Des jours après sa première tentative de fugue, l'objectif de Poucet n'avait pas changé. Peut-être aurait-il plus de chances en plein jour, quand Charlie aurait la garde baissé. Mais la baissait-elle seulement parfois?

Ce matin-là, elle entraînait sa Canarticho sur un terrain sablonneux à deux pas du campement. C'était l'épée à de mains de la chevalière d'Or contre le poireau de la volatile, et celle-ci, peu téméraire, avait du mal à riposter sans se décourager.

- Allons! Ce n'est pas comme ça que tu pourras vaincre Olrik un jour. En garde, chevalière Hildùr!

Et Hildùr se mit en garde. Le plus drôle, c'était l'Olrik en question, l'agaçant Monorpale de Charlie, assistait au combat en flottant au-dessus du sable, jugeant silencieusement la piètre performance de la canne.

Quant à Poucet, il observait tout cela de loin. Pendant que Charlie avait l'attention focalisée sur sa disciple armée d'un légume, elle ne le surveillait pas. En revanche, comme elle n'avait plus aucune confiance en Maïken pour l'empêcher de fuir, elle avait mit quelqu'un d'autre sur le coup.

Ou plutôt six quelqu'un.

- Pas bouger.
- Pas bouger.
- Pas bouger.
- Pas bouger.
- Pas bouger.
- Pas bouger.

Poucet les regarda avec un mépris tangible. Pour qui se prenaient-elles, ces petites boulettes jaunes, à se croire en droit de donner des ordres avec autant de condescendance? Au moins, Maïken était divertissante avec son caractère farfelu. Eux n'étaient rien de plus qu'une nuisance.

Le mépris se mua en défi. Poucet sortit sa baguette.

- Je vous prends un par un quand je veux.

- C'est bien pour ça qu'on est six sur toi.
- Toccard!
- Toccard!
- Toccard!
- Toccard!
- Toccard!

- Une injure de plus et je vous jure que je vous envoie valdinguer.

- Fais ça et la patronne sera sur toi en deux temps trois mouvements.
- Brochette de renard ce soir!
- Livré avec ses propres braises!
- Et même le pique à broche!
- Miam miam.
- Miam miam.

Fi des menaces! L'apprenti sorcier-renard brandit sa baguette, une Rafale Psy s'abattit sur l'Hexadron. Ce fut autrement plus dévastateur que sur Maïken: les boulettes ne tardèrent pas à brailler et à courir dans tous les sens, désordonnés comme jamais. Et contrairement à ce qui était prévu, Charlie se révéla trop impliquée dans la progression de son canard pour remarquer quoi que ce soit. Il en allait de même du canard en question qui, en cet instant, semblait lutter pour sa vie. Quant au Monorpale, il voyait tout... mais ne faisait rien. C'était normal.

Quand les six membres de l'Hexadron reprirent leurs esprits, Poucet était évidemment déjà loin.

***

Dans sa fuite à travers les plaines croisées, Poucet se trouva cependant bloqué par une rivière que son type feu l'empêchait naturellement de traverser à la nage. Il la longea le long du courant, en espérant trouver une zone où des pierres émergées lui permettraient de la franchir sans trop se mouiller.

Il trouva mieux: un petit pont de bois et de cordes, fièrement suspendu à une quinzaine de mètres au-dessus de l'eau, et qui semblait n'attendre que lui.
De même que six petites bouilles, juste devant la première planche.

- Surprise, gros Sablaireau!
- Gros Sablaireau!!
- Gros Sablaireau!!
- Gros Sablaireau!!
- Gros Sablaireau!!

- Tu pensais que ce serait si facile?

- Que... comment vous avez fait pour me rattraper?

- C'est pas nous!
- C'est elle.
- C'est elle.
- On a eu qu'à sauter dans la Captis Ball!
- On a eu qu'à sauter dans la Captis Ball!

- Elle a de bonnes guibolles, tu sais.

De l'autre côté de la rivière, Charlie était adossée à l'autre bout du pont, l'épée à la main, le nez en l'air. Sa confiance dans l'Hexadron était totale, et elle avait l'air occupée à regarder les nuages passer, sans porter la moindre attention à lui. Quelle plaie! Poucet n'allait donc pas se débarrasser d'elle aussi facilement.

Il arma à nouveau sa baguette.

- Vous n'en avez pas eu assez tout à l'heure?

- Avise-toi de relancer ton sortilège et elle coupe le pont.
- Prudence.
- Prudence.
- Prudence.
- Prudence.
- Prudence.

Poucet vécut cela comme du chantage. N'allait-on pas le laisser s'enfuir en paix?
Enfin. Il n'avait pas à s'en faire: la Charlie n'était pas prête de couper quoi que ce soit, puisqu'elle rêvassait paisiblement.

- Je n'ai pas besoin de vous ensorceler... moi aussi j'ai de bonnes jambes, je n'ai qu'à vous sauter par dessus.

