Une journée tranquille, comme c’est rarement le cas. Un coup d’œil vers l’extérieur de la boutique suffit à m’indiquer qu’il sera bientôt l’heure mettre la clé à la serrure, et de fermer boutique, pour ne la rouvrir que le surlendemain, histoire de profiter d’une journée de congé pour renflouer les étagères avec du nouveau matériel. Bien entendu, je ne peux qu’être heureux d’avoir écoulé autant de chaussures et de bottes, en plus de m’être débarrassé de plusieurs tuniques, capes et autres vêtements qui commençaient à prendre la poussière, mais ces ventes massives signifient aussi que demain, je devrai me hâter à la tâche, et sortir de nouvelles créations afin de proposer aux clients toujours plus de variété.

En faisant craquer mes jointures, je m’active déjà les neurones, en réfléchissant à voix basse à mon horaire du lendemain. Il me faudra envoyer Mouë chercher un peu de matériel, si celle-ci daigne se lever avant l’heure du goûter. Après quoi, je pourrai reprendre où j’avais arrêté la dernière fois, et poursuivre la création de cette nouvelle paire de bottes aux couleurs vibrantes.

En un bâillement, je me dirige vers le fond de la boutique, où se trouve la caisse, afin de m’apprêter à faire les comptes de la soirée. Comme à son habitude, Gaël le Miaouss y est couché, et ronronne doucement. En m’entendant s’approcher, le chaton fait mine de dormir, avant de se retourner sur le dos afin de quêter quelques gratouilles sur le ventre. Ignorant son petit jeu, je le pousse légèrement afin de m’attaquer à la caisse, et son maigre butin. Mais je ne me laisse pas décourager, sachant très bien qu’une fois la marchandise renouvelée, les revenus se remettront rapidement à grandir. De toute manière, à travers mes années à Vénovos, j’ai été capable de me construire un petit coussin qui me permettrait de survivre à un petit creux financier.

Je glisse une partie des écus récoltés à la caisse dans une seconde boîte, qui elle sera mise en sécurité avec le reste de mes revenus. Le reste, je le garde afin de pouvoir le donner à ma fille, qui ira faire les commissions demain, et je fais bien attention de lui glisser quelques écus supplémentaires, pour qu’elle puisse s’offrir quelque chose par la même occasion. Comme elle m’a bien aidé ces derniers temps, je veux la récompenser, même si au final ce n’est pas grand-chose. Et puis de toute manière, si je n’avais pas pris ces précautions, je sais très bien qu’elle aurait coupé les dépenses dans la liste des commissions pour s’assurer qu’il lui reste suffisamment d’écus pour se faire plaisir.

Alors que je m’active à faire les comptes, le bruit de la clochette de la porte d’entrée retentit, ce qui me signifie qu’une personne est entrée dans la boutique. Je ne relève toutefois pas le regard, concentré le compte de la caisse, et je ne perçoit ainsi qu’une ombre svelte paraître dans le cadre de la porte.

-Je suis désolé, mais la boutique est fermée, il faudra revenir après-demain je vous prie.

Je n’ai pas l’habitude de refuser un client, même après l’heure de fermeture, mais comme j’ai déjà fait mes comptes, et que je suis fatigué, je me permets cette petite incivilité, tout en me promettant intérieurement d’offrir un service encore plus agréable à tous les clients lorsque je rouvrirai la boutique, au cas où ce client tardif reviendrait effectivement après-demain.

- C'est bon, ça me saoule !

Les trois pokemons eau de l'humain tapant une crise de rage soudaine se tourne vers elle, sa voix tapant dans les graves lors de sa réaction spontanée avant de retomber à son timbre classique. Abba et ImaDragon regardent tout deux Krutch, demandant du regard qui ressemble à du "dude what the fuck ?" à un niveau stratosphérique. Le petit crocodile hoche la tête résigné, il faut pas trop faire attention à ce que fait Decyfer des fois.

Abba, étant la plus proche de la dresseuse fulminant, lui demande ce d'un petit coup de nageoire ce qu'il se passe, inquiète de l'état de sa maman. La blanche de cheveux comme de peau regarde son pokemon d'adoption, grinçant des dents.

- J'arrêtes pas d'avoir la peau qui brûle au niveau de mes gambettes et c'est pas glamour ! En plus de me faire mal comme pas permis. Je suis pas une pêcheuse pour me coltiner des blessures dignes d'un démolosse ! Tant pis si je dois faire une petite disette, il me faut de nouveaux vêtements !

