Plus l'ombre d'un flocon. Tout avait fondu, le beige et le brun s'étaient à nouveau emparés du biome.

Je peinais à comprendre de quelle énergie étaite fait ce canyon. Était-il aussi capricieux que je me le figurais, ou bien le caprice était-il provenu d'une espèce domestique capable de déchaîner un ouragan de glace sans préavis? C'était l'hypothèse de Dessie, l'intrépide petite pêcheuse avec laquelle je m'étais retrouvé confiné dans les profondeurs des escarpements quelques jours plus tôt, à l'occasion de ce même déluge. Cela eût expliqué bien des choses, mais je n'avais pas assez éprouvé la zone pour me prononcer sur la question.

De retour de la Serpentine, mon Tropius et moi survolions désormais le Canyon en sens inverse, tout droit vers Mido. Les falaises étaient en vue, et Palo allait devoir exploiter les courants thermiques s'il espérait pouvoir se hisser en haut du plateau. Comme il s'était déjà fatigué et que le soleil de plomb n'était pas au bout de sa course, nous nous arrêtâmes au pied de la montagne. J'offris à Palo un peu d'eau trouble de la Serpentine, et des morceaux de baie Grena. Pas ses préférées, et pour cause! Toutes les Nanabs étaient parties dans le dessert de Mayan l'autre jour, sans que je puisse les goûter. J'étais volontairement parti avant d'en profiter, mais en vérité cela faisait des jours que j'étais bercé par souvenir de l'odeur. Bien fait pour moi.

Palo s'assoupit un moment, à l'ombre d'un menhir vaste deux fois comme lui. Il était rincé.

- On est pas rentrés. Je vais peut-être remonter à pied finalement, ça te fera des vacances... et moi un peu d'exercice, fis-je en levant le nez vers les hauteurs vertigineuses qui m'attendaient.

Sans le tirer de son sommeil, je rappelai Palo dans son compartiment. J'étais à présent seul, nu face aux montagnes et sa faune imprévisible. Pour autant, l'angoisse de l'inconnu était derrière moi. Entre temps, un Noadkoko s'était déployé, et Feuille s'était ressourcée. Salamèche ou non, je n'avais rien à craindre.

J'eus à peine le temps de trouver un chemin ascendant qu'une famille de silhouettes relativement familières se dessina près de la paroi. J'attendis qu'ils furent à portée de parole pour être sûr de bien savoir à qui j'avais affaire.

- On passe notre temps à se croiser, Dessie-dément.

Celle-là on ne lui avait jamais faite, pas le moindre doute là-dessus.
Je saluai toute la colonie de petits êtres multicolores et turbulents. Pour des raisons qui ne me regardaient probablement pas, Sra la fougueuse n'était pas des leurs.

- J'espère qu'on ne finira pas coincé quelque part cette fois-ci. La pêche a été bonne depuis les Nanab flambées?

Question absurde, il n'y avait pas d'eau ni de poisson à des kilomètres. Peut-être était-ce oublier que j'avais devant moi une personne capable d'attraper une Sonistrelle en plein vol avec un hameçon.

Un Scorplane? En voilà une idée. Enfin, chacun son projet, je n'étais pas en position de juger.

- Tu as manqué Tropius de quelques minutes, il recharge. Et pas de forêt non plus, j'y retourne mais je prends un rallongis. D'une certaine façon je fais le mur aussi, un très très gros mur, insistai-je en indiquant la falaise. J'étais vraiment très en forme ce soir.

Je la félicitai pour son bateau. Je n'étais pas sûr de vouloir savoir comment elle se l'était payée, ni ce qu'elle était en train de fuir en s'en éloignant. Quant à partager un repas...

- OK, mais il va falloir se farcir la montée ensuite, donc léger. Enfin, sauf si tu as un reste de Nanabs de la dernière fois à partager évidemment, ajoutai-je l'air de rien avec une fausse innocence qui n'aurait pas trompé un enfant.

J'étalai de gros morceaux de baie Myrte que je tranchai finement avec de petits coups de serpes. Les habitants sauvages du Canyon semblaient avoir sorti les Taikos; le vacarme allait croissant, mais nous faisions mine de rien.

- Je ne suis pas sûr d'avoir bien suivi où tu allais. Si tu vis vraiment de la pêche, je comprends que tu prennes des vacances au large du large, mais pourquoi chasser du Scorplane? La viande doit être coriace, et je ne suis pas sûr que sa carapace se vende si cher que ça, y compris sur ce foutu marché noir. Je suis toujours étonné par l'inventivité des braconniers pour complètement passer à côté du prix réel des choses.

