La roche refuse de céder. Malgré ses efforts soutenus, les conseils judicieux de son mentor, l’acharnement dont elle seule sait faire preuve, ce rocher s’obstine tout bonnement à conserver sa forme entière, frémissant à chaque nouvel impact. La jeune femme danse autour de lui, à la manière d’une lionne prête à bondir sur sa proie. L’objectif bien en vue, elle fait fi de tout le reste pour se concentrer toute entière sur les sensations qui lui parcourent le corps : le sang pulsant dans ses veines, la sueur qui ruissèle contre son front, suite dans son dos, trempe sa tunique, les battements rapides et réguliers d’un cœur s’y étant durement entraîné et le supplice de ses muscles à l’agonie, brûlant comme si on y avait posé de la cire encore fumante. Elle halète, grogne et gronde en guise de protestation, pourtant le roc toujours s’oppose à elle. La magie, dans sa main, s’amenuise à vue d’œil, pourtant Aryël s’y raccroche. Depuis le début de ces entraînements spécifiques à la maîtrise de son don, la mage de l’Acier a appris à ressentir les vibrations singulières qui accompagnent sa magie et à en faire usage de manière consciente. La blonde s’en convainc, elle a déjà constaté l’évolution s’opérant en elle : à la manière d’un muscle, sa capacité à maîtrise le métal recouvrant sa peau s’endurcit. Elle qui goûtait si peu à ses nouvelles capacités au tout départ ne peut désormais plus négliger cette part d’elle.

Ainsi elle s’acharne, rassemblant les dernières bribes de son énergie pour le projeter dans ses doigts refermés, qu’elle propulse contre la roche. Enfin celle-ci cède dans un craquement triomphal aux oreilles d’Aryël. Sans se départir de son implacable concentration, elle le regarde qui s’affaisse avant de céder elle-même à l’épuisement. Sous elle, ses jambes cèdent et elle se retrouve à genoux, dans la poussière, aux limites extrêmes de sa force. Son mentor, un jeune soldat, accourt pour lui apporter une gourde d’eau fraîche. La guerrière s’en empare en le bousculant presque, buvant avec un avide désespoir. Elle se laisse ensuite reposer contre le sol, les tempes enserrées d’un étau, d’une pulsation désagréable. Alors qu’elle lève une main tremblante vers son visage pour chasser la sueur de son regard, elle apporte un liquide poisseux avec elle.

«Vous saignez…» fait le garçon d’une voix nerveuse.

«Ce sont les risques de l’entraînement, Ulrick, c’est normal.»

«Vous avez trop forcé.»

«Probablement. Mais cette foutue roche a cédé.»

Reprenant lentement contenance sur son souffle, Aryël se redresse avec l’aide du soldat. Ses jambes flageolent sous son poids. Abandonnant la gourde dans le sable, le Ranine se dirige derrière une cloison de pierre, là où elle et son mentor ont trouvé refuge aux regards indiscrets, un endroit parfait où mener leur entraînement. Le jeune homme la suit, sans trop se faire une idée de ses intentions à ce point-ci. Vu la manière dont sa Chef titube, rappelant sans mal la démarche tardive des ivres, le garçon a probablement raison de s’inquiéter, d’autant plus que la blonde ne semble pas disposée à lui fournir d’explication sur sa destination.

«Euh… madame ?»

«Je vais me baigner à la source. J’ai besoin de me laver après cet entraînement. Aide-moi à retirer mon armure.»

«Mais Dame Eladan…»

«Je t’appellerai s’il y a du danger. Promis.»

Aryël n’a pas la force de composer avec la prudence obstinée de sa garde aujourd’hui. Le jeune homme l’a bien senti et accepte d’un mouvement de tête nerveux. Une fois délestée de son armure, la blonde s’empresse de faire de même avec sa tunique, sous l’œil gêné d’Ulrick qui se détourne vivement.

«Je… je vais vous attendre de l’autre côté.»

