Réminiscences

« Salut l’affreuse,

Tout va bien à la ferme. On commence à se les cailler là-haut, au cas où tu te poserais la question. Tu vas rire, mais merci de m’avoir filé tes tours de garde. Papa s’est lancé dans la rénovation complète de la ferme avec un enthousiasme débordant, et ça me fait une excuse pour ne pas l'aider. Tellement qu’il a complètement démoli ton lit en essayant de le sortir de ta chambre. Apparemment, c’est par là qu’il a décidé de commencer.

Bref, j’espère que tu ne comptes pas revenir tout de suite.

Au fait, Mamie est passée l’autre jour. Elle te cherchait. Au départ, on pensait que c’était parce que t’avais foutu le feu à sa baraque, mais en fait, elle voulait juste t’informer qu’il y avait un bal masqué d’organisé à Chevropolis pour la fête des Morts, dans le grand palais ou je sais pas quoi. Elle était probablement venue pour que tu ailles t’afficher avec elle. À tous les coups elle t’aurait présenté comme ton héritière devant toute l’assemblée, tu serais morte de honte et moi je serais bien mort de rire. Heureusement qu’il naît qu’une fille par génération dans cette famille, si elles sont aussi barjos qu’elle.

Remarque, je crois que c’est sa faute si Papa a décidé de rénover la maison. Je crois qu’il veut cacher des pièges à Polagriffe partout où elle est susceptible de poser le pied. Maman l’a ramené à la raison sur ce point-là, heureusement. Me connaissant, j’aurais perdu une jambe avant la fin de l’hiver.
Sinon, tout va bien. Natt est toujours aussi casse-bonbons, Maman se ronge les sangs pour toi et Papa a l’air de prendre ta fuite avec philosophie.

Je te souhaite de te rompre le cou,
Ton petit frère adoré »

Sarya relisait la lettre de son petit frère pour la troisième fois au moins. Elle ne relevait les yeux que pour vérifier qu’elle marchait droit et qu’elle ne risquait pas de tomber dans la rivière. Syo gambadait à côté d’elle en multipliant les aller-retour, prêt à enlever la moindre branche d’arbre potentiellement gênante.

La jeune fille, elle, réfléchissait. Elle ne regrettait pas d’être partie. Sakai ne lui manquait pas particulièrement. Sa grand-mère, encore moins. Savoir qu’elle était revenue dans les Villages lui faisait froid dans le dos. Et pour ce genre de trucs en plus ! Elle ne manquait pas de culot ! Sarya se félicita d’avoir fait un détour par Enogen. Le jour où Mamie des Lances lui mettait le grappin dessus, elle ne savait pas ce qui risquait de se passer. Sa grand-mère n’était pas connue pour son bon caractère… et Sarya non plus. Si elles se croisaient, elles risquaient surtout de se faire mutuellement la peau.

Mais cette histoire de bal, ça l’intriguait plus que prévu. Un bal masqué ! Elle avait toujours voulu participer à l’un, comme dans les livres d’histoire. Pas pour le faste, la richesse, les gens et les danses, non. Pour le plaisir de porter un masque, pour le frisson de l’inconnu et le mystère d’un visage dissimulé, pour les jeux d’ombres.

Et pour le repas gargantuesque que cela annonçait. Le Palais aux Dômes d’Or de Chevropolis, par tous les Dieux ! Si ça, ce n’était pas la promesse du buffet le plus fabuleux au monde, elle ne savait pas ce que c’était.

Il faudrait juste qu’elle trouve un masque.

Et peut-être des vêtements un peu plus propre que ses fripes de voyage, sans tomber dans l’excès. Si elle attirait trop l’attention et que Mamie s’y rendait aussi, ça craignait pour sa peau, sa tranquillité et sa liberté.

—Syo, un bal masqué, ça te tente ? lança-t-elle.

Le Pichu s’arrêta et pencha la tête sur le côté, comme attendant plus d’explications. D’ailleurs, il ne comprenait probablement pas la moitié de ce qu’elle racontait. Un bal masqué pour lui, ça ne voulait rien dire.