- Toi? Regarde-toi, pauvre nain jaune! Tu es tout petit!

- Minuscule!
- Microscopique!
- Atomique!
- Atoquoi?
- ATTENTION!!!

Il n'en avait pas fallu davantage pour faire entrer le Roussil dans une rage monstrueuse. Petit, lui? C'est ce qu'on allait voir!

Les flammes jaillirent de sa baguette et tournoyèrent tout autour de lui, et dans un feu d'artifice le torse bombé du Roussil devint immense. Le pelage rouge dans ses oreilles doublèrent de volume, ses pattes inférieures s'allongèrent brusquement, et tous ses membres se couvrirent d'une fourrure flamboyante. Plus flamboyant encore était son regard.

Dernière touche de la transformation, Poucet balança sa baguette, devenue bien trop petite pour lui, et arracha une branche à l'arbre le plus proche pour en faire son sceptre.

Face à ce qui était désormais un Goupelin, la petite patrouille dorée cessa de fanfaronner tout net.

De l'autre côté du pont, Charlie n'avait rien vu. Ce n'est que quand elle entendit les hurlements d'agonie d'Hexadron qu'elle commença à se douter de quelque chose.
Elle finit par regarder ce qui était en train de se passer.

- Par Groudon, depuis quand il est aussi grand celui-là...

Il n'avait fallu au Goupelin que quelques coups de sceptre bien placés pour balayer la menace représentée par la horde Einar. Les petits soldats étaient soit en feu, soit en proie à la confusion la plus totale, l'un d'eux failli se jeter dans la rivière.
La voie était libre: Poucet s'aventurait désormais sur le pont, prêt à affronter le dernier rempart qui se tenait entre lui et le monde: Charlie.

- Bon. Ça va pas être simple.

Elle saisit son épée et se prépara à couper les cordes du pont, menaçant alors Poucet de tomber dans la rivière.

- Pas de blagues, Pouce. Un pas de plus, et je le fais. Je coupe, tu coules, fin de l'histoire.

Réaction immédiate du Goupelin: pointer le bout de son sceptre enflammé droit sur la chevalière.

- Ah.

Une gerbe de flamme jaillit du sceptre droit sur Charlie, qui eut la présence d'esprit de la parer avec son épée. Les étincelles lui léchèrent la figure.
Le Goupelin renouvela son assaut, tout en s'avançant sur le pont. La chevalière, trop occupée à se défendre en contrant les boules de feu magiques, ne pouvait rien faire d'autre, et certainement pas couper les cordes.

Cependant le feu s'en chargea. En repoussant les sortilèges ardents, Charlie fit rebondir une braise sur des cordes qui ne tarda pas à se consumer, et rapidement le pont céda. Il s'écroula en emportant avec lui le malheureux goupil, qui s'accrocha de tout son être à ces fragiles petites planches de bois qui ne pendaient plus que d'un côté de la rive. Dans la tumulte, il avait lâché son sceptre qui fut emporté par la rivière. Il voulut remonter le long du pont, hélas les flammes remontèrent plus vite que lui.

- Tu ne résoudras pas tous tes problèmes par le feu, jeune compagnon.

Alors que Charlie s'apprêtait à le regarder tomber dans la rivière avec les cendres du pont, son cœur s'emballa: pendant un bref instant, elle avait capté son regard: celui du renardeau qu'elle avait rencontré au salon. Renardeau, il l'était encore. Mage fou dangereux ou pas, il était trop tôt pour l'abandonner à un traumatisme tel que celui de la chute dans une rivière: une expérience effroyable pour un pokémon feu.

Les bras de la chevalière bougèrent tous seuls. Elle fit des gestes qu'elle n'avait appris nulle part.

Aussi, lorsque Poucet tomba, son corps ne termina pas dans l'eau, mais sur une roche. Pas une roche moite de la rivière: une belle roche, toute neuve, qui venait d'apparaître littéralement par magie, puisqu'elle flottait dans les airs, grâce à une puissance surnaturelle que Charlie était en train de se découvrir. Elle redoubla d'efforts pour hisser la roche jusqu'en haut de la rive, livrant Poucet à la terre ferme.

Pouce était complètement subjugué, la peur et l'incompréhension avaient temporairement mis un terme à son désir de fuite. Il se demanda si c'était lui qui avait produit cet exploit. Pendant un bref instant, Charlie aussi. Cela n'avait aucun sens: un Goupelin était capable de bien des choses, mais certainement pas de faire jaillir des rochers du néant. Ça, c'était désormais son apanage à elle.

- Diantre. J'aurais pu lui balancer une caillasse dans la figure dés le début, ça l'aurait calmé plus tôt.

Sur le chemin du retour, elle finit par se faire admettre à elle-même que cela aurait causé bien plus de problèmes que cela n'en aurait résolu.