D’un œil amusé, la Chef l’observe partir. Elle abandonne son pantalon à la poussière avant de se glisser parmi un de ces tous petits lacs d’eau chaude. Elle fait tour à tour appel à Neven son Azumarill et Lusaline la Leuphorie pour l’accompagner dans sa baignade. Mélusine les rejoint bientôt, non pas pour se baigner elle aussi, mais pour profiter des vapeurs chaudes émanant des sources. La blonde se prélasse dans ces eaux, fermant les yeux pour mieux savourer ce délicieux repos. Elle doit s’être assoupie quelques minutes car elle sursaute en entendant un piaillement nerveux de la part de l’Altaria.

«Hum? Qu’est-ce qui se passe, Mélusine ? Il y a quelqu’un ?»

S’extirpant de l’eau, la dame revêt une deuxième tunique qu’elle avait prévue pour l’occasion. Sans son pantalon, celle-ci lui arrive simplement à la mi-cuisse, menaçant de dévoiler davantage qu’elle ne l’aurait désiré. Or, la guerrière ne s’émeut pas pour si peu, même que la pudeur lui est un concept presque inconnu. Elle attrape son bouclier et son épée, se dirigeant vers la source d’un bruit à proximité, provenant d’un autre puis d’eau chaude. Neven et Lusaline l’accompagnent par mesure de sécurité, bien qu’aucun d’entre eux ne se sente véritablement en danger. Finalement, la jeune femme sursaute alors qu’émerge une silhouette masculine non loin. Aryël rit un peu d’elle-même en s’approchant, de nature tout aussi sociable qu’à son habitude. Déjà, elle a rangé son épée dans son fourreau et s’approche sans la moindre peur… ou respect pour l’intimité de l’autre.

«Hé monsieur ! Bonjour ! Je ne pensais pas rencontrer quelqu’un ici ! Elles sont magiques ces sources, pas vrai ? Après un rude entraînement, y’a rien de mieux !»

Affichant son plus large sourire, elle observe l’autre avant qu’un de ses sourcils ne se froncent. Elle a définitivement l’impression d’avoir déjà rencontré cette personne par le passé, néanmoins les circonstances n’aident en rien sa mémoire. Encore empêtrée de la fatigue de son entraînement magique, elle cligne à plusieurs reprises les yeux pour chasser ce doute dans son esprit; doute qui insatiablement, vient nourrir sa curiosité.

«Je vous connais. J’en suis sûre. Mais d’où ?»

Où, oui, où ?

De par son éducation si particulière, Aryël a souvent des difficultés à comprendre les limites et barrières sociales. À ses yeux, chaque inconnu est synonyme de découverte et sa curiosité à cet effet ne connaît aucune limite. Échanger avec autrui lui amène un plaisir que peu partagent, du moins de la même manière. Ces dernières années, probablement les plus sombres de sa vie, l’ont amené à un retrait progressif derrière les remparts de son palais doré, or cela n’a absolument rien de naturel chez elle. Son caractère s’exprime en un profond besoin pour l’échange, ainsi d’aller à la rencontre d’un parfait étranger malgré la précarité de sa situation actuelle ne l’inquiète pas outre mesure bien au contraire. Puis cet homme qu’elle a entrevu dans la source… Elle ne peut chasser cette impression déconcertante de familiarité, si bien qu’à présent elle s’irrite de ne pas reconnaître le brunet qui, plutôt que de se prêter au jeu, s’éloigne en nageant. Déçue de ce manque d’enthousiasme, la jeune femme ne baisse pas les bras pour autant, s’approchant de l’extrémité du bassin pour mieux s’adonner à cet examen scrutateur qui lui fait froncer les sourcils. Un autre n’aurait pas manqué de faire remarquer son manque de discrétion voire sa grossièreté, pourtant la blonde n’a aucun intérêt pour le physique de l’étranger.

