Traversant la salle principale qui composait la taverne, Corvus profita de ces derniers instants hors du temps … bientôt, sans doute, les gens parleraient à sa suite, ou peut-être pas. N’était-ce pas déjà le cas un peu ? Si, quand même, aussi cela ne changerait pas grand-chose finalement. Le sakaien avait bon espoir de rejoindre sa chambre lorsque, presque soudainement, l’aubergiste l’interpella avant qu’il n’atteigne les escaliers. Derrière son bar, Norbert essuyait machinalement une chope au verre épais. Qu’est-ce qui le rendait si matinal, Corvus n’avait pas la moindre idée.

« — Oh, Lord Eddaryon … Corvus … je » L’homme semblait chercher ses mots « Je ne sais pas vraiment comment vous dire ça. Vous n’êtes pas rentré hier soir et dans la soirée … nous avons entendu du bruit dans votre chambre. Mais, genre vraiment, alors nous sommes allés voir … vraiment, désolé pour l’intrusion mais … enfin, les jumeaux sont tombés sur votre grosse boule de coton ailée et … »

Corvus avait d’abord pensé à Ronan, que le jeune homme avait renvoyé à l’auberge dans la soirée, mais la suite n’avait pas manqué de le surprendre.

« — Ma quoi ? » le coupa le sakaien, qui n’était pas certain d’avoir bien compris.

« — Votre euh … je ne sais plus comment Théséa a appelé cela. Un Peluv… Contonn… Doduv… » chercha désespérément l’aubergiste. Derrière-lui, une voix féminine s’éleva finalement.

« — Doudouvet » déclara-t-elle. C’était Théséa, qui entendant son mari parler était sortis de l’arrière cuisine « Un Doudouvet. Si je ne l’avais pas vu déambuler dans votre chambre de mes propres yeux, je n’aurais jamais cru qu’il vous appartenait, Lord Eddaryon » affirma Théséa.

« — Je n’ai pas de… » entama Corvus, mais il interrompit sa phrase avant de l’achever.

Non, d’aussi loin qu’il s’en souvenait Corvus n’avait pas de Doudouvet. Mais il avait rapporté de Sakai un œuf en provenance du Bois des Croisements, dont l’interminable incubation avait manqué de lui faire oublier l’existence. Le soldat fronça les sourcils … un Doudouvet, vraiment ? Corvus devait l’avouer, le sakaien avait tout de même espérer quelque chose d’un peu moins … inutile. Si Teion n’avait pas manqué de le prévenir sur la nature de la chose qui risquait de sortir de l’œuf, une pointe de déception gagna pourtant son cœur. Une boule de coton, vraiment ? Mais qu’est-ce qu’il allait faire d’une boule de coton ?

« — Vous devriez venir voir par vous-même. Les enfants ne le lâche plus maintenant » raconta la tenancière, vraisemblablement amusée par l’idée.

Norbert ne semblait pas partager son amusement. Davantage gêné à l’idée de voir ses enfants s’approprier le pokémon du sakaien, le silence de Corvus ne l’aidait pas à relativiser la situation. D’un signe de tête, Théséa invita le cavalier à la suivre dans l’arrière cuisine et le soldat hésita un instant. Corvus était méfiant, mais l’idée de faire irruption dans cette partie de l’auberge habituellement réservée au couple le mettait dans une situation délicate et quelque peu étrange. Et si c’était un piège ? Et si, derrière ces murs, l’attendaient un millier de lames ? Tu seras trahi par trois fois, et sauvé par trois fois lui avait dit la voyante. Corvus refusait d’y porter intérêt, pourtant ces maudites paroles lui revenaient toujours, sans cesse. Un peu suspicieux, le sakaien jeta un regard en direction de l’aubergiste, qui essuyait toujours nerveusement sa choppe. Pourquoi était-il nerveux exactement ? Sa femme avait l’air plus sereine … des cris d’enfants en provenance de l’autre pièce attirèrent l’attention du soldat, qui manqua de sursauter. Y avait-il vraiment des enfants derrière cette porte, ou était-ce une illusion savamment montée ? Il n’y avait qu’une seule façon de le savoir et lorsque Corvus dépassa finalement le bar pour suivre Théséa, le sentiment de se jeter dans la gueule du loup l’envahit un instant.

