Esquiver. Frapper.
Survivre. Mourir.

Wulfric n’est plus Wulfric. Il est remplacé par la Bête. C’est elle qui se charge des combats perdus d’avance. L’homme ne peut rien contre la puissante créature en colère ; il est impuissant. Il est toujours impuissant au fond, il ne veut juste pas l’admettre. Sauf que la Bête ne se débrouille pas très bien. Le vent siffle à ses oreilles lorsque le dragon se propulse pour griffer. Ses tempes pulsent à cause de l’effort. Cette armure est protectrice, mais son défaut est de réduire les mouvements. Pourtant, elle est taillée pour un chasseur : son matériau est léger, toutefois cela reste un poids, quoi qu’il arrive.

Beowulf esquive un coup de queue ardente. Il n’a pas le temps de riposter. Malgré sa taille, le Dracaufeu est taillé pour le combat. Il sait où frapper et quand frapper. Il utilise poings, griffes et crocs. Son corps entier est redoutable. C’est une arme vivante. C’est l’arme de Mère Nature. Il ne faut pas défier cette grande Dame. La punition est à la hauteur de la Créatrice. L’ancien chevalier halète. Il ressent la sueur qui roule sur son crâne. Il ressent son souffle qui devient de plus en plus court. Il sent la douleur piquante dans ses muscles. Cela ne va pas. Cela ne va pas. La Bête n’a pas la situation sous contrôle. Wulfric von Löwe sait combattre. Il retient ses coups jusqu’à l’impossible. Il ne veut pas tuer le monstre qui crépite de rage. Mais possède-t-il seulement le choix ?

Dans son dos, le maître d’armes réussit l’exploit de faire fuir l’autre lézard. Wulfric affronte certainement le plus belliqueux des deux. Il défendra son territoire jusqu’à la mort ; contrairement à son homologue.

Le blond commence à réaliser que sa façon de combattre n’est pas la bonne. Elle est mauvaise. Cet adversaire farouche est bien trop aveuglé par sa colère. Que le destin peut être cruel. Tuer une bête aussi magnifique, débordante de vitalité. C’est un crime. Un crime contre la Nature.

Pour le moment, l’ancien noble n’est pas sauvé. Il résiste encore, mais cela devient difficile. Le Griknot chromatique est caché ; il ne sera d’aucune aide. Quant à Garm, le chiot, l’homme se refuse de le faire combattre. Ce n’est pas à lui de payer le prix de l’homme. Ce n’est pas lui l’intrus ici. Mais n’oublions pas le marchand. Celui-ci aussi n’est pas prêt à l’action. Tout son corps tremble. Ses yeux sont demi-clos. Sa peur lui prend les tripes et le paralyse. Nul ne doute que son cerveau est incapable de prendre des décisions. La Bête hurle. L’autre bête hurle. Le combat semble éternel tandis que les secondes passent inexorablement. Le chasseur se fait chasser, mais le dragon ne parvient pas à prendre le dessus. Pas encore. Le problème est que plus le temps passe, plus le lézard devient puissant. Sa flamme se renforce. Il gagne en puissance. Son dernier coup de queue envoie Wulfric au sol. L’impact fait s’envoler quelques petites pierres et de la poussière.

L’homme sert les dents à s’en faire mal. Le combat n’a pas de sens. Il crache un peu de sang, qui salit le sol de Ran. Le dragon est prêt à retourner à la charge.

Douleur et sang.

La rudesse de la chute est terrible pour le chasseur. Son corps entier est ébranlé par la force du Dracaufeu. La Bête a pourtant l’habitude de combattre des Pokémon, y compris des gros. Mais la rage est une émotion qui écrase les frontières du raisonnable. La rage décuple les forces. Le dragon en est un parfait exemple et c’est Beowulf qui s’en mord les doigts. Il le savait. Il le savait ! Les humains n’ont aucun droit de fouler cette précieuse terre d’argile. Ils n’ont pas le droit de se tenir face aux maîtres des lieux. Plutôt que de résister au Dracaufeu, les hommes devraient fuir. Cependant, la bête ne leur laissera pas ce choix parfait. Elle veut combattre pour sa défense. Wulfric ferme les yeux. La douleur est intense ; mais elle est loin d’être l’unique raison. Il regrette. Il ne veut pas avoir à tuer ce monstre de feu.