Peut-être venais-je de l'insulter indirectement. Après tout, rien ne m'indiquait que Dessie n'était pas braconnière elle-même, mais très honnêtement je n'aurais pas misé mes baies Enigma là-dessus. Il suffisait de voir comment elle avait cueilli et accueilli la Sonistrelle l'autre jour.

En mordant dans un morceau de fruit juteux, je remarquai avec agacement que la volaille locale se joignait au boucan. Ma patience s'érodait lentement, sûrement.

- Tropius et moi on s'est rencontrés à Mido en Septembre, dans la forêt que je garde. C'était pendant la tempête, et même si on était moins exposé que les marins ou les habitants de la côte, une partie du biotope s'est retrouvé à genou. L'animal n'avait plus l'ombre d'une Nanab à se mettre sous la EH MAIS VOUS ALLEZ LA FERMER OUI?

Je me levai d'un bond en décochant une flèche vers le Piafabec. Je n'avais pas la précision d'un chasseur, mais pour une raison étrange Jirachi était avec moi: le piaf termina embroché. L'idée d'aller le chercher pour le plumer et le faire rôtir pour ma camarade de fortune et moi-même me traversa l'esprit, mais je n'avais pas envie de viande. On avait dit "léger". Au moins l'Airmure cuivré était tranquille.

Ce n'était pas notre cas. L'orchestre minéral demeurait. Je libérai Til.

- Régale-toi, fonce dans le tas mon doudou, lui fis-je en lui indiquant les deux bruyants cailloux. C'est pour toi.

- SKAAAAAAAAA, jubila le Boskara en se jetant la gueule la première sur le Racaillou, absorbant les décharges électriques qu'il lui envoya à la figure.

Le tintamarre fut remplacé par les bruits de pugilat, subtilement plus violents mais ô combien moins désagréable.
J'adressai un petit signe au dénommé Krutch.

- Vas l'aider si tu veux, ça lui fera plaisir.

Je n'avais plus la moindre idée de ce que j'étais en train de raconter à Dessie. Il fallait croire que son tempérament spontané et vaporeux déteignait sur moi.

Un objet pointu braqué dans ma direction, un léger pic d'adrénaline... Il n'y avait pas à s'inquiéter, Dessie remettait seulement les pendules à l'heure. Après sa défense et la justification de sa quête de Scorplane, il n'y avait plus l'ombre d'un soupçon sur sa sensibilité à la question du respect des nombreux équilibres naturels en jeu. Peut-être même qu'en cet instant, à côté d'elle, je faisais pâle figure dans ce domaine. Ce fut encore plus clair lorsqu'elle évoqua ses sauvetages en territoire Kuniois.

- C'est respectable. Je ne peux pas me vanter d'avoir autant d'empathie pour tout ce qui bouge... j'ai tendance à remarquer qu'on en fait souvent beaucoup plus pour la faune que pour la flore. Mais même si c'est probablement une croyance que je devrais m'appliquer à déconstruire, je n'ai pas de scrupule à faire un peu de nettoyage de temps en temps. Tant qu'on ne vise pas le biocide, ce n'est jamais de la chair perdue, fis-je en indiquant du regard la gueule de Krutch encore pleine de plumes de Piafabec.

Avec l'aide de l’alligator, Boskara continuait de tourmenter le Racaillou et le Nodulithe en leur sautant dessus et en les lacérant à coup de grosses feuilles de tilleul, non sans encaisser quelques cailloux sur la carapace, ou plus rarement dans la figure. Au-dessus, je remarquai d'élégants quadrupèdes voltiger de rocs en rocs, et des dragons échouer à se faire la cour. Aucun d'entre eux ne menaçait la quiétude de notre pause, mais le Salamèche ressemblait beaucoup trop à celui que Mayan avait amadoué pour ne pas me rappeler immédiatement l'épisode de la tempête de neige, et surtout l'odeur perdue des nanabs flambées.

Je trompai ce souvenir atrocement délicieux en engouffrant une tranche de myrte, tout en écoutant Dessie d'une oreille... puis de la deuxième. Une guilde? Comme si je n'avais pas assez de paperasse à régler!

Je faillis rejeter son offre sans m'encombrer du reste de ses explications, mais je ravalai ma salive en l'entendant évoquer ses dérapages et sa peur de virer hors-la-loi. Inévitablement, cela me ramena à mes propres bavures de l'automne passé.

- Il semblerait qu'on soit nombreux à devoir se frotter à la lie d'Ekoe... J'imagine que le fait de se préoccuper de la sphère vivante nous y condamne, d'une certaine façon.

