Aaah, la Grande Bibliothèque. Ceux qui connaissent un tant soit peu Ardashnir savent qu'il fréquente l'endroit encore plus que sa propre maison. Guère étonnant pour un érudit, il est vrai. Mais ce qu'il fait là-bas pourrait en surprendre plus d'un.

Evidemment, le plus clair de son temps consiste à mener des recherches sur les fondations d'Ekoe ou les tensions qui entourent depuis des siècles les pays de Sakai et de Kuni. Des recherches que Ashar dirige seul, sans aucune collaboration avec un autre collègue de sa trempe. Soit parce qu'ils sont trop méfiants quant à sa réputation, soit parce que les sujets étudiés ne les intéresse point. Cela n'a jamais découragé le noiraud qui poursuit encore et toujours sa quête de savoir.

Mais récemment, il s'est mis à un autre passe-temps. Ce qui est assez ironique, c'est que ce passe-temps lui assure des revenus en complémentarité de son propre métier qui stagne plus ou moins. Mais l'historien ne voit pas cela comme une contrainte financière puisqu'il y prend du plaisir, d'où l'appellation « passe-temps ». C'est vrai, à partir de quel moment est-il possible d'obliger quelqu'un à s'amuser ? Peut-on soi-même se forcer à faire quelque chose qui nous plaît ?

C'est justement ces deux questions que le noiraud a proposées à son groupe de travail aujourd'hui. Ils étaient douze à s'être réunis dans une salle du grand bâtiment à l'écart pour plancher sur ces sujets, l'historien les guidant avec quelques pistes à exploiter. Dans une autre vie, Artreos avait été professeur de littérature, domaine où la réflexion philosophique a une grande place à jouer. Cette autre vie était résolue depuis longtemps déjà, mais ce qu'il faisait ici aujourd'hui lui permettait de s'en rappeler, de revivre une illusion.

N'importe qui était libre de rejoindre ses cours, mais on lui avait quand même interdit de dispenser son savoir aux enfants et adolescents. Les mémoires de Sakai, qu'elles soient écrites ou orales, sont très tenaces. A vrai dire, Ashar n'avait même pas été surpris par cette directive à l'époque où il a monté ce club d'étude. Il était bien trop reconnaissant d'avoir reçu l'autorisation d'enseigner librement pour aller argumenter contre le directeur de la Grande Bibliothèque, même si l'envie l'avait grandement démangée. Hors de question de passer pour un hypocrite avec toutes les mauvaises choses que l'on peut raconter dans son dos.

Chaque participant pouvait venir quand il le voulait, l'ancien professeur préférait encore que les personnes inscrites à son programme ne viennent pas une séance si elles ne sont pas motivées plutôt que de devoir travailler de mauvaise volonté. Après tout, les adultes avaient beaucoup plus de préoccupations et d'empêchements dans la vie que les simples mineurs, alors le maître mot des cours de l'érudit était « liberté ». Ardashnir respecte la polyvalence de chacun qui, au bout d'un moment, ne peut plus faire de miracle à cause de beaucoup de facteurs à prendre en compte : fatigue, stress, accident, vacances…

En début de semaine, l'érudit prend soin d'afficher un papier qui indique le lieu ainsi qu'une liste de ses heures disponibles pour tous les jours sur le panneau d'information de la bibliothèque. C'est sa seule méthode d'adhésion -sans compter le bouche-à-oreille qu'il ne maîtrise pas-, et aussi sa seule méthode de relaie d'information. Il arrive au professeur Artreos de ne pas pouvoir être disponible pendant une période limitée, puisqu'il se rend de temps en temps hors d'Enogen pour ses recherches. Autrement, il honore toujours ses horaires, peu importe le nombre d'intéressés. Le prix d'admission à un cours est très bas, Ardashnir cherchant d'abord à toucher le plus grand nombre de personnes, même si il a besoin de ce pécule.

Les séances durent généralement deux ou trois heures, et l'historien tente de varier les thèmes abordés un maximum. Le groupe d'aujourd'hui était bien réceptif même si il était uniquement constitué d'habitués, des réponses intéressantes se sont dégagées rapidement avec les nombreux échanges que ce genre de question peut occasionner. Parfois, ces participants d'un jour apprennent bien plus en se parlant entre eux qu'en écoutant le professeur. C'était justement cet état d'esprit que le noiraud voulait encourager. L'époque où il instruisait rigoureusement des élèves est loin derrière, maintenant il ne fait que prodiguer un savoir qui demande toujours à être approfondi.