—C’est à Ran, par contre. Je sais qu’on avait prévu d’aller à Kuni en premier, je sais que tu as toujours voulu…

Voir la mer s’échouer sur du sable. Sa voix baissa d’un ton. Mourut dans un souffle. Sarya secoua la tête. Ce Pichu lui faisait perdre la boule. Ce n’était peut-être pas une si bonne idée de lui donner le prénom de Syo. Son esprit avait tendance à les confondre, maintenant.
Pourtant, entre une boulette qui ne dépassait pas son genou et un humain normalement constitué, quoiqu’un peu maigrichon… Bon OK, ils avaient les mêmes yeux. La même joie de vivre. La même façon d’être un boulet pot de colle. Mais ce n’était que des coïncidences, non ? Est-ce que la réincarnation, ça existait au moins ? Autre que sous forme d’un Pokémon Spectre, tout du moins. Là-dessus, elle connaissait plus d'histoires que nécessaire.

M’enfin.

—Bref. On va à Ran. Ce sera le sable, mais sans la mer. Comme un avant-goût. T’es partant ?
—Pi !

Quelle question, il la suivrait partout où elle irait, comme il le faisait depuis déjà quelques semaines. Sarya se remit en route, décidée à penser à tout sauf au mystère qu’incarnait sa boulette jaune préférée.

Il pleuvait des feuilles d’automne sur sa route. L’air se rafraîchissait, même si ce n’était rien comparé au froid qui devait régner chez elle, à Sakai. Syo avait ralenti sa course pour trottiner à côté d’elle. Il avait troqué sa marche quadrupède pour sa ridicule démarche bipède qui lui arrachait toujours un ricanement mi-attendri, mi-moqueur. Pour éviter de le fatiguer, elle ralentit le pas et se laissa bercer par le glouglou de la rivière.
Un fredonnement agrémenté de quelques « Pi » et « Chu » la sortit de ses pensées. Elle reconnaissait cet air. Un air mélancolique, qu’elle connaissait par cœur pour l’avoir chantonné des dizaines de fois. La chanson de son enfance, celle qui portait ses rêves. Elle n’en avait pas oublié un mot ; son esprit calquait les mots sur la mélodie du Pokémon.

« Quand je serai un grand
Moi je mettrai les voiles
Pour parcourir les ciels de mes rêves d’enfant
Quand je serai un grand
Moi je mettrai les voiles
Je remplirai mon cœur d’infini de plus grand »

Celle qu’elle n’entendait plus que dans ses songes. Celle qui avait disparu deux ans plus tôt.

—Et tout autour de la terre
Je chercherai la lumière
Et sur le toit de la terre
D’ici j’y verrai plus clair…

Termina-t-elle dans un souffle.

Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle avait cessé de marcher. Syo, qui l’avait dépassée, se retourna vers elle et pencha sa tête sur le côté. Ses oreilles frémirent, interrogatrices.

—Comment est-ce que tu connais cette chanson ? demanda-t-elle.
—Piii ?

Syo paraissait ne pas comprendre la question. Il se rapprocha à petits pas de sa Dresseuse, ses yeux grands ouverts.

—On fait une pause, déclara-t-elle en soupirant.

Sarya se laissa tomber dans l’herbe sans faire attention à savoir si elle était mouillée ou pas. Syo, inquiet, se précipita vers elle en gazouillant. Pour le rassurer, elle lui caressa le haut du crâne.
Elle était complètement perdue. Un jour, elle se disait que c’était possible, peut-être. Un autre et elle se disait que les esprits devenaient des Spectres, pas des Pichu. Ce jour-là encore, elle pensait encore à une coïncidence. Une coïncidence douloureuse, certes. Mais elle ne pouvait pas croire qu’il la laisserait autant douter, si c’était vraiment lui. Peut-être qu’elle l’avait fredonnée un jour sans s’en rendre compte et qu’il ne faisait que l’imiter.

—Pi-ii ? demanda Syo.

