Inspire. Expire. Tiens bon. Encore quelques minutes.


Après sa rencontre fatidique avec Vagabonde, Laurel avait pu finalement s’élancer sur la voie du Chevalier. Enfin, clopiner sur la voie en suant et souffrant plutôt. Mais ça faisait moins classe. Les entraînements de son mentor étaient à la limite de la torture physique et pourtant, rien de ce que ne lui imposait sa compagne de voyage ne ternissait l’enthousiasme sans fin de la Ranine. Les muscles pleins de courbature, le souffle court, elle s’effondrait le soir sans avoir même l’énergie de rêver. Pour recommencer le lendemain. Inlassablement.

Laurel avait choisi elle-même sa voie. Elle se rappelait les premiers soirs après avoir passé la journée à frapper métal contre métal. Les ampoules sur sa main, les douleurs dans le dos. Mais surtout la sensation d’accomplissement au final lorsqu’elle avait finalement réalisé son premier bracelet tout cabossé et plus ovale que rond. Il était alors la représentation physique de son labeur. Cette fois ci cependant, il allait falloir attendre un peu avant de pouvoir apprécier le résultats de tous ses efforts.

La Ranine devait bien se l’avouer, si Vagabonde n’avait pas été là elle aurait probablement flanché. En plus de rendre l’entraînement plus agréable par sa présence, elle avait aussi été source d’inspiration. Laurel ne voulait pas la décevoir. Plus encore, elle voulait l’impressionner. Chose ardue lorsque votre mentor est la femme la plus extraordinaire que vous connaissez. Pourtant la joaillière persistait dans ses efforts.


Ne pas abandonner avant la fin du temps imparti alors même que ses jambes hurlaient de douleur. Sourire au son de la voix de Vagabonde et bénir les dieux de lui avoir offert la chance de la rencontrer.


Vagabonde semblait être la seule chose qui occupait son esprit lors qu’elle n’était pas assommée par la fatigue. La manière dont ses cheveux flottaient sous l’action du vent, sa tendresse pleine d’amour avec ses pokémons, ses remarques pleines d’esprit qui pouvaient être absolument tordantes et d’une sagesse sans fond. Laurel s’était prise à la regarder de temps en temps juste pour pouvoir profiter d’elle un peu plus. Elle imaginait, comme elle le faisait étant enfant avec Kira, quels bijoux iraient le mieux pour parer son cou délicat. Parfois elle voyait des saphirs dont la pureté enchanteresse ne feraient que révéler celle de Vagabonde. D’autres fois elle la voyait avec des broches à l’effigie des dieux. Entei rugissant pour son courage, un élégant Rayquaza pour sa grâce, un fier Xerneas pour sa bonté. Jamais elle n’arrivait à se décider. Quel joyau ? Rubis, émeraudes ou saphirs ? D’or ou d’argent ? Quelle œuvre pouvait parer ce diamant sauvage sans en ternir l’éclat ? Au final elle se disait, que bijoux ou non. Épuisée ou reposée, Vagabonde restait le plus beau des bijoux et que vouloir l’enfermer dans un écrin était une bien vile pensée.


Souffle. Courage.


Malta parfois venait courir avec elle. Grattant la terre de ses petites pattes dans un élan désespéré de ne pas se laisser distancer. Elle s’était amadouée avec le temps. Ou bien c’était Laurel qui était devenue plus tolérante, prenant exemple sur Vagabonde en passant du temps avec elle pour tenter de rassembler les morceaux de ce lien sauvage. La Griknot grandissait au fil des jours s’affinant légèrement sous l’action d’un mécanisme qui n’avait rien à voir avec le manque de nourriture. Elle partait de temps en temps de son côté pour chasser quelques pokémons trop curieux qui osaient s’approcher de son "territoire". Le soir elle se couchait prêt de Laurel, veillant à ce que son sommeil ne soit pas interrompu. C’était une paix fragile mais douce.

Laurel ferma les yeux pour se concentrer sur Vagabonde. Les paroles de sa chanson résonnaient en elle comme un cri désespéré du cœur. Elle pensait à l’exile de sa compagne et des gens qu’elle avait laissé derrière. Une famille peut-être, un amant ? Elle laissa ses pensées être bercées par l’air musical, confuse. Soudain, Vagabonde s’arrêta. La Ranine se laissa tomber par terre, les jambes tremblantes. Elle était bien incapable de dire si l’effort en était la cause.

Elle attrapa la main de Vagabonde, reconnaissante, les joues légèrement rouges à cause de l’exercice et du contact physique. Un frisson lui parcouru lors que son regard se perdit sur le doux sourire de son mentor. Elle tenta de chasser ce qu’elle identifiait faussement comme étant de la gêne en lâchant une petite plaisanterie.

« Tu m’as oubliée ? C’est vexant ça. La prochaine fois je porterais des clochettes. » souri-t-elle. « Gling, gling, Laurel est là. » dit-elle en gesticulant.

Elle suivit ensuite l’exemple de Vagabonde en réalisant les différents étirements, tentant de se concentrer sur sa tâche et non pas sur la femme à côté d’elle qui la complimentait. Son visage était vraiment cramoisi cette fois-ci et ce n’était définitivement pas à cause de l’effort.

« C’est vrai que maintenant j’arrive à toucher mes orteils. C’est un vrai progrès ! »

Malta leva les yeux au ciel un peut plus loin. Elle pouvait sentir les odeurs de la ville et attendait avec impatience de pouvoir entrer dans les remparts. Laurel termina ses étirements avant de rejoindre Vagabonde, se claquant un peu les joues pour se remettre d’aplomb. C’était un miracle que la Griknot n’ait jamais essayé de chiper les deux armes. Son cœur se mit à battre à tout rompre lorsque Jeanne suggéra l’idée d’acheter une arme. C’était la première fois qu’elles en parlaient. Laurel avait longtemps rêvé d’avoir sa propre arme mais elle n’avait jamais pu se décider sur laquelle choisir, toutes semblaient tellement merveilleuses ! Elle faisait néanmoins entièrement confiance à Vagabonde pour choisir l’outil adapté.

Elle pris d’abord le Cimeterre. L’arme était plus légère que les épées bâtardes que forgeait son père. Elle donna timidement quelques coups dans le vide, elle se rendait bien compte qu’elle devait avoir l’air ridicule. La pointe de la lame pointait légèrement vers le bas. Laurel se doutait que le chef d’œuvre qu’elle tenait dans les mains devait être parfaitement équilibré mais elle n’avait pas l’habitude de tenir une telle arme. Malta produit quelques sons en la regardant qui semblaient s’apparenter à un rire.