Abba soupire en étant rassurée, ce n'est rien de mortel, juste quelque chose de douloureux. Elle caresse la joue de sa mère avant de partager son hargne envers le vilain soleil et de pointer une direction au hasard, l'air de dire " En avant pour maman !". Oui, Decyfer est sûre qu'Abba parle en rime. Cela serait plus beau encore si le bébé pokémon avait réussi à pointer la ville, mais l'effort est apprécié.

- En avant pour habiller vot' maman mes beaux et ma belle !

…

"La boutique est fermée"

Les deux pokemons aquatiques restant, à savoir Abba et Krutch, tournent lentement la tête vers la jeune femme dans l'âme. Arriveront ils à voir Decyfer perdre enfin son sourire ? Non, malheureusement, cette dernière reste calme, se rapprochant du comptoir et s'abaissant, posant ses coudes sur ce dernier et regardant le tanneur ne le regardant pas dans les yeux. Elle aventure son regard sur l'artisan, en sortant quelques informations plutôt utiles, d'autre assez anecdotiques.

- J'aimerais bien, mais à chaque fois que je pourrais venir, il fera nuit et donc je devrais revenir le lendemain, et le lendemain d'après et encore et encore et ça va me saouler car je vais finir en grillade avant ça. Vous ne pouvez pas faire une exception pour une personne malade ? Je peux payer plus s'il le faut.

Le regard toujours baissé, je poursuis mon décompte des écus, tout en comptant mentalement à savoir combien exactement je dois en garder pour Mouë demain. Une fois les commissions faites, et ma fille satisfaite de ses achats personnels, il est évident que bien peu de ces sous iront véritablement prendre place dans les coffres qui se situent bien à l’abri chez nous. Ainsi, je ne relève toujours pas le regard vers l’ombre s’étant incrusté dans ma boutique, convaincu que celle-ci finira par partir comme elle est venue, et que bientôt, je pourrai rentrer chez moi, poser une buche dans le foyer, et aller me reposer. Ou du moins, je pourrai aller écouter ma fille placoter sur sa journée jusqu’à l’heure du coucher.

Mais l’ombre a d’autres plans. Plutôt que de quitter tel que poliment demandé, elle décide plutôt de s’approcher, et se penche à mes côtés, depuis l’autre côté du comptoir. Et alors, je n’ai plus d’autres choix que de redresser le regard, un air un peu marabout au visage. Je découvre alors une jeune femme, qui doit faire tout au plus quatre ou cinq ans de plus que ma fille, et qui pourtant semble transporter à travers elle un certain vécu. Elle est élancée, et son teint est plutôt pâle, mais ce qui attire particulièrement mon regard sont ses yeux, d’une teinte qui sort définitivement de l’ordinaire dans ce coin de pays.

L’étrangère, qui s’est accoudée sur le comptoir, m’annonce d’un ton plutôt calme qu’elle rejette tout simplement ma proposition, ce qui me fait arquer un sourcil. Il m’est d’ailleurs plutôt tentant de prendre le même ton, et de banalement refuser son refus. D’autant qu’entre elle et moi, il ne fait aucun doute, je n’aurais aucune misère à forcer sa sortie de la boutique, si jamais cela devait devenir nécessaire. Mais avant d’en arriver là, je m’arrête sur un détail du discours de l’autre. Une personne malade? La cliente tardive fait-elle référence à elle-même? Je la constate de nouveau, cherchant la moindre trace de maladie.

-Il n’est pas de notre habitude ici que d’ignorer une personne dans le besoin.

Je reste tout de même sceptique face à la jeune femme, l’observant d’un œil méfiant, tout en restant aux aguets. Ce ne serait pas la première fois qu’un jeune vagabond tente de profiter de ma naïveté, en s’inventant un besoin pour m’amadouer, et au final, s’enfuir avec ma récolte du jour. Sauf que celle-ci ne ressemble pas aux vagabonds ordinaires, qui sentent le poisson pourrit à des milles. Celle-ci me semble plutôt en possibilité de payer, bien que jamais je n’oserais demander plus cher à une personne, sous prétexte qu’elle le peut. D’autant plus si cette-dite personne est malade.

-Et que puis-je pour cette personne malade, dites-moi?

Sans broncher de derrière mon comptoir, je continue de la scruter, curieux de savoir ce qu’elle cherche, malgré la fatigue accumulée de la journée. Après tout, qu’est-ce qu’une cliente de plus, pas vrai?