Le fil de l’épée tranchante.

C’est l’autre épéiste qui prend la relève. Pour lui, aucune hésitation à avoir. Le Pokémon veut les tuer, alors il faut frapper en premier. L’ancien soldat observe du coin de l’œil la bataille qui se joue : le blond tente de sonner son adversaire écailleux. Il n’a pas assez de force. Le dragon bloque la lame et frappe d’un coup de tête. Il est puissant. Le maître d’arme est hargneux ; rien ne peut l’arrêter. Il tente une nouvelle attaque tranchante. Cette fois, il ne plaisante pas. Wulfric se relève d’un bond, la douleur est passée. Il cri de ne pas blesser davantage le Pokémon. Trop tard. Mais l’épée rate sa cible à cause d’une mauvaise coordination entre les protagonistes. Le Dracaufeu se fait déchirer légèrement l’aile droite. Le chasseur grince des dents. Cette action va coûter très cher.

Le dragon explose une seconde fois. Son rugissement est intense ; il fait trembler l’air sec de Ran. La flamme de sa queue rougeoie d’une intensité rare. L’issue du combat est décidée : c’est tuer ou être tuer. Le chasseur doit s’y résoudre, tandis que la Bête est déjà prête à bondir. Le temps est compté, impossible pour eux de tourner le dos au danger. Il crache du feu à en faire fondre la roche. Beowulf décide de tenter le tout pour le tout. Il sait que c’est perdu d’avance. Mais il tente encore, obstiné comme un Taureau en pleine course. Il s’élance vers le dragon, sa lance en protection. Le Pokémon bloque la charge de ses bras et fixe l’humain avec haine et fureur. Il expulse la Bête sans problème, mais la Bête recommence sa danse. Les coups sont parés, bloqués.

Wulfric essaie. Mais il doit se rendre à l’évidence incarnée : le Dracaufeu ne se rendra pas. Il veut exterminer les intrus. Le chasseur comprend ce comportement finalement. C’est un combat sans issue.

Un élément perturbateur s’annonce. C’est le marchand. Il en a assez : la peur est trop importante chez lui. Il ne peut pas rester une seconde de plus. Wulfric peste ; voilà qui enrage encore plus le Dracaufeu. Il s’envole, prêt à revenir pour frapper encore plus fort. C’est le moment d’évacuer le plus de personne possible. L’homme en armure se tourne vers les autres. Il est déterminé, immuable.

Beowulf offre la petite bourse sonnante sans un regret. Il n’a pas le temps de convaincre. C’est une occasion à saisir qui est unique. Pendant qu’ils se décident, le feu furieux est revenu. Il est intercepté par les Pokémon du maître d’armes, ainsi que par celui du chasseur. Le petit chiot ne peut pas laisser le loup se débrouiller seul. Une autre créature rejoint le combat. C’est le dragon chromatique : Griknot. Il gratte frénétiquement le sol, jusqu’à réussir à créer un Jet de Sable. Le Dracaufeu est touché en plein dans le mille : son visage tiré par la rage est couvert de poussière. Il hurle. Il balaie le vent et les Pokémon. C’est la diversion qu’il fallait.

Résolution.

Wulfric reste. La Bête reste. Il doit demeurer ici pour affronter son destin. S’il s’enfuit, le dragon ira les cueillir un par un. Mourir est un concept qui fait peur. Les fantômes ne veulent pas que l’homme quitte le monde. Mais l’homme est prêt à prendre le risque. Pourquoi ? Pour quelle raison ? Il ne connait pas ces personnes. Pourtant… C’est ainsi.

L’adrénaline.

