La Maison du Grand Corbeau vivait avec ce paradoxe là : ils idolâtraient Corvaillus, pourtant aucun d’entre eux n’en avait jamais vu un. En près de 200 ans, aucun Eddaryon n’avait eu le privilège d’apercevoir le grand corbeau, héros de tant de leurs légendes. C’était aussi improbable qu’incroyable, et pourtant pas moins vrai : le seul et unique Corvaillus à avoir jamais vécu au Manoir d’Eddar était celui de leur ancêtre, qui avait d’ailleurs mystérieusement disparu après la mort de son maître. Au fil des siècles, bien des gens avaient tenté de convaincre les Eddaryons que le majestueux Corvaillus, loin d’être unique, était en réalité l’évolution finale de Minisange, mais faute de preuves tangibles et irréfutables – personne n’avait été en mesure de leur montrer un Corvaillus en chair et en os – ce savoir leur était passé au-dessus, et les gens avaient fini par abandonner l’idée de les raisonner. Corvus, quant à lui, ne faisait pas exception à la règle : Corvaillus ne pouvait décemment pas avoir une origine si … misérable. La certitude de Corvus était telle que, si Delsin en avait eu idée, il n’aurait pu qu’en rire. C’était donc pour cette raison que, sans aucune hésitation, Corvus avait laissé ces deux Minisanges à leurs affaires. Les certitudes rendaient les hommes idiots et sur ce point, les Eddaryons en détenaient la palme. Le destin, pourtant, ne semblait pas en avoir terminé avec cette histoire …
Tandis que Delsin détaillait le miroir brisé, Corvus perçu derrière-lui des bruits de pattes et lorsque s’il se retourna, le jeune homme découvrit Salava qui, vraisemblablement, revenait de la pièce d’à côté. Elle avait quelque chose dans la gueule et le plumage bleu de la créature qu’elle tenait entre ses mâchoires attira l’attention du sakaien. Qu’avait-elle encore attrapé ? Corvus quitta un instant le jeune érudit afin de s’en inquiéter, car déjà la Tritox s’était mise dans un coin dans l’espoir, semblait-il, de dévorer sa proie.
— Salava ! Qu’est-ce que c’est ? » lui demanda Corvus en s’approchant. La Tritox fit mine de cacher son butin et la petite créature se mit alors à bouger … cette chose était encore en vie ! Le jeune homme se précipita vers elle
« Salava ! Lâche ça, tout de suite ! » lui ordonna-t-il.
Bizarrement, la Tritox s’exécuta, laissa tomber sa proie et s’éloigna, non sans siffler de mécontentement. Les yeux de Corvus se posèrent sur la pauvre créature … c’était l’une des Minisange ! L’une de ses ailes pendait, inerte sur le sol, tandis qu’elle continuait de se débattre avec l’énergie du désespoir. Le jeune homme l’observa un instant, pensif … si Corvus croyait en la destinée, il ne croyait pas au hasard. C’était la seconde fois que le destin mettait cette Minisange sur son chemin, pouvait-il vraiment l’ignorer ? Le sakaien s’accroupit, évalua l’étendue des dégâts … il n’était pas certain de pouvoir la sauver, mais cela ne coûtait rien d’essayer, non ? En la laissant ici, Corvus la condamnait, c’était une certitude. Le sakaien jeta un regard vers Salava, qui ne l’avait pas quitté des yeux. Il fallait essayer, Corvus lui devait bien cela. Après tout, n’était-ce pas en partie à cause de lui qu’elle en était là ? Avec délicatesse, le guerrier attrapa l’oiseau au plumage bleu … elle était minuscule et tenait largement dans sa main. Le sakaien la garda contre lui, conservant volontairement une main libre, au cas où … on n’était jamais trop prudent, pas vrai ?
Bizarrement, Delsin ne semblait pas avoir fait attention à ce qui venait de se passer. Il continuait de fixer le miroir presque … absent. Le sakaien l’entendit prononcer quelques mots, l’incitant à venir le rejoindre. Cette sculpture était belle, certes, mais il ne fallait pas non plus exagérer. Cela faisait combien de temps qu’il la regardait déjà ? Curieusement, le jeune homme s’était muré dans un silence étrange qui ne lui ressemblait pas.
« — Tu vas rester là à fixer cette… » lui demanda Corvus, mais il n’acheva pas sa phrase. En posant son regard sur lui, le sakaien lui trouvait un air étrange. Au loin, le jeune homme entendit le bruit d’un verre qui tombe et se brise … le Kecleon qui traînait sur la table faisait encore des siennes, mais le sakaien n’y prit pas garde. Toute son attention était désormais fixée sur le jeune érudit
« Delsin ? » l’interpella-t-il, sans grand succès. Ces yeux étaient bizarres … quelque chose n’allait pas.
Voir la suite : The Haunted House of Clavy Pt.2