Ils traversèrent l’arrière cuisine qui donnait sur une autre pièce, et lorsque le sakaien découvrit la salle et que ses yeux se posèrent sur les deux enfants installés en son cœur, le jeune homme se sentit respirer … pas de trahison pour cette fois-ci, de toute évidence. Entre les deux bambins d’à peine six ans se tenait un petit pokémon cotonneux, qui se servait de ses feuilles en guise d’oreilles pour voleter autour des enfants, qui se faisaient un jeu de l’attraper pour mieux le relancer dans les airs. Le spectacle arracha un sourire un peu étrange au sakaien, à mi-chemin entre l’amusement et la perplexité. Les pirouettes que faisait le Doudouvet faisaient éclater de rire les garçons.

« — Je ne sais pas quel est son nom, mais les enfants l’appellent Lancelot » déclara la tenancière, qui ne se lassait pas de les observer.

En entendant sa voix, les enfants tournèrent leur regard vers elle et le Doudouvet se précipita à leur rencontre. Il plana doucement en direction de Corvus, battant de temps en temps des ailes pour se donner de la hauteur. Portant un intérêt particulier au sakaien, le petit pokémon tourna un instant autour de lui, comme pour l’observer. La créature se souvenait-elle de lui ? Avait-elle eu conscience de sa présence, à l’abri dans son œuf ? Le jeune homme n’aurait su le dire, mais sans doute y avait-il un peu de cela car le Doudouvet n’avait que faire de Théséa : toute son attention était portée vers Corvus et lui seul. Le cotonneux pokémon virevoltait autour du cavalier, heureux de faire sa rencontre.

« — J’avais avec moi un œuf en provenance de Sakai lorsque je suis arrivé ici. J’ignorais qu’il en sortirait une chose pareille » raconta Corvus en guise d’explication.

Le cavalier tendit une main vers le bébé pokémon, qui se lova sans attendre dans la paume de sa main. Il était si minuscule qu’il y tenait aisément : seul ses oreilles vertes dépassaient de part et d’autre. Le soldat l’avisa un instant, toujours hanté par cette même question : mais qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir faire de ça exactement ? Corvus connaissait trop peu cette espèce pour imaginer la forme que cette chose pouvait prendre en grandissant. Presque soudainement, le Doudouvet éternua et son souffle l’envoya dans les airs. Il se laissa porter par le mouvement, pour finalement retourner auprès des jumeaux, qui l’accueillirent à grands cris. Du coin de l’œil, Corvus aperçut le Matoufeu apparaître l’air de rien et observer la scène de ses grands yeux jaunes.

« — Vous devriez le garder pour l’instant » proposa finalement le cavalier « Le chantier n’est pas un endroit pour un bébé pokémon et … de toute évidence, vos enfants semblent l’apprécier. J’aurai de la peine de leur retirer leur nouvelle attraction » affirma-t-il, un sourire léger sur le coin des lèvres.

« — Vous êtes généreux, Lord Eddaryon. N’ayez crainte : ce sont des enfants, ils se lasseront vite et vous pourrez récupérer votre pokémon » répondit Théséa.

Corvus acquiesça et posa un dernier regard sur le Doudouvet. Lancelot, le Chevalier de Coton … les enfants avaient cette particularité-là, celle d’avoir une imagination défiante toute concurrence. A quel moment les jumeaux avaient-ils vu en lui un chevalier servant ? Corvus ne le saurait sans doute jamais. Pour l’heure, une nouvelle journée l’attendait à Venovos … la nation bleue avait-elle enfin dévoilée toutes ses surprises ? Rien n’était moins sûr.