«Comme tout le monde à Ran» ? Pourtant, Aryël possède une mémoire plutôt affutée, capable de retenir des informations pour autrui tout à fait futiles. Si cet homme est une sorte de personnage connu dans son pays, nécessairement elle devrait en avoir entendu parler pourtant ce n’est pas exactement ce que la meneuse avait en tête en s’approchant. Non, cette explication lancée avec une certaine amertume de la part de l’autre ne peut être juste. Alors qu’il s’apprête à quitter, la blonde lève une main comme pour le retenir, incapable d’interpréter la réserve dont l’inconnu fait preuve. Cette réaction inattendue (pour une personne comme Aryël du moins), la fait douter de son interaction : a-t-elle dit quelque chose qui ne fallait pas ? Pourtant, une lueur d’espoir surgit dans son horizon de doute, puisque l’autre finalement prononce son nom, venant confirmer tous ses doutes. Elle redresse le nez qui, piteusement avait plongé vers le sol, pour jeter un nouveau coup d’œil à l’autre. Alors les morceaux lentement se placent dans ce puzzle incongru. Elle se projette loin, si loin dans son passé À l’époque misérable et poussiéreuse d’Orion. La période la plus heureuse de sa vie.

Gale. Autant dire qu’une vie s’est écoulée depuis leurs derniers souvenirs communs. De jeune adolescent endeuillé, il est passé à homme, tout aussi grand qu’elle désormais. Elle tique sur la barbe alors que s’affrontent ce portrait actuel et celui qu’elle conservait de ce garçon de son village natal. Il lui semble si différent et pourtant encore fidèle à la personnalité qu’elle lui connaissait alors : un être plus mesuré et réservé qu’elle, qui soudain tente de lui échapper. Est-ce au souvenir de cette gamine trop bruyante qui le suivait partout à la manière d’une ombre ? Celle-là qui lui offrait mille et un présents tout aussi maladroits les uns que les autres ? Par exemple, la carcasse d’un Pachirisu mort, probablement renversé par le passage d’un Bourrinos… Oh, si ces souvenirs l’amusent, la réserve et les manières de son ami d’enfance n’en font pas autant.

«Tu n’as pas besoin de demander la permission pour couvrir tes bijoux de famille, Gale. Je suis ta chef, pas ta mère.» un sourire taquin se dessine sur son visage. Aryël ne fait pas partie de ces être prudes et la nudité de l’autre, sans la gêner, l’amuse énormément. «Et veux-tu m’épargner ce vouvoiement ridicule et ces «dame Eladan» ? Franchement, nous avons grandi ensemble.»

Elle ne peut s’empêcher de soupirer, cette fois, un peu plus sérieuse. Elle aimerait goûter à une vie plus normale, une où son titre ne viendrait pas entraver ses relations sociales. Elle se pose contre le bord du bassin naturel, laissant ses jambes rejoindre l’eau chaude. Par le fait même, elle se frotte les phalanges, qui saignent toujours un peu après son rude entraînement. Cette position dévoile un peu plus ses cuisses, ce qui bien entendu l’indiffère totalement.

«C’est ton Pokémon ? Je ne connais pas cette espèce, qu’est-ce que c’est ? Tu habites toujours dans le coin ? Qu’est-ce que tu deviens ? J’ai tellement de questions ! J’arrive pas à croire que je te croise ici !»

Elle sourit, sans détour, heureuse de cette trouvaille et avide d’en savoir plus sur l’évolution de ce personnage l’ayant autant marqué dans sa jeunesse.

Toutes ces manières, aussi bien intentionnées soient-elles, heurtent tout de même la jeune Chef. De revoir un ancien ami, un avec qui elle a grandi et partagé tant de tendres souvenirs aurait dû la plonger dans un profond enthousiasme et pourtant ! Pourtant elle se bute encore et toujours à cet obstacle grandissant au même rythme que son influence dans le pays de Ran : celui de son nom, qui la poursuit telle une ombre et qui compromet toutes ses chances d’aspirer à une vie normale. Elle a espéré que Gale s’adoucirait, pourtant il conserve son garde à vous avec un sérieux qui lui donnerait presque la nausée. Ce salut ne peut qu’appartenir qu’aux militaires et elle retient l’information, quelque part dans son esprit aux pensées entremêlées. Pour l’instant, elle le surveille du regard, sans trop atteindre sa pudeur, se demandant si l’homme laissera un peu tomber ses défenses. Le garçon qu’elle a connu lui était tout aussi inaccessible, mais pour des raisons bien différentes. Elle s’efforce donc de ne pas prendre personnel toute cette supercherie.

