Le champ que nous avions élu pour installer notre jardin-forêt fruitier avait tout pour plaire. Il était exposé plein Sud, et à l'abri du vent grâce aux résineux à l'entour. Il bénéficiait à la fois du sol nourricier de la forêt voisine, et des nombreuses heures d'ensoleillement quotidiennes. Cela ne l'a malheureusement pas empêché de se prendre la tempête de Septembre en pleine figure, comme tout le monde.

Résultat: la quasi-totalité des greffes fruitières que nous avions entrepris l'été passé avaient connu la mort. Ainsi s'achevait un rêve de baies Pecha, Ceriz et Abriko, flanqué par terre par les vents. Les souches, quant à elles- des souches d'arbres à baies Prine, de puissants porte-greffes pour toutes sortes de baies - étaient toujours solidement ancrées dans le sol, ce qui nous laissait la possiblité d'envisager une nouvelle salve de greffe... mais le travail s'annonçait colossal, et même si Feuille et moi avions récemment accueilli dans l'équipe Hex, notre Noeunoeuf national, nous savions que ce serait un travail de très longue haleine.

Par ailleurs, re-greffer les mêmes arbres était impossible: nous n'étions qu'à la fin de l'hive: il fallait s'adapter. Aussi, j'avais chargé ma chère Insécateur de me rapporter des brindilles d'arbres à baie Repoi et Mepo dans les bois voisins, pendant que l'ami Hex et moi-même retravaillions les souches. La plupart avaient juste besoin d'un bon nettoyage.

Les six visages du Noeunoeuf étaient inséparables. J'avais pourtant essayé de paralléliser le travail en les plaçant chacun sur une souche différente pour enlever les boutures déchues, mais ils n'avaient pas une once d'autonomie, et n'étaient capables de quoi que ce soit qu'en restant groupés. C'était naïf de ma part, mais je ne regrettais pas d'avoir essayé.

Lorsque Feuille revint les bras chargés de rameaux, nous n'avions pas fait le tiers du quart de la moitié du travail.

- Je sens que va être compliqué...

Pas le temps de se lamenter, un nouveau mode opératoire se mit en place. Hex, qui semblait apprécier Feuille même si ce n'était pas spécialement réciproque, fit équipe avec elle. Avec ses lames d'insécateur, il lui était bien plus facile d'applanir la surface de la souche et de dégager l'ancien greffon. Hex passait derrière elle pour enfoncer le nouveau rameau dans la fente que Feuille avait soigneusement préparé. Leur duo trouvait son rythme, pendant que je m'affairai à la même chose en solo, avec ma serpe et ma réserve de mastic pour seules partenaires.

Nous étions en mars: la journée fut belle, mais le soleil montra des signes de faiblesses assez tôt. Nous nous réunîmes alors, Feuille Hex et moi, autour d'une souche proche de la forêt pour partager quelques bouts de baies confits par mes soins.

- Ça s'est bien passé?

Hex m'adressa six sourires.
Feuille fit la gueule, comme d'habitude.
A six contre un, je pris cela pour un oui.

- On va s'arrêter là pour les greffes, les haies qui entourent l'espace ont besoin de nous. Allons.

A peine le temps de nous lever, les résineux à côté de nous se mirent à frétiller. En forêt géante comme au bois des Croisements, nous n'étions jamais vraiment seuls...

Un Cornèbre.
Il n'y avait pas à hésiter.

- Feuille. Maintenant.

Elle me comprit. Elle ne les aimait pas non plus. Cornèbre était synonyme de danger pour les récoltes, dans la mesure où ces piafs de l'enfer picoraient les bourgeons avant même qu'ils soient matures. Le comble du mépris, de la stupidité et de l'égoïsme.
Je détestais profondément les Cornèbres. Et je prenais d'autant plus plaisir à les détester qu'il était facile de les chasser.

Feuille lui fonça dessus, lames en avant. L'oiseau décampa sans délai, mais ne quitta pas les lieux pour autant. Il continuait à voler en cercle autour de nous, comme si on lui avait ôté le plaisir de titiller cet chose qui ressemblait à un arbuste en pot, qui piqua d'ailleurs ma curiosité.

