« Maman ? Tu crois que j’ai ce qu’il faut pour continuer ma voie ? »

Les mains jointes, je m’adresse à ma mère. Elle est la seule à qui je peux confier tous mes secrets, toutes mes insécurités. Arceus sait quelles sont nombreuses actuellement.

Aujourd’hui, nous retournons à Vénovos (juste à côté depuis notre déménagement d’avant la tempête) avec Papa. J’appréhende le moment où nous retrouverons notre maison. Il est très probable qu’elle ne soit plus qu’un tas de bois et de débris. J’imagine aussi que même en ayant eu de la chance, des sales bandits sont déjà venus pour piller les lieux. Les outils de Papa, ses figurines en chêne et en boulot… Certaines sont fabriquées avec un bois très rare. Je pense aussi aux réserves que nous avions. De la marchandise provenant de la Savane de Ran, rien que cela. Et bien d’autres choses encore.

Le pire, ce sera la vision que nous allons avoir. La destruction. Le chaos. J’ai peur de retrouver ma chambre et mes affaires. Mais ce qui m’effraie le plus, c’est de ne pas retrouver les souvenirs de Maman. C’est ma hantise. Toutefois, il faudra bien qu’on y retourne. Mon père a vraiment hâte…

Bien, les prières sont terminées. J’espère que Maman va bien là où elle est. Je ne veux pas lui causer des tracas mais on ne peut pas dire que j’ai la vie en rose en ce moment. Avec tout ce qu’il s’est passé… La disparition de Lord Heisemberg. Les tensions entre les pays. Et ce qu’il s’est passé il y a quelques jours… C’est à peine croyable. Depuis ce moment, j’ai l’impression de ressentir plus facilement les émotions de Papa. C’est perturbant. Quant à lui, il semble avoir des conversations de plus en plus précises avec Maman. Je ne sais pas si…

« Fils ! Artemis !

-Je suis là Papa.

-Nous partons bientôt. J’espère que tu es prêt. »

Oui. Si on veut. Je rassemble mes quelques affaires et je sors de la pièce pour rejoindre mon paternel. Aujourd’hui, nous quittons définitivement Mido.

Avec nos bagages dans les bras, sur le dos et dans la charrette, Papa et moi prenons le temps de remercier les habitants pour leur hospitalité. L’instant d’après, nous voilà en route vers le destin. C’est ainsi que je l’interprète en tout cas. Et puis ce voyage me laisse un goût amer. C’est de cette façon que nous avons quitté Vénovos pendant le Déluge…

[…]

La capitale est non loin. Nous sommes arrivés. La maison n’est plus très loin… Je sens mon cœur se serrer.

« Bon… Récupérons ce qu’on peut, OK ? J’ai loué la charrette jusque demain. »

Que dire ? Il ne reste rien de notre maisonnette et de l’atelier de Papa. Le vent a tout soufflé. Je vois des poutres ci-et-là mais rien n’est debout. En m’approchant, je peux voir des travaux en bois. Je ramasse une figurine : elle représente le dieu Kyogre. Ah, quelle ironie.

Plus loin, je crois voir ce qu’il reste de ma chambre. J’imagine. Tout est méconnaissable. Il y a un peu de livres, une chaise cassée… Mais ce n’est plus notre chez-nous. Une question me taraude l’esprit. Je me retourne vers mon père, l’esprit fatigué.

« Papa… Comment allons-nous faire pour reconstruire tout ça ?

-Ah… Artemis, nous n’allons plus vivre ici. »

Que… Quoi ? Mais c’est notre maison ! En dehors de la capitale pour être tranquille. Bon ce n’est pas l’idéal pour le commerce de Papa, mais il faisait déjà des déplacements jusqu’à Vénovos qui est la porte d’à-côté. Et puis cet endroit… Il est chargé de nos souvenirs, même s’ils sont en mauvais état.

« Je sais que c’est difficile Artemis, mais je ne peux pas rester ici. C’est trop. Et puis tu risques d’avoir fort à faire de ton côté, le mieux c’est que tu te rapproches encore de l’armée. »

Oui, mais je ne sais pas si j’en ai envie. Est-ce que je veux toujours être Chevalier Doré ? Est-ce que j’en suis capable. Ah, quelle blague. Une vaste blague. Je connais déjà la réponse. Tout le monde connait la réponse. Peut-être que Papa est trop bouleversé pour faire attention à ce qu’il dit. Ou bien il croit vraiment en moi…

Pourtant je n’ai pas la force de protester. Je n’en ai pas le droit. La décision revient à mon père, c’est lui qui a perdu le plus dans cette sale histoire. De plus, ce sera mieux pour le commerce. Je ne peux qu’acquiescer et recommencer mes fouilles. Tout ce qui peut être sauvé le sera.

Des minutes plus tard, je me redresse, car je n’entends plus mon père faire ses recherches. Il est là, planté au milieu de ce qui était une pièce avant la tempête. Il tient quelque chose dans ses mains. C’est la peinture de Maman. La seule représentation d’elle que nous avons.