L’adrénaline est l’essence qui maintient la Bête en éveil. C’est cela qui permet à Beowulf de ne pas faiblir face à ce formidable adversaire. Le Dracaufeu est encore plein de ressources, malgré tous les coups qu’il a reçus. Pourtant… Pourtant le combat doit se finir. Une issue doit se dévoiler. Le chasseur ne le sait que trop bien. Tout ceci, cette mascarade, n’a que trop duré. Le marchand est parti. Il a détalé comme un Laporeille en détresse. Le blond et son élève sont partis eux aussi. Il ne reste plus qu’un humain, accompagné de deux malheureuses créatures contre une furie ardente. Beowulf sert les dents. Il est grand temps de reprendre le combat.

Le dragon hurle de tout son être.  Le cri est terrifiant, mais cela ne suffit pas pour ébranler le chasseur. Pas cette fois. Il est bien trop déterminé. Si cela ne tenait qu’à lui, le blond au cache-œil laisserait partir le monstre. Mais il ne peut pas. La Nature ne lui laisse pas le choix. Ce Dracaufeu est bien trop en colère. Que dire ! Il est en furie, il ne peut retrouver sa raison. Alors le chasseur n’a pas le choix. Il faut tuer. Le Pokémon sauvage est trop dangereux. En plus de s’en prendre potentiellement aux autres après avoir tué Beowulf, il ira probablement s’en prendre aux tentes avoisinantes. Peut-être même que dans sa rage, il irait jusqu’à la capitale.

Amer, le chasseur se prépare mentalement. Une si belle créature. Si majestueuse… Mais c’est lui, et les humains, ou ce Dracaufeu.

L’attaque du Griknot est essuyée. Le rugissement de la créature fait trembler la terre. Ce Pokémon est un vétéran de la vie et du combat. Quel gâchis. Tout cela à cause de la lubie d’un marchand véreux. Jamais plus Wulfric ne reviendrait en ces lieux pour quelques futiles raisons. Ce canyon, ces escarpements, sont beaucoup trop sauvages pour qu’on puisse les fouler avec insouciance.

La Bête respire profondément.

Voilà que le reptile s’élance. L’homme fait front. Le Griknot et Garm tente de s’interposer. Cela est inutile. Ils sont repoussés par les bourrasques. De bien braves Pokémon malgré tout.

Wulfric repousse l’assaut avec maladresse. Il chancelle sous la rage de la créature. Ce moment de déséquilibre est fatal : le Dracaufeu parvient à utiliser Crocs Feu pour mordre l’homme au tronc. La chaleur fait fondre le métal sans peine, tandis qu’une petite partie explose sous la force de la mâchoire. Le chasseur hurle. Il sent sa chair fondre sous l’effet du feu. Il sent l’armure qui emprisonne sa peau. La douleur est vive. Mais c’est le moment de riposter. La dernière des attaques.

Fort de son expérience, Beowulf profite de la proximité avec le Pokémon Feu pour porter un coup puissant. Dans le torse. Cette fois, le dragon recule et lâche sa proie. Lui aussi souffre au-delà de la raison. Il titube. Ses forces le quittent, tandis qu’une plaie béante s’ouvre. Le sang se répand. Le spectacle est insoutenable.

Coup de grâce…

Le loup empoigne sa lance. Sa vie en dépend. Puis, d’un geste désespéré, il lance l’arme tranchante vers le Dracaufeu. Ce dernier, incapable de se défendre à cause de son déséquilibre, ne peut que recevoir la fatalité dans l’abdomen. Sa gueule se crispe. Ses pupilles se fendent jusqu’à ce qu’il soit impossible d’aller plus loin. Le Dracaufeu hurle une dernière fois avant de s’écrouler dans la poussière. Mais il n’est pas seul dans sa déchéance. Le chasseur tousse. Il pose un genou à terre, puis l’autre. Sa main trouve son chemin jusqu’à sa blessure. Un sifflement. C’est atroce.

Du sang.

Le dragon de feu pousse un râle. C’est la fin pour lui. Ses yeux observent une dernière fois l’humain qui lui prend sa vie. Mais il y autre chose. La créature cherche quelque chose. Trop tard. Sa vie s’envole déjà dans le lointain.