Inutile de se pencher dessus pour savoir que c'était une bestiole et pas un végétal. Pour autant, je n'avais jamais vu cette espèce-là, et le règne de la poké-faune avait beau m'inspirer plus de réserves que de respect, tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un arbre méritait mon attention.

Comme il n'avait pas l'air pressé de bouger, je m'approchai et m'accroupis à son niveau, puis tendis ma main pour en toucher l'écorce...
Je stoppai net mon mouvement. Inutile de toucher la bête: c'était froid comme tout, car ce n'était pas de l'écorce.
C'était de la pierre.

- Un caillou qui se déguise en arbre en pot? Moi qui croyais que les Trompignons étaient créatifs.

Le bonzai sembla m'ignorer. La perspective que je sois une menace ne semblait pas troubler sa torpeur.

- Sans rire... Encore un parasite qui se prend pour une plante. Ça, je dois dire que pour vous faire passer pour des êtres vivants vraiment utiles, vous avez quand même un paquet d'imagination.

Toujours pas de réponse, mais je vis ses yeux s'humecter subtilement. Est-ce que je l'avais vexé?

... aucune espèce d'importance.

- Feuille, Hex, on s'en va. Ne faites pas attention à ce truc.

Je tournai les talons, précédé par Feuille. Hex, en revanche, mit du temps à détourner le regard de cette espèce de troll vert et brun, ce qui retint mon attention. Les six têtes de Noeunoeuf finirent par nous suivre, mais après quelques mètres, ils se retournèrent pour regarder.
Le faux bonzai était immobile, mais il semblait étrangement proche.
Alors Hex avança... et se retourna à nouveau.
Encore, la créature s'était rapprochée. Elle nous suivait, dés que nous avions le dos tourné.

Je ne m'en rendis compte qu'un peu plus loin, lorsque nous atteignîmes les haies protectrices du jardin-forêt. Le Manzai - car c'était là son nom - nous avait accompagné, l'air de rien. Comme si le fait que je méprise son existence était une raison valable pour me coller aux sandales.

- Qu'est-ce que tu veux? A manger, toi aussi? C'est mort, retourne dans la forêt. D'ailleurs tu es un caillou, je ne sais même pas ce que ça mange, les cailloux...

Silence, les grands yeux du Manzai, toujours un peu humides, me regardaient à peine.

- Tu ne me feras pas pleurer. Tu es une pierre. Une vulgaire pierre, avec un coeur de pierre, et une cervelle de pierre. Tu n'as rien à faire ici. Bouge.

Pas un mouvement.

- BOUGE!

Il bougea... sans se déplacer. Ses espèces de boules vertes au sommet du crâne oscillèrent subtilement, comme s'il y avait du vent, alors que les haies nous en protégeaient. Même dans l'imitation, ce troll n'avait aucun talent.

- Bon, assez perdu de temps... Feuille, tu m'aides? On élague la haie sur toute la longueur, je te laisse les sommets comme d'habitude. N'oublie pas, il faut que la base reste un peu plus large que le haut.

Feuille n'avait pas besoin du mode d'emploi, elle était rôdée à l'exercice.

Quant à Hex... Hex s'était rapproché du Manzai, et lui tournait autour comme si c'était l'attraction du jour.
Bah. Peu importe, vu sa taille de Noeunoeuf, il ne nous aurait pas été très utile pour cette tâche de toute façon. Par contre s'il avait pu prendre l'initiative d'hypnotiser le Manzai pour le clouer sur place une bonne fois pour toute, j'aurais été partant.

Le Cornèbre hantait toujours le ciel qui s'assombrissait. Nous allions bientôt devoir allumer des torches et les planter dans le sol pour finir le travail. En espérant que cela repousse la corneille et les autres nuisibles éventuels...

Ainsi s'acheva le règne de Cornèbre I, prince de la nuit: à terre, rempant comme un Chenipote, incapable du moindre battement d'aile, pris à son propre jeu par une boulette de coton. Une fin à l'image de la gloire du monarque.

