce qu’elle veut est de m’accompagner. Une fois qu’elle a disparu à l’intérieur, je laisse m’échapper un petit rire. Je sens que la vie au palais deviendra bientôt très distrayante avec elle à mes côtés. Elle fera certainement changement de mes deux premiers compagnons, deux véritables douceurs.

«Vous avez raison. Elle me fait penser à moi quand j’étais petite, j’étais un peu sauvage comme elle moi aussi. Je suis heureuse de l’avoir dans mon équipe. Quelle journée étrange ! Je retrouve un vieil ami et je m’en fais un nouveau !»

Et il est maintenant temps de partir. Le vieil homme se dirige en direction du Zéblitz pour chercher son approbation, un geste louable et bon. Je reconnais là Théophile : il n’aurait jamais osé s’imposer si le destrier n’avait pas souhaité son contact. Néanmoins ma monture est d’une docilité exemplaire et un cheval particulièrement affectueux, même avec les inconnus. Une vie d’entraînement a supprimé certaines tendances anxieuses chez son espèce pour en faire ce qu’il est devenu aujourd’hui. Rejoignant mon protégé, je lui tends la main pour l’aider à monter. Une fois installé en toute sécurité, nous pouvons enfin prendre la route.

À notre sortie de la grotte, je constate que les sables ont formé des monticules qui gâchent la vue sur le roc. Nous allons devoir faire bien attention en descendant vers le canyon, qui n’est qu’à quelques pas en réalité, pour éviter de glisser. Un vent fort balaie encore les environs mais les sables ont beaucoup réduit en intensité. Je cache Lusa dans ma veste avant de prendre les rennes du Zéblitz. Notre route vers le canyon est longue est pénible, je dois calculer chaque pas. Bientôt nous nous retrouvons sur la terre ferme.

«Ouf. Maintenant, plus qu’à suivre la route.»

La route invisible aux yeux de quiconque ne connaît pas le canyon comme le fond de sa poche, comme c’est mon cas. Au bout de quelques heures, nous atteignons enfin l’arche majestueux qui signale l’entrée de la ville. Je souris, soulagée.

«Nous sommes enfin arrivés ! Aller, venez, on a fort à faire pour vous soigner.»

Je prends le chemin des rues de Chevropolis, la route de mille et un souvenirs, le cœur gros d’amour et de gratitude. J’ai l’impression d’avoir retrouvé une part de moi-même aujourd’hui, une part qui me réconcilie avec qui je suis réellement : Aryël Eladan, petite fille d’Orion et Chef de Ran.