Mais voilà que la séance touche à sa fin. La plupart des personnes s'apprête à partir, attendant l'intitulé du prochain cours avec plus ou moins d'impatience. C'est qu'il commençait à faire chaud avec l'arrivée de l'été, et il est vrai qu'une petite pièce où les cervelles se frottaient entre elles pour trouver des idées avait tendance à chauffer rapidement. Ardashnir ne put réprimer un sourire. Il annonça une sélection de plusieurs textes philosophiques où les participants auront la joie de constituer des groupes avant de se lancer dans le commentaire de l'un d'entre eux. C'était suffisant pour les esprits en ébullitions qui pouvaient enfin reprendre le cours normal de leur vie. Certains remerciaient le professeur en passant quand d'autres ne daignaient même pas saluer leurs congénères.

Cette mixité des personnes était précieuse, et finalement c'est Ardashnir qui se trouva à les remercier pour leur présence. Bien sûr, tous les cours ne pouvaient pas être parfaits, parfois les paroles s'échauffaient un peu trop ou le sujet ne se révélait pas aussi exploitable qu'attendu. Même si l'historien avait de l'expérience dans le domaine de l'enseignement, ce format inédit de cours particuliers lui demandait un temps de préparation qui se révélerait finalement utile ou inutile en fonction de l'humeur général d'un groupe singulier lors d'une journée singulière. Mais l'inconnu ne faisait pas peur à Ashar, ni même le surmenage. C'est pas comme si de toute manière il avait des amis avec qui sortir ou de la famille avec qui passer du temps. Son père et sa mère ne lui avaient toujours pas adressé de nouvelles. Tout comme le fils.

Afelan s'amusait à parcourir toute la surface du bureau de la pièce. Il fallait bientôt quitter les lieux parce que l'érudit n'avait qu'un temps d'usage limité. L'endroit ne servait pas qu'à dispenser des enseignements, après tout. Alors Ardashnir commença à rassembler ses affaires. Il ne devait surtout pas oublier d'emprunter les ouvrages nécessaires à la prochaine séance pour commencer à dégager les axes d'études afin d'orienter les prochains participants. Sa sacoche de cuir était usée par le temps et les manipulations. C'était la même depuis qu'il avait débuté son tout premier métier de professeur, mais il n'avait pas assez de côté pour se payer le luxe d'acheter à nouveau du sur-mesure. La pauvre chose semblait prête à rendre l'âme, mais tant que les trous n'étaient pas assez gros pour laisser s'échapper quoi que ce soit, Ashar savait que ce remplacement pouvait attendre. Même si sa bourse d'écus était en sursis. En fait, il était en train d'économiser pour espérer s'acheter un ticket vers Kuni prochainement. Il avait des choses à voir là-bas.

Soudainement, la porte de la salle s'ouvrit lentement. L'historien ne détourna même pas son attention de son sac, pensant qu'il s'agissait d'une personne de son cours ayant oublié des affaires avant de partir précipitamment. Mais le cri strident du Statitik le fit réfléchir une deuxième fois. Ardashnir n'était pas encore capable de déterminer le ton de la tique hirsute entre la peur et l'excitation, parce qu'il ne s'occupait pas beaucoup du petit Pokémon. Alors il choisit de se retourner calmement, prêt à faire face à quelqu'un de pas très sympathique. Plus d'une fois, le noiraud avait été expulsé de la pièce parce qu'il prenait trop de temps à remballer. Cela lui arrivait souvent lorsqu'il était perdu dans ses pensées. D'où la possible terreur de Afelan.

Mais surprenamment, il s'agissait d'une jeune femme aux cheveux blonds qu'il n'avait jamais vu. Ou peut-être que si, mais Ashar ne s'en souvenait tout simplement pas. En tous cas, c'était sûr et certain qu'elle ne faisait pas partie de son groupe d'étude. Même si les gens allaient-et-venaient à ses cours, l'ancien professeur était capable de mettre un nom sur une tête dans une salle de classe, réflexe qu'il a accumulé pendant plusieurs années largement antérieures.