D’ailleurs, un Gale Dragmarr, bien connu dans l’armée… Serait-ce donc Gale le Porteur dont elle a tant entendu parler ? Celui dont les actes héroïques ont emporté le cœur des Ranins ? S’il décide de rester discret à ce sujet, Aryël ne le questionne pas non plus. Elle connaît le caractère réservé de celui lui faisant face et ce bref échange lui a permis de voir qu’il n’a pas tant changé à cet effet. Heureusement, sa Sovkipou lui est bien différente, s’approchant d’elle pour réclamer des caresses. Elle se penche pour effleurer des doigts sa carapace, rigide et pourtant assez agréable au toucher. Elle lui sourist alors que s’approchent Neven et Lusaline, comme pour mieux observer la créature. Elle ne redresse la tête que lorsque l’autre la questionne au sujet de sa vie au palais. Nécessairement, ce sujet l’assombrit.

«Il serait plutôt ingrat de me plaindre je suppose. C’est une vie de luxe et d’excès, mais aussi d’immenses responsabilités, celles qui vous pèsent et qui vous abîment le dos autant qu’une longue journée de labeur. C’est surtout une vie solitaire, très solitaire. Ceux qui aspirent au pouvoir n’ont pas compris à quel point on peut se sentir seul au sommet.»

La blonde n’avait pas prévu toute l’amertume de sa voix. Elle se redresse dans le bassin, se délestant de sa tunique qu’elle laisse contre un rocher. La nudité ne l’indispose pas, même que ce n’est pas la première fois que Gale la voit dans un tel état. Il fut une époque où il habitait au sein de sa maisonnée et qu’elle prenait son bain (lorsqu’elle en avait le luxe) devant lui. Or, c’était à une autre époque, une où elle n’était qu’une gamine sale d’Orion. Elle a bien, bien changé depuis. Elle s’émerge jusqu’aux épaules, soupirant une fois de plus alors que l’eau chaude fait son œuvre sur ses muscles courbaturés. Une fois de plus, elle caresse ses phalanges abîmées par son rude entraînement.

«Ne pense pas que je n’ai pas remarqué, d’ailleurs. Que tu me mens. Tu as eu ce Pokémon dans l’armée. Si tu voulais éviter que je le sache, il ne fallait pas faire ce salut. Tu tentes d’éviter de parler de toi, je ne t’y forcerai pas car tu n’as jamais aimé que l’attention soit tournée vers toi… Contrairement à moi.» elle rit un peu, relevant les yeux vers lui. «J’aurais espéré qu’on puisse discuter en toute honnêteté cependant. Tu n’as rien à me cacher. Je suis encore cette petite fille du village, tu sais?»

Celle qui malgré ses défauts, avait un cœur généreux et un intérêt à aider les autres presque maladif. Cette même caractéristique qui, sans le savoir, allait l’hisser jusqu’à la gérance de ce pays. La blonde se pose contre la paroi rocheuse du bassin, rejointe par ses deux Pokémon, fermant les yeux pour apprécier cet instant de repos.

«Tout de même, j’ai arrêté de récupérer les Pokémon morts des routes. Je préfère le mentionner.»

Cette petite pointe d’humour suffira-t-elle à le mettre un peu plus à l’aise ? Seul l’avenir lui dira.

Qu’espère-t-elle en lui soulignant ainsi son mensonge ? Naïvement, Aryël a espoir de retrouver en cet échange un peu de la saveur particulière de l’enfance. Ces souvenirs la plongent dans la nostalgie; de cette époque où vieillir était encore bien illusoire. Cette époque lui paraît si lointaine ! Elle s’y raccroche avec une énergie presque désespérée, voyant en Gale, en plus d’une occasion de socialiser, la possibilité de revivre ces moments si sincères, et surtout de renouer avec cette enfant qu’elle était autrefois. Or, elle a bien changé depuis. Orion est derrière elle et de vivre dans le passé ne lui apportera pas les réponses, mais d’autant plus de frustrations. Elle se piège lentement, entraînant le jeune homme avec elle sans le savoir. Puissent-ils se perdent un moment dans l’hier. Puissent-ils revivre ces instants candides où la vie n’avait pas encore faite son œuvre, perverti leurs cœur d’amertume. Aryël a tôt fait de pardonner cet écart, surtout devant la franchise retrouvée de Gale.

