Le petit séjour de Corvus au Manoir de Clavy avait laissé dans l’esprit du jeune homme des souvenirs qu’il n’était pas prêt d’oublier. Quand bien même l’aurait-il fait, les deux Minisanges qu’il avait rapporté de là-bas étaient là pour lui rappeler tous les jours que cette petite aventure n’avait pas été un rêve – ou plutôt un cauchemar en l’occurrence – Le sakaien avait douté de sa capacité à leur venir en aide et Ewa, tout aussi terre à terre que lui bien que plus optimiste, l’avait conforté dans son idée que leur guérison était loin d’être gagnée. A l’aide de la guérisseuse, Corvus leur avait confectionné à chacune une modeste attelle destinée à immobiliser leurs os fêlés – sur ce point Ewa en était certaine, rien n’était cassé – et désormais, tout reposait sur leur volonté de vivre et, dans une moindre mesure, à leur capacité à se remettre.
L’une d’elle, cependant, n’avait pas eu cette chance. Un jour, Corvus était rentré du camp militaire et avait eu la mauvaise surprise de constater qu’une des deux Minisange avait disparu. Elle n’avait pas pu s’enfuir – Corvus en était certain – et comme il n’avait pas retrouvé de corps, la seule et unique explication rationnelle était d’accepter le fait qu’elle avait été mangée. A cette idée, le regard du jeune homme s’était alors tout de suite tournée vers Salava, restée au Manoir Corvaillus durant la journée. Qui d’autre aurait pu faire ce coup-là ? Après tout, la Tritox n’avait-elle pas tenté de le faire plusieurs fois déjà ? Bien évidemment, Salava avait nié son implication dans cette histoire, ce qui n’avait pas manqué de rendre Corvus plus furieux encore.
Malgré cette perte quelque peu déplaisante, le sakaien s’était consolé en voyant la seconde Minisange s’en remettre de jour en jour. Jusqu’alors apeurée, la petite créature s’était vite habituée à la présence de Corvus, qui avait été obligé de l’enfermer dans une cage le temps que son aile se remette – il n’était pas question de laisser Salava manger celle-là aussi ! – De tous les pokémons de Corvus, Saphira était celle qui semblait porter le plus d’intérêt à ce petit oiseau. Elle s’émerveillait à chacun de ses mouvements et pouvait passer des journées entières à la fixer, silencieuse. Si Assam détestait l’idée d’héberger sous son toit une Minisange, Corvus lui s’était pris de curiosité pour cette petite chose. Si la probabilité qu’elle pourrait un jour se transformer en Corvaillus lui paraissait farfelue – pour ne pas dire impossible – il savait que le temps ne manquerait pas de donner une réponse claire et définitive à cette histoire qui traînait depuis des générations maintenant. La théorie de la Minisange était-elle vraie ? Maintenant qu’il avait en sa possession une Minisange, le temps ne manquerait pas de le lui dire.
Parce qu’il ignorait si les Minisanges allaient s’en sortir ou pas, Corvus avait refusé de leur donner des noms … et maintenant qu’il n’y en avait plus qu’une, le sakaien peinait à lui en trouver un. A l’instar de Skadia, elle se révéla impatiente, mais plutôt réservée. Si elle ne manquait pas de le houspiller lorsqu’il tardait à lui donner à manger, la Minisange ne lui faisait pas la fête comme Skadia pouvait parfois le faire. Lorsqu’il approchait, elle se contentait de le regarder de ses petits yeux, rouges et perçants. Parfois, il lui prenait l’envie de chanter d’un son clair et aigu ce qui n’avait pas manqué, la première fois, d’interpeler les domestiques, davantage habitués aux croassements lugubres des Cornèbres qu’aux tintements joyeux des Minisanges. Une fois son aile parfaitement guérie, Corvus s’était résolu à la libérer de sa prison de fer. Même le plus frêle des oiseaux ne pouvait passer sa vie en cage ! Malgré cette nouvelle liberté, la Minisange s’était contentée de rester dans ses quartiers, se refusant à explorer le grand manoir qui s’offrait pourtant à elle. Avait-elle peur ? Corvus n’en savait rien. Elle ne manquait pourtant pas de curiosité et observait toujours ses moindres gestes avec une attention presque indécente. Plus rapidement qu’il ne l’aurait cru, le jeune homme s’habitua à sa présence et à ses piaillements. Les bonnes avaient finis par l’appeler Pipette, mais Corvus goûtait peu à ce surnom.
Un soir, pourtant, lorsque Corvus regagna ses quartiers, il les trouva étonnamment calmes. Salava avait passé sa journée avec lui et lorsque la Tritox s’engouffra dans sa chambre, aucun battement d’ailes terrifié ne s’éleva dans la pièce. Malgré les remontrances de Corvus, Salava s’était fait un jeu de tenter d’attraper la petite créature ailée … sa peur l’amusait beaucoup, et si elle avait depuis un moment abandonner l’idée de la manger – Corvus ne lui avait toujours pas pardonner la disparition de la première Minisange – la Tritox se faisait toujours un malin plaisir de la terrifier sans vergogne. Corvus chercha longtemps la Minisange avant d’accepter le fait qu’elle n’était plus là. Ces oiseaux étaient-ils maudits ? Ou étaient-ils bien passés ? Après des heures de recherche, Corvus se laissa tomber sur son lit ce soir-là, perplexe, confus … cette fois, il ne pouvait pas inculper Salava. Pourtant, la seconde Minisange avait bel et bien disparu, exactement de la même manière que l’autre : sans laisser de traces ni de corps, et son absence lui laissa pendant longtemps un goût ô combien amer.