Parfait, pas besoin d'aller voir ailleurs après tout. Decyfer en profite donc pour se défaire de sa veste de pêcheur et montrer ses bras aux marques de brûlure au vendeur, histoire qu'il sache à quoi s'attendre avec elle et qu'il puisse proposer des choses si ses connaissances le lui permettent. En passant ses doigts sur ses avant bras par ailleurs, elle grince des dents, il n'y a pas que chez un tanneur qu'elle doit aller ce soir, si possible elle doit trouver un coiffeur et une esthéticienne. Ce n'est pas encore d'actualité et c'est bien trop peu visible pour le moment pour l'être, sans doutes est-ce le fait d'être moins en contact avec l'eau salée qui lui fait révéler certains attraits.

- Voyez vous, en bonne enfant de la lune, je brûles face à mon oncle le soleil. Là où les personnes de mon genre favorisent un mode de vie d'ermite - vous vous doutez pourquoi - je suis l'une des rares connes à vouloir voyager, mais le tissu ne suffit pas à me protéger entièrement. Je me demandes donc s'il est possible d'obtenir de vous une tenue suffisamment, mh, imperméable ?, au soleil pour continuer mon bout de chemin en toute tranquillité.

Simple, élégant, efficace. Si Decyfer n'était pas aussi aventurier et naif, il ferait sans doutes un bon conseiller. Hormis de ça, son décryptage de l'environnement se resserre un peu plus sur le cordonnier et sur son passif, bien que restant encore infiniment flou, des détails majeurs sont plus claires et le seront encore plus lorsqu'elle mettra ses lunettes, ce qu'elle fait d'un geste leste.

- Si possible j'aimerais du sur-mesure, je n'ai pas des proportions très classiques et j'aimerais ne pas craquer cet ensemble. Quelle âge a t'elle ?

Se retournant pour remettre dans sa captisball Abba et prendre dans ses bras Krutch, Dessie agite la main vaguement pour répondre au cordonnier.

-Mais voyons, votre fille cœurdonnier. Vous m'avez regardé comme si je ressemblais à quelqu'un avec qui vous êtes proche, puis vous avez séparé mentalement vos comptes, ça c'est vu sur votre visage. Puis, j'ai côtoyer un veuf de votre trempe suffisamment lentement pour en reconnaître lorsque j'en vois un.

Un doux sourire se fixe sur son visage, la jeune fille de lune aux yeux bicolores est loin de ses compétences optimales, mais ça lui fait toujours plaisir d'avoir raison de temps à autre. Elle s'assoit sur une des chaises trainants, si jamais il y en a, et attends patiemment la réponse du travailleur de cuir.

- Première fois que je vous vois, ça fait toujours plaisir de voir de nouvelles têtes, j'ai du plier bagage il y a des mois et pourtant je suis sûre que Kuni est plein de surprise que je n'ai même pas entrevues, j'ai l'impression d'être un escargot nihi~ .

Je pousse un soupir relativement discret avant de refermer la caisse, légèrement à contrecœur, puis je la range sous le comptoir, à sa place habituelle. Gaël s’empresse de venir se frotter contre moi, en voyant que cette distraction s’est enfin envolée. Mais je repousse une nouvelle fois le Pokémon chat avec douceur, puisque mon attention est maintenant tournée vers notre cliente, qui s’est mise à son aise maintenant qu’elle est certaine d’obtenir ce qu’elle cherche. Celle-ci a retiré un lourd manteau qui me rappelle ceux que portent les marins, afin de me montrer ses bras. J’arque les sourcils de surprise en voyant les rougeurs laissés sur ceux-ci, accompagnés à certains endroits de cloques qui me semblent plutôt douloureuses.

Elle m’avoue rapidement qu’il s’agit là de marques laissées par le soleil, et je comprends aussitôt qu’entre ces marques et le manteau qu’elle revêtait quelques instants auparavant, notre cliente doit passer beaucoup de temps à l’extérieur. Bien sûr, en étant originaire de Ran, et ayant passé la plus grande partie de ma vie sous son soleil brûlant et sans pitié, je n’ai jamais eu à souffrir du contact de notre astre lumineux, mais je suis tout à fait au courant des dommages que ce dernier peut faire, pour avoir servi plusieurs clients vivant avec la même problématique. Bien que dans le cas de cette jeune femme ce soit particulièrement impressionnant, je reste tout de même en terrain connu, et je sais qu’il me reste quelques produits dans l’arrière-boutique qui pourront certainement lui plaire.

Sauf que voilà, alors que je m’apprête à lui proposer d’aller lui chercher un modèle de gaine pour avant-bras et de jambières assorties, la demoiselle m’annonce vouloir… Du sur-mesure! Je ne peux retenir un petit ricanement. Car pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer? Bien que le sur-mesure soit depuis toujours l’un de mes éléments préférés dans ce travail, je dois avouer que ce soir, sortir mon ruban à mesurer et mon cahier à croquis est bien moins tentant que d’aller retirer mes chaussures et m’installer dans mon salon, et faire semblant d’écouter ma fille.