La joaillière reposa la grande épée pour prendre la dague. Elle s’était rendue compte que Vagabonde était étrangement gênée par son bras. Ou plutôt l’absence de  celui-ci. Au début Laurel avait essayé de la mettre à l’aise en portant sa prothèse mais elle avait rapidement abandonné l’idée parce que ça compliquait ses entraînements plus qu’autre chose. Elle coupa l’air d’un geste vif. Elle ne savait pas vraiment comment accommoder Vagabonde par rapport à cet aspect d’elle-même. Elle était née comme ça et pour elle n’avoir qu’une main était aussi naturel que de respirer. Sa famille avait toujours fait attention à ne pas lui faire remarquer sa différence en grandissant et il était rare qu’elle se trouve dans une situation qu’elle ne sache résoudre. Elle espérait seulement que Vagabonde ne la trouve pas … étrange. Indésirable, lui souffla son esprit. Elle chassa cette pensée rapidement. Elle était plus à l’aise avec la dague qui avait un poids plus homogène dû à la courte lame.

« Je suis clairement pas habituée au poids d’une épée donc la dague me va mieux. Mais c’est pas un peu court ? Parce que je suis pas aussi … flexible que toi, je sais pas si j’arriverais à imiter tes acrobaties. » expliqua-t-elle.

Laurel était en train de calculer le prix d’une telle arme. En étant réaliste elle se disait qu’elle n’avait pas besoin de quelque chose de grande qualité, elle ne faisait que commencer après tout. Il faudra aussi penser à quelque chose avec un design assez simple. Le Fer et le bronze étaient moins cher que l’acier, donc c’était déjà ça. Il ne lui restait pas beaucoup d’écus mais elle pouvait toujours vendre certains de ses bijoux. Malta allait pester mais tant pis. Elle devait aussi revendre sa prothèse. Le métal était de bonne qualité, si elle trouvait un moyen de le faire fondre elle pourrait peut-être en tirer un bon prix. C’était dommage de devoir s’en séparer comme ça mais elle n’avait pas vraiment le choix. Il fallait aussi qu’elle achète un truc pour Malta et une Captis Ball pour le pokémon des marais. Et il y avait toujours ses talents de négociatrice pour baiser le prix. Vivre sur les routes n’étais pas de tout repos.

« Qu’est-ce qu’on attend du coup ? » demanda-t-elle gaiement « Au fait, tu veux des astuces de marchands pour garder tes écus loin des mains baladeuses des pickpockets ? » Laurel ponctua sa question ouvrant le devant de sa chemise pour dévoiler une poche cousue à l’intérieur. « Ça et les  bottes c’est un grand classique mais ça fonctionne. L’autre solution c’est de refiler nos bourses à Malta mais là, je garantie pas qu’on les revoie. » rigola-t-elle.

Le dragon leva la tête à l’entente de son nom. Laurel lui sourit pour lui signaler que ce n'était rien d'important avant de commencer à rassembler ses affaires pour se préparer à partir.

« Tu crois qu’on pourra jeter un coup d’œil à la Grande Bibliothèque ? Je sais pas si l’accès est restreint mais je voulais en profiter pour prendre quelques livres pour mon oncle. T’as prévu de ramener des souvenirs pour ta famille ? » demanda-t-elle pas si innocemment que ça.

Elle voulait aussi en profiter pour admirer le minerais noir qui faisait la fierté de la région. Certaines  armes et armures étaient faites avec ce métal couleur obsidienne qu’on obtenait en raffinant la roche ébène de la région. Elle avait vu des créations tout simplement splendides. Avec un peu de chance elle pourrait demander deux trois conseils sur comment forger ce métal à un collègue joaillier.    

Laurel se figea quelques secondes, tourna sa tête d’un coup sec vers Vagabonde les yeux écarquillés. « Te tuer ?! Mais je veux pas te tuer ! » voulait-elle hurler, mais la femme continua son explication comme si c’était normal. La joaillière voulait devenir Chevalier pour protéger pas pour tuer. Si elle devait tuer pour sauver quelqu’un alors qu’il en soit ainsi mais, jamais n’avait traversé son esprit que Vagabonde ne se voyait que comme un obstacle à surpasser. Entre cette remarque lâchée avec une normalité morbide et sa remarque d’après sur sa famille, Laurel se mit à se poser encore plus de questions sur sa compagne. Est-ce qu’elle allait bien ? Est-ce qu’elle était heureuse là-bas ?

C’était un doute qui assombri quelque peu son humeur jusqu’à leurs arrivée aux portes de la ténébreuse Enogen. Laurel resta bouche bée devant les remparts immenses qui semblaient s’élancer vers le ciel. Elle quitta rapidement le groupe pour passer sa main sur la pierre lisse et noire. Elle grimpait de temps en temps dans le Canyon, juste pour le plaisir. Mais là, elle ne pouvait imaginer de grimpeur assez doué pour escalader la façade, ni d’échelle assez grande pour en atteindre le haut. Enogen portait bien son nom de cité muraille. L’envahir semblait aussi impossible que de trouver du feu sous l’eau. Elle revint rapidement en trottinant vers le groupe pour leur faire par de ses sentiments. Ça n’avait rien à voir avec Chevropolis et ses vastes étendues de cultures.

Après avoir passé la porte gardée, la ville se révélait, toute aussi grandiose. Laurel s’émerveillait des toits pointus, des gargouilles qui faisaient office de nids pour les petits pokémons oiseaux. Elle restait bouche bée devant l’architecture sculptée, les détails sur les frontons, les rosaces et vitraux colorés. Si Chevropolis resplendissait de la simplicité de ses maisons en terre cuite qui ne faisaient qu’embellir le Palais au Dôme-d’Or, Enogen impressionnait par les détails cachés de ses frontons. C’était vraiment un monde à part.

Et Vagabonde semblait être dans son élément, rivalisant avec l’enthousiasme de Laurel. Son œil de Gueriaigle repérait les moindres secrets de la roche. Que ce soit des fleurs colorées qui poussaient à travers le pavement ou un pokémon dragon habillement dissimulé dans le décor. La Ranine buvait ses paroles, absolument enchantée par ses remarques pertinentes et sa voix devenue ô si agréable à ses oreilles.

Malta restait auprès du groupe. Assez intimidée par la foule. La dernière fois qu’il y avait eu autant de monde elle avait bien faillit se faire écraser avec tous les gens qui courraient et les flammes qui léchaient le plafond. Mais sa curiosité l’empêchait de vraiment rester collée à Laurel. Elle allait grignoter un morceau de pain tombé par terre, se faire les dents sur une sculpture qui aurait dû être terrifiante, goba un pièce qui venait de tomber de la main d’un homme. Elle détestait devoir s’écarter pour éviter de se faire renverser par un Galopa lancé à toute vitesse ou se faire bousculer par des passants étourdis qui pestaient en se griffant sur ses écailles. Déjà, elle rêvait d’être plus grande, plus forte, plus intimidante. Personne ne l’embêterai si c’était le cas.