«Alors, que cela ne reste que des bêtises. Je ne vais pas te considérer différemment que le Gale que j’ai connu parce que tu as sauvé quelques personnes. Je sais que tu es bien plus que tout ceci. J’espère aussi dans un même temps que tu pourras faire la même chose avec moi… J’en ai vraiment marre que les gens me traitent d’une façon particulière parce que je suis chef de nation. Les maniérismes, les «Dame», tout ceci… Par Arceus que ça m’agace. Je veux juste une franche conversation avec toi et découvrir ce que tu deviens !»

Elle lui offre un de ces sourires si naïfs, si profondément bons, qu’ils ne peuvent que vous entraîner dans son petit monde. Aussi instruite et tournée vers l’autre que peut l’être la meneuse de Ran, une part d’elle demeure inaccessible, enfermée dans un univers candide et fragile. Peut-être est-ce une manière d’échapper aux horreurs et à la pression auxquelles elle est régulièrement confrontée dans le cadre de son travail ? Dans tous les cas, Gale semble se prendre au jeu, puisqu’il lui confie avoir gardé la queue de la carcasse du Pachirisu qu’elle lui avait offert à une autre époque. Aujourd’hui perdu, ce trésor agissait à guise de porte-bonheur pour l’ex-soldat. Devant cette révélation, Aryël se surprend à rougir de plaisir.

«C-c’est vrai ? Oh…»

Incapable d’articuler quelque mot, elle se contente un sourire presque timide en direction de son ami d’enfance. Elle a porté une main à son cœur, touché par ce geste. Par la suite, elle a du mal à se retenir de sourire.

«J’étais complètement entichée de toi à l’époque. Bon, j’imagine que c’était plutôt évident compte tenu de ma… grande discrétion. Je m’excuse pour tout ce que j’ai pu te faire subir alors. Ce devait être pénible d’avoir une gamine constamment dans les jambes ! Ce sont des souvenirs bien honteux, mais bon. On est tous un peu débiles lors de notre premier béguin.»

Elle rigole doucement au souvenir de cette enfant si excessive, poursuivant «l’élu de son cœur» un peu partout en scandant qu’elle l’épouserait un jour. Elle lève un regard vers lui brillant d’amusement, avant de réaliser que l’autre était bien gêné de sa nudité tout à l’heure.

«Puis maintenant c’est toi qui t’émeut de me voir nue, ha ! La belle affaire !»

Elle se moque, oui, de bonne guerre. Un sourire malicieux a désormais envahi son visage, comme si de nombreuses idées lui venaient en tête. Elle décide toutefois de ne pas les poursuivre. Gale a déjà assez subi sa présence dans l’enfance pour qu’elle se risque à se moquer davantage.

«J’espère ne pas t’avoir trop traumatisé des filles par après, ou de l’amour en général.» elle rit à nouveau, cette fois d’elle-même. «As-tu eu plus de chance dans ce domaine par la suite?»

Elle l’espère bien pour lui !

Ce sont de bien tendres souvenirs qu’Aryël entretient de son enfance, plus particulièrement de cette époque dont elle se souvient probablement un peu mieux que ses instants plus précoces. À ce moment de sa vie, elle n’était plus véritablement une enfant mais pas encore une adolescente non plus. Elle chahutait certainement comme une gamine, énergique et envahissante comme le décrivait si bien Gale, mais réfléchissait sur bien des sujets comme une adulte. Son parcours de vie un peu difficile, à l’instar de bien des enfants d’Orion, ont fait d’elle une personne plutôt singulière à l’époque (et même aujourd’hui à vrai dire). La blonde rigole franchement devant les piques un peu provocatrices de son ami d’enfance, car elle ne pourrait nullement le nier. Elle le trouve même plutôt poli en la décrivant.

«Bien sûr, c’est la raison pour laquelle je continuais à discourir jusqu’à ce que je constate que tu dormais vraiment. C’était ma petite vengeance !»