Je ne répondis volontairement pas tout de suite. Cette Dessie avait des projets et la ressource, mais il eût été périlleux de se lancer dans une telle entreprise avant de mieux connaître ses méthodes. Par ailleurs, même si j'avais beaucoup de respect pour sa fonction de "garde forestière des océans", j'avais encore du mal à voir comment combiner concrètement nos deux activités.

- J'entends que croiser nos expertises pourrait aboutir à quelque chose d'intéressant, après tout la forêt et l'océan partagent une rivière, et un paquet d'autres interfaces dont nous n'avons certainement pas idée... Cependant mes fonctions actuelles m'occupent déjà largement assez comme ça. Envisager une collaboration avec d'autres acteurs de la protection du vivant, c'est alléchant, mais il va falloir que ça se superpose parfaitement à mon quotidien tel qu'il est aujourd'hui, sinon mon efficacité en pâtira.
Il me faudrait plus de détails. Qu'est-ce que tu attends de cette guilde, à part une avalanche d'ennuis?

J'y allais volontairement à reculons, dans l'éventuel espoir de provoquer des arguments robustes. Dessie semblait déborder d'idées, je ne demandais qu'à les entendre.

Acide, mais directe. Bien envoyé, du reste. Je n'avais qu'à pas me mettre à ramper devant elle la dernière fois en voyant le lézard rappliquer.

- Tu te méprends. Ce n'est pas du feu que j'ai eu peur, mais de la vulnérabilité de mes compagnons face à lui, en particulier en milieu aride. En forêt ça m'impressionne beaucoup moins, certains arbres en ont même besoin pour se reproduire. A ce titre, depuis le Chaos je peux les entendre, et je te garantis qu'ils savent hurler de douleur autant que nous.

C'était déchirant. Le premier arbre à m'avoir murmuré quelque chose était un Sequoia géant, de ceux qui ont besoin des flammes pour disséminer leurs semences. Je m'étais refusé à l'y aider pendant plusieurs jours, et quand enfin j'avais cédé à son appel à l'aide, c'était si terrible que j'avais mis des jours à m'en remettre. L'arbre était resté digne et droit dans la fournaise, mais même en donnant la vie autour de lui c'était bel et bien une torture que je lui avais infligé.

Quant à la faune, il y avait maldonne également: je m'en souciais, elle avait un rôle à jouer dans le cycle et je m'appliquai à le prendre en compte. Les Alphas, je les gérais. Et si par malheur l'un d'entre eux avait le malheur de nuire à la forêt, le temps passé à envoyer un Bekipan pour appeler l'aide de cette fichue guilde pouvait être mis à profit pour réfléchir à un piège ou une stratégie de manière à le mettre en échec sans intervention extérieure.

Bien sûr, c'était mon expérience de la sauvagerie forestière qui parlait. Celle de Dessie avait dû se frotter à d'autres défis, je me demandais quels démons elle avait pu croiser en haute mer. Peut-être Kyogre lui-même?

Une chose était sûre: si elle ne l'avait pas rencontré, elle savait en reconnaître l'empreinte: après avoir reniflé le blizzard la dernière fois, son instinct marin avait repéré l'approche d'une nouvelle tempête. Avec un peu de mauvaise volonté, j'aurais pu me mettre à croire que les dieux de l'orage la suivaient.

Elle me proposa de me laisser porter par Metallica. "C'est quoi, Metallica? L'oiseau déguisé en Galeking?", réussis-je à garder pour moi. Voilà qu'on me maternait... il ne me restait plus qu'à assumer cette étiquette de petit roseau fragile qu'on m'avait collé.

- Je ne bouge pas d'ici, fis-je en remballant les baies encore intactes, et en fourrant dans ma bouches les morceaux déjà coupés. Ne te preffe pas tfrop, continuai-je la bouche pleine, l'orave n'a pas l'air tfrès prfrofe dve tfoutfe fafon.

Même si son instinct météorologique était digne de confiance, je ne pouvais pas ne pas la contredire. Un brusque coup de vent manqua de me déstabiliser, comme pour appuyer mon incompétence sur le sujet en milieu désertique...

Je la regardais s'envoler vers le sommet, accrochée à son oiseau de fer avec son hippocampe entre les bras et ses autres compagnons volant avec elle. Je reconnus la Sonistrelle fluo de la dernière fois, et j'avais bien remarqué l’œuf que Dessie lui avait très naturellement demandé d'aller cueillir avant de lever le camp. Son petit déj? Non... l'ordre avait été beaucoup trop précis, elle avait dû sentir quelque chose.