Beowulf pousse lui aussi un soupir. De détresse. De douleur et de haine. De haine envers lui-même. Il priera le dragon lorsque son état le permettra. Il a échoué. Il a failli Mère Nature. Mais il est en vie… Pourquoi ? C’est une question qui ne trouve pas de réponse. L’homme ne peut que reprendre sa fidèle lance. Il se lamente. Elle ne sert pas à tuer, d’ordinaire. Tout est distordu en ce jour. Rien de toute cette tragédie n’aurait dû se produire. Les Dracaufeu ne sont pas chassés pour de la nourriture. Peut-être pour de l’ornement… Ou des armures, mais pas dans le cas de Wulfric.

Cette vie prise… Cela n’a aucun sens. Sauf le fait d’avoir voulu protéger des humains inconscients. Cela en vaut-il la peine ?

Le chasseur doit également se résoudre à laisser le corps ici. Il n’a pas assez de force pour s’occuper du Dracaufeu, hélas. En son for intérieur, il prie l’autre dragon de revenir pour s’occuper de son proche.

La Bête n’est plus là. L’homme craque. Il sent un ruisseau de larmes sur son visage. Des larmes, de la poussière et du sang. Quel cocktail infernal. D’autant plus que sa vision devient de plus en plus trouble. Est-ce la tristesse ou la fatigue ? Il n’a pas le temps de s’en préoccuper. Voilà que le Salamèche de tout à l’heure revient. Il s’approche doucement du corps inerte de son ainé. Un reniflement suffit à faire comprendre au petit qu’il est inutile d’espérer. Le chasseur fait alors un immense effort pour être autant que possible à la hauteur du Salamèche. Il grimace, autant à cause de sa blessure qu’à cause de son cœur ensanglanté.

Demi-tour.

Le chasseur s’en va. Il laisse derrière lui un chaos sans nom. Mais quelque chose résonne. Des petits cris. Wulfric s’arrête, non sans une hésitation. Son Rocabot est à ses côtés ; il est le premier à se retourner. C’est le Salamèche. Le lézard gémit. C’est son droit. Cependant, il y a autre chose. Il semble ne pas vouloir laisser partir l’humain ainsi. Rien n’est aussi facile…

Le blond se retourne à son tour. Coupable. Son œil rencontre ceux difficilement ouverts du Pokémon. Il ne peut pas le laisser à son sort. Pas après avoir massacré ce qui était certainement l’un des parents du petit. Les prédateurs sont nombreux. Que faire si l’autre Dracaufeu ne revient pas ? L’homme n’a pas le choix. Il fait taire la Bête qui gronde en lui pour faire preuve d’un peu de compassion. Bien sûr, hors de question de garder le Salamèche toute sa vie. Il doit le rendre plus fort ; c’est son nouveau rôle à présent. Plus tard, il viendra rendre à cette terre qui l’a vu naître le lézard de feu.

Tendre la main.

Le petit rejoint donc cette équipe pour le moins étrange. Mais ce n’est qu’un au revoir. Le chasseur s’en fait la promesse : cette créature retournera chez elle lorsque le moment sera venu. Un regard vers le Dracaufeu, puis une promesse.


Beowulf se tourne ensuite. Il a le souffle court. Son cerveau ne fonctionne plus très bien, il a du mal à réfléchir. Cette blessure… Il faut se hâter. Le blond s’avance donc et croise le chemin de quelques écailles draconiques. Preuves d’une bataille sans merci. Hésitant, le chasseur les ramasse avec autant de délicatesse que son corps lui permet. Grâce à ce souvenir amer, il gardera toujours à l’esprit la promesse faite au Dracaufeu.

Il est temps de partir.

La marche du chasseur est de moins en moins assurée. Garm et le Salamèche suivent l’allure, inquiets. C’est finalement la Griknot qui se présente. Elle connait les lieux bien mieux qu’eux. Elle a même sa petite idée pour aider cet humain qui est impressionnant.

La suite des évènements n’est que partie remise…