J'avais assisté à cet affligeant spectacle sans bouger, droit comme un bâton, serpe à la main.

- Décidément, on est cernés par les malautrus dans ce bois...

Bonne élève, Feuille n'avait pas accordé la moindre attention à la scène, et continuait sa part de l'élagage avec une précision toute professionnelle. Je tâchai de l'imiter dans son application, et finis de planter les torches dans le sol et de les allumer avec les moyens du bord, avant de reprendre la taille.

Cette haie n'était pas seulement là pour briser le vent: elle permettait également de limiter l'érosion via ses racines, mais aussi d'introduire une diversité végétale supplémentaire en bordure du verger, offrant ainsi des refuges pour plusieurs petites espèces dont la présence était favorable à la vie de l'écosystème. Par ailleurs, il lui arrivait de fournir quelques petits fruits rouges susceptibles de détourner les nuisibles de nos cultures... pas de quoi détourner l'attention d'un Cornèbre en période de formation des baies, cela dit.

Si le Cornèbre était désormais rayé dans la liste de mes soucis, le Doudouvet qui lui avait cloué le bec m'avait suffisamment impressionné pour que je décide de maintenir une distance de sécurité. Pour employer une technique paralysante de ce type, il devait déjà être relativement mature. En tout cas je comprenais un peu mieux l'origine des peluches blanches laissées ça et là dans les feuillages.

En haut de la haie, Feuille était hors de portée. Quant à Hex, je vérifiai qu'il était toujours en admiration devant notre Manzai national...

Evidemment, il n'y était plus.

***

HEX

Grandiose! Admirable! Chapeau, madame coton!
La contre-performance de monsieur l'oiseau noir n'avait d'égale que le panache avec laquelle vous lui avez appliqué ce soufflet. C'était, comment le dire autrement, un rétamage en règle, un retour de bâton du meilleur goût! Plus encore: une excellente démonstration de répartie végétale! Ah!

- Dis donc, Hex... à moins que tu veuilles finir comme l'oiseau de malheur, je te déconseille de trop t'approcher de ce bidule.

Monsieur Teion? Vous dites? Je ne vous ai pas encore bien compris.
Mais regardez plutôt! Quel beau spécimen que voilà! N'êtes vous pas impressionné?

- Pourquoi tu me regardes comme ça, tu espères que je vais me prendre d'affection pour ça? Je n'ai rien contre lui, en particulier s'il produit du coton, mais le coton ça ne se mange pas des masses...

Pour sûr, nous sommes, tous les six, absolument impressionnés, que disons-nous, ébahis! par cet exploit, qui relève autant d'un talent indéniable que d'une preuve supplémentaire, s'il en fallait une, que nous autres, le règne des plantes, possédons un avantage non négligeable: au plus proche de la nature, nous attaquons avec ses mains, et répliquons avec ses mots.

-J'insiste, mais celui-ci a l'air dangereux, fais pas l'idiot!

Enthousiastes, nous le sommes, et que fait-on lorsque l'on est enthousiaste? On l'exprime! Alors nous l'exprimons! Nous venons à vous, et...

- Bravo! Sensationnel, madame!

- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!!

*prouffffff*

***

C'était évidemment prévisible. A force de s'approcher vers tout ce qui bougeait, même avec toute l'innocence du monde, Hex s'était, à son tour, pris du para-spore en pleine poire. Le Doudouvet s'était carapaté, limitant la menace à cette paralysie.

Je stoppai la taille en cours, en soupirant. Il me restait des bouts de baie Ceriz confite, j'en donnai un au chef des oeufs, qu'il goba et mâcha tant bien que mal. Bien vite, il reprit des couleurs, et par proximité psychique, ses cinq confrères également.
A peine soignés, ils s'inclinèrent vers moi, avec la solennité que nous leur connaissions.

- Oe.

- C'est pas comme si je ne vous avais pas prévenus...

