Ces derniers temps ne furent pas de tout repos. J’eus à peine le temps  de mener à bien une mission d’une importance capitale en mer que j’eus tôt fait d’avoir du pain sur la planche. Les missions s’enchaînaient pour mon équipe et moi. Je pouvais, en chaque instant, sentir la nervosité de mes amis Pokémon. Duma était le premier à réagir avec violence ; rien de plus naturel, son espèce ne lui facilite pas la tâche.

La paix ne vient pas. Tout simplement. Il y a toujours des conflits et autres escarmouches. Les tensions entre les pays grandissent et je ne peux rien y faire. Je contemple, impuissant, les ravages de la bêtise humaine. Je n’ai aucun intérêt pour la politique, si ce n’est lorsqu’il faut défendre les faibles et les Pokémon.

Et puis… Il y a ces catastrophes qui, sans relâche, nous attaquent et assaillent ce semblant de tranquillité que beaucoup recherchent. Kuni a essuyé avec courage cette fameuse tempête qui a secoué la terre et la mer. Je pensais que cela ne pourrait pas être pire. J’avais tort. Des incendies meurtriers et puissants se déclenchent dans toutes les régions. Ekoe est devenue la proie des flammes sans aucun avertissement.

Bien sûr, j’ai compris qu’il se tramait quelque chose de louche… Les supérieurs n’en lâchent pas un mot, mais ce n’est pas normal. Ce n’est pas naturel. Des forces de la nature qui se réveillent l’une après l’autre et qui disparaissent sans qu’on sache comment… ? Je suis un garçon bien naïf, mais je ne suis pas si dupe.

En tout cas, ce n’est pas de mon ressort pour le moment. J’ai continué à effectuer les missions avec minutie. Maintenant, on parle beaucoup des feux et de leur ravage. Il y en a partout et c’est pourquoi, aujourd’hui, je suis en patrouille. Repérer les foyers brûlants est la priorité. Mais ce n’est pas seulement ce que l’on me demande de faire…

Sakai. C’est à contrecœur que je me dois de surveiller leurs faits et gestes. Nos relations, déjà bien frêles, sont parties en fumée lorsque les incendies ont éclatés. Je sais que des soldats s’infiltrent de part et d’autre. Je trouve ces comportements lâches et dangereux. Toutefois, ce n’est pas à Artemis, le jeune cavalier, d’apprendre la modestie et la confiance en autrui aux grands de ce monde.

Surtout lorsque je constate un problème à l’horizon. Je plisse les yeux dans l’espoir de mieux voir. C’est une colonne de fumée noire qui accueille ma vue et j’aurais préféré qu’elle n’existe pas. Je m’approche sur le dos de mon Ptéra la peur au ventre.

Sur les lieux, je suis mortifié par l’ampleur des dégâts. Je suis arrivé trop tard. De toute évidence, le village était condamné à l’instant même où la première gerbe de ce feu tueur a jailli. Un incendie en pleine nuit est la pire chose qui puisse arriver. Personne ne se rend compte que l’élément ardent prend contrôle de la situation… Personne ne se rend compte de l’odeur de calcination… Jusqu’à ce que le point de non-retour soit atteint.

Cet endroit est isolé, à la frontière de Kuni. Je ne sais pas s’il y avait des soldats. Normalement, cela aurait dû être le cas mais j’imagine qu’on ne peut pas être partout. Vénovos est peut-être plus importante pour l’espionnage et les magouilles…

Amer, j’avance parmi les décombres dont la fumée, moqueuse, s’échappe. Il ne reste plus que des traces de la vie qui régnait ici. Aucun bruit ne vient perturber le silence. C’est le néant qui sera mon compagnon pour un moment. Même Duma est silencieux ; il préfère rester à sa place.

