Le Lac Noctali était le siège d'une triste pièce de théâtre orchestrée par Oogwan et sa Trioxhydre, et la fin du premier acte venait de sonner. Suite aux combats qu'ils venaient de mener, une grande partie de la zone était déserte. Le Huoku avait enfin quitté sa monture, et se promenait sur les bords du lac. Victorieux, il savourait ce silence dont il s'attribuait le mérite, bien que Vorghol ait fait tout le travail.

La Trioxhydre, quant à elle, avait pris congé un peu plus loin. Etant donné le boucan qu'elle faisait, il n'était pas impossible qu'elle continue à semer la terreur: après tout, entre les spectres et le Grimalin, elle n'avai finalement eu personne à se mettre sous la dent. Et puis, songeait Oogwan, trois bouches à nourrir, c'était tout de même quelque chose... à moins que les trois bouches ne débouchent que sur un seul estomac?

- Il faudra que je songe à lui ouvrir le ventre un de ces jours pour vérifier.

Le Huoku trouva un coin sec pour poser son bagage et en sortir une poignée de baies. Pourtant, c'est sa petite Poulpaf qui en sortit.

- Tiens, voilà la petite Magavlük... Pas trop secouée par tout ça?

Pour toute réponse, Oogwan eut droit à un "Pou" enjoué, après quoi la mollusque s'extirpa du sac pour se précipiter dans ce nouveau monde qu'elle ne connaissait pas. L'environnement du lac était moite à souhaits, et cela semblait lui convenir. Même si l'eau était douce, Poulpaf avait l'air de s'y plaire.

En la regardant nager tous azimuts, Oogwan songea qu'ils avaient semé le trouble autour du lac, mais qu'ils n'avaient pas encore songé à faire autant dans les profondeurs du lac. Vorghol n'était pas un dragon de feu, elle ne devait pas être spécialement hydrophobe, mais le Huoku s'imaginait mal lui demander de plonger. En fait, il s'imaginait mal lui demander quoi que ce soit.

C'était donc une mission pour Poulpaf. Survoltée comme elle était, il n'y avait aucun doute qu'elle ne tarderait pas à se faire des ennemis. Après s'être régalé de quelques baies, Oogwan referma son bagage et le remit sur son dos, avant d'ôter ses sandales et de se rendre les pieds dans l'eau, sur ses gardes.

Sans l'ombre de Vorghol pour le défendre, son règne avait une saveur très différente... Mais une saveur tout de même.

L'eau était froide. Oogwan rétracta ce qui lui servait d'orteils, comme pour mieux tâter du pied le fond du lac. Comme rien ne lui mangea le talon, il se délesta finalement de son sceptre, ses accessoires et ses habits qu'il laissa sur la terre ferme, avant de s'immerger jusqu'à la taille.

Frissonnant, il regarda autour de lui: l'apparition périodique de la petite tête de la Poulpaf à la surface de l'eau donnait lieu à une costellation de cercles concentriques à de multiples endroits. Un peu plus loin, un Cornèbre silencieux contemplait la scène, et à ses côtés se tenait un autre Tenefix au regard perçant. Leur tempérament, à l'épreuve du chaos qui avait précédé, en faisait des créatures visible, et donc deux cibles facile qu'Oogwan aurait pu malmener avec facilité. Mais la facilité l'avait lassé: à présent il était appelé par les eaux sombres du Lac Noctali.

- Partie remise. Je vous laisse une dizaine de minutes. Si vous êtes encore dans les parages, je vous en ferai passer l'envie.

Il plongea la tête la première, et se retrouva en suspension dans cet espace glacé, les cheveux ondulant le long de son crâne. Le Huoku resta de longues minutes à avancer, sonder le lac à la brasse, et dans un premier temps il ne trouva aucune trace de vie, aucun trésor à débusquer. Alors, faute de mieux, il s'amusa à rattraper Magavlük, qu'il voyait parfois passer un peu plus loin devant lui, avec la vélocité qu'il lui connaissait.