Je m’apprête d’ailleurs à répliquer à notre cliente que pour un tel service, il lui faudra définitivement revenir lors des heures d’ouverture, puisque le sur-mesure demande du temps afin d’effectuer un travail de qualité. Mais avant que je ne puisse formuler quoi que ce soit qui pourrait l’encourager à quitter la boutique, la jeune femme laisse filer une question qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Je redresse vers elle un regard interrogatif, sans trop savoir de quoi elle parle. « Quel âge a-t-elle? » J’interroge la jeune femme du regard, et celle-ci semble bientôt comprendre que sa question ne me dit rien, puisqu’elle s’empresse de clarifier la chose, ce qui, au final, ne fait que me rendre plus interrogatif. Lorsque la cliente mystère mentionne ma fille, je ne peux m’empêcher de devenir méfiant, en me demandant comment il se fait qu’elle puisse être au courant, alors qu’il ne s’agit définitivement pas de l’une de nos habituées. Certes, Mouë a tendance à venir m’aider dans la boutique, et s’il s’était agi d’une cliente régulière, elle aurait définitivement pu connaître l’existence de ma fille adoptive, mais dans ce cas-ci, je maintiens la certitude de ne jamais avoir vu cette femme dans ma boutique auparavant.

-Comment est-ce que…?

Mais la cliente m’interrompt avant que je ne puisse la questionner d’avantage, en expliquant sa déduction, ce qui, au final, ne me rassure pas énormément. Car cette jeune femme semble en connaître assez sur mon sujet pour me laisser méfiant. Soit je me trouve devant une personne avec un flaire absolument extraordinaire, soit celle-ci en connaît plus sur mon sujet que ce qu’elle n’ose laisser paraitre. Sans être méfiant de nature, je reste tout de même perplexe quant à la situation, mais je tente de ne rien laisser paraitre.

-Elle a quinze ans, mais je jurerais qu’elle en a déjà vingt! C’est fou comme les enfants grandissent vite, j’ai l’impression qu’il y a à peine quelques jours elle entrait à l’école pour la première fois!

Je reste toutefois discret sur le reste de notre histoire, à Mouë et moi, et sur le fait qu’il s’agisse en fait de ma fille adoptive, et non biologique. Car d’un sens, ceci n’a pas énormément d’importance aux yeux d’un étranger. Même qu’à mes yeux, Mouë est mienne même si mon sang ne coule pas dans ses veines.

Bien qu’il soit tard, je m’empare du ruban à mesurer qui se trouve près de moi, et me redresse pour venir me placer derrière la jeune femme à la chevelure pâle. Dans un automatisme, je débute la prise des mensurations, en laissant le ruban glisser contre son corps avec agilité, et en notant mentalement les unités.

-Donc si vous n’êtes pas de la région, de quel coin de pays venez-vous très chère? Et qu’est-ce qui vous amène vers notre petit coin de paradis?

Je tente de faire le plus attention possible en mesurant les avant-bras de la cliente, histoire de ne pas trop effleurer ses blessures, et ainsi d’éviter de l’endolorir d’avantage.

- Quinzes ans ? C'est une ptite jeunette dites moi. Pas trop dur à gérer ?

Decyfer laisse le professionnel faire son art, n'étant pas si douillette, mais appréciant être traitée comme une poupée de porcelaine. Son regard se fixe dans celui du pokémon chat, éveillant une certaines gène chez la blancharde. Est-ce de la jalousie qu'elle voit ? Pourquoi veut-il le tuer, nan nan nan, hors de question de mourir par le regard d'un chat, surtout qu'il a l'air bien parti pour réussir. Tremblotante, Dessie en lâche son pokémon, qui se réceptionne sur ses petites papattes et lâche un grognement à sa chiffemolle de maîtresse.

C'est qu'il était bien installé lui, on dirait pas mais elle est confortable son idiote, il doit donc venger son idiotie par la mort de ce chaton ! Ou au moins sa punition. Elle prends donc le relai du duel de regard, plantant ses yeux de tyran dans la feignasse sur le comptoir, autant dire qu'il le tient bien mieux que sa maîtresse et que le tremblement a changé de camp.

Un claquement de mâchoire se fait entendre dans la boutique et détaller le chat, laissant enfin la blancharde tranquille et le kaiminus reprenant sa place dans ses bras une fois les mesures faites. Elle ses doigts sous le menton de son tyrannique poisson et s'assoit ailleurs, prenant le temps de ne rien déranger à la boutique et de sortir un cure-dent pour le tendre à sa racaille.