Je m’approche doucement. Elle est en piteux état, pour ne pas dire fichue… Je ne sais pas peindre ou dessiner, sinon… Je ressens tout à coup une énorme tristesse chez Papa. C’est à s’en fendre le cœur. Je sais qu’il est malheureux de voir cela, qui ne le serait pas ? Mais le sentiment est plus fort qu’il ne pourrait l’être… C’est ce quelque chose de nouveau en moi qui s’exprime. Je n’aime pas cela, je n’aime vraiment pas !

« Artemis…

-O-oui ?

-J’ai des choses à te dire. »

Oh, cela ne me dit rien qui vaille. Mais la curiosité l’emporte. Je regarde donc Papa qui s’empare d’une chaise encore en bon état, quel miracle, puis il s’assoit. Il soupire. J’attends.

« J’ai reçu un message de la part de la chef de Kuni. Faut que tu rappliques… Mais c’était déjà prévu.

-Oui. Je dois faire mon rapport, dis-je avec froideur.

-Donc voilà. Une fois là-bas, tu verras bien… Pendant ce temps, je vais amener tout notre barda en ville. Fais ce que tu as à faire fiston. »

Papa a raison. Le devoir m’appelle. Je pense qu’il y a d’autres choses qu’il voulait me dire. Mais certainement qu’elles ne peuvent pas encore sortir de sa bouche. Ce n’est pas grave, j’ai déjà fort à faire.

Une salutation plus tard, je me dirige vers la capitale, le pas lourd. Heureusement ce n’est pas très loin. J’ai la tête qui tourne et je vais devoir faire face à Dorcas de Rosfind, ma chef. Mais bon. Un peu de courage Artemis, tu en avais plus que cela avant.

Une fois sur place, je rejoins directement les lieux de l’armée. Là, tout à changer également. Il a fallu reconstruire des bâtiments, remodeler les terrains d’entraînements, remplacer les mannequins…

Dorcas est là. Elle est avec un général. J’entends mon cœur qui bat à cent à l’heure. J’aimerai vraiment ne pas être ici en ce moment-même… Mais la femme aux longs cheveux corbeau me repère. La fuite n’est plus une option. Elle me fait signe de venir alors j’approche. Je ne connais pas vraiment cette dame. Suite à la démission de notre ancien chef Rafahel, c’est elle qui a pris sa place. Je ne lui ai jamais parlé personnellement avant maintenant.

Elle me gratifie d’un sourire un peu faux. Puis je fais mon rapport, ni plus, ni moins. Vladimir Heisemberg de son nom, Chevalier Doré de Kuni, est porté disparu depuis un moment déjà. Au Lac Noctali, oui, c’est bien cela. Non, je n’ai trouvé aucune trace de lui.

De Rosfind s’entretient ensuite avec moi sur ce qu’il s’est passé lors du Déluge. Elle relève mes fautes, ma désobéissance, puisque son prédécesseur n’en a pas eu l’occasion. J’encaisse le tout, bien que dans ma tête, tout n’est que confusion. Je perds le fil, je ne l’entends plus qu’à moitié. Quel honte pour un écuyer.

« … C’est pourquoi je pense qu’il est grand temps pour vous de passer au rang supérieur. »

Je suis viré n’est-ce pas ? C’est tout naturel, c’est-

« Fendragon ? Ne me faites pas me répéter.

-P-Pardonnez-moi Chef, j’ai… Vous disiez ?

-Vous voilà soldat. Je vous laisse voir cela avec le général Gontran. J’ai des devoirs à accomplir. »

Abasourdi, je regarde la grande dame s’éclipser. Elle se prend le pied dans un tissu avant de mettre une claque, sans le vouloir, à un malheureux qui passait par-là… Si cela aurait pu me faire sourire en temps normal, je n’ai pas le cœur pour. Mais… Est-ce que j’ai vraiment réussi ? Je fais toujours partie de l’armée, je ne suis plus écuyer, je-

« OK petite tête. On va faire ça vite. T’es pas le seul à évoluer. Tu peux choisir une spécialité, on va commencer par ça.

-Une spécialité ? Oh, oui, euh… »

Mon regard se tourne vers les autres soldats. La lance, l’épée… L’infanterie. Puis vers les Galopa et les autres montures. Un cavalier ? J’ai beaucoup de mal avec Agapé alors… Le problème c’est que j’ai aussi des problèmes en tant qu’infanterie. Je suis petit, un peu faible et je ne parviens pas à manier la lance. Je ne peux quand même pas rester en seconde ligne toute ma vie… Ce n’est pas comme cela que je deviendrai Chevalier d’Or, si j’y arrive un jour.

« Alors ? »

Soudain, je pense à Maman. Je pense à sa toute dernière parole. Voler de mes propres ailes… Je ne sais pas si c’est un signe, mais j’ai avec moi Duma, mon Ptéra. J’ai encore du travail à faire avec lui, toutefois, j’ai l’intuition que c’est un bon choix. Ce n’est peut-être pas LE choix, mais c’est le seul qui peut convenir pour l’instant.

« C-Cavalier aérien, mon général !