Sarya prit le temps de refouler tout ce qui lui venait à l’esprit avant de répondre. Ce n’était pas le moment de poser ce genre de questions. Elle observa pensivement le Pichu pendant un long moment. Peut-être qu’elle devrait essayer de trouver un spécialiste de ce genre de cas. Quelqu’un qui saurait répondre à ses questions.
Dommage que le culte de Giratina soit surtout répandu à Sakai, là où elle ne comptait pas revenir avant un moment. Mais elle avait vécu deux ans sans son meilleur ami ; elle attendrait bien quelques semaines de plus.

—Je te l’ai déjà dit, mais tu es vraiment une drôle de boulette, toi, sourit-elle en tapotant la tête du Pichu avec tendresse.

Chevropolis, donc, se dit-elle avant de fouiner dans son sac à la recherche de sa carte des environs. Il était temps de se construire un itinéraire avant de se remettre en route !

HRP / Ref Chanson:

Réminiscences

Sarya terminait d’observer sa carte et de l’annoter en mordillant son crayon quand une bulle éclata sur sa main. Surprise, elle releva la tête. Des bulles flottaient paresseusement sur les airs autour d’elle. Le soleil se reflétait sur elles en arcs iridescents. De petits « Bops » agrémentaient chaque explosion. C’était plutôt joli et étrangement apaisant à regarder. Au départ désorganisées, les bulles se concentrèrent sur Syo, qui les observait, ses grands yeux marron arrondis d’admiration. Une bulle plus grosse que les autres descendit mollement jusque lui et explosa contre sa tête.
Sarya s’attendait à ce qu’il soit surpris, effrayé peut-être, triste s’il était d’humeur mélancolique. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il tombe, ses petits poings pressés sur sa tête, en couinant de douleur. Une deuxième bulle lui atterrit sur la tête, ce qui n’arrangea pas son état.

—Syo, qu’est-ce qui t’arrive ? C’est juste des…

Sarya l’aperçut, caché dans les fourrés qui bordaient la rivière. Un Pokémon avec une bulle sur la tête, qui en sécrétait une multitude. Pire encore, il osait viser son Pichu, un éclat mauvais brillant dans ses yeux minuscules. Syo slalomait, la tête en l’air, pour éviter tous les projectiles délicats mais douloureux qui le visaient et se réfugia dans les bras de sa Dresseuse qui bondit sur ses pieds, énervée.

—Hé ! T’as pas autre chose à faire que d’embêter un bébé ?
—Piii…

Le Pokémon ne lui répondit que par des stridulations provocatrices. Alors lui, il n’allait pas s’en tirer comme ça ! Quiconque s’en prenait à sa boulette méritait de se prendre une raclée mémorable.

—Bon, Syo. Je sais que tu es un bébé. Et un boulet. Mais si tu as réussi à traverser la toundra de Sakai tout seul, c’est pas une tête de bulle qui va te faire peur. OK ?
—Pi !

Sarya reposa le Pichu à terre, qui se dirigea d’un pas décidé vers… l’Araqua, Sarya bénissait le Dieux qui avait décidé que les Pokémon prononçaient aussi leur noms, en plus du large éventail de bruits que leur fournissait la nature. Syo prit son air le plus menaçant et ses bajoues crépitèrent sous l’afflux d’électricité.

Cela ne dura pas longtemps : un jet de bulles agressif le força à se décaler. Cette fois, c’en était trop : les joues de Syo étincelèrent de plus belle et une attaque Éclair jaillit de son petit corps jaune, frappant de plein fouet l’Araqua. Le Pokémon secoua sa tête, vacilla sur ses trois pattes frêles, mais n’abandonna pas. Cette fois c’est une nuée de minuscules insectes qui jaillit de son corps pour venir harceler Syo qui, paniqué, battit des bras dans tous les sens pour essayer de se débarrasser des bestioles.

—Ne te laisse pas avoir par ce truc, Syo ! T’es plus intelligent que ça !

De nouvelles étincelles jaillirent de son corps. L’attaque Éclair ne fut pas aussi bien réussie que la première, mais elle suffit à griller la nuée d’insectes. Cette fois, Syo paraissait vraiment énervé. D’ailleurs, il n’essaya même pas de relancer une autre attaque. Il attrapa l’un des nombreux cailloux qui parsemait la berge de la rivière et de toutes ses forces, le lança vers l’Araqua. Cette dernière se pencha sur le côté en sifflant moqueusement.