Je me retournai pour terminer le travail, mais il n'y avait plus rien à faire. Le temps du drame, Feuille avait bouclé sa partie et terminé la mienne. La haie était impeccable.
Feuille était déjà au loin, prête à emprunter le chemin du retour. Je fus presque choqué par son efficacité si redoutable, la bougresse avait tant progressé qu'elle était désormais capable de me coller au chômage technique. Mais de toute évidence, elle était surtout très pressée de rentrer.

- A la bonne heure. Quel plaisir d'avoir des équipiers si coopératifs.
En route, fis-je à Hex qui traînait encore un peu la coquille.

J'éteignis les torches, à l'exception de l'une d'entre elles que je pris pour nous éclairer dans la pénombre. Nous laissions derrière nous le Manzaï, dont l'obscurité m'empêchait de voir s'il avait fini par s'endormir pour de bon, et la silhouette tordue du Cornèbre qui se courbait dans l'herbe dans tous les sens pour échapper à une immobilité qui, à ces heures si sombres, pouvait lui coûter sa position dans la chaîne alimentaire.
Le Doudouvet, quant à lui, devait encore être dans les parages, mais c'était loin d'être le seul représentant de la faune nocturne susceptible de nous inquiéter. Il s'agissait de rester prudent, et à présent même notre bon ami Hex pouvait l'affirmer.

Hex s'était figé. Il avait senti ses dernières secondes arrivées lorsque l'Anorith lui était passé devant. Ses six petites têtes avaient du mal à reprendre leur souffle, le stress s'évaporant au goutte à goutte.
Ce n'était pas eux qui étaient visés, mais l'oiseau de malheur.

Ce que cet Anorith n'avait pas prévu, c'était que l'oiseau en question, malgré sa paralysie, était en train de disparaître! Le Manzaï, pour une raison obscure, avait jugé bon de prendre le Cornèbre sur sa tête, et de l'emporter au loin dans les bois. Pour se venger de l'avoir dérangé plus tôt? Pour le sauver des griffes d'Anorith? Pour le manger lui aussi? Le mystère resta à jamais entier, gobé par les ténèbres du Bois des Croisements.

Mais Anorith avait toujours faim. Il fit volte-face. Hex, à nouveau terrorisé, se réfugia dans mes jambes, tandis que l'affreux insecte revenait dans notre direction, avec une démarche un peu folle.
Mais une fois encore, ce n'était pas nous qu'il visait: aussi folle fût-elle, cette larve n'était pas assez inconsciente pour s'en prendre à un être humain qui faisait trois fois sa taille et vingt fois sa hauteur, ni à ses chers petits œufs. Il nous contourna à nouveau, et grimpa au chêne le plus proche.

Sur une branche de ce chêne, quelque chose pendait. Je l'éclairai avec ma torche, c'était une sorte de chenille en forme de déjection qui se croyait caché dans son tas de feuilles. L'Anorith remontait la branche charpentière vers lui, et s'en rapprochait dangereusement. En éclairant la bestiole camouflée dans la nuit, je lui mâchais un peu le travail.

- Toi, tes jours sont comptés... Qu'est-ce que tu es, déjà?

Pendant que Hex tremblotait toujours à mes pieds, je consultais mes notes. Ah, un Cheniti. Si c'était un mâle, cette chose pouvait muer en une sorte de papillon de nuit, donc potentiellement un bienfaiteur pour la répartition des pollens à travers l'écosystème. C'était donc une espèce à protéger.

- Changement de plan. Hex, il va falloir empêcher le drame, j'espère que tu es opérationnel?

- ... oe.

C'était un non. Sans grande surprise.
Feuille avait déjà tracé sa route loin devant. Il n'y avait plus que moi. Alors je brandis la torche pour faire barrière et empêcher l'Anorith d'aller plus loin en direction de sa proie...
Celui-ci s'immobilisa à la vue du feu, mais son regard remonta vers moi. Je savais que ses véritables yeux étaient sur les côté, mais les deux énormes taches rouges sur l'avant de son crâne faisaient son effet: je sentais l'angoisse monter à mon tour. Ce n'était pas anodin: la tension venait de monter d'un cran, l'Anorith était désormais prêt à me défier.