Ou alors l’enfant qu’elle était ne savait simplement pas s’arrêter de monologuer ? Tout à fait possible connaissant l’énergie débordante dont elle pouvait faire preuve et qui, nécessairement, se butait sans cesse à la personnalité plus mesurée du brunet. Même maintenant, alors qu’Aryël prend ses aises, le jeune homme se gêne non sans une certaine pudeur de leur disposition actuelle, celle-là même qui indiffère totalement la Chef de Ran. Cette dernière a passé tellement de temps à l’armée qu’elle ne peut se décrire comme particulièrement prude désormais. Dans la caserne, la proximité avec les autres soldats et le partage de leur vie commune ne permettait pas tellement de se dissimuler aux yeux des autres, floutant les frontières sociales. Gale, en tant qu’ex-soldat, devrait le comprendre et pourtant sa nature l’emporte ici, le perdant de timidité. Ary ne manque pas de remarquer son trouble et décide de lui donne un petit répit en changeant de sujet. Elle conserve le souvenir de Gale s’étouffant à moitié dans l’eau du bassin précieusement dans un coin de son esprit, pour mieux le savourer plus tard.

Le vagabond répond de manière tout aussi vague qu’à ses autres questionnements. La vie de célibataire hein ? Non, même en tentant très fort, Aryël a du mal à imaginer le réservé jeune homme accumuler les conquêtes, même s’il ne manque pas de charisme, elle-même doit le reconnaître. Un instant, elle fronce les sourcils en l’observant. Passé l’étonnement presque malaisant que provoque de le voir vieilli, la blonde doit lui reconnaître un certain charme. Il était à croquer à l’époque (selon la jeune fille prépubère qu’elle était bien sûr) et à présent ? La jeune femme a de la difficulté à juger les autres au sujet de leur apparence, néanmoins il ne fait aucun doute à ses yeux que Gale paraît bien.

«Moi eh bien… Je te l’ai dit, la vie de Chef est très solitaire. Ce n’est pas exactement facile de rentrer des gens quand on se trouve au sommet. Donc non, de mon côté c’est totalement mort. Il y a eu quelqu’un dans ma vie quelques années, mais au final ce n’était pas sérieux et j’y ai mis fin. Puis plus dernièrement, j’ai confondu attirance pour sentiments et je me rends compte que cette relation n’est pas tellement optimale non plus. Je n’ai vraiment pas de chance en amour.»

Aryël soupire, cette fois pour se départir de sa bonne humeur contagieuse. Elle se laisse s’assombrir en pensant à Idriss, à la manière qu’il a de la surprotéger, de s’immiscer dans sa vie, de forcer les choses. Non, ce n’est pas ce que la blondine souhaite même si elle est très attachée au maître d’armes.

«Pas de petit prince donc, non. Du moins pas de mon sang. Au décès d’Elyes j’ai pris sous mon aile son fils, mais il n’est plus tellement un enfant maintenant. Je crains que ce projet de devenir mère ne s’évanouisse avec mes échecs amoureux.»

La guerrière s’est laissée choir contre la paroi de pierre du bassin, le regard perdu dans le vide. De toute évidence, elle n’est pas en paix avec ses revers au niveau personnel et s’insatisfait de l’état de sa vie personnelle. On lui a dit de ne pas forcer les choses ce qu’elle fait. Mais une part d’elle demeure particulièrement blasée à ce sujet.

«Toi qui a tant de succès, tu as des conseils ? Parce que sincèrement, je pense qu’à ce point-ci je suis irrécupérable.»

Lusaline, pataugeant près d’elle, tente de l’encourager d’un sourire. Neven lui s’est aventuré près de la Sovkipou pour l’inciter à jouer.

Certains projets ne doivent jamais voir le jour, c’est ainsi. Dans sa vie, Aryël s’est très souvent contenté de ce qui lui était présenté. Loin d’être une opportuniste, elle a tendance à attendre que les choses se présentent d’elles-mêmes à elle, tendance qui jusqu’à présent ne lui a nui que dans la sphère amoureuse de sa vie où elle manque cruellement d’initiative. Étonnant d’être parvenue aux plus hautes marches de la société ranine sans tenter d’y être et pourtant ! La jeune femme s’est résolue à ne pas tout réussir dans sa vie; même que ce détachement lui a souvent empêché d’avoir accès à ses désirs. Or, il existe chez elle une amertume grandissante face au projet d’avoir un enfant, une famille qu’elle pourrait chérir. Parfois, comme aujourd’hui, elle abandonne son masque de bonne humeur et s’autorise à quelques instants candides de vulnérabilité. Elle ne prétend pas que Gale pourra comprendre son ressenti, néanmoins celui-ci a toujours possédé un cœur généreux et plein d’humilité qui incite à la confidence. Ary n’attend pas de lui du réconfort, son écoute seule lui importe. Elle sait qu’entre eux il n’y aura pas de jugement et c’est bien tout ce qui l’effraie.