Laurel s’assit quelques secondes sur le rebord d’une fontaine pour souffler. Entre l’entraînement du matin, la route jusqu’à Enogen et maintenant le piétinement en ville, elle avait bien besoin d’une pause. La place où ils étaient était assez intéressante. Il y avait pas mal de boutiques différents installées tout autour de la fontaine. Enogen manquait l’organisation de Chevropolis en matière de commerce. Tout était mélangé et placé n’importe où. C’était un vrai labyrinthe. Elle arrêta de jouer avec l’eau pour regarder Vagabonde partir.

« Ah ! Mais je pensais m’acheter moi même… les armes. » termina-t-elle.

Trop tard, Vagabonde s’engouffrait dans la boutique. Laurel leva la tête pour voir l’enseigne. La boutique était propre, si peu de monde sortait avec des armes, nombreux étaient ceux qui s’arrêtaient pour regarder avec un regard envieux la façade. Clairement c’était une bonne boutique.

« J’ai pas les sous pour me payer ça... » murmura-t-elle à elle-même.

Pourtant, la Ranine resta sagement assise sur sa fontaine pendant quelques minutes avant d’en avoir marre. Elle se leva pour faire le tour des boutiques présentes, Malta sur ses pas. Il y avait un brocantier, ce qui était parfait. Elle en profita pour revendre quelques champignons qu’elle avait trouvé en cours de route et marchander le prix de sa prothèse. La Griknot s’agaçant du temps que ça prenait s’était mise à grogner de frustration ce qui fit augmenter miraculeusement le prix de rachat. Laurel remercia le brave homme et reparti le sac plus léger mais la bourse plus lourde. Elle avait refilé un collier déjà tout mâchouillé à son dragon pour l’occuper.

Elle continua donc ses emplettes auprès des marchands, en prenant une Captis Ball pour son potentiel prochain pokémon. Elle hésita longuement à en prendre une pour Malta aussi avant de se décider d’en prendre une deuxième. Elle n’allait peut-être pas la mettre tout de suite dans une Captis Ball mais au cas où. Sur les stands suivant elle fit le pleins de vivres s’émerveillant des différences culinaires de Ran et Sakai puis alla acheter un parchemin qui permettrait d’apprendre Lance-Flamme. Elle avait longuement hésité avec une attaque eau qui aurait été bien utile lors de l’attaque du Grand Conseil. Puis elle se rappela le froid glacial de la Toundra et la menace que représentaient les pokémons vivant là-bas. Plus que le feu c’était le froid qui avait mis à mal Malta donc Laurel préféra choisir un moyen de contrer celui-ci.

« Tu vas devoir t’entraîner toi aussi. » dit-elle à son pokémon.

Finalement elle alla acheter une de ces « crêpes » qui ressemblaient vaguement à un Shawarma ou un Gyros sans la viande. Elle en pris une aussi pour Vagabonde demandant à des enfants qui faisaient la queue avec elle quel parfum choisir. C’était la grosse dispute entre le chocolat et le sucre. Au final elle décida de prendre un de chaque et de laisser sa compagne choisir.

Elle retourna à sa place sur la fontaine pour attendre le retour de Vagabonde. Elle n’était pas très attentive, préférant regarder Malta chasser avec des enfants les Poichigeon qui s’amassaient sur la place. Aussi, elle sursauta lorsque Vagabonde l’appela. La femme venait à grand pas, portant des armes dans ses bras. Laurel se leva d’un bond pour regarder les armes, son cœur battant à toute allure dans sa poitrine.

« Tout ça pour moi ? » demanda-t-elle avec sa voix partant légèrement dans les aigus. « Je te dois combien ? C’est incroyable ! Je peux les tenir ? »

Malta était revenue auprès de Laurel et regardait les armes luisantes avec une envie non dissimulée. La Ranine sautillait sur place avant de s’élancer pour prendre Vagabonde dans ses bras, tellement elle était excitée.

« Merci ! Je ne les quitterais plus ! T’as vu Malta ? » s’émerveilla-t-elle.

La Griknot répondit par un petit cri à l’affirmatif. Soudain, Laurel se rappela qu’elle avait les crêpes dans la main.

« Oops. Tiens, je t’avais pris ça. Apparemment c’est une spécialité de la région, je ne savais pas qu’elle saveur tu aimais du coup j’ai pris les deux qu’on m’a conseillé. » dit-elle en lui tendant les crêpes. « Oh, mais on ferait mieux de s’asseoir. »

Elle fit signe à Vagabonde de s’asseoir sur la fontaine avec elle. Ce n’était peut-être pas un lieu de pique-nique digne de ce nom mais c’était mieux que d’être debout au milieu de la place. Malta sauta sur le rebord pour s’installer d’un côté de Laurel, le regard toujours fixé sur les armes brillantes.

« Oh, j’ai tellement hâte de pouvoir commencer à m’entraîner avec ! » dit-elle en balançant ses jambes comme une gamine trop agitée pour rester sagement assise. « Au fait, choisi ton parfum ! Chocolat ou sucre ? Ou si tu préfère on peut faire moitié-moitié ? » demanda-t-elle en lui présentant les crêpes.

Laurel regarda attentivement Vagabonde prendre délicatement la crêpe au sucre et la déchirer en deux avec une concentration à toute épreuve. Le sucre lui, profita de cette action pour s’échapper de la crêpe et tapisser les genoux de la guerrière d’une poudre luisante. Le visage de la Ranine se tordit en un sourire immense alors qu’elle essayait de se retenir de rire devant l’expression désemparée de sa mentor dont les joues pâles se teintaient rose. Rire qu’elle ne retint pas longtemps.  En entendant la remarque de Vagabonde, Laurel perdit tout semblant de retenue et éclata dans un rire bruyant.

« Oh mes dieux, je t’adore ! » s’esclaffa-t-elle.

Elle aurait voulu dire qu’il était rare de voir sa compagne aussi humaine mais ce n’était pas le cas. Vagabonde était toujours une merveille d’émotions et la limiter au stéréotype de la guerrière implacable serait une disgrâce. Néanmoins, il était vrai qu’elle avait cette apparence assez distinguée aussi, la voir faire des bêtises était toujours aussi amusant pour Laurel qui ne semblait pas se lasser de son amie et ses réactions.

« Va pour le chocolat » dit-t-elle en regardant Tourmaline gober le sucre à une vitesse record.

La crêpe était étrangement molle et sucrée mais elle n’en était pas pour autant désagréable et la joaillière se retrouva donc rapidement en train de se lécher les doigts pour ne pas perdre une miette du chocolat. Enfant et même maintenant, elle n’avait pas eu beaucoup l’occasion de manger cette denrée rare et chère à Ran. A Sakai le prix était bien différent et le goût meilleur. C’était du gagnant-gagnant.