—Chuuuu ! hurla la boulette, à présent déchaînée.

Syo attrapa de nombreux autres pierres et se mit à bombarder son adversaire en ponctuant chacun de ses lancers par un cri rageur. Ses bajoues crépitaient avec force. L’attaque Écume de l’Araqua ne l’atteignit jamais, chacune des bulles se faisant éclater par un caillou. Jusqu’à ce qu’enfin, l’un des projectiles atteigne sa cible : la tête de l’Araqua. L’arête pointue de la roche perça la membrane de la bulle qui entourait la tête du Pokémon. Elle explosa dans un « Pop » misérable. Privée de sa protection et de sa source d’oxygène, l’Araqua, paniquée, courut dans tous les sens.  Syo l’acheva d’un dernier éclair bien ajusté cette fois. L’impertinente tomba dans l’eau et ne reparut plus. Elle avait compris la leçon. Syo, essoufflé, se retourna vers Sarya avant d’esquisser un large sourire triomphant.

—Piii ?
—C’était un magnifique règlement de compte ! le félicita-t-elle. Je suis fière de toi.

Rien n’aurait pu faire plus plaisir au Pichu, qui débuta une danse de la joie pour fêter l’événement. Elle ne dura pas longtemps : des bulles éclatèrent à la surface de la rivière. Non, il n’oserait pas revenir, tout de même ? Sarya fronça les sourcils et s’approcha du bord, prête à le renvoyer chez lui d’un coup de pied bien senti.

Sauf que ce qui sortit de l’eau ne fut pas l’insecte agressif, mais la tête d’un gros poisson à l’air mi-inquiet, mi-désolé. Et un peu craintif, puisqu’en apercevant le visage courroucé de Sarya, il recula prudemment en lâchant un « Bargantua » plaintif. Voyant qu’il n’était pas dangereux, l’adolescente s’éloigna, non sans le menacer du regard. Le Pokémon pacifique émit quelques autres gargouillements, comme pour s’excuser de la conduite de son congénère. Cela parut satisfaire Syo, qui content de se faire un nouvel ami, agita joyeusement l’une de ses pattes pour le saluer / le remercier ou quoi que ce soit d’autre d’amical.

Visiblement débarrassé de ses inquiétudes et sa culpabilité, le Bargantua s’en retourna sous les eaux vivre sa vie passionnante de Pokémon poisson, sous les adieux joyeux de Syo.

—Maintenant qu’on est debout, autant se remettre en route. Allez Syo, en avant toute !
—Pi !

Réminiscences

Le soleil déclinait lentement sa course vers l’horizon. Sarya avait marché toute l’après-midi sans croiser grand-monde. Parfois, une barque ou un bateau passait sur la rivière en se dirigeant dans l’autre sens. Certains de ses passagers lui avaient fait coucou et Syo s’était fait une joie de répondre à sa place, ravi de rencontrer du monde aussi heureux de vivre. Aucun autre Pokémon ne leur avait cherché d’ennui, et ça n’était pas plus mal. Syo n’avait pas besoin d’une bagarre supplémentaire. Sa première l’avait déjà pas mal remué.

En tout cas,  c’était ce que tout Pichu de son âge devrait ressentir. Mais celui-ci paraissait avoir déjà oublié l’incident et se promenait tout au bord de la rive comme si aucun insecte insupportable ne pouvait en jaillir. Tant mieux pour lui, mais pour plus de sécurité, Sarya avait décidé de sortir Tornade de sa Captis Ball. Trop heureuse de se dégourdir les pattes, la Kraknoix trottait joyeusement à ses côtés en claquant joyeusement sa gigantesque mâchoire de temps à autres.

