Les jours qui avaient suivi le passage de Charlie au salon d'adoption du grand conseil furent laborieux. Les rares pauses qui lui étaient accordées entre deux escortes, tours de garde nocturne et autre actes de présence officiels, elle les dédiait à apprivoiser "Poucet", le Roussil qui ne répondait qu'à ce nom un peu ridicule. Elle avait bien essayé de l'appeler Tommel plusieurs fois, mais rien n'y faisait. C'était Poucet, point. Ou Pouce. Pou, ça ne marchait déjà plus.

Mais si ce n'était que cela! Le renardeau était un enfant terrible. Chaque minute de son existence semblait être vouée à un but unique: s'enfuir.

La réalité, c'était que Charlie était attendrie par ce trait de caractère, et c'était peut-être la seule chose qui expliquait que le lien de la Captis Ball ne soit pas rompu. Cependant, si confiner la bestiole dans sa sphère semblait être la solution facile, cela n'aurait fait que repousser le problème. Pouce devait rester dehors. Moyennant quoi la chevalière était certes attendrie, mais surtout exténuée.

Un soir, dans sa tente, elle s'assit en silence face à lui et l'observa. Le Roussil l'observait en retour. Ils ne se disaient pas un mot. Chacun semblait attendre que l'autre tombe de sommeil, l'une pour dormir à son tour et l'autre pour s'éclipser discrètement.

Charlie feignit la défaite, et fit semblant de dormir. Inévitablement, Poucet s'écarta à pas de Lougaroc, et se jeta dans les bois à l'entour.

Ce n'était pas la première fois qu'il affrontait la nuit, elle ne lui faisait pas peur. Il frotta sa brindille contre l'écorce d'un chêne pour l'allumer: armé de sa torche, aucune ténèbres se saurait l'effrayer, c'était à la nuit de le craindre. Il était la lueur de minuit, l'infatigable lanterne des bois, le prince des flammes.

Bien vite, pourtant, le prince des flammes vit sa route barrée. Près d'un cèdre, une petite bestiole à la tête plate se tenait face à lui, avec un aplomb tout relatif. Roussil ne mit pas longtemps à remettre ce visage qu'il avait déjà croisé au salon.

- Toi?

- Moi-même.

- Qu'est-ce que tu fais si loin de la tente? Tenta le Roussil.

- Hahaha. Je pourrais te retourner la question.
Tiens. D'ailleurs, je vais le faire.
Et toi, d'abord? Qu'est-ce que tu fais si loin de la tente?

- ...

Roussil n'avait pas besoin de répondre. Il savait que Charlie avait volontairement positionné Maïken, et peut-être bien tous ses autres acolytes autour de la zone pour l'empêcher de s'enfuir. Maïken, quant à elle, savait qu'il savait.

- Je vais être poli: ôte-toi de mon chemin.

- D'accord.

Et elle s'écarta. Poucet resta dubitatif.

- Je ne suis pas sûr de bien comprendre... Tu n'étais pas censée me bloquer?

- De quoi? Te bloquer? Ah! Si, oui. Pardon. Pas d'accord, pas d'accord du tout même. Je te bloque! Pas un pas de plus, jeune délinquant! Grr.

Pouce ne savait pas trop s'il devait rire ou s'affliger de cette déclaration d'incompétence. Armé de sa baguette, il se prépara à déchaîner une Rafale Psy sur la Dino.

- Tu es la pire garde possible. Laisse-moi passer, c'est mon deuxième avertissement.

- D'accord.

Et elle s'écarta à nouveau. Finalement la Rafale Psy n'était peut-être pas nécessaire, Maïken semblait déjà extrêment confuse sans son aide.

Cette fois-ci, Poucet n'ajouta pas un mot de plus. Il s'avança prudemment, dépassant la Dinoclier, et continua sa route dans l'indifférence générale. Il finit par la laisser loin derrière lui, en se demandant s'il ne venait pas de rêver cette scène absurde.

Il continua à s'enfoncer dans les bois pendant de longues minutes, torche à la main, avant de ralentir. Et si c'était un test? Peut-être que Charlie avait volontairement demandé à Maïken de le laisser passer, pour voir jusqu'où il était capable d'aller?

Il voulut en avoir le cœur net, et finit par faire machine arrière. Maïken n'avait pas bougé, elle se tenait toujours à son poste au pied du cèdre, pas spécialement perturbée par la perspective d'avoir très clairement échoué à sa mission.

- Dis...

- Hmm ? Ah, c'est encore toi.

