Je suis partie.

Il le fallait bien, je ne pouvais pas rester dans ce nid-de-pierre, quand bien même était-il, d’une certaine manière, attrayant. Bien plus grand que celui qui m’a vu naître, je sens qu’une part de moi est prédestinée à cet endroit. Partout où mes yeux se posent, des détails me rappellent des lointains souvenirs, des choses qui sont enfouies dans mon gésier, dont je semble me souvenir sans pourtant les connaître. C’est étrange. Une ombre plane ici et elle m’est familière. On raconte que certaines vies sont liées à travers le temps, unies par un ancien appel qui résonne au cours des siècles. Les Humains appellent cela le Destin et sans comprendre pourquoi, je pressens que le mien se trouve ici. Quelque chose qui est moi sans être moi a vécu ici il y a très longtemps, y a laissé son empreinte.

La Louve du Nord et son fils m’ont beaucoup aidé, je dois le reconnaître. Sans eux, mon aile n’aurait jamais pu regagner sa mobilité. Sans eux, j’aurai été condamnée à errer sur terre, bannis du bleu-sans-fin et de son horizon sans limite. Je leur suis redevable d’une certaine manière, même si sans la venue du Grand Corbeau et sa poison-lézard, mon aile n’aurait jamais été brisée. Un bienfait pour un méfait, sommes-nous quittes ? Je n’en sais trop rien. C’est étrange, ce que le Destin peut nous réserver parfois.

J’ai d’abord cru que la poison-lézard serait ma principale ennemie ici, mais j’avais tort. Quelque chose traîne dans ce nid-de-pierre, quelque chose que le Grand Corbeau a rapporté de là-bas, à son insu je crois. Il prend la forme d’un chat-de-feu mais je sais que ce n’est pas cela. Les chats-de-feu sont moins malins et ne changent pas de formes. Non, c’est autre chose. Je l’ai vu nous suivre lorsque nous avons quitté le nid-de-pierre où je suis née. Il nous a suivis dans le bleu-sans-fin sous la forme d’un oiseau-nuit. Je l’ai reconnu car son plumage n’était pas tout à fait noir. C’est lui qui a mangé l’autre moi, et il a fait en sorte que la poison-lézard soit accusée. Qui d’autres aurait-ce pu être, puisque que personne ne sait qu’il est là ? Moi je le sais, mais qui m’écouterai ? La poison-lézard aussi le sait, mais le Grand Corbeau ne l’écoute pas.

Ce qui lie ce Grand Corbeau à ses pokémons est étrange. Il n’est pas le seul, dans ce nid-de-pierre, à jouir de la loyauté de ses compagnons. Pourquoi ces pokémons leur obéissent-ils ? Et pourquoi restent-ils avec eux, alors que le monde entier s’offre à eux ? Pire encore, pourquoi acceptent-ils parfois de se faire emprisonner dans ces sphères-acier. Est-ce de l’acier d’ailleurs ? Je n’en sais rien. La Louve du Nord est accompagnée d’un cheval-couronné-de-bois-fleurs à l’allure étrange. Je l’ai aperçu la dernière fois, dans la vaste étendue de nature qui entoure le nid-de-pierre. Lui aussi la suit. Quelque chose m’échappe ici, dont je ne saisis pas le sens. Qu’est-ce que ces Humains peuvent bien leur apporter, qui valle leur liberté ? Une curiosité réside au fond de moi. Le Grand Corbeau a-t-il les réponses ? Comment le savoir ?

Malgré tout, je devine que ma place n’est pas encore ici. J’ai le sentiment profond, presque étrange, d’être l’astre-blanc-de-la-nuit en plein milieu du jour. J’existe et je servirai, une place sommeille là pour moi, mais mon heure n’est pas encore venue. A quoi sert la Lune lorsque brille le Soleil ? Le Grand Corbeau et cet endroit n’ont pas besoin de moi. Pas encore. C’est pour ça que je suis partis, profitant d’une fenêtre laissée ouverte par le chat-de-feu. Savait-il que mon séjour ici touchait à sa fin ? Les pokémons comme lui sont rarement si négligeant. Il sait que la roue doit encore tourner.

Quelque chose d’étrange m’est arrivé lorsque j’ai franchi cette fenêtre, comme si le Destin lui-même avait souhaité me féliciter d’avoir suivis la voie qui est la mienne. J’ai grandi, mes ailes sont devenues plus fortes, chassant les derniers vestiges de ma blessure, comme pour me préparer au voyage qui m’attend. Je ne suis plus moi maintenant, je suis quelque chose d’autre, plus altier, plus puissant, à mi-chemin entre ce que j’étais et ce que je dois être. Je n’ai plus besoin du Grand Corbeau désormais et puisqu’il n’a pas encore besoin de moi, il me faut m’éclipser, attendre mon heure. Je n’oublie pas, cependant, la dette contractée à son encontre. Il m’a sauvé, a réparé une erreur qui n’était pas la sienne. Combien se seraient contenter de me laisser agonisante, seule face à mon triste sort ? Les lois de ce monde sont cruelles, pourtant il s’est dressé contre elles, sans hésiter, sans rien attendre. Malgré son apparence, au fond de lui réside quelque chose qui rend le monde meilleur, plus juste, moins sombre. Son espèce est rare, précieuse. Est-ce pour cela que le chat-de-feu s’est entiché de lui ? Qui saurait le dire ? Tandis que le souffle du bleu-sans-fin gonfle mes ailes, un serment se grave au plus profond de moi.

Je reviendrai payer ma dette.