C’était peut-être à cause d’elle que personne n’avait cherché à les embêter, maintenant que Sarya y réfléchissait. Tornade semblait capable de gober tout crû la plupart des créatures qu’elle croisait. Rien que pour ça, elle ne regrettait pas de l’avoir adoptée. Encore un truc qu’elle n’avouerait jamais à voix haute, ça ferait trop plaisir à Syo qui s’empresserait de recommencer avec le prochain venu.
Et puis, la terre humide de la rivière offrait un terrain de jeu parfait pour la Kraknoix qui disparaissait souvent pour creuser ses trous adorés. Le Pichu n’hésitait pas à sauter à sa suite dans les galeries et à la suivre partout, pour le plus grand bonheur de Tornade. Cela faisait toujours frissonner Sarya, qui ne comprenait pas pourquoi on irait s’enfouir sous terre dans des tunnels aussi étroits. C’était un coup à se retrouver enterré vivant. Et impossible d’être libre de ses mouvements dans des conduits aussi étroits ! Son dos se hérissa rien qu’à cette pensée.

—Krak-krak ? appela Tornade.

Sarya se stoppa net avant de marcher sur son Pokémon. Perdre une jambe ne faisait pas partie de ses ambitions de vie. Tornade s’assit, sa grande bouche entrouverte, ses petits yeux d’onyx brillants.

—Qu’est-ce qu’il y a ?
—Krak-krak-krak ?
—Oui, tu peux continuer à faire des trous, je t’ai dit. C’est pas moi qui vais te retenir.

Bon, elle extrapolait peut-être un peu, mais comme Tornade prononçait « Krak-krak-krak » juste avant de creuser, elle supposait qu’elle venait de lui demander l’autorisation ou quoi que ce soit. Ce dont elle n’avait jamais eu besoin pour commencer son œuvre, soit-dit en passant.

—Pi-ii ! l’appela Syo en sortant sa tête d’une galerie.

En lui faisant de larges coucous, le Pichu tenta de la convaincre de venir jouer dans les trous de Tornade. Sauf que c’était hors de question et ça, elle le leur fit bien comprendre.

—Sans façons, merci, lâcha-t-elle. On verra ça plus tard, peut-être.
—Noiiix ?

Mais Tornade eut l’air si triste que Sarya ne s’éloigna que de trois pas avant de s’arrêter de nouveau en soupirant. Non seulement Tornade paraissait toute triste, mais Syo la dévisageait d’un air de reproche, toujours à moitié caché dans son trou. Gros soupir. L’adolescente se planta face à la Kraknoix, s’accroupit et essaya de lui expliquer avec des gestes et des mots simples :

—Je n’aime pas aller dans des trous. C’est trop petit, tu vois ? -elle rapprocha ses deux mains l’une de l’autre- Je préfère être dans des endroits très grands, comme sur les montagnes, ou dans les arbres, ou à l’air libre -elle écarta les bras en grand-. Sinon, je ne me sens pas très bien.
—Krak ?
—Voilà. Je n’ai rien contre tes trous ou contre toi, je t’ai bien adopté en connaissant ta manie. Mais malheureusement, c’est une passion que nous n’avons pas en commun.

Tornade la fixa un long moment, et Sarya se demanda si elle avait compris ou pas. Peut-être qu’elle réfléchissait à ses paroles. Ou à comment la gober le plus efficacement possible, impossible de savoir, la Kraknoix n’était pas très expressive. Elle avait l’air soit abattue, soit béate, soit heureuse de creuser. Difficile de décrypter autre chose avec cette énorme bouche et ces si petits yeux.

—Krak-krak-krak !

Aussitôt annoncé, aussitôt creusé ! Tornade retourna dans le sol, laissant une Sarya confuse à la surface. D’ailleurs, la Kraknoix y resta un long moment. La seule chose qui indiquait qu’elle fouillait encore, c’était les grondements qui agitaient la terre sous ses pieds. Cela attira l’attention d’une Vortente qui s’agitait à quelques mètres de là. Le Pokémon Plante secoua d’autant plus un nénuphar sur pattes qui ne paraissait pas motivé à bouger. La scène arracha un sourire à Sarya. D’ailleurs, le foutoir que causait Tornade fit à peine ouvrir un œil fatigué au fameux nénuphar.