«Tu ne m’as pas mis dans cet état du tout, ce n’est pas de ta faute. Puis c’est moi qui ai lancé le sujet.» elle sourit pour le rassurer. «Si je n’étais pas capable d’assumer, je n’aurais rien dit, alors ne te torture pas.»

Gale est ainsi : il place l’autre avant lui-même. Une tendance tout autant observée chez son interlocutrice qui aimerait bien effacer cette inquiétude sur le visage de l’homme lui faisant face. Celui-ci semble y être décidé aussi, puisqu’il parle d’un sujet qui depuis toujours illumine la jeune femme : Nadim. Son jeune protégé suscite toujours moults sourires.

«C’est un excellent gamin. Il vieillit beaucoup trop vite, c’est troublant. Il sera bientôt un homme et me le fait sentir : il veut de plus en plus prendre des décisions et s’imposer face à moi. Non pas que je sois particulièrement sévère, mais à cet âge on se croit invincible… Maintenant que j’y pense, il a l’âge que j’avais quand tu es venu habiter avec moi et papa. Il est bien plus mature que je ne pouvais l’être à cet âge néanmoins.»

Elle sourit. Plus éduqué, plus posé, plus réfléchi… un véritable petit prince en devenir. Elle ignore si un jour le conseil l’élira à sa place, mais il possède effectivement l’attitude princière. Peut-être Nadim n’aura-t-il pas intérêt à se lancer sur les avenues tortueuses du pouvoir. Pour le moment, c’est le savoir qui semble davantage l’intéresser, ce que la meneuse ne semble pas tout à fait réaliser tout à fait. Effectivement, le garçon projette d’étudier longuement, ce qui ne lui semble pas nécessairement accessible au cœur de Ran.

Pour le moment, l’ex-soldat propose son aide à Aryël, d’une manière qui au départ la fait pouffer. Des jeux de mots ? Vraiment ? Elle est à peu près certaine que cette technique se solderait en échec, mais voulant bien se prêter au jeu, elle demeure très attentive aux enseignements de son interlocuteur, qui s’est rapproché avec un air séducteur. La jeune femme tient à peine en place, mi-gênée, mi-hilare, devant cette expression chez son acolyte qui lui fait si bizarre ! Inconsciemment, elle s’approche aussi, pressée de savoir ce qu’il lui prépare. Sa phrase la laisse sans mots tout d’abord. Cette manière de la regarder n’est pas sans effet et elle se surprend à rougir, bien malgré elle. Franchement, est-elle donc si en manque d’attention qu’une pareille phrase lui cause de l’émoi ? Elle éclate de rire ensuite, poursuivant l’autre qui s’éloigne avec un peu trop de prudence à son goût.

«Okay, okay j’en ai une, mais ne va pas juger, je ne suis pas un maître de la séduction comme toi !» elle rigole une fois de plus, cette fois pour le charrier.

Posant un coude négligeant sur le bord du bassin tout près de Gale, elle lui offre une œillade qui se veut séductrice, mais frémissante d’une hilarité la guettant toujours. De son autre bras, elle replace ses cheveux d’un côté de ses épaules puis s’éclaircit la gorge.

«Tu sais que t’as d’beaux yeux ? Nanméouïe, je t’assure ! C’est Leuphorie quand je les regarde. Puis je n’ai rien dit sur ton derrière. Il est comme Verpom, à croquer !»

Se retenant difficilement d’éclater de rire, elle tente de conserver son air sérieux et séducteur. Celui-ci se décompose rapidement pour céder place à sa curiosité naïve, presque enfantine.

«Alors, comment c’était, comment c’était ? Des points à améliorer ?»