Maintenant, il suffisait de savoir ce que désirait la demoiselle pour venir dans un endroit pareil. Etait-elle perdue ? Intéressée pour s'inscrire ? Un nouvel agent de la sécurité ? Une autre érudite  Même si l'expression de l'inconnue ne semblait pas menaçante, Ardashnir avait appris avec le temps qu'il n'a jamais vraiment su lire sur le visage des femmes. Alors il ne s'y essayait plus vraiment et préférait en venir directement aux paroles. Ashar offrit donc son sourire le plus sincère, et la torture commença.

« Bien le bonjour, mademoiselle. Quel bon vent vous amène ici ? Puis-je vous être d'une quelconque utilité ? Vous recherchez quelqu'un ? Ou quelque chose ? »

L'historien avait la mauvaise manie de poser tout un tas de questions pour gagner des renseignements le plus vite possible auprès de ses nouvelles connaissances. Il fallait songer à bientôt quitter la pièce, après tout.

Le Sakaien ne put s'empêcher de hausser un sourcil quelque peu circonspect. Il ne s'était clairement pas attendu à tant de politesse à son égard. Enfin, toute proportion gardée, mais quand même. Bon nombre d'habitués de la Grande Bibliothèque sont beaucoup plus brutes dans leur façon de parler, laissant tomber le « Monsieur » ou l'usage du vouvoiement, qu'ils soient hostiles ou non au statut de l'historien n'étant même pas la question. Tout simplement parce que Ardashnir connaissait une bonne partie des érudits travaillant à la bibliothèque, de bon coeur ou malgré son gré. Et voilà que cette dame l'adressait avec le respect réservé à celui de l'interpellation d'un inconnu, ce qui valida la théorie du noiraud comme quoi il n'avait jamais eu affaire à cette personne dans le passé. Elle non plus apparemment, puisque le nom qu'elle recherchait se trouvait justement quelques mètres à peine devant elle. Dans un sens, son ignorance rassurait le jeune homme bien plus qu'il n'osait l'admettre ; la demoiselle n'avait pas été envoyée dans le but de le chasser de la salle, elle n'était pas de l'administration.

Mais Artreos devait se focaliser sur le problème actuel et non pas sur ses incertitudes quotidiennes, même si ces temps-ci, le personnel avait tendance à vraiment porter sur ses nerfs. Vivement sa petite virée à Kuni pour prendre un instant congé de leur mépris constant… Et voilà qu'il divaguait à nouveau ! Cette fois-ci, l'homme de lettres sortit de sa stupeur à l'aide d'un mouvement de tête, un geste physique pour le ramener les pieds sur terre. La demande de l'inconnue semblait assez pressée tout en restant vague. Il y avait clairement quelque chose d'incommodant dans la situation de la jeune dame, alors Ashar ne pouvait pas se permettre de la faire attendre plus longtemps. Son visage se détendit légèrement, action qui se voulait rassurante et accueillante.

« Eh bien, il semblerait que ce soit ma personne que vous recherchiez. Permettez-moi de me présenter officiellement, même si vous me connaissez déjà de nom. Je suis effectivement Ardashnir Artreos, historien de Sakai et tuteur à mes heures perdues. Vous arrivez quelques minutes après la fin de mon dernier cours, à vrai dire. »

Ardashnir se détourna un instant du regard de la belle pour se rappeler ce qu'il était en train de faire avant que la jeune blonde ne débarque dans la pièce. Bien sûr, sa sacoche était grande ouverte et dérangée. Il avait été interrompu au pire moment, constatation qui fit tressaillir une fraction de seconde son sourire. L'historien se repositionna alors pour fixer l'arrivante droit dans les yeux, son ton légèrement désolé.

« Veuillez excuser le désordre, j'étais justement en train de plier bagage lorsque vous êtes arrivée inopinément. Mais je serai ravi de répondre à vos interrogations, dans la limite de mes connaissances, évidemment. »

C'était vrai. Sur son bureau était éparpillés plusieurs feuilles et quelques livres, ainsi que le petit Afelan qui avait cessé toute activité passagère pour se concentrer sur la nouvelle arrivante. Non pas que l'état du meuble devait être d'une importance capitale pour l'inconnue, mais Ardashnir était ainsi fait, voyant l'inexcusable là où il n'y avait pas lieu d'être. Un comportement de gentleman qui avait pourtant ses revers. Trop concentré qu'il est sur ses formules de politesse et ses tournures de phrases, le Sakaien en oublie souvent l'élémentaire règle de bienséance. Plus d'une personne a déjà été embarrassé au-delà du raisonnable avec son honnêteté mal calculée, un comble pour quelqu'un se revendiquant entièrement hermétique aux effets du charme et de la séduction en général. Il n'y avait qu'à espérer qu'il ne glisse pas hors de son allure de dandy encore une fois. La première impression que l'ancien professeur renvoyait à bon nombre de personnes était bien souvent mauvaise.