- Mh, je suis Kunienne jusqu'aux os, il n'y a pas e doutes là dessus, pourquoi je suis venu par contre, bonne question. Je me déplaces généralement dans le sens de la pluie pour ne pas être gênée, mais comme il y a eu une super tempête dernièrement, j'ai perdu toutes traces de ma progression et je recommences à zéro pour éviter de me paumer. J'en profiterais pour repêcher dans les eaux de mon pays un peu avant d'y retourner.

Inspirant un grand coup, Dessie penche la tête et fait une petite mine en voyant le cordonnier commencer ses croquis.

- Hum, homme le bas si possible, j'aimerais éviter les situations gênantes … Mais vous, que faites vous ici ? Vous n'êtes pas kunien que je vois ai-je tord ? Pourquoi cordonnier par ailleurs ?

La cliente est plutôt faite sur le long, et non sur le large. Les chiffres s’empilent dans ma tête, d’une manière bien cordés dans un ordre précis, histoire d’éviter de me tromper au moment de la confection, et ainsi de ne pas livrer une produit qui ne fera pas. Il y a maintenant de nombreuses années que j’exerce ce métier, alors la prise des mensurations est pour moi un automatisme qui demande peu de concentration. J’ai cette même méthode d’inscription mentale des mesures depuis mes jeunes débuts dans le monde de la cordonnerie, alors ce soir, malgré la fatigue qui m’afflige, je ne crains aucunement de faire une erreur.

-Élever une adolescente à mon âge, ce n’est définitivement pas de tout repos! Surtout que cette adolescente en particulier a un don bien prononcé pour m’embêter lorsqu’elle le désir!

Si les plus jeunes du métier pourraient trouver difficile de mesurer, d’emmagasiner l’information, et de discuter en même temps, je trouve quant à moi qu’il s’agit d’une chose toute naturelle que d’occuper le client durant le travail. Tout comme les barbiers ont tendance à discuter avec leurs clients, j’ai toujours fait attention d’en faire de même. Car certaines personnes pourraient vivre un certain malaise à l’idée que j’entre ainsi dans leur zone personnelle, alors le fait de discuter avec eux est généralement un bon moyen de leur occupé l’esprit pendant ce moment parfois désagréable pour eux.

-Mais malgré tout, j’arrive toujours à la même conclusion concernant ma fille : jamais je n’en changerais une seule miette! C’est une peste, certes, mais c’est ma peste et je l’aime ainsi!

Je ne peux m’empêcher de sourire intérieurement en songeant à Mouë et ses interminables caprices, et comment celle-ci s’est développée à mes côtés. Bien qu’elle soit parfois assez pénible, je ne changerais effectivement notre relation pour rien au monde. Après le départ de Magda, jamais je ne m’aurais cru être capable d’aimer à nouveau. Puis, avec Mouë, j’ai pu découvrir une toute nouvelle forme d’amour. Un amour différent, mais tout aussi puissant. Celui d’un père envers sa fille.

Je reviens rapidement à la réalité alors qu’un miaulement frustré se fait entendre derrière moi, et que Gaël saute du comptoir tel une furie pour disparaître vers l’arrière-boutique. Ce mouvement brusque de la part du chat me ramène à l’ordre juste à temps pour de nouveau porter attention à la cliente, qui a repris la parole à son tour, pour corriger mon tir : elle est donc finalement de la région, malgré ce que j’avais initialement cru.

-Un mal pour un bien donc ; il est parfois bon de retrouver ses racines pour se ressourcer un peu avant d’aller plus loin.

Et sur ce point, je m’y connais. M’étant moi-même exilé de Ran il y a de cela bien des années, aux côtés de ma femme, lorsque celle-ci poussait ses derniers souffles, je sais ce que c’est que de s’éloigner de son chez-soi. D’ailleurs, je me suis toujours organiser pour retourner passer quelques temps sur les terres qui m’ont vu naître, au moins une fois par année. Et si la dernière fois que je me suis rendu à Ran n’a définitivement pas été de tout repos, il m’est pour l’instant toujours impensable de cesser de m’y rendre. Car j’ai beau avoir adopté Kuni, et m’être fait adopter par Kuni, mon cœur reste et restera Ranien.

Les mesures étant bien prises, je libère l’espace personnel de la jeune femme pour me diriger vers mon carnet, où je débute sans attendre les croquis. Curieuse, la cliente se penche légèrement vers mon livret, sans-doute pour s’assurer que je répondre à ses besoins. En soi, sa demande est assez simple. D’un trait rapide et précis, je dessine un vêtement qui saura protéger les avant-bras de l’aventurière des mers, avant de m’attaquer au bas, qu’elle me précise devant accommoder une anatomie masculine. J’hoche la tête, et m’active à dessiner un bas fermé et proposant assez d’espace pour qu’un corps masculin puisse s’y sentir à l’aise, et bien à l’abri des incidents gênants.