Un plouf ! vint éclabousser Laurel qui se retourna pour regarder les pokémons de Jeanne jouer dans la fontaine. Plusieurs fois elle avait essayé d’encourager Malta à rejoindre les pokémons de Vagabonde dans leurs jeux mais elle semblait préférer le calme. Au moins elle n’était pas agressive avec eux et semblait même apprécier Invar qui était immensément plus calme que les trois autres. Laurel n’était pas bien sûre de l’âge de du dragon mais il était clair qu’elle était plus âgée que le reste de ses camarades de voyage.

« Il ne s’arrêtent jamais. J’étais comme ça aussi quand j’étais petite ? » commenta-t-elle en souriant.

Elle se tourna ensuite vers Vagabonde qui s’était adressée à elle et tomba sur la plus merveilleuse des visions. Un immense sourire qui valait tout l’or du monde. Laurel se fit une note mentale d’acheter plus souvent des gourmandises à sa compagne si elle avait le droit à un tel sourire à chaque fois. Déjà elle était en train de réfléchir à quoi lui faire goûter. Peut-être le Gulab Jamun de Ran ? C’était son dessert préféré et si Vagabonde était de Mido ou Kuni ce serait probablement une découverte pour elle. Mais, elle n’allait peut-être pas en trouver à Sakai. Il fallait qu’elle regarde si elle pouvait trouver les ingrédients et se rappeler de la recette. Peut-être qu’il y avait des livres de cuisine dans la Grande Bibliothèque. On disait après tout qu’elle possédait en son sein tous les écrits d’Ekoe.

Vagabonde venait juste de finir de manger lorsqu’elle commença d’une voix hésitante à lui parler de sa prothèse. Ah. Laurel se crispa un peu, s’attendant au pire. Ce n’était pas qu’elle ne faisait pas confiance à Vagabonde ou qu’elle ne l’appréciait pas – au contraire – seulement qu’elle avait eu le droit à quelques remarques désagréable pendant son apprentissage. Depuis elle avait tendance à se tendre un peu. Néanmoins elle écouta sagement, grimaçant juste un peu au début.

« En fait, je suis née comme ça. J’ai jamais eu de bras donc ça ne me manque pas mais c’est vrai que c’est chiant parfois. Mon père m’avait forgé la prothèse pour aider dans mon métier, du coup elle me sert surtout à maintenir les choses en place. C’est plus une commodité qu’autre chose et les gens sont plus à l’aise quand j’ai quelque chose qui ressemble à un bras. » expliqua-t-elle un peu sèchement en levant son moignon. « Par contre elle est assez lourde donc j’évite généralement de la porter. En plus avec le feu elle a été abîmée... Du coup j’ai préféré la vendre. » continua-t-elle calmement « Et puis ça m’a permit de récupérer des écus, comme ça je pourrais te rembourser pour les armes ! » termina-t-elle plus joyeusement.

Pour ponctuer ses mots elle sorti sa bourse pour la tendre à Vagabonde. Elle n’était pas sûre qu’il y ait assez d’écus là dedans pour payer les armes, au pire elle pouvait toujours vendre des bijoux. Ça lui ferait presque aussi mal au cœur que de devoir vendre son bras mais elle tenait à rembourser Vagabonde. La femme avait fait tellement pour elle.

« Et franchement, ne te soucie pas de ça. J’avais prévu d’aller trouver un Metamorph dans les marais, justement à cause de ça. J’ai entendu dire qu’ils pouvaient se transformer en tout et n’importe quoi, du coup je me disais qu’ils pourraient aussi servir de bras ? Je suis pas sûre que ce soit très éthique par contre. » commenta-t-elle en fronçant les sourcils.

Surtout, elle voulait trouver une alternative viable au métal qui était lourd, rigide et qui si mal adapté pouvait même blesser. Et son idée était de rendre sa prothèse littéralement "viable". Le Métamorph n’aurait qu’à prendre la forme souhaitée sans qu’elle ait à se soucier du poids ou de la durabilité de sa prothèse. Sur le papier c’était la solution miracle. Restait à savoir si physiquement c’était possible. Elle laissa flotter quelques instants avant de reprendre.

« Désolé si j'ai été un peu sèche. Généralement les gens ne sont pas très agréable quand ils demandent. » s'excusa-t-elle « Du coup puisque je ne n'ai plus ma prothèse est-ce que je pourrais te demander de l'aide de temps en temps ? »

Cette question était une manière de montrer à Vagabonde qu'il n'y avait pas de problème avec les questions qu'elle posait. Généralement Laurel n'aimait pas quand on venait "l'aider" sans qu'elle ne demande de l'aide. Ça pouvait être rabaissant et ennuyant surtout quand c'était une tâche qu'elle pouvait accomplir. Mais si c'était Vagabonde, alors ça allait.

Laurel balançait doucement ses jambes tendue à l’idée de la réaction qu’allait avoir Vagabonde. Il arrivait que les gens prennent mal ses explications et se vexent. Si la réaction d’autruit lui passait généralement au dessus de la tête, celle de sa compagne était tout particulièrement importante pour elle. Elle appréciait beaucoup trop son mentor pour rester indifférente à son opinion. Heureusement, Vagabonde accepta ses explications avec grâce.  La joaillière sentit le soulagement dénouer ses épaules crispées.

Juste avant de se figer, le souffle coincé dans sa gorge et les joues se teintant d’un rouge flamboyant. Qu’est-cequisepassepourquoielletouchemajoue. Laurel sentit des fourmis parcourir son corps alors qu’elle ne pouvait détourner son regard du magnifique visage de Vagabonde. Elle avait peur de bouger et briser ce moment magique. C’était comme si le temps s’était ralenti. Puis Vagabonde sourit. Et Laurel se sentit perdre pied avec la réalité. Elle faisait tellement confinace à sa compagne qu’elle n’avait même pas imaginé qu’elle puisse lui faire de mal et puis, elle était bien incapable de bouger là tout de suite et Ohmesdieuxellevam’embrasser. Fut le dernier semblant de pensée cohérente qui traversa son esprit alors que la femme passait doucement son doigt pour essuyer du chocolat qui s’était perdu. Laurel suivit des yeux le doigt son cœur battant à cent à l’heure. Elle ne put répondre à Vagabonde qu’un espèce de gargouilli sans sens qui devait se traduire par quelque chose du style « Ne t’inquiète pas tu peux faire ça quand tu veux. ».

Elle avait envie de sauter partout en hurlant de joie. Est-ce que c’était une réaction normale ? Les gens font ça de temps en temps, non ? Il lui fallut tout son self-contrôle pour rester en place sagement pendant que Vagabonde parlait, elle n’enregistrait que vaguement ce qu’elle disait son esprit repassant en boucle ce qui venait de se passer comme si même lui n’y croyait pas.