Artreos doutait que la jeune femme ne se soit déplacée dans l'optique d'intégrer son programme d'instruction. Selon ses paroles, elle avait l'air d'avoir davantage besoin de sa facette d'érudit plutôt que celle d'enseignant, ce que ne le gênait nullement. Il était même un peu surpris, agréablement parlant, de ne pas déceler une seule once d'hostilité ou de méfiance chez elle. Si l'inconnue n'avait réellement jamais entendu parler de son nom auparavant, c'était bien la preuve qu'elle n'était pas tellement versée dans le monde de l'érudition, ce qui mettait le Sakaien bien plus en confiance. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu le loisir de discuter avec un citoyen ordinaire, et la perspective l'attirait bien plus qu'elle ne l'aurait dû. Peut-être que sa constante solitude était en train de le rattraper et-

Non, pas le temps de penser à cela.

Artreos repassa derrière son bureau pour terminer de ranger ses affaires, remarquant par ailleurs que le silence s'étirerait inutilement dans la pièce tant qu'il n'aurait pas clairement manifesté son consentement immédiat. Comme il en aurait pour quelques minutes, autant signaler à la demoiselle qu'il était prêt à l'écouter. Son Statitik en profita pour grimper le long d'un de ses bras pour se cramponner nonchalamment sur son épaule, ce qui ne dérangea nullement le cours des pensées de son maître.

« Je vous prie, je suis tout disposé à l'étude de vos questions. N'hésitez pas à me solliciter, je n'en ai que pour un instant de regrouper mon paquetage. »

Il commença alors son travail manuel après avoir fait une courte pause, le temps que sa voix descende d'un octave, comme s'il parlait davantage à lui-même qu'à son interlocutrice.

« Pardonnez-moi de ne pas pouvoir vous entretenir face-à-face, j'ai conscience de l'irrespect que cela peut vous procurer. Malheureusement, il est m'est demandé de quitter le lieu le plus vite possible, et j'ai bien peur d'avoir déjà empiété sur l'échéance. Je ferai de mon mieux pour vous éclairer dans le temps qu'il nous est escompté. Je suis prêt à vous entendre. »

C'était bien le genre de Ashar de tourner en rond dans ses paroles, ou de parler excessivement pour ne rien dire de pertinent. Lui qui voulait faire gagner du temps à la jeune femme, c'était tout l'inverse qu'il avait produit sans s'en rendre compte. A voir à présent ce que cela allait engendrer dans la suite de la discussion.

Afelan avait pris le bon réflexe de se cacher dans la capuche de l'érudit à chaque fois qu'il devait sortir dans l'espace public de la bibliothèque. Les Pokémon étaient, après tout, interdits dans l'enceinte interne du bâtiment, de peur d'abîmer les milliers d'ouvrages et rayons qui parcouraient de long en large l'espace. Ardashnir écouta attentivement la voix de l'inconnue, qui se présenta presque immédiatement. La jeune femme semblait satisfaite, et pourtant avide de réponses ! Elle aussi tourna un peu dans sa manière de s'exprimer, un peu comme l'historien l'avait auparavant, ce qui lui arracha un petit sourire. Il avait terminé de préparer sa mallette lorsque Trixie lui parla de ses projets d'Ingénieur, ce qui surprit honnêtement l'ancien professeur. Non pas que la demoiselle n'avait pas le profil pour, évidemment… A vrai dire, Ashar avait à peine posé son regard sur elle qu'il s'était empressé de ranger ses affaires ! C'est juste que… l'ingénierie ? Ce n'était pas vraiment son domaine de prédilection. Non, lui c'était plus les bons gros bouquins vieillots.

