La deuxième chose qui avait particulièrement énervé Corvus fut d’apprendre que non content d’être blessé, son père ne comptait pas passer une minute de plus dans cette ville : cela signifiait qu’il comptait leur faire passer la nuit dehors, dans l’immensité des Plaines de Kuni. Si, grâce à Salava la Tritox le froid n’était pas un problème, Corvus avait espéré profiter du confort d’une des nombreuses auberges de Venovos au moins pendant une nuit … mais c’était sans compter l’entêtement d’Assam, qui ne voulait rien entendre. Cette aberration, pourtant, ne détourna pas Assam de son objectif, et alors que le soleil se couchait à l’ouest, les deux hommes quittèrent Venovos sans se retourner.



Un autre problème, cependant, troublait l’esprit du jeune homme : malgré son entêtement, Corvus savait que son père serait incapable de traverser les Plaines de Kuni dans cet état. Pendant un moment, le futur cavalier fut tenté de faire marche-arrière et de retourner à Venovos, mais il savait que son père n’accepterait jamais ; et il ne pouvait pas non plus l’abandonner pour aller chercher de l’aide seul. Non, il devait trouver une solution ici, mais le silence de la nuit lui fit douter des options qui se présentaient à lui.

Il remâchait cette idée comme un morceau de vieux cerf lorsqu’un bruit au loin attira son attention. Corvus ne craignait pas d’attaque furtive de la part de potentiels kuniois rancuniers, mais le jeune homme savait que le danger ne venait pas toujours des humains, aussi resta-t-il aux aguets. Il ne fut pas le seul, bien évidemment, à entendre le bruit : Salava s’était levée d’un bon, tous les sens en alerte. Dans le doute, elle s’était mise à grogner et Corvus pouvait sentir ses flancs vibrer. Pendant un instant il ne se passa rien, puis à toute vitesse arrivèrent soudainement un duo peu commun : haletants encore de leur course folle, un Medhyène et un Rattata sortirent de l’ombre. Ils se figèrent en apercevant Corvus et Salava, et tout comme la Tritox avant lui le Medhyèna se mit à gronder en s’approchant du feu. La lumière des flammes laissa paraître la couleur grise de son pelage et fit briller un peu plus ses yeux plein de colère. Face à la menace du petit loup, Corvus resta de marbre … le petit rat tenta tant bien que mal d’éviter le pire, mais il n’n fallait pas plus à Salava pour répondre à l’appel.

Sautant sur ses pattes, la Tritox répondit au grognement du Medhyèna. Loin de s’effrayer, le petit loup gronda derechef et sa fourrure se gonfla autour de lui, le rendant plus hardi. Cette fois, le Rattata abandonna toute idée de raisonner son ami, et face à l’inévitabilité du combat qui menaçait, le rongeur décida de s’éloigner, refusant de prendre part au conflit.

Medhyèna fut le premier à attaquer. Il chargea la Tritox et tenta de la renverser, mais c’était sans compter l’agilité du lézard qui l’évita d’un mouvement. Emporté par son élan, le louveteau manqua de finir dans le feu et faillit bousculer Corvus en l’évitant. Dérangé, Corvus se leva d’un bond et bientôt, le combat des deux pokémons sema la pagaille dans leur campement de fortune. Un peu bourru, Medhyèna chargea de nouveau en direction de Salava, qui eut l’audace de l’esquiver exactement de la même manière … mais cette fois, Medhyèna l’attendait au tournant : il attrapa entre ses mâchoires le bout de la queue du lézard et tira dessus pour la traîner. Hors d’elle, Salava tenta d’abord de se retourner pour griffer le visage du louveteau, mais bien malgré elle le canidé était hors de portée … il en fallait plus, cependant, pour désespérer la Tritox. De son dos s’échappa un gaz violacé qui enveloppa bientôt le pokémon sauvage … de surprise, Medhyèna lâcha sa prise et Salava en profita pour mettre le feu au gaz tout juste lâché. Les marques de son dos passèrent du violet et rouge et l’instant d’après, des flammes enserrèrent le louveteau. Le pokémon sauvage brailla et de là où il était, Corvus était presque sûre d’avoir entendu Salava ricanner. Couvert de suie, la queue entre les jambes, Medhyèna prit la fuite sans demander son reste, et bientôt il disparut dans la nuit aussi promptement qu’il était apparu.

« — Qu’est-ce que c’était ? » questionna une voix derrière Corvus. C’était son père qui, de toute évidence, avait dû assister à la scène où dû moins une partie. Tandis que Salava vérifiait que le Medhyèna était bel et bien partis, Corvus retourna au coin du feu.