Je m’approche d’une maison dont les cendres sont encore chaudes. Je ne distingue rien que je puisse identifier avec certitude. Un bout de bois ici, une pierre là… Aucun corps, mais je sais qu’ils sont encore là, bien sûr. Des corps mêlés aux cendres des objets, comme s’ils n’avaient pas plus d’importance que cela…

Affligeante tristesse. Dire que si nos dirigeants n’étaient pas trop occupés à se faire des querelles, cela aurait pu être évité. Pourquoi ? Pourquoi n’y avait-il pas un seul chevalier ici ? Un soldat, quelqu’un de ronde qui puisse réveiller les villageois dès la première lueur du feu.

… Mes lamentations devront attendre. Dans mon dos, je sens une présence. Mon Ptéra a vu : il grogne en direction des inconnus. Je me retourne, sans émotion, pour découvrir des hommes en armures. Les voilà, ces fameux soldats. En retard, mais ils trouveront bien de quoi rejeter la faute sur quelqu’un comme moi.

« Toi là ! Le kuniois… Qu’est-ce que tu fiches ici ? T’es au courant d’être à Sakai ?!

-Je suis au courant… C’est la fumée qui m’a attiré, c’est mon devoir d’intervenir quand je vois ce genre de phénomène.

-Ouais… C’est ce que tu dis. Mais tu peux m’expliquer pourquoi t’es le seul vivant ici ? Hein, dans un village sakaien ?

-Vous faites fausse piste, je ne suis pas…

-Silence ! »

La discussion coupe court on dirait. Je suis innocent, simple témoin d’une atrocité sans nom, et je n’ai pas le droit de me défendre. Je sais la tension qui règne entre nos deux pays. Je sais que les habitants de Sakai ont les épaules lourdes d’accusations en tout genre. Cela dit, je ne respecte pas ce genre de comportement… Je suis là pour aider, même si ce n’est qu’un minimum et la mémoire des victimes doit être honorée. Elle ne doit pas être bafouée par quelques suspicions mal placées…

« Regarde si tu trouves des survivants. Ce n’est pas possible, cet incendie… Vous, les kuniois, êtes vraiment des monstres ! »

J’écoute sans broncher. Je ne peux rien répondre à cela qui n’attise pas le feu de la haine. Le silence est souvent la meilleure des solutions. J’ai pris en assurance depuis quelques temps, grâce à mes Pokémon, mon père et mon entourage. Toutefois je suis encore loin d’être un jeune cavalier fougueux et téméraire. C’est Maman qui serait fière.

Peu de temps après, le soldat revient bredouille. Il baisse les bras et la tête en signe de désespoir. « Il ne reste rien, rien ni personne » dit-il à son confrère. L’autre écoute tout en soutenant mon regard. Je peux sentir sa détermination vaciller l’espace d’un instant. De la colère renouvelée pointe dans ses yeux sombres. Il s’apprête à m’assommer de mots une nouvelle fois lorsque des battements d’ailes et des cliquetis d’armure se font entendre.

Deux personnes s’approchent. Une aura spéciale se dégage des deux hommes. J’essaie de ne pas me laisser décontenancer, mais je sais que ces deux-là font partie de l’armée de Sakai. Ils sont salués par mes agresseurs. Artemis, tu t’es fourré dans un beau pétrin.

Le plus menaçant des deux hommes m’adresse la parole avant qu’un autre ne le fasse. Sa crinière est noire comme la plus noire des nuits.

« Mon nom est Artemis Fendragon. Je suis un chevalier de Kuni. Je regrette, mais je ne suis pas un témoin de cette atrocité. Je suis arrivé peu avant vos collègues et vous-même. »

Je lui réponds avec politesse, tout en ne me laissant pas impressionné par leur présence. Ils sont plus nombreux, plus grands et plus robustes. Mais je ne dois pas baisser la tête et tourner les talons. Kuni, ma patrie, compte sur moi.