Pourtant, la jeune Sunstorm disait qu'elle avait entendu parler de son nom. Quelqu'un l'aurait-il roulée dans la farine en prétendant qu'il s'y connaissait là-dedans ? Certes, il fallait un esprit affûté quand on rêvait de se métier. La partie théorique était aussi importante que l'aspect pratique. Réflexion et habilité manuelle. Un Ingénieure devait combiner bon nombre de qualités, autant sur le plan de l'esprit que du corps. Et si Artreos était rodé en ce qui concernait l'élaboration de plan, les calculs et ce genre de choses, il ne pouvait pas en dire autant pour ses connaissances, err disons, mécaniques. L'usage des outils, la propriété des composants, l'agencement des éléments, le maniement de l'espace et autre encore. Un Ingénieur participait tout autant à la création de quelque chose pour le plan initial jusqu'à la confection du prototype. La personne devait être consciencieuse, minutieuse et assumer une position multi-tâches. Trixie était-elle vraiment consciente de ce que tout cela impliquait ? Si oui, pourquoi avait-elle tant voulu à le trouver ? L'historien ne se voyait pas vraiment comme étant l'homme de la situation.

Pour autant, sa curiosité était piqué par cette jeune femme débarquant de nul part. D'elle se dégageait une volonté de bien faire et une assiduité certaine. En tout cas, Sunstorm semblait déterminée à tenter l'aventure, même si le Sakaien n'avait aucune idée de ce que cela pourrait donner. Il avait envie de croire en elle. Bien qu'ils s'étaient à peine rencontrés, le noiraud pressentait qu'il apprécierait de passer du temps avec la demoiselle. L'érudit ne savait pas jusqu'où il pourrait lui être réellement utile, mais qu'est-ce qu'il avait à perdre ? D'autant plus que sortir de sa zone de confort de temps en temps n'était pas un mal en soi, cela lui ouvrirait de nouvelles perspectives. Bien sûr qu'il ne s'était jamais intéressé à cette discipline, surtout qu'il n'en voyait pas l'utilité première à Enogen. Mais son avis n'avait rien à voir là-dedans. Si Trixie acceptait de recevoir des conseils de quelqu'un d'aussi inexpérimenté (voire plus) qu'elle, qui était-il pour refuser l'invitation ? Ashar adorait enseigner, malgré l'infortuné événement qui avait mis fin à sa carrière trop tôt. Répandre le savoir et la vérité, voilà ce en quoi il avait et continuera de toujours lutter !

« Il n'y aucun mal, chère Trixie. Vous ne pouviez pas savoir que je devais rendre cette salle au plus vite. Je dirai même que c'est votre enthousiasme qui a scellé cette rencontre. Quelques minutes plus tard, et nous ne nous serions même pas rencontrés ! »

L'historien se mit à rire doucement. Avec son Statitik bien camouflé, il saisit la poignée de sa sacoche pour se placer devant le bureau, un air ouvert et accueillant sur le visage.

« Je serai plus que ravi de répondre à vos attentes, si vous me le permettez. C'est toujours un plaisir pour moi que de rencontrer de jeunes esprits aussi avares de connaissances ! Néanmoins, je dois vous prévenir que je ne suis peut-être pas le plus qualifié pour ce poste. L'étude littéraire ou de récits antiques correspond davantage à ma tasse de thé, je le crains. Mais le défi ne me fait pas peur. Dites-moi exactement ce que vous recherchez à approfondir, et j'essaierai de vous épauler au mieux. Si c'est toujours ce que vous souhaitez, bien sûr. »

Ardashnir avait essayé de faire concis, inutile de s'étaler dans un endroit pareil. Le jeune homme pouvait déjà imaginer la pénible voix de la bibliothécaire le priant pas si gentiment que cela de quitter la pièce, sans oublier de l'avertir de ne plus retenir de personne (même quand ce n'était pas de sa faute). Eh bien, ils n'avaient qu'à continuer dans le couloir, après tout ?

« Pensez-vous que nous pourrions poursuivre cette discussion sur le chemin ? Je comprendrai parfaitement si d'autres impératifs requièrent votre présence au plus vite. Dans le cas contraire, j'ai du temps libre devant moi, alors il nous est tout à fait possible de nous installer plus confortablement ailleurs. L'espace d'étude de la bibliothèque, en outre. Mais je reste ouvert à vos suggestions. »

Tss tss tss, Trixie n'avait même pas encore accepté son aide. Encore une fois, l'historien allait soit trop vite en besogne, soit pas assez. Se raclant la gorge d'embarras, le corbeau invita d'un geste de la main la demoiselle à quitter l'endroit.

« Pardonnez-moi. Je ne connais même pas encore votre décision finale que je planifie déjà la suite de notre rencontre, ah ah… »

Pas très flatteuse, cette justification maladroite… En espérant que Trixie ne commençait pas à le prendre pour un rigolo.