Sans crier gare, il sauta de sa branche en ma direction. Un réflexe salutaire me permit d'éviter la bestiole, qui se retrouva au sol, derrière moi. Je la tins à distance avec la torche, pendant que Hex se tassait derrière moi.

- Feuille, si tu veux faire ton entrée, c'est le bon moment...

Evidemment, elle se fit désirer.
Le scolopendre préhistorique s'arrêta un instant, sa carapace se mit à briller. C'était une technique pour renforcer sa défense.

- Hex, je t'en prie, j'ai besoin de toi! Hypnose, maintenant!

A contre-cœur, les six œufs se positionnèrent devant moi, et se mirent à exécuter leur danse hypnotique avec une certaine appréhension... et en visant la mauvaise paire d'yeux de la bestiole, si bien que cela ne fonctionna pas du tout.

- Oe!?

L'Anorith profita de ce moment d'hésitation pour planter ses griffes dans le sol humide, et balancer de la boue tout autour de lui. Un jet de boue atteignit ma torche, et éteignit le feu.

- Ça craint!

On était mal. Il fallait vite que j'en rallume un avant que Hex se fasse gober.

Pourtant, un grand bruit accompagna un éclat fulgurant qui nous éclaira tous: Feuille était enfin revenue, et elle s'appliquait à taillader l'Anorith, mais avec un succès tout relatif: l'armure de roche du rampant le protégeait si bien que les impacts des lames sur la coque produisaient de petites gerbes d'étincelles.
Des bruits inquiétants s'enchaînèrent pendant quelques secondes, le temps de me laisser frotter mes silex pour faire jaillir un nouveau feu. Quand ma torche fut rallumée, Feuille était à terre, blessée de toutes parts. Ses assauts n'avaient pas eu raison du scolopendre qui, fort de sa défense édifiante, avait su contre-attaquer avec férocité en le griffant de toute part.

- Feuille... désolé, reviens.

Je la rappelai dans sa Captis. Je voulus faire de même avec Hex, mais celui-ci était introuvable! J'éclairai partout autour de moi, fouillant chaque buisson, mais Anorith le trouva avant moi: il était au pied du chêne, avec ses six paires d'yeux au bord des larmes. Mon sang ne fit qu'un tour.

Pourtant lorsque le prédateur s'approcha de lui...

- OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE !!!!!!

Etait-ce bien mon Noeunoeuf qui avait hurlé ainsi?
Sans crier gare, les six œufs s'appliquèrent à produire un boucan du diable, remuant feuilles, écorce et brindilles avec fracas, éclatant tout ce qu'il y avait autour d'eux en criant le plus fort possible.
Je me bouchai les oreilles. Anorith, qui ne pouvait pas en faire autant, essaya de riposter en jetant de la boue partout autour de lui.

- OOOOEE OEEE OOEEE OEEE OEEEEEE OOOOOOOOOEE !!!!!!

Dans l'adversité, je lui découvrais une voix et un potentiel sonore incroyable. Certains appelaient ça la technique du Brouaha.
Dans une ultime tentative, l'Anorith renforça encore sa carapace, mais c'était peine perdue. Un dernier ramdam eût raison de lui, il finit par se mettre en boule, hors d'état de nuire.
Mission accomplie. Le Cheniti était sauvé d'une mort certaine. Tout ça pour ça.

- Heu... Merci Hex?

- Oe.

Ça ne voulait pas dire "De rien", mais "Rentre-moi dans ma balle maintenant, ou je te jure que je m'évanouis si fort que j'aurai l'air mort."
Il fallait croire que l'on commençait à se comprendre.

TL;DR a écrit:

Anorith utilise Armure.
Noeunoeuf utilise Hypnose, mais échoue.
Anorith utilise Lance-Boue.