« Je tentais d’expliquer cela aux soldats, mais je peux comprendre qu’on me soupçonne. Si vous me le permettez et si je le peux, je serais ravi de répondre à d’autres de vos questions. En revanche… Il me semble correct et nécessaire de rendre hommage aux villageois. Si je peux vous aider pour quoi que ce soit, vous pouvez compter sur moi. Pas en tant que chevalier de Kuni, mais en tant qu’être humain. »

Je tente de ne faire preuve d’aucune arrogance. Je suis le plus sérieux du monde. Ces pauvres femmes, enfants et hommes méritent qu’on s’occupe de leurs mémoires. Ils méritent qu’on fasse autre chose que la guerre sur leur tombeau forcé.

Si Sakai n’est pas prête à entendre cela, je ne peux rien pour eux. Je tâcherai de m’enfuir pendant que cela est encore possible.

Solo

Mon but est de paraître le plus détendu possible, tout en n’ayant pas l’air d’être là sans aucune raison. Je ne veux pas donner raison aux habitants de Sakai avec une vision imparfaite d’un soldat de Kuni. Il est de mon devoir, en tout instant, de représenter ma patrie avec honneur mais sans arrogante fierté.

Je sais que je ne fais pas l’unanimité en ces terres meurtries alors je dois faire de mon mieux. Je ne regarde que celui qui daigne s’aventurer au-delà de mon allégeance. Cet homme-là inspire le respect. Je me trompe peut-être, mais il doit être important pour l’armée de nos voisins. Après tout, les autres se sont tus en le voyant.

Les présentations ne tardent pas à tomber, en réponse à la mienne. Corvus de la maison d’Eddar… Un noble dans ce cas ? C’est probable. De toute façon, je n’y accorde pas vraiment d’importance, je dois l’avouer. Les rangs sociaux ne me concerne que peu… L’important est de respecter ses supérieurs, qu’ils soient de sang noble ou ici des fermes. J’ai moi-même prouvé que l’on pouvait gravir les échelons sans être né avec une cuillère en argent dans la bouche, contrairement à ce que l’on voulait me faire croire.

Je me contente donc d’un hochement de tête classique et respectueux. Je sens ensuite mon corps se tendre davantage lorsqu’il me demande de me désarmer. Pourtant, il n’a pas tort. Si je veux prouver mon innocence ou, au moins, faire baisser la tension qui règne, je n’ai pas le choix. Sous le regard inquiet de Duma, je décroche le fourreau de mon épée puis attrape dans l’autre main mon arc favori.

Tandis que les morts peuvent attendre, je m’approche avec précaution de Corvus. Je ne soutiens pas son regard mais je garde la tête haute, ce n’est pas le moment de m’avouer totalement à leur merci. Je dépose délicatement mes armes à un mètre du chevalier noir avant de me retirer toujours dans le silence le plus complet. Je ne peux pas m’empêcher de serrer les mâchoires en le voyant récupérer mes biens de cavalier. Cette épée n’est pas la mienne, elle fait partie de l’attirail de Kuni. En revanche, cet arc est de ma propre facture. Je l’ai façonné avec amour et minutie. Papa a ensuite pris le soin d’y apporter des retouches, lui qui travaille le bois avec tant d’aisance.

Cela eu tout de même le mérite de me laver un peu des soupçons dont on m’accable. Les soldats se dispersent, y compris celui qui est venu sur le dos d’un Ptéra. Je crois d’ailleurs que c’est une femelle vu sa carrure. Je n’ai pas vu beaucoup de ces Pokémon de pierre dans ma vie, mais on m’a raconté plusieurs choses à propos des Ptéra. Duma fait toujours forte impression, alors les gens ont souvent envie de m’en parler. Enfin, pour ceux qui ne prennent pas peur, bien sûr.

En tout cas, me voilà seul avec le chevalier noir. J’ai alors le droit à un changement de personne ce qui, je l’avoue, n’est pas pour me déplaire. Je peux enfin me détendre un peu. Ses déclarations me font hausser un sourcil un bref instant. Corvus a lui aussi des doutes quant à l’origine de ses massacres enflammés. Je souffle un petit soupir de soulagement avant de me reprendre.