Vagabonde proposa ensuite de faire un petit « jeu », trouver la Grande Bibliothèque. Autrement dit, trouver le plus gros et imposant bâtiment de la ville qui n’est pas un château noir avec pleins de pics. Laurel accepta le défi mais avant …

« Cinq minutes. » dit-elle en levant un doigt.

Elle couru jusque dans une rue où Vagabonde ne la verrai pas … pour sauter dans tous les sens en poussant des cris aigus étouffé par sa main devant sa bouche.

« OH MES DIEUX ! OHMESDIEUX!OHMESDIEUX ! »

Puis elle remis sa chemise droite, passa sa main dans ses cheveux pour y mettre un peu d’ordre avant de retourner auprès de Vagabonde comme si de rien n’était. Malta lui lança un regard lourd de jugement.

« Okay, c’est bon on peut y aller. Trouver la Grande Bibliothèque c’est ça ? » lança-t-elle le plus naturellement possible.

Ses joues était encore rouge et sa respiration rapide mais qu’est-ce qu’elle était heureuse ! Bon, trouver la Grande Bibliothèque. Rien de plus simple. Elle avait vu la tour immense dépasser du haut des toits. La solution la plus rapide était de s’arrêter pour demander la direction à un des habitants et l’affaire serait réglée en quelques temps. Mais est-ce que Laurel avait vraiment envie que l’affaire soit réglée en quelques temps ? Pas vraiment. Ça lui donnait une excuse pour profiter d’une balade détendue avec Vagabonde. Mais en même temps elle voulait l’impressionner même avec un truc aussi idiot que trouver la Grande Bibliothèque le plus rapidement possible. Dilemme.

« Par là. » trancha-t-elle en pointant la rue qui partait vers le centre de la ville.

Le pavement sur le sol rendait la marche légèrement glissante avec des sandales. A Ran, le sol était fait de terre et poussière aplatie et durcie par le passage constant des piétons. Elle se disait que ce ne devait pas être très agréable pour les pokémons à sabots. Laurel pris un peu d’élan pour glisser sur le sol. Et faillit se casser la gueule en butant sur un pavé sur-élevé. Ooops.

Les rues d’Enogen étaient étroites et tordues. Les gens passaient en calèche en pestant à pleins poumons et menaçant d’écraser les piétons. Les boutiques étaient sagement rangées sous des maisons, leurs étales à la vue de tous mais étrangement silencieuses quand comparées à celles de Ran. Laurel s’inquiétait un peu de tomber sur une bande de voyous. S’il n’était pas rare de se faire attaquer par des bandits sur les routes, se faire attaquer en ville était plus embêtant parce que ça mettait en danger la population si le combat dégénérait.

« Tu n’as jamais eu de problèmes avec des guets-apens ? » demanda-t-elle en regardant un groupe de gamin passer en courant à côté d’elles.

Elle se mis sur la pointe des pieds pour cueillir une fleur qui poussait dans un pot. Elle n’y connaissait rien en fleur mais celle-là était jolie avec ses couleurs vives et ses larges pétales. Elle la fit rouler un peu entre ses doigts avant de se se pencher pour la mettre dans les cheveux de Vagabonde tout en disant :

« Je te mets juste la fleur dans les cheveux. Voilà. » elle se recula un peu pour l’admirer. « Tu crois qu’on pourra monter jusqu’au sommet de la bibliothèque ? Ce serait super cool de voir la ville d’en haut ! »

Elles durent passer encore par de nombreux escaliers et quelques culs-de-sac avant de pouvoir réussir à atteindre la fameuse Grande Bibliothèque. Son architecture était des plus délicates, elle était constituée d’une tour principale large et ornée de gargouilles d’où jaillissaient des tours plus petites. Les dômes de la bibliothèque reflétaient le soleil et on pouvait supposer qu’ils étaient fait de verre. C’était à se demander par quel miracle le plafond ne s’effondrait pas tant le bâtiment avait l’air fragile. Laurel posa sa main sur les armes à sa ceinture, leur poids avait un aspect rassurant et elle sentait tout de suite plus importante. Durant leur traversée de la ville elle avait pris la main de Vagabonde dans la sienne pour une raison quelconque et ne l’avait plus lâchée depuis. Sa justification ? Elle ne voulait pas la perdre dans la foule.

« Bon, je nous ait perdu  au moins trois fois mais on est finalement arrivées ! » Elle prit un air solennel et fit une petite courbette comme pour imiter les serviteurs des nobles « Madame, j’espère que vous aimez les vieux trucs poussiéreux parce qu’il y en a pleins ici. » elle lui fit un clin d’œil «  Et je ne parle pas des livres ! »

En effet, une grande partie des visiteurs était constituée de vieux érudits portant de longues robes, transportant des parchemins dans les bras. Il y avait un étrange brouhaha qui emplissait l’air, on pouvait distinguer de nombreuses conversations scientifiques sur les théories de tel et tel chercheur ou bien encore des murmures inquiet par rapport à l’attaque du Grand Conseil. Laurel préférait ignorer ceux-ci et éviter de se rappeler ce mauvais souvenir. On pouvait entendre aussi, des crieurs de rue qui se plaçaient dans des lieurs sur-élevés pour prêcher la bonne parole de tel et tel dieu. Quelques uns de ces savants lançaient des regards vers leur petit groupe qui sortait du lot. L’entrée dans la Grande Bibliothèque semblait réglementé parce qu’il y avait une petite file devant l’immense porte du bâtiment.

« J’ai gagné quelque chose du coup ? » demanda-t-elle le regard plein de malice. « Au fait, tu me le dis aussi si c'est un sujet sensible mais ta famille est vraiment ... » Elle chercha le bon mot « Étrange ? Est-ce que ... ce sont des pokémons ? » demanda-t-elle sur le ton de la conspiration.

C'était la conclusion logique à la quelle elle était venue. Ne donne pas de valeur à l'argent, pas matérialiste. Soit c'était des prêtres soit c'était des pokémons. Et clairement, Vagabonde n'avait pas l'air d'une fervente adoratrice d'une quelconque divinité. Elle avait essayé sans succès d'imaginer Vagabonde en tenue religieuse. Et puis il y avait cette histoire de « Entraînée au combat depuis toute petite », si elle avait grandit avec des pokémons, c'était sûr que, entraînée au combat, elle l'était.

Laurel était tout sourire. Même si elle croyait un peu à sa théorie, cela gardait un aspect assez conte de fée qui, en soit ne jurait pas avec la merveille qu’était Vagabonde mais restait assez peu réaliste. La Ranine s’attendait donc à une blague ou un sarcasme pour toute réponse, sa compagne avait toujours été assez évasive et floue lorsqu’elle répondait à des questions personnelles. Autant dire qu’elle fut prise à court lorsque l’émotion assombrit le regard de son amie.