La Poulpaf était dans son élément, la battre à la course était un défi stimulant. Mais la mollusque suivait une trajectoire erratique: impossible d'anticiper la direction qu'elle prendrait, d'autant que la courser dans un espace où il était possible de se déplacer dans toutes les directions, c'était une difficulté supplémentaire pour un bipède comme lui.

Pourtant, lorsqu'il reprit sa respiration pour la troisième fois, le Huoku et sa créature se croisèrent.

- Ah, te voil/PAF/

Sans vraiment comprendre, Oogwan se retrouva la tête dans l'eau. Il avait mis du temps à bien comprendre ce qui venait de se produire, mais il dut se rendre à l'évidence: la Poulpaf lui avait collé une droite dans la joue.

- Non mais ça va pas bien!? Piallia-t-il en remontant à la surface avec la fureur d'un Sharpedo.

Mais la fautive était déjà repartie nager.

- Complètement givrée... Tu vas voir!

C'était sans doute un jeu pour elle mais Oogwan crut davantage à une provocation et se prit au jeu. Il joignit ses mains, et prépara un Dracosouffle qu'il cracherait sur Magavlük dés qu'elle pointerait le boût de son crâne flasque.
A défaut d'avoir des populations locales à tourmenter, s'exercer contre ses alliés était un passe-temps comme un autre.

Une éminence blanchâtre sembla émerger. Comme convenu, Oogwan expira brutalement, crachant tout son Dracosouffle sur ce qu'il pensait être Poulpaf.

Lorsque les flammes se dissipèrent, il remarqua avec stupeur qu'il venait de s'attaquer à un Corayon fantômatique, totalement paralysé par l'assaut gratuit qu'il venait de subir.

- Diantre...

Un peu plus, et il s'excusait auprès du corail mort.
Des clapotis attirèrent son attention derrière lui, et en faisant volte-face le Huoku eut droit au déplorable spectacle de sa Magavlük aux prises avec un Beaudrive qu'elle essayait, en vain, de cogner des deux poings en sautillant à la surface. Le ballon spectral ne faisait même pas semblant d'esquiver. Oogwan se dit qu'en cet instant, il devait avoir l'air au moins aussi stupide qu'elle.

Il se retourna vers le Corayon qui n'avait pas bougé, même après avoir encaissé une déferlante de draco-flammes magiques.

- Eh bien! Tu pourrais au moins paniquer un peu, non? Ce serait la moindre des choses!

Aucune réaction de la part du fantôme. Le Huoku hésita à l'asperger de flammes une seconde fois, mais son premier sort lui avait déjà coûté une énergie précieuse: il s'agissait de ne pas couler au fond du lac. Il se dit que quand Magavlük aurait fini d'échouer à frapper le Beaudrive, elle pourrait s'appliquer à échouer de frapper le Corayon. Lorsqu'il comprit à quel point la notion d'échec s'était installé dans toutes les possibilités, Oogwan sentit le dépit s'emparer de son coeur.

Il tourna la tête vers la rive. Le Cronèbre était toujours là, à moitié fondu dans les ténèbres ambiantes, contemplant la scène dans un silence presque insultant.

Alors il nagea jusqu'à Magavlük, l'arracha à son non-pugilat en la saisissant par le crâne, et la projeta de toutes ses forces sur le Cornèbre. L'oiseau reçut la Poulpaf en pleine poire.

- Voilà! Attaque-toi plutôt aux témoins de ton échec, et débrouille-toi pour qu'il n'en reste aucun debout!

Au-dessus de lui, le Beaudrive le regardait s'égosiller, sans expression.

- Tu n'as rien d'autre à faire? Va voler ailleurs, sac à vent.

Evidemment, le sac à vent en question se garda bien de lui obéir. Le Huoku soupira, et entama une nouvelle série de brasses pour rejoindre la rive et voir comment Magavlük se débrouillait face à un adversaire à sa portée.