La nuit s'était installée, je rappelai Til dans sa Captis Ball. Alors que j'attendais seul face au vent dont la colère faisait jaillir les nuées au loin, ma réflexion stagnait. Evidemment, j'étais furieux de me faire prendre par surprise par cet endroit capricieux une nouvelle fois: en arrivant au pied de la falaise, tout paraissait calme. Madame la pêcheuse s'était illustrée en prédisant la bourrasque, mais j'aurais bien aimé l'y voir en pleine jungle. Et même si c'était justement ce qui justifiait l'éventualité d'une coalition, je ne pouvais pas me résoudre à la laisser avoir raison.

Je fus tiré de mes pensées d'un coup sec lorsque l'Airmure referma ses serres autour de mes épaules et m'emmena avec lui dans les airs. Déjà de retour? Il avait fait drôlement vite.

- Ta maîtresse m'énerve.

- MUUUUUUUUUUU, répondit l'oiseau.

- T'as raison. Il va falloir que j'arrêtes de compter les points... Elle n'est pas méchante, mais j'ai du mal à me retenir de lui rentrer dedans à chaque fois qu'elle me prend de haut, même involontairement. Sûrement un vestige de la compétition permanente avec mon frère.

- UUUU.

- Tu t'en fiches, hein?

- MU.

L'oiseau de fer s'arrêta au milieu de l'escarpement, et me lâcha sur un gros tas de bois mort qui ressemblait à s'y méprendre à un nid. Cette histoire commençait à s'entir l'eau de Gloupti.

- Pourquoi tu t'arrêtes là, on fait une pause?

- MUUU.

A bien regarder, l'Airmure était cuivré. Ce n'était pas l'oiseau de Dessie, mais celui qui avait été plus tôt la cible d'un Piafabec que j'avais abattu. Cet acte lui avait-il valu ma sympathie? Voulait-il simplement m'avaler. Les deux peut-être.
Ce nid, c'était le sien.
Il s'approcha de moi, de plus en plus dangereusement.

A moins d'atteindre son œil, lui tirer une flèche n'aurait servi à rien avec cette carapace blindée, et je n'avais de toute façon pas le temps de bander mon arc. Ni de libérer Feuille ou Tropius de sa Captis.

- Euh. A l'aide la guilde?

HRP:

Je devais donc ma vie à Krutch et son coup de queue salvateur. Il me fallut du temps pour comprendre que la bête parvenait à voltiger en projetant de l'eau sous haute pression... je n'osais pas imaginer l'ampleur des forces en jeu, compte tenu de la masse de la bête.

Je profitai de ces quelques secondes de répit pour bander mon arc en vitesse, et de dégainer une flèche. Dessie et son propre Airmure - le bon cette fois-ci - n'étaient pas loin et je n'avais plus à m'en faire, mais hors de question que je me laisse dorloter. L'oiseau cuivré parvint à déjouer les assauts du Crocrodil pour se hisser à nouveau vers son nid, mais je pus le dévier de sa trajectoire de quelques mètres en tirant ma flèche au bon endroit. Une deuxième l'atteignit dans l'aile; ce n'était pas avec mes pointes que j'arriverai à plier l'acier de cette forteresse volante - même si en l'occurrence l'armure de l'oiseau semblait être faite d'or et de cuivre moins robustes que l'acier habituel de l'espèce - , mais la force du tir l'obligea à s'écarter du nid pour le contourner.

Krutch avait rejoint sa maîtresse, mais j'avais à présent une ouverture pour invoquer ma propre escouade aérienne. Mes doigts trouvèrent naturellement les Captis de Feuille et Palo que je libérai aussitôt, et alors que je bondissais sur le dos du second, l'Insécateur n'attendit pas mon signal pour déployer sa vélocité maximale et prendre de vitesse l'Airmure cuivrer pour le feinter par derrière.

Une fois encore, c'était peine perdue: la cuirasse de l'oiseau était trop résistante. Il se débattit d'un de griffe-acier, expédiant Insécateur contre la roche avant de fondre vers moi à nouveau... avant de ralentir un peu en remarquant que je chevauchai désormais un destrier.
Palo et Feuille ne connaissaient aucun mouvement ni aucune technique qui leur donnerait l'ascendant immédiat sur l'oiseau, il était trop dur à cuire. Mais nous pouvions l'avoir à l'usure. Et pour commencer, il était urgent de calmer ses ardeurs:

- Tropius, dégueule-lui du parfum sur le bec!