- Encore moi, oui... Dis. Soyons honnêtes, il y a d'autres gardiens qui m'attendent plus loin, pas vrai? Tu n'étais que la première?

- D'autres gardiens? Qu'est-ce que tu racontes?

- Oui, le glaive volant, le canard au poireau, tout ça... Ils sont tous là pour me guetter, je me trompe?

- Oui.

- Quoi, oui?

- ... oui oui.

- Oui-oui je me trompe, ou oui-oui ils sont tous là pour me guetter?

- Oui-oui tu... je... AH!! JE NE SAIS PLUS, TU M'EMBROUILLES A LA FIN!

Et sans transition, elle le chargea de toute ses forces. Le Roussil, propulsé contre un arbre, se releva avec hargne.

- Puisque tu le prends comme ça, tu vas cramer, face de plomb!

- Techniquement je suis aussi une face de caillou, donc ça va être plus compliqué que ce q...

- LA FERME! Lui hurla-t-il en se jetant sur elle dans une Nitrocharge.

Malgré la douleur et la brûlure, la petite dinosaure ne recula point; elle demeura droite comme le pavois qu'elle était face à l'assaut. Puisqu'il le fallait, elle renforça sa défense en durcissant sa carapace crânienne comme un Mur de Fer. Lorsque le goupil se livra à une nouvelle Nitrocharge, elle l'accueillit avec encore plus de fermeté, et Poucet se fit presque plus mal à lui-même qu'à elle.

- Ah tu joues les grosses dures, hein... Mais dans la caboche, que du gravier!

Il brandit sa torche dans sa direction, pas pour lui lancer un sortilège de feu: il repartit sur son idée initiale, la Rafale Psy. Laquelle sembla ricocher sur le bouclier crânien, puisque Maïken eut à peine le tourni.

- Pas très efficace.

- Tu peux arrêter de crâner? Tu maîtrise les rapports de force entre les éléments, c'est bon, on a compris!

- Je parlais de ton cynisme.

Un peu penaud, Poucet songea qu'il était temps d'en finir. La Flammèche était encore son arme la plus utile dans cette bataille, mais avant qu'il ait eu le temps de brandir sa baguette, les rochers se mirent à léviter autour de Maïken. Le Pouvoir Antique s'abattit alors sur Poucet, qui se retrouva à terre couvert de pierres et de contusions.

L'humiliation était totale. Mais Poucet n'avait pas le choix et devait poursuivre son objectif: partir, coûte que coûte. Alors il attrapa sa baguette, et se releva tant bien que mal pour faire face à son adversaire à tête de bouclier.

Mais alors, lorsqu'il l'éclaira avec sa torche... le bouclier avait doublé de volume. Il n'avait plus rien d'un bouclier, mais tout d'une forteresse: haute, imposante, effrayante.

- Je... tu... tu es encore plus moche qu'avant.

Maïken grogna. Sa voix avait changé aussi.

- Et toi, même vaincu tu es toujours aussi méchant. Ça t'ennuie si je t'assomme?

- Oui, un peu quand même.

- Oh. Tant pis alors, désolée s'excusa-t-elle le plus innocemment du monde.

Elle était plus massive, peut-être plus laide, mais toujours aussi simplette. Aussi, le Roussil tenta une dernière fois un coup de bluff.

- Je peux passer?

- Ah. Oui, bien sûr.

Et elle lui céda le chemin une nouvelle fois. Ce qu'elle pouvait être bizarre...

Cette fois-ci, Poucet se posa moins de question et s'en alla tant bien que mal, en boitillant, pour se rendre le plus loin possible de cette folle-dingue. Tous les autres obstacles du monde feraient l'affaire.

Il n'alla pas bien loin: une lame s'abattit sur le sol, tout près de son petit museau. Au bout de la lame, il y avait un manche d'or, et au bout du manche d'or, il y avait Charlie.

- Stop. Tu n'iras pas plus loin ce soir.

La chevalière d'Or semblait au bout de sa vie, et surtout très remontée. Il ne valait mieux pas la contredire. Poucet s'inclina.
Charlie reprit la direction du campement. Il la suivit, le cœur mitraillé de frustration, sans faire d'histoires.

- Quant à toi Maïken, c'est la dernière fois que je te fais confiance pour barrer la route à quoi que ce soit, fit-elle à l'attention de la quadrupède, confirmant au renardeau que c'était donc bien une vulgaire erreur de recrutement.

Cependant, en la rejoignant, Charlie fit la grimace.

- Maïken? C'est bien toi? Tu as une drôle de frimousse.

Et pour cause.