Noeunoeuf est rappelé, Insécateur le remplace.
Anorith utilise Griffe.
Insécateur utilise Vive-attaque, pas très efficace.
Anorith utilise Griffe.
Insécateur utilise Vive-attaque, toujours pas très efficace.
Anorith utilise Griffe.
Insécateur KO.

Noeunoeuf y retourne.
Noeunoeuf utilise Brouhaha. Coup spécial, la défense accrue d'Anorith n'intervient pas.
Anorith utilise Lance-Boue. Aucun effet.
Noeunoeuf utilise Brouhaha.
Anorith utilise armure.
Noeunoeuf utilise Bourhaha.
Anorith K.O.

Noeunoeuf a perdu environ 3 ans d'espérance de vie à force de stress.

Rideau.
Le prédateur à la carapace inviolable en position foetale, le Cornèbre emporté par l'arbuste pour un dessein mystérieux, et le bout de coton envolé aux quatre vents. Hex et Feuille dans leur Captis respectives.

Il n'y avait plus que le Cheniti, désormais sauvé de toutes les griffes à l'entour. Après lui avoir offert ce sursis, je songeai qu'il serait de bon ton de faire connaissance avec lui. Je m'approchai de la branche où il pendait: ma tête arrivait à peu près à sa hauteur, j'avais juste à lever le nez.

Pour en avoir vu nues, ces petits bouts de chenille avaient fort raison de se camoufler, elles étaient laides comme tout. J'en avais croisé plus d'une dans le coin: sans être particulièrement invasives, elles savaient se rendre discrètes et s'adaptaient à leur milieu. On racontait par exemple que les larves s'adaptaient également très bien au désert, en se recouvrant d'une coque de sable. Pour n'avoir jamais mis les pieds à Ran, je ne pouvais pas témoigner.

- Tu reviens de loin, tu sais?

Il me jetait des regards tous ronds. J'ignorais à quel point il était conscient du danger qui lui était passé à côté, mais je l'aimais bien. J'avais une Captis Ball vierge en réserve au fond de mon sac; si le contact passait bien, je pouvais envisager de lui en proposer la location.

- Je ne te fais pas peur?

J'eus pour toute réponse un petit frémissement. Il n'avait pas l'air d'être mécontent de me voir. Il, ou elle d'ailleurs. Je n'avais aucun moyen de vérifier.

En pensant à cela, je me souvins que cette créature possédait un dimorphisme sexuel. Les femelles ne muaient pas, seuls les mâles s'en chargeaient. Ce qui m'amenait à un mauvais pressentiment.

- Attends, petit être. Je suis à toi dans une seconde, juste un truc à vérifier.

En tenant ma torche d'une main, je sortis à nouveau mon calepin de notes de l'autre. Je le feuilletai tant bien que mal, pour arriver à la page qui m'intéressait. J'avais griffonné à la va-vite, comme si j'étais énervé.

Citation :

Cheniti. Forme femelle n'évolue pas et fusionne avec son camouflage.
Forme mâle devient papillon.
Ne butine pas. Ne fait que voler miel des autres à la nuit tombée.
Une plaie. A ne pas ménager, et à chasser sans retenue.

Pressentiment confirmé. Je relevai la tête vers cette aberration écologique qui avait failli gagner ma sympathie, ce qui emplit mon coeur de honte.

- Au final j'aurais peut-être dû te laisser te faire bouffer, fis-je en sortant ma plume et en rajoutant sur mes notes en lettres capitales l'inscription "NUISIBLE" à côté du nom de la bête pour être sûr de ne pas le louper la prochaine fois.

Ce n'était pas irréparable. L'Anorith était encore en boule dans un coin, je pouvais toujours le placer à nouveau sur la branche près du Cheniti pour qu'il ait de quoi se requinquer à son réveil. Ou alors je pouvais essayer de cramer la chenille moi-même, mais je risquais de mettre le feu au chêne.
A ce stade de la soirée, je commençais à avoir des idées vraiment stupides. De toute manière, je n'avais plus le cœur à exercer la moindre influence sur le réseau trophique local. Il me sembla que j'en avais assez fait pour la soirée.

FIN