« Désolé j’au- » commença à s’excuser Laurel avant de se figer en voyant une larme perler au coin de l’œil de cette femme forte et fabuleuse. « Vagabonde ? » demanda-t-elle la voix légèrement tremblante d’inquiétude.

Laurel sentit les doigts gelés de la culpabilité enserrer ses entrailles et les tordre. Elle n’avait pas voulu faire de mal à son amie, comment rattraper le mal qui avait été fait ?

Elle réceptionna Tourmaline sur son épaule, complètement prise au dépourvue par ce changement brusque de situation. Et n’eut que le temps de d’ouvrir la bouche avant que celle qu’elle aimait tant ne fuies. Laurel se retrouva seule dans la file, le cœur déchiré par l’inquiétude. Qu’est-ce que j’ai dit ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Gémissait son esprit. Non. Comment je répares mes tords ? Comment j’aide Vagabonde ? Puis-je seulement l’aider ? Quels démons tourmentent son âme et font couler ses larmes ?

« Tourmaline, je suis désolé. Je sais pas- Qu’est-ce que je fais ? » implora-t-elle.

Le pokémon semblait la supplier de suivre sa dresseuse et Laurel le voulait se perdre dans les rues à la recherche de cette femme. Se perdre et la retrouver. Elle voulait courir après Vagabonde, la serrer dans ses bras et la rassurer comme elle l’avait rassurée dans la grotte. Mais la guerrière était loin. Comment la retrouver dans cette ville labyrinthe aux murs noirs suie qui semblaient se moquer de ses tourments. La foule n’était que masse vulgaire et imposante et les rues serpents biscornus sans queue ni tête. Elle fit un premier pas hésitant ses jambes semblaient de plomb là ou son cœur déjà sombrait.

C’était comme au Grand Conseil. Elle avait perdu Aryël dans les Flammes. Et elle devait la trouver. Trouver sa chef. Trouver son espoir. Trouver celle qu’elle respectait par dessus tout, celle qui faisait battre son cœur. Vagabonde. Vagabonde qui était recroquevillée dans le Brasier, les poumons en feu. Qui fuyait sa main pour s’enfoncer dans la douleur et le rouge. Le rouge partout qui hurle et qui grince et qui peste. Le Feu qui dévore et emporte. Quelle différence y avait-il ? Il fallait qu’elle la trouve.

Malta voyait sa dresseuse perdre pied de la réalité. Perdue dans un souvenir hanté comme elle l’avait fait pendant les premières nuits après le Feu. Immobile, les yeux écarquillés. La Griknot jappait, bougeait, grondait mais la femme ne répondait pas. Alors elle lui mordit le mollet. « Réveille toi, l’Autre est partie. » voulait-elle dire à son trésor bipède.

Une vive douleur secoua Laurel. Elle baissa les yeux, tremblante pour voir son pokémon la fixer de ses grands yeux. Dans son cou la fourrure de Tourmaline était un doux réconfort. Elle prit de grandes inspirations pour se calmer. Il n’y avait pas de Feu. Juste Vagabonde qui avait besoin d’elle.  Pas de Feu. Mais il fallait courir. Et cela faisait plusieurs jours qu’elle ne faisait que ça, courir. Avec son sac, avec son pokémon. Dans la neige et sous les arbres. Plus vite, plus loin et plus longtemps. C’était pour cela qu’elle s’entraînait. Pour ne plus être impuissante.

« Okay. Okay… ça va aller. On va retrouver Vagabonde. Tout va bien aller. » se rassura-t-elle autant que les pokémons « Malta, en avant. »

Le dragon poussa un rugissement avant de sauter en avant, courant à travers la foule, Laurel sur ses pas. Elle poussait les érudits sur son chemins, les entendant pester et insulter sans que cela ne la trouble le moins du monde. Son cœur s’emballait à chaque virage qui ralentissait sa course, à chaque passant qui lui barrait le chemin et chaque escalier qu’elle devait sauter. La Griknot avançait avec détermination mais bientôt elle perdit la trace laissée par la Femme. Il y avait un marchand de parfum juste à côté et l’odeur vive arrachait celle de la Femme.

Laurel s’arrêta net à côté de son pokémon, cherchant frénétiquement les alentours en quête de Vagabonde. Rien. Rien d’autre que ces enfants, trop heureux. Ce couple, trop amoureux. Cet oiseau, trop gai. La guerrière était nulle par en vue.

« Malta ? Où est Vagabonde ? » demanda-t-elle tendue.

La Griknot secoua la tête. Un froid glacial envahit Laurel tel un présage sombre.

« Non, non s’il te plaît, il faut que tu la retrouve. Elle est pas bien et c’est ma faute, il faut que je m’excuse. Je peux pas la laisser toute seule. » implora-t-elle. Le dragon semblait sentir et comprendre son tourment et cherchait frénétiquement le parfum de la femme dans l’air, sans succès. « Malta je t’en prie ! » supplia-t-elle

Dame Fortune l’avait-elle quittée après tout ce temps ?

Ne pas retrouver Vagabonde, cela ne signifiait pas seulement lui faire défaut au moment où elle avait besoin d’elle, c’était aussi la perdre dans ces flammes mentales.

Malta grogna et pesta. Elle devait faire mieux. Être mieux. Soudain, un lueur naquit. Son Trésor sur patte se sentait mal. Elle grandit, s’étendit pour envelopper le dragon dans un éclat bleuté. Il fallait qu’elle trouve la Femme. Sa forme changea, s’allongea et grandit. Elle devait être plus forte, plus agile. Ses pattes avants devinrent ailes, sa crête une dorsale. Le Trésor de son Trésor était aussi son Trésor.

Et personne ne touche au trésor d’un dragon.

Malta rugit.

Le son puissant résonna sur la roche, effrayant les pokémons qui somnolaient sur les toits. Le petit lézard avait laissé place à une bête grandiose. Laurel était bouche bée. Malta venait d’évoluer en Carmache. Le pokémon dragon s’ébroua, fier de sa puissance. Il tourna son regard d’or vers sa dresseuse. Il était temps de retrouver Vagabonde.

« Oh, Malta. Merci. » souffla-t-elle pleine de gratitude.

Laurel enfourcha son pokémon, faisant attention à ce que Tourmaline reste bien accrochée. La Carmache s’élança dans la rue. Elle avait bien l’intention de quadriller la ville. La Ranine s’accrochait tant bien que mal au cou de l’animal qui ne maîtrisait pas encore bien sa nouvelle corpulence et dérapait sur le sol pavé. Elle rentra dans quelques stands avant de reprendre sa course sous les insultes des marchands et les cris de la foule. Soudain, le dragon changea de direction pour grimper à un mur. Laurel poussa un cri en s’agrippant tant bien que mal sur son pokémon. Malta s’était mise à sauter de toits en toits manquant à chaque saut de perdre son précieux chargement. Ses griffes griffaient les tuiles et détachaient celles qui étaient moins bien fixée, brisant d’autres en atterrissant lourdement dessus.