-C’est donc encore mon teint qui m’a trahis, je me trompe?

J’offre un sourire à la cliente, sans pour autant cesser de travailler sur le croquis. Mes origines Ranines n’ont jamais été un secret pour qui que ce soit. En fait, chercher à le cacher serait futile, au vu de mon teint qui bronze aussi facilement, et de mes traits usés par le soleil chaud de ma terre natale. Kuni étant beaucoup plus humide, les gens d’ici ne vieillissent pas de la même manière que nous.

-Je suis fière Ranien, bien que je mourrerai probablement Kunien.

J’évite toutefois de rentrer dans les détails les plus privés de mon arrivée sur les terres maritimes de ma nouvelle terre d’accueil.

-Vous savez, je crois fermement que chaque personne vient en ce monde avec une aspiration particulière. La mienne était la cordonnerie. Il en fut ainsi depuis mes jeunes années, et il en sera ainsi jusqu’à mes derniers souffles. Et vous mademoiselle, qu’est-ce qui fait que la mer soit la vôtre?

Je termine les derniers traits de ce premier jet d’inspiration pour ce projet de dernière minute. Plutôt satisfait de ce premier croquis, je tends le carnet à la demoiselle des mers.

-Je vous propose donc ceci, un ensemble en cuir sombre à l’extérieur, complètement imperméable, et en laine de Wattouat à l’intérieur pour maximiser le confort. Pour le bas, même principe, avec plusieurs ouvertures refermables pour permettre une meilleure aération, un accès, comment dire… Plus aisé, vers l’entrejambe.

Je ne sais pas jusqu’à quel point la cliente est à l’aise avec ce trait spécifique qu’elle m’a mentionné au niveau de son anatomie, et je préfère ainsi être plus vague, bien que personnellement, un client pourrait se présenter à moi avec une queue de poisson et un aileron que je travaillerais avec tout autant de ferveur pour lui offrir le service qu’il mérite.

- Votre fille a l'air mignonne.

"Bien qu'elle semble être insupportable.", pense au plus profond de soi-même Decyfer. Ayant toujours été l'enfant parfait, elle a du mal à blairer les enfants un tantinet capricieux, comportement très enfantin elle vous le concède. Après, ce n'est pas sa gosse, elle va pas faire la leçon aux inconnues, sur comment élever leurs enfants, même si à ses yeux il n'y a pas d'inconnu.

Retournant à ses moutons, Decyfer regarde le croquis et emprunte le stylo du cordonnier pour y rajouter quelques traits par ci par là. Bien sûr le travail de base est impeccable, mais elle préfère faire de cette tenue la sienne et pour cela la mettre à ses goûts. Elle rallonge les manches de quelques centimètres, ajoute deux poches arrière à la veste et entame un système de fermeture par fil au niveau des genoux de son bas et de la moitié de sa capuche - qu'elle allonge également. Avant de donner chaque coup de crayon, elle pratique quelques fois dans le vide jusqu'à avoir le trait le plus ressemblant, elle n'a peut être pas l'expertise d'un artisan aussi âgé, mais elle reste une petite touche à tout très intéressée par ce qu'elle ne sait pas faire.

- Voilà, je penses que ce sera parfait comme ça, j'ai pris la peine de rajouter quelques extensions pour pouvoir y ranger ma canne à pêche et mes bobines de fils, j'espère que cela ne vous dérange pas.

Rendant les instruments du tanneur à ce dernier, S'aventurant dans les étales pour en voir quel cuir possède ou ne possède pas celui lui offrant l'hospitalité, bien que ce soit quelque part ceux pour quoi il est payé. Elle n'est pas une grande fan de la laine de wattwatt, cela bouffis trop les vêtements et se déplacer en devient que plus dur, pour son type de vie et de capture, c'est le pire. Dans le meilleur des cas, elle aimerait qu'il ait du cuir de frison ou de tauros, bien plus permissible bien que rêches. Elle se souvient que son paternel utilise ce type de cuir dans ces tenues de pêches, jusqu'à aujourd'hui aucune ne lui a faillit, mais temps qu'à faire, elle aimerait avoir un léger doublage en plume de plumelin forme flamenco, elle en a vue quelques uns et depuis rêve d'avoir un set de ces plus dans la doublure de ses vêtements.