« — Rien, ce n’était rien. Des pokémons locaux. Retournez dormir » lui répondit le jeune homme. Le vieux pouvait lui faire confiance là-dessus, Corvus ne manquerait pas de le réveiller lorsque son tour viendrait de prendre le tour de garde. Sans chercher à comprendre davantage, Assam s’exécuta et disparut de nouveau derrière les pans de la tente.



« — Salava, j’ai quelqu’un à te présenter » déclara.

Et lorsque la Tritox fut suffisamment près, Corvus laissa sortir Soleil de sa ball.

L’attention des deux pokémons fut attiré par l’arrivée de deux compagnons, moins belliqueux que les deux précédents. Le calme de la nuit les fit venir timidement et Corvus mit un moment avant déterminer quel genre de pokémons ils étaient. C’était un Pichu et un Rattata … l’apparition de Soleil avait attiré la Pichu sauvage, et lorsque les yeux de Soleil se posèrent sur elle, des étoiles naquirent dans ses yeux. Sans attendre, il abandonna Salava pour la rejoindre, sous le regard attentif de Corvus. Le duo fut bientôt rejoint par le Rattata et s’en suivit un instant de complicité que Corvus aurait été bien incapable de prédire.

Les trois souris eurent une grande discussion qui n’intéressa pas Salava et que Corvus ne comprit bien évidemment pas. La Tritox s’approcha de son maître qui la gratifia d’une légère caresse, avant de se lover en boule contre lui. Est-ce que Salava se fichait de ce nouveau compagnon ? Le jeune homme n’en savait rien mais Soleil, lui, semblait ravit de cette rencontre imprévue. Les trois souris en vinrent même à jouer, courant dans tous les sens. Parfois, des étincelles jaillissaient des joues des Pichu et pendant longtemps, Corvus les observa, silhouette dans la nuit.


Les trois souris finirent par se rapprocher du campement et lorsque Soleil s’approcha un peu trop de Corvus à leur goût, la Pichu et le Rattata sauvages s’arrêtèrent, à bonne distance du feu. Si la Pichu semblait prêt à faire confiance à Soleil, le Rattata était plus réservé et retenait la souris jaune de trop s’aventurer. Dans le timbre de sa voix, Corvus fut en mesure de percevoir toute la persuasion dont tentait de faire usage Soleil, mais immuables les pokémons sauvages restèrent à l’écart. Le cœur du jeune homme se serra pour Soleil, qui regarda les deux pokémons reprendre leur route. Corvus vit la Pichu se retourner avant de disparaître dans la nuit, tandis que Soleil retournait tristement au campement. Lorsque le petit pokémon fut à porter de voix, Corvus l’interpella doucement.

« — Tu peux partir si tu veux » déclara le sakaien à mi-voix « Tu n’es pas obligé de rester ici, avec moi. Tu es un pokémon, tu n’es pas un esclave » affirma-t-il.

L’espace d’un instant, Soleil l’écouta, et il sembla à Corvus qu’il avait compris ce qu’il venait de lui dire. Vraiment. Le petit pokémon semblait avoir compris qu’un choix se dressait devant lui et qu’il pouvait choisir, devait choisir. Finalement, Soleil rejoignit Corvus et contre toute attente, se lova contre Salava. La Tritox s’éveilla soudainement, comme pour vérifier qu’elle ne rêvait pas. Elle regarda un moment le bébé, offusqué par tant de proximité et si peu de pudeur … et puis, puisqu’il était déjà installé et prêt à dormir, la Tritox le laissa faire. Contre toute attente.

Bien que lointain, Corvus entendit le miaulement rauque du chat sortant de sa cachette. Sans merci, il se mit à poursuivre le Zigzaton à travers la nuit. Dans sa course, le petit raton perdit bon nombre de ses trésors et Corvus ne sut jamais ce qu’il advint de lui, car les deux pokémons disparurent dans la nuit sans laisser de traces, ou presque : le Zigzaton abandonna derrière lui quelque chose que Corvus fut en mesure d’apercevoir et curieux comme un vieux chat, le jeune homme se leva pour voir ce qu’il en retournait. Ce fut là le dernier évènement qui perturba sa garde monotome, car peu de temps après il partit réveiller son père, Assam, pour prendre sa place, et partis à son tour se coucher sous le couvert de la tente. Il n’était pas parvenu à trouver une solution concernant la blessure de son père, mais demain était un autre jour qui, peut-être, apporterait de lui-même une aide inespérée.