Palo, d'un battement d'aile-feuille, projeta sur l'oiseau ses effluves et l'effet fut immédiat. L'Airmure avait beau avoir l'avantage du terrain, il ne pourrait plus compter sur ses réflexes pour s'en tirer. Fragilisé, il riposta avec une déferlante de type "tranche-air" qui atteignit Tropius en plein vol plané, et je dus m'enrouler totalement autour de son cou pour ne pas basculer dans le vide pendant la secousse.

Insécateur, tout en célérité, lui cracha à la figure une "onde vide" qu'il ne put pas esquiver. Airmure voulut riposter en lacérant encore une fois la mante de ses serres, mais il dut essuyer un écrasement aérien du Tropius, ce qui le projeta en contre-bas. Feuille le poursuivit et le heurta sournoisement, encaissant ses coups de becs avant de le faire plonger encore plus bas, avec une telle force que l'oiseau eut de la misère à se stabiliser.

Sa carapace commençait à s'éroder, et je brûlais d'envie de l'achever pour qu'il s'écrase au fond de la falaise. Mais il me sembla que j'avais déjà fait assez de dégâts comme ça. Peut-être même que cette confrontation était une punition naturelle pour le Piafabec de tantôt. Fini de jouer.

- ...Tornade. Pas trop fort.

Les pales du Tropius s'agitèrent alors pour créer un courant aérien suffisamment fort pour envoyer valser l'Airmure sans le sonner, et ne lui laisser que la fuite comme option valable. Feuille se posa contre un arbre mort qui dépassait des roches pour laisser ses ailes refroidir et reprendre son souffle. Palo continuait de planer: il était en sueur, mais le vent le sécha rapidement. La bourrasque ne s'éloignait pas, et c'était là une litote.

Le prochain challenge était donc de s'extraire vivant des escarpements.

Je me retournai vers Dessie. En comparaison, son propre Airmure avait l'air d'un enfant de choeur... autant que c'était possible pour un oiseau avec cette tronche-là.

- Plus le temps de niaiser, lui criai-je en rappelant Feuille dans sa Captis qui n'aurait pas tenu longtemps dans le vide avec la tempête qui se profilait. Foncez en haut. Tropius fera l'affaire pour me hisser. Je vous retrouve là-bas.
Palo, j'ai encore besoin de toi... ça va être plus dur qu'à la descente l'autre jour, mais les courants ascendants sont forts, c'est l'occasion. Vole!

Le monstre vert grogna. L'espace qui nous séparait du somemt était long, mais il n'y avait pas le choix. Redescendre pour s'abriter comme la dernière fois eût été imprudent. En quelques vastes battements d'ailes, il rejoignit un courant thermique et le suivit en hélice, malgré les turbulences qui allaient croissantes. Une turbulence eut raison de sa stabilité: Palo vacilla, et se retrouva le dos face au sol, à des dizaines de mètres en dessous de nous, des centaines peut-être. A cette hauteur-là, c'était du pareil au même.

- Encore! Tu peux, Palo!

Luttant contre son instinct solitaire et résistant à la tentation de me balancer contre la falaise pour se débrouiller tout seul, son ultime effort nous rapprocha du sommet avant de le faire totalement chavirer. Mes prochains mouvements seraient peut-être les derniers.

Je cédai totalement à l'adrénaline: avant d'atteindre le maximum de notre trajectoire je rappelai Tropius dans sa Captis Ball en plein mouvement, et pendant que son corps disparaissait sous moi je déployai une liane magique qui s'enroula autour d'un rocher proéminent un peu plus haut. Accroché d'une seule main de toutes mes forces à cette liane, je laissai l'élan et le vent me malmener et me faire voltiger comme une Floette...

- AAAAAAAAAAAAAAAAAH!

... jusqu'au sommet, où je roulai sur plusieurs mètres.

Je revenais de loin, et l'utilisation de magie m'avait achevé. Assourdi et les cheveux dans la poussière, je regardais le ciel étoilé se couvrir.

Dessie s'était approchée. Avec sa monture blindée, elle avait dû arriver ici bien avant moi, et cumuler cent fois moins de difficultés.

- Guilde ou pas, une chose est sûre: tu reverras plus ma tronche ici.

Je vérifiai que la Captis de Tropius était toujours serrée dans ma main gauche, que je sentais à peine davantage que la droite. Mon grand ami feuillu s'ajoutait à ma liste des débiteurs du jour, devant Krutch, et bien entendu Dessie.

- Au final, ça m'aurait frustré au plus haut point de ne pas remonter ici sans ton aide, mais moins que de crever dans le bec d'un Airmure sauvage. Merci pour tantôt.

"Même si rien de tout cela ne serait arrivé si j'avais refusé de me faire porter par un foutu Airmure à la base", songeai-je avec un brin de mauvaise foi.

HRP: