En d’autres circonstances, j’aurais probablement apprécié le silence. Ici, l’absence de dialogue nous aurait permis une écoute active de la musique composée par l’océan. Or, l’inquiétude face à la situation de l’étranger ne permet guère une telle candeur. Il ne répond pas, ce qui n’aide pas cette sensation de vide et de remords que je peux ressentir à l’instant. Heureusement, le Pichu semble me pardonner de m’être emportée contre lui, se faisant attentif à la leçon que je tente de lui inculquer. S’il la suivra à l’avenir ? Difficile de le prédire à l’instant. Je suis trop envahie pour remarquer que mes efforts depuis tout à l’heure ont porté leurs fruits et que mes mots resteront probablement gravés dans sa jeune mémoire un bon moment. Ni même le frêle sourire qui anime le visage de Corvus devant ma tentative de le distraire. Je sursaute néanmoins en entendant sa voix, à laquelle je ne m’attendais plus. Je ne compris pas, au départ, jusqu’à ce qu’il précise ses paroles. Ainsi tendue, enceinte jusqu’aux dents et passablement affectée par les tumultes émotionnels accompagnant la grossesse, les mots de cet inconnu m’atteignent de plein fouet. Je tâche de le dissimuler, mais je suis touchée par ses mots. Quelque part, ils me rassurent. Je ne devrais pourtant pas prêter attention à ce que d’autres pensent de moi. J’imagine que j’y suis encore sujette. Je tâche de rassembler mon courage pour le remercier, mais n’ai guère le temps de le faire qu’Akeira nous a interrompus.

Reste maintenant la problématique de ce jus de baie. Je regarde Akeira d’un air désespéré, dans l’espoir d’une intervention de sa part. Bien entendu, cette incompétente me laisse totalement en plan, retournant jouer avec le petit Pichu comme s’il n’y avait pas de souci plus important pour le moment. Le regard que je jette ensuite à Danaé la fait glousser à nouveau. Comment ? Même elle se fout complètement de ma gueule en ce moment. Je pensais pouvoir avoir confiance en elle. Stupide Riolu. Stupide domestique. Stupide Corvus. Je m’approche et entreprend de faire ce que les circonstances exigent, tout en m’efforçant de le toucher le moins possible. Autant dire qu’il y a bien de dégâts avant de parvenir à effectuer la tâche en question. J’ose à peine regarder ce que je fais. Danaé rigole de plus en plus, sous l’œil un peu désapprobateur de Aetius. Merci Kyogre, Lugia et tous leurs parents, il y a au moins quelqu’un ici qui est un peu de mon côté. Et Corvus aussi, j’imagine, ce n’est pas vraiment sa faute après tout.

Alors qu’il se redresse d’un bond, je laisse m’échapper un petit cri surpris. Les mouvements me brusques, surtout d’homme de sa carrure, provoquent toujours ce genre de réaction chez moi. Je me recule d’un pas, encore une fois intimidée par sa grandeur. Je dois littéralement me déboîter le cou pour l’observer ! Bon, dans le moment actuel, j’ai davantage intérêt à scruter le sol qui se fait complice de mon embarras semble-t-il permanent. Heureusement, cette situation est terminée, Corvus est remis sur pied et j’ai assez vécu d’émotions pour une semaine entière. La distraction disais-je rechercher ? Ha. Me voilà certainement servie. Je ne peux m’empêcher un petit rire nerveux alors que l’homme à la chevelure sombre déclare «plus de Chaglam» à son nouveau petit compagnon. Oui, je crois que personne ne s’y risquera de nouveau à ce rythme. Puis, ce merci.

«Oh… euh… De rien. C’était vraiment la moindre des choses après tout l’embarras que j’ai causé avec mes brillantes idées.»

Je redresse le regard avant de le baisser presque aussitôt, réalisant qu’il me regarde. Il fait tellement longtemps que quelqu’un ne m’a pas regardée, que je me sens ratatiner de l’intérieur. Je suis la femme invisible. Invisible. Voilà que le silence revient au pas de course. Cette fois, je l’accueille un peu mieux. D’une part parce qu’Akeira est de retour à mes côtés, de l’autre, ce silence a tout d’un adieu. Corvus confirme en quelque sorte de confirmer ma pensée en proposant de nous raccompagner au port.

«Bien sûr monsieur Corvus, ce serait avec plaisir.»

Si je n’ai pas répondu moi-même, j’approuve la réponse de ma domestique. Ce serait toujours mieux d’emprunter des chemins différents dans un autre lieu que celui-ci. Avec prudence, je remonte la plage de galets, puis la ruelle. Le port apparaît, toujours aussi vivant et bondé. Nous nous arrêtons ici pour formuler nos adieux.

«C’est ici que nos chemins se séparent. Ce fut un plaisir de faire votre connaissance, Pichu et Corvus.»

Je me penche vers le Pichu qui ne semble pas bien heureux de se séparer d’Akeira, Danaé et moi. Je lui adresse une rapide caresse sur la tête, avec un petit sourire attendri. Heureusement qu’il est mignon, vu tout ce qu’il a pu provoquer aujourd’hui.

«Et toi, reste bien sage.»

J’adresse un dernier petit sourire au duo, avant de poursuivre mon chemin, celui qui ne devait jamais recroiser le sien.

«Je suis contente.»

«Hum?»

«Je ne vous avais jamais entendu rire ainsi depuis que je vous connais, Lady Valencia.»

Peut-être a-t-elle raison.