-Mouais. T’es pas bien en chair, c’est mieux que de t’avoir en ligne de mire sur terre. De toute façon c’est toi qui vois. Si ça te convient pas, la porte est grande ouverte.

-Oui, merci mon général ! »

Je le salue, puis il s’en va non sans me tapoter l’épaule. Il n’est pas si méchant en fin de compte. Quant à moi, je suis cavalier aérien. Sans même passer de test. Dame de Rosfind a sûrement mentionné quelque chose à ce sujet, mais j’étais ailleurs. Je ne vais pas m’en plaindre… Si j’ai été choisi, c’est qu’il y a une raison.

Tu entends cela, Maman ? J’ai écouté ton conseil et je suis certain que c’est le bon ! Artemis l’écuyer n’est plus, sans mentor c’est difficile, alors dites bonjour à Artemis le cavalier du ciel ! Enfin bon… Pour cela, il faudrait que je sache voler. Personne n’est au courant, je n’ai qu’à m’entraîner avec Duma d’arrache-pied comme je l’ai toujours fait.

Cette annonce me revigore. Je ne peux pas fermer les yeux sur le passé et je ne me sens pas bien pour autant… Mais il y a de l’amélioration. Je pense. Un peu de temps et peut-être que j’irai enfin mieux. Pour le moment, je dois annoncer la nouvelle à Papa. Et à Connor aussi ! L’occasion de le revoir ne s’est pas présentée depuis longtemps. Mais de toute évidence, il n’est pas ici. Je lui enverrai un oiseau.

Maintenant je dois retrouver Papa à l’entrée de la cité.

[…]

Le voilà. Il a un grand sourire sur le visage. Je préfère le voir ainsi, mais attendez. Il savait !

« Alors fiston ? T’as démissionné ?

-Tu plaisantes ! Papa, tu étais au courant pour ma promotion !

-Ouais, ah ah, c’est vrai fils. Mais je voulais garder la surprise et puis tu avais un rapport à faire. Alors ?

-Alors je suis cavalier aérien. »

Papa m’écoute tout le long du chemin vers notre nouvelle maison. Une fois sur place, je ne peux qu’être émerveillé devant la bâtisse en pierre. C’est autre chose que notre cabane en bois. Mais ce n’est pas pareil. Je pense que je ne m’y habituerai jamais.

Nous entrons.

« C’est notre nouvelle demeure. Il y a encore du travail et c’est plutôt modeste, mais bon. Je vais devoir trimer dur pour rembourser le prêt.

-Ne t’en fais pas Papa, je suis là. Moi aussi je vais travailler dur ! Je pourrai même livrer le courrier aux villages voisins puisque je pourrai voler.

-N’en fais pas trop Artemis. Je te connais. Mais au fait, depuis quand tu sais voler ? »

Ah. Question légitime qui n’a pas encore de réponse. Heureusement, je parviens à éviter le problème en prétextant une faim soudaine. Les émotions, cela creuse l’estomac non ? Une fois un encas englouti, une bonne orange bien fraîche, Papa retrouve son air sérieux.

« Artemis ? Il faut que je te montre quelque chose. Viens. »

Je m’exécute et nous allons à l’étage. Là, au beau milieu d’une salle encore vide se trouvent une armure. Elle est magnifique, de taille assez petite. On dirait qu’elle est à ma mesure…

« Elle t’appartient.

-Q-Quoi ? Comment ça ?

-Cette armure… C’est un cadeau d’Heisemberg et moi-même. On en a discuté une fois, autour d’un verre. Comme quoi tu aurais besoin d’une nouvelle lors de ta promotion. Celle que tu as est un peu rouillée, non ?

-Pas du tout ! J’y tiens beaucoup ! Mais, un cadeau… ? Je… »

Cette armure est magnifique. Je n’ose pas imaginer son coût.

« Essaies la ! »

Je n’ai pas le choix. Je me dépêche d’enfiler l’attirail, tout en y faisant très attention. Ce qui arrache un rire à Papa, qui ajoute que je vais devoir la salir tôt ou tard. Elle me va comme un gant, c’est incroyable. Elle est plus lourde que ma bonne vieille armure bleue, mais le poids est très bien réparti. Papa ajoute la touche finale : une visière avec deux pointes. C’est plus pour l’esthétisme je pense.

« Woah Artemis, t’es beau comme un dieu ! Celui que tu préfères. Ah, j’ai juste un truc à ajouter. Voilààà.

-Une cape ? Merci Papa !

-Bon, elle part un peu en miette là et là. Mais c’est un tissu qui vient de notre ancienne maison, c’est pas mal hein ? »

Oui. C’est LA touche finale cette fois. Tout est parfait… Tout le serait si Lord Heisemberg était là. Si Maman était là. Au moins, mon père est là. Son soutien me met du baume au cœur.

« Fiston, on dirait bien que Fendragon ouvre les ailes ! »

Ah ah… Un bon jeu de mot. Maman doit être fière là-haut. Et je sais que quelque part, mon mentor l’est aussi. Tout est encore à faire... Mais j'ai quelque chose pour avancer.

Fendragon ouvre les ailes… Je n’aurai pas su dire mieux.

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