Syo parut vaguement inquiet devant tout ce raffut, mais quand il fut terminé, il fut le premier à partir explorer les nouvelles galeries que Tornade avait creusées. Les gazouillements surexcités du Pichu lui parvinrent et avant qu’elle n’ait pu s’interroger sur la raison, la tête de Syo jaillissait de la galerie devant elle, où Tornade avait disparu.

—Pi-ii ! Chu piii !

Syo attrapa l’une des lanières de ses bottes et la tira vers lui.

—Syo, il est hors de question que je descende là-dedans, grimaça-t-elle. Et tu sais très bien pourquoi.
—Pii ? répondit-il en penchant la tête sur le côté.
—Ou pas, c’était l’autre qui savait, soupira-t-elle.
—Pi-ii ! Chu piii ! insista le Pichu.

Les deux Pokémon Plante, intriguées par la scène, s’étaient approchés d’eux. Si si, même la Nénupiot, même si elle ne paraissait pas particulièrement motivée. D’ailleurs, arrivée devant l’un des trous, elle se laissa glisser dedans sans plus de cérémonie, sous les glapissements catastrophés de la plante carnivore… qui après de longues secondes d’hésitation, partit à la recherche de son amie. Sarya se retrouvait seule à la surface. Non, la boulette ne comptait pas, elle avait la moitié du corps dans un trou.

—T’es en train de me dire que si même deux inconnus se jettent dedans, j’ai pas le choix, c’est ça ?
—Pi ! sourit largement le Pichu.

Soupir. Sarya avala sa salive, observa le trou béant qui s’ouvrait devant elle, le noir d’encre qui la narguait, et dans une profonde inspiration, se laissa glisser dedans.
La chute ne dura que quelques secondes, même pas, mais elle resta crispée tout ce temps, la gorge nouée en sentant les parois de terre lui riper les bras. Syo s’était tenu à son épaule tout le long. Quand Sarya rouvrit les yeux, elle s’attendait à ne rien voir, à étouffer et ne jamais retrouver son chemin.

Mais elle venait d’atterrir dans un trou d’une belle taille. De celle d’une pièce, presque celle de son ancienne chambre. Hauteur sous plafond incluse. Et c’était éclairé ! Tornade avait creusé des trous qui laissait passer des cylindres de lumière crépusculaire dans son abri. Seules quelques racines et autres grains de terre venaient troubler l’aspect parfaitement lisse des murs et… on s’y sentait bien. Ou presque.

Au centre de cette œuvre d’art, se tenait Tornade, ses mâchoires ouvertes, guettant la réaction de sa Dresseuse. Les deux Pokémon sauvages exploraient les environs et la Vortente s’amusaient à sortir sa tête des différents trous pour observer la nature au ras du sol. Quant à la Nénupiot… Eh bien, elle avait profité de la distraction de sa partenaire pour se rendormir dans un coin douillet de la grotte. Quand la plante vivante s’en aperçut, elle bondit vers sa partenaire pour lui rappeler que ce n'était peut-être pas le meilleur endroit où squatter. Il y avait des gens, de la route à faire, elle avait besoin d'elle, c'était pas le moment de dormir !

—Pi-ii ? s’inquiéta Syo en voyant que Sarya ne prononçait pas un mot.
—Je vais bien, le rassura-t-elle d’une petite tape sur la tête.

Elle vint s’accroupir près de Tornade, qui attendait le verdict en se tortillant sur elle-même.

—Krak-krak-krak ?
—J’ai vraiment touché le gros lot avec vous deux, lâcha l’adolescente en tapotant affectueusement la grosse tête de Tornade. Vous êtes vraiment de drôles de phénomènes, vous savez ?

Tornade cliqueta, comme pour lui rappeler que ça ne répondait pas à sa question.

—C’est vraiment un super trou, Tornade. Le plus beau que j’ai jamais vu. Ton ancien dresseur était vraiment une ordure pour avoir rejeté un talent aussi incroyable que le tien.

Et l’humaine retira aussitôt tout ce qu’elle avait pu penser des expressions limitées de son Pokémon. Les yeux de Tornade, deux minuscules éclats d’onyx, brillèrent de milles feux différents. Sarya en reconnut trois.

Bonheur, fierté et larmes.