- Vous n'aurez pas quelque chose de plus fin ? Je vais vite crever de chaud et être comparée à un doudouvet sous quelque chose en laine de wattwatt. Des plumes de plumelin et du cuir de frison ou de taurus fera largement mieux l'aff-

Ayant peur d'être un peu trop pinailleuse, Dessie se tait et baisse la tête, jouant avec ses pouces. - … ça ira aussi de la laine je supposes …

Un petit crocodile bleu revient prendre sa place auprès de sa maitresse alors que cette dernière se met à regarder vers l'extérieur, plissant des yeux en regardant le ciel, plein de petites tâches sombres fuyant dans cette direction. D'un petit coup de doigt, elle dit à son Kaiminus de regarde le ciel pour qu'il puisse le voir aussi, elle a déjà sa nouvelle destination en tête.

-Qu'est-ce qui fait de la mer d'ici mienne … Mh, cela peut paraître stupide, pour les pragmatiques du moins.

Krutch grogne, sachant de qui elle fait référence.

- Mais j'ai toujours eu l'impression que cette mer était le terrain de jeu parfait pour que je puis Le rencontrer. Je ne sais pas si vous êtes ici depuis suffisamment longtemps, mais je ne suis pas la seule enfant de lune à avoir vécu à Kuni. Les autres sont morts assez vite, vivant une courte vie que j'espère remplie. Un jour, je suis tombée très malade, aucun pokémon ne pouvait rien pour moi et j'allais sans doutes y passer. Avec mon père et ma mère, peu avant que je perdes une partie de ma vue et lorsque mes cheveux ont commencés à virer au blanc, nous avons pris la mer. Une tempête sans pareil nous a frapper et je suis tombée à l'eau. Une kunienne sait forcément nagée, mais dans mon état j'ai vite cessé de lutter, je préférais mourir noyée que dévorée par des oiseaux. Cela a duré quoi, trois minutes je penses ? Je ne voyais déjà plus rien et me sentait m'endormir quand la mer s'est mise à chanter et qu'on m'a repêché.

Decyfer se met à rire, passant sa main devant sa bouche en se faisant dans un geste leste et assez mondain.

- J'ai du creuser quelques rides et causer des cheveux blancs à mon vieux père ce jour-là, dès que j'ai sentit ses bras autour de moi, quelque part, je savais que je n'avais pas rêvé. Plus tard, ma maladie s'en est allé non sans ruiner une bonne partie de mon corps et en me forçant à ne vivre que de nuit, mais je ne m'en plains qu'à moitié. J'ai l'impression que c'est un désir de la mère de m'avoir partiellement sauvée ainsi. Peut-être voulait-elle m'empêcher d'aller trop loin d'elle, me mettre à l'épreuve pour entendre ce chant à nouveau, m'inviter à toujours être sur ses eaux ?

Elle caresse la gorge de son tyran calmement, retraçant sa cicatrice avec un sourire mélancolique en n'adressant pas un regard à l'artisan.

- Je suis vraiment la pire si c'est le cas. Depuis que Maman est partie à son tour, j'ai peur de m'aventurer trop loin dans ces eaux. Je sais qu'Ill'a emmené avec lui, mais depuis que je suis partie, je me mets à doutée de ça, je n'en ai aucune preuve après tout, juste une foi irrationnelle et enfantine. C'est sans doutes pour ça que j'ai préférée revenir au lieu de chercher une autre ville ou un autre pays, pour m'excuser avant de repousser mes retrouvailles avec ces eaux jusqu'au jour ou je pourrais le remercier directement.

Elle s’empare du croquis que je lui tends, et rapidement, elle se met à modifier certains traits ainsi qu’ajouter quelques éléments ici et là. Lorsqu’elle me rend le carnet, je scrute le dessin afin de valider tous les changements apportés, et ainsi vérifier si ces changements sont faisables, une fois que je me mettrai à travailler le cuir. Car souvent, les clients m’indiquent qu’ils veulent tel ou tel élément sur leur création, mais au final, ils ne se doutent pas qu’une fois en couture, ce n’est pas nécessairement possible. Bien qu’il me soit généralement possible de réaliser un produit très près de ce qui m’est demandé, je dois m’assurer de livrer un produit de qualité, alors parfois, pour y parvenir, je dois faire comprendre au client que sa demande ne tient pas la route.

Mais dans ce cas-ci, les traits apportés par la jeune femme me semblent cohérents, et je suis ainsi confiant qu’il me sera possible de réaliser le tout pour obtenir un vêtement confortable, solide, et, j’y tiens, agréable au regard. Il ne s’agit définitivement pas d’un vêtement conventionnel, et pour être franc, il s’agit d’un défi qui me plait. La courbe de la capuche tout spécialement me semble être un défi intéressant. En fait, ce que je crains le plus dans la confection de cet ensemble, c’est qu’une fois qu’elle l’aura vu, ma fille en voudra probablement un pareil. Il me semble qu’il s’agit là exactement du style qui pourrait plaire à l’adolescente, de par son côté légèrement extravagant. Il me faudra probablement travailler sur ce projet en cachette.