Soudain, Laurel la vit.

Une figure solitaire.

Recroquevillée sur elle même, Invar à ses côtés, Vagabonde n’avait jamais paru aussi fragile. Laurel demanda à Malta de ralentir et s’arrêter. Elle descendit du dragon, glissant sur les tuiles avant de retrouver ses appuis. Tourmaline toujours sur son épaule. Ses armes claquant doucement entre elles. Elle s’avança prudemment, pendant que Malta restait en retrait. Chaque pas la rapprochait de son amie.

« Vagabonde ? » appela-t-elle doucement.  

Elle fit quelques pas prudents vers elle. Un sourire soulagé sur son visage autrement inquiet.

« Tu n’as rien ? »

« Je suis désolée. »

Elle alla se glisser à côté d’elle sans la toucher. Elle avait peur. Tellement peur.

« Je suis désolée. » répéta-t-elle. « Je ne sais rien de toi. Mais - je ne sais pas pourquoi - j’ai mal au cœur. Mal au cœur de te voir triste et je veux t’aider. Je ne sais pas comment. Dis moi quoi faire et je le ferai. S’il te plaît. » implora-t-elle la gorge serrée.

Elle posa une main hésitant sur l’épaule de Vagabonde. Avant de la prendre dans son embrasse. Elle la serra contre elle. Lançant un regard pleins de remerciement à l’oiseau bleu. Elle avait ces mots au bord des lèvres. Peut-être c’était trop tôt. Elle calma sa respiration. Fit taire son angoisse.

«  S’il te plaît, laisse moi t’aider. »

L’écouter sans la lâcher ? Elle le ferait toute la journée, larmes ou non. Laurel remua un peu pour prendre une position plus confortable et stable sans lâcher Vagabonde. Le sage Invar avait récupéré la douce Tourmaline et Malta restait en retrait, fixant le duo de ses yeux d’or, tendue mais pas inquiète. Ils avaient retrouvé la Femme, tout allait bien se passer.

Le ventre de Laurel se tordit à la suite de la demande de son amie. La tuer ? Comment pouvait-elle croire- Jamais. Qui voudrait mettre fin à une si belle vie ? Pourquoi elle le devrait-elle ? Quand est-ce que la mort était devenue si banale ? Elle ne savait rien de Vagabonde mais bientôt elle en saurait beaucoup. Pourtant, elle ne pouvait imaginer une histoire qui pousse à de telles paroles.

« Je reste là, ne t’inquiète pas. Jamais je ne pourrais de blesser. » dit-elle le plus calmement possible.

Oh, mais pauvre enfant, ne savait tu donc pas qu’il ne faut jamais dire « jamais » ?

A peine le premier mot débité qu’elle se sentit perdue. Ran ? Elle venait de Ran elle aussi ? C’était génial ! C’était fant-

Une douche glaciale s’abattit sur elle, la gelant jusque dans son âme. Croc-Bleu ? Les Demolosses. Non. Pitié, non. Vagabonde n’était pas comme eux. C’était n’importe quoi. Elle était douce, drôle, gentille, aimante. Elle souriait avec le plus beau sourire qui lui ait été donné de voir. Regardait le monde avec des yeux sages et bienveillant. Elle l’avait aider à se relever. Encore et encore et encore. La main tendue, paume ouverte et intentions pures. Elle lui faisait aveuglément confiance. Elle ne pouvait pas être une meurtrière. Laurel refusait qu’elle le soit. C’était faux. Un mensonge. On lui avait menti.

Vagabonde continua de parler.

Ses explications  de plus en plus sanglantes. Elle parlait d’assassinats, de violence et de sang pour le plaisir d’un démon. Yveltal résonnait tel un glas, un mot fatidique qui était supposé tout expliquer. Il n’expliquait rien. Il n’était présage de mort et de fin atroce, tel les cris d’un homme désespéré jeté à sa mort. Comme le sang qui maculait le sable et la guerrière qui se moquait de la vie.

Tais-toi.

Laurel ferma les yeux comme si cela allait chasser la voix brisée de celle qu’elle pensait… qu’elle pensait aimer. Elle avait envie de vomir. Quel quota ? Pitié, par un quota de vie arrachées. Comment pouvait-on compter cela ? Quel genre de monstre comptait cela ? Une vie. Deux vies. Trois vies. Tu meurs, toi et toi aussi. Pointaient-ils du doigt tel un jugement divin ? Ceux-là meurent mais eux vivent ?

Laisse moi le temps de respirer.

Laurel tourna son regard vers Malta qui ne comprenait pas ce que se passait. Elle piétinait le sol un peu plus loin, n’osant s’approcher. Une sœur et un dieu, c’était ça sa rédemption ? Échanger une famille pour une autre, passer d’un culte au prochain ? Laurel avait besoin d’air, d’espace et de silence, mais les engrenages avaient commencés à tourner et maintenant on n’arrêtait plus la machine. Rouage après rouage, les pièces s’emboîtaient pour former un tout.

Ô Dame Fortune, quel tour me joues-tu ?

Son cœur était déchiré entre la haine de ce que Vagabonde était et la douleur de la voir souffrir. Elle parlait de torture et de sacrifice. Elle ne voulait pas la haïr. Mais elle connaissait les Demolosses, leurs méfaits et leurs intentions. Elle avait entendu les histoires. Subit les conséquences de leurs actions.  

Laurel regarda la dague dans sa main, tremblante. Pourquoi ? Elle regarda Vagabonde, non, Croc Bleu, avec un regard remplis de désespoir. Comment pouvait-elle lui demander ça ? Lui donner cette arme et attendre la fin ? Elle se leva d’un bon furieuse.

« Je t’interdis ! Tu ne peux pas faire ça ! » criait-elle. « J’en veux pas de ta fichue dague ! J’en veux pas de ta vie ou ta mort ! Tu crois que tu peux juste dire ça comme ça et en finir ? ET PUIS QUOI ENCORE ?! »

Laurel s’était mise à tourner en rond à côté de celle qu’elle n’avait jamais prétendu connaître mais su aimer. Elle voyait cette femme. Cette femme incroyable et pleine de vie attendre la chute. Peut importe à quel point elle la regardait, elle ne voyait pas le Croc Bleu des rumeurs. Le sanguinaire leader des bandits. Elle ne voyait que Vagabonde. Son mentor. Son amie. Laurel poussa un cri et jeta la dague au loin.