« Merci, Sieur Eddar. Je ne vais pas essayer de vous convaincre quant à l’innocence de ma partie, mais je suis soulagé d’apprendre que vous faites confiance à notre Chef. Je sais aussi que j’étais imprudent de venir ici, mais que voulez-vous faire d’autre en voyant une colonne de fumée noire qui monte dans le ciel comme un funeste présage ? J’ai eu le maigre espoir de trouver des survivants… »

Ce goût d’amertume ne me quitte pas. Je baisse la tête un instant et je tombe sur des cendres encore chaudes partout où je regarde. C’est la mort qui nous entoure et qui nous sert dans ses bras glacés.

« N’ayez crainte. Je sais être aussi discret qu’un Cheniti. » dis-je le plus innocemment du monde.

Cette comparaison n’est peut-être pas en ma faveur, je ne sais pas. Je trouve les Cheniti très bien, mais pour beaucoup ils sont de simples insectes qui se cachent. Enfin, ce n’est pas très important.

C’est la suite du message de Corvus qui est plus intéressante. Il sait ce que je peux ressentir. Comment ? Je n’en suis pas certain, c’est sûrement son don à lui. Je choisis de ne pas le questionner davantage là-dessus. C’aurait été avec plaisir dans d’autre circonstance, mais pas maintenant. Encore une fois, j’hoche la tête en accord avec les paroles de mon interlocuteur. Pas de guerre, nous sommes d’accord.

C’est ensuite que nous progressons dans les restes du village. Partout est la désolation. Où que je regarde, il n’y a que du noir, des cendres et de la fumée. Même l’odeur n’est pas anodine. Il fait chaud, s’en est presque étouffant. Il n’y a bien que l’Airmure du chevalier sakaien pour farfouiller et briser le silence. Je suis plutôt surpris du calme de mon compagnon ailé. Ce Corvus l’intrigue beaucoup, c’est peut-être pour cela.

C’est finalement d’autres questions qui mettent définitivement un terme à notre marche. Je lève la tête vers Sieur Eddar.

« Nous avons de la chance d’avoir beaucoup d’experts en Pokémon Eau et des pêcheurs car nous avons eu plusieurs incendies déjà, comme vous vous en doutez. J’espère que les autres contrées ne souffrent pas de trop… Je pense surtout à Mido dont les forêts sont immenses, je n’ose même pas imaginer ce que… Oh ! Pardon, je m’égare. »

C’est plus fort que moi. Je pense toujours aux autres, même en temps de conflit. Que ce soit Mido, Sakai ou Ran, je m’inquiète tout autant que pour Kuni. Nous avons de l’eau à proximité et, comme je l’ai dit, des hommes et des femmes avec des connaissances en termes d’eau, ce qui nous donne un avantage. C’est presque coupable que je me sens de réaliser cela.

« Nous avons eu quelques survivants à chaque feu… Mais il y a toujours des victimes. Toujours vous dis-je. Ce n’est pas normal, les feux accidentels ne sont pas si meurtriers dans la majorité des cas. Et puis, qui aurait bénéfice à brûler Ekoe tout entière ? »

Tout cela n’a pas de sens. Je questionne Sieur Eddar sans même m’en rendre compte. Je devrais tenir ma langue. Cependant, il y a quelque chose en lui qui me met en confiance. Une certaine familiarité que je ne saurais expliquer. Peut-être est-ce parce qu’il a passé du temps à Vénovos ? C’est un peu idiot dit comme cela, mais bon.

« Désolé, je parle trop. Souhaitez-vous mon assistance pour autre chose ? »

Puisque je suis là, autant aider jusqu’au bout. Je rêve de rendre hommage aux victimes avant de disparaître par les airs, cela dit, je ne peux pas laisser Sakai essuyer un tel désastre sans aide. Beaucoup aurait fait demi-tour quand moi, je me jette dans la gueule du Lougaroc sans me poser de question.

Solo