« Voilà ce que j’en fais de ta dague ! » elle se tourna vers la femme. « Arrête avec tes mensonges. Vagabonde, Croc Bleu, ce n’est pas toi ! » Elle s’agenouilla à côté d’elle. « Qui es-tu derrière ces masques ? Tu n’as pas à vivre la vie que les gens, dieux ou quoique ce soit t’imposent. Je ne te demande- je ne veux pas que tu prétende être quelqu’un, je veux juste te connaître toi. »

Elle posa sa maint doucement sur son visage, essuyant le tracé laissé par les larmes avec une infime tendresse. Elle cherchait dans son regard une réponse. Que devait-elle penser ? Elle ne le savait pas.  Qu’est-ce qu’elle voulait ? Elle voulait la prendre dans ses bras, lui dire que tout allait bien se passer et qu’elle serait là pour elle. Elle voulait lui donner une seconde chance. Elle débuta d'une voix hésitante, lourde de sanglots.

« Bonjour, moi c’est Laurel Senjak, je suis joaillière, une catastrophe ambulante et je veux devenir Chevalier. Et toi, comment tu t’appelles ? »

C’était une main tendue que Laurel offrait à la femme. Une chance de rétablir les tords causés. De lui prouver que la Mort n’était pas la solution, contrairement à ce que sa … famille lui préconisait. Parfois, une simple question, un sourire ou un nouveau début pouvait changer le cour de l’histoire. Elle la regarda reprendre ses esprits, lentement mais sûrement. C’était comme après un cauchemar. Une inspiration, puis on s’élance.

« Jeanne. » répéta-t-elle doucement, savourant le son du mot sur sa langue.

Elle s’était attendu à un nom dur avec des « r » qui grogne et des « s » tranchants. Quelque chose d’austère. Jeanne. C’était un prénom doux qui glissait entre les lèvres comme un murmure. Laurel inspirait elle aussi pour tenter de se calmer. Dénouer le nœud qui tordait ses boyaux et le goût amer qui restait dans sa bouche. C’était elle qui lui avait proposé une deuxième chance. Elle ne pouvait plus reculer maintenant.

Guérisseuse ou Guerrière. Pouvait-on vraiment réparer ses tords en agissant à l’inverse de ceux-ci ? Les soins étaient réellement l’antithèse de la violence ? Ne pouvait-on pas empêcher les blessures avant qu’elles n’arrivent ? Prévoir les trahisons, qui vous font douter de ceux que vous aimez ? Laurel ferma les yeux, ses sourcils froncés sous le chagrin et le doute. Elle voulait la croire. Mais une petite voix la tourmentait. Comment croire quelqu’un comme elle ? C’était vrai qu’elle n’avait jamais menti. Mais, elle n’avait jamais avoué non plus. Pas quand elles s’entraînaient. Pas quand Laurel essayait de l’éclabousser avec de l’eau. Pas quand elles restaient tard le soir pour regarder les étoiles filer dans le ciel. Ni quand elle se mettait sur la pointe des pieds pour attraper un fruit beaucoup trop haut pour elle. Ni quand elle était si humaine qu’elle ne pouvait s’imaginer la haïr.

Laurel souffla, la respiration lourde. Avant de se figer.

Quelque chose à avouer ?

Laurel eu un léger mouvement de recul. Encore ? Qui avait-il donc à ajouter à ses crimes ? Quel autre horreur pouvait-elle avoir commis ? N’était-ce pas assez ? Elle ne pouvait même pas imaginer ce qu’il y avait de plus à avouer. Ô combien, elle détester ce mot. « Avouer ». Il allait de paire avec « Tromper. » de la même manière que Lumière reflète Ténèbre. Elle qui s’était montrée honnête depuis le début ne parvenait pas à comprendre le besoin de dissimuler. Elle ne pouvait pas comprendre. Pas maintenant où elle se sentait trahie et abandonnée. Peut-être plus tard, une fois que la tempête serait passée. Que les cachotteries seraient assimilées. Mais maintenant elle n’avait pas la clarté d’esprit de vouloir la comprendre. Elle ne pensait qu’à tourner les talons ou se battre. Se battre pour une illusion qu’elle avait tant aimé.













Laurel recula lentement. Le visage vide d’émotions. Dans un sens, elle savait que Va- Jeanne lui disait la vérité. Mais elle ne l’acceptait pas.

L’aurait-elle dit quelques jours auparavant, lors de cette entraînement au combat au corps à corps où la guerrière avait réussit à la coincer sous elle, ou même quelques temps plus tôt en mangeant cette crêpe, au pied de cette fontaine, elle l’aurait crue. Elle l’aurait embrassé. Elle l’aurait prise tendrement dans ses bras pour lui révéler les milles et unes émotions qu’elle faisait naître en elle. Si seulement elle l’avait dit avant.

Son bras retomba mollement à ses cotés alors qu’elle continuait de fixer Jeanne.

« Non. »

Le mot était clair et dur mais elle n’avait pas élevé la voix. Laurel se leva. Pourquoi fallait-il qu’elle dise cela ? Pourquoi un tel aveu ? Pourquoi maintenant ? Ses sentiments étaient-ils un fardeau si lourd à porter qu’elle devait s’en débarrasser comme elle avait laissé couler tout son passé ?

Peut-importe comment elle regardait. Elle n’arrivait pas à voir la guerrière qu’elle connaissait. Juste une enfant perdue qui cherchait à se raccrochait à quelque chose, fut-il un cerf divin, un passé depuis longtemps enterré ou un amour naissant. Laurel ne serait pas la nouvelle cage d’or de Jeanne.

« Arrête. » Elle la regardait presque avec de la pitié. « Laisse toi le temps de vivre. De grandir. »

Elle recula avant de s’éloigner pour rejoindre Malta. Elle agrippa l’aileron du dragon pour s’aider à monter dessus. Elle lança un regard à Jeanne.

« Ce n’est pas le moment, Jeanne. Plus tard. Laisse moi- Laisse Nous un peu de temps. Je- » Elle avala sa salive, elle avait comme un étau autour de sa gorge. « Je serais dans la bibliothèque et je retournerais au campement ce soir. Demain je pars pour les marais. Tu peux venir si tu veux. »

Malta fit rouler ses muscles et laissa sa forme reptilienne glisser le long du toit. Laurel lui demanda de s’arrêter juste avant qu’elle ne saute, lançant un dernier regard lourd d’émotions à Jeanne. Elle ne la haïssait pas. Peut-être même qu’elle l’aimait.

D’un bond Malta atterrit dans la rue plus bas. Prenant juste le temps de se stabiliser avant de filer vers la Grande Bibliothèque. C’est seulement après qu’il passèrent le soin que la rue que Laurel se permit de laisser couler ses larmes. C’était de lourds sanglots, les sanglots d’un cœur brisé. Elle mit sa tête contre l’aileron de son dragon.

« Tu sais ce que c’est le pire Malta ? C’est que moi aussi je l’aime. »