-Je dois dire que vous êtes plutôt doué! Je devrais être capable de reproduire ceci sans trop de souci…

Je tâche de prendre quelques notes, surtout concernant la fonction des poches pour qu’en temps venu, je m’assure de solidifier le tout à double reprise, pour m’assurer que rien ne se déchire. Alors que j’anote le croquis, ma cliente reprend la parole, pour cette fois, questionner le tissus utilisé. Elle semble inquiète concernant les matériaux proposés, craignant la chaleur suite à ma suggestion de laine de Wattouat. Mais avant de pouvoir terminer sa phrase, elle s’interrompt brusquement, avant de baisser la tête. Restant silencieux, je me contente de l’observer, intrigué par ce changement si brutal d’humeur de sa part. Je reste ainsi surpris l’espace d’un instant, incertain de comment je devrais réagir. Bien que je sois plutôt habitué aux sauts d’humeurs de ma fille, je ne reste tout de même pas indifférent devant ce genre de malaise palpable de la part d’autrui. Je préfère toutefois la laisser faire, ne la connaissant pas suffisamment pour savoir quoi lui dire dans ce moment de doute.

Comme je lui laisse son espace, la cliente reprend la parole, cette fois pour répondre à ma question de plus tôt. Je sens aussitôt chez elle un changement drastique au niveau de son état. Elle me raconte un récit qui détache complètement mon attention du dessin, que je tiens encore entre mes mains. Je me contente ainsi de l’écouter, silencieux et attentif. Il s’agit d’un récit qui retrace quelques peu les légendes du coin, bien qu’il soit dans ce cas-ci très personnalisé. Sans oser l’interrompre, je présume que lorsqu’elle parle de “Lui”, elle fait référence à Kyogre, le maître des Océans, créature vénéré par le peuple de Kuni. Bien que je ne sois moi-même pas natif de la région, et qu’on m’ait toujours élevé avec des valeurs vénérant les trois gardiens,  Cobaltium, Terrakium et Viridium, j’ai toujours respecté les croyances des autres peuples d’Ekoe. Ainsi, je n’interrompt pas la jeune femme dans son récit, et la laisse plutôt le terminer, avant de lui adresser un sourire bienveillant.

-Ce n’est pas stupide. Et puis, c’est normal que d’hésiter. C’est ce qui fait de nous des humains.

L’hésitation, la peur, le regret, tout ceci est si normal, que l’espace d’un instant, je me vois à la place de cette jeune femme déchirée par sa destinée. J’ai moi-même dans ma vie grandement hésité à plusieurs reprises. Lorsque Magda m’a quitté, j’ai longuement hésité à rester à Kuni, le souvenir de ma femme y étant si douloureux. J’ai hésité, et songé à quitter ces terres, pour retourner à Ran, ou alors partir explorer le reste d’Ekoe. Puis j’ai eu peur. Peur que son esprit ne soit en peine, si je quittais cet endroit où elle avait toujours rêvé de venir s’y installer. Et au final, cette décision que j’ai pris de rester à Vénovos, aura été la meilleure. Car si j’avais quitté ma terre d’accueil, jamais je n’aurais rencontré Mouë. Jamais ma fille n’aurait été dans ma vie. Et qui sait ce qui serait arrivé de la petite si je n’avais pas été là pour l’accueillir. Qui sait, si personne n’avait été là pour la garder lors du dernier voyage de ses parents, peut-être se serait-elle retrouvé sur leur bateau, lorsque celui-ci a disparu sous les violentes vagues de cette mer déchaînée qui, cette nuit-là, vue la mort de deux jeunes parents.

-Si vous n’aviez pas peur, alors c’est qu’en quelque sorte, ce voyage n’en vaudrait pas la peine.

Car cette peur, ou plutôt le combat contre cette peur, est généralement bien plus important que tout ce qui peut être obtenu à travers les différents épopées d’une vie. Mais ça, je n’ai aucun doute que la jeune femme est encore un peu trop jeune pour le comprendre. Je n’insiste donc pas d’avantage sur les leçons de philosophie, laissant cela pour une autre fois, et me concentrant plutôt sur sa demande initiale.

-Si je puis me permettre, en revenant à votre tenue…

Je m'interromps brièvement pour me diriger vers un tiroir du comptoir, afin d’y sortir quelques échantillons de tissus. Il s’agit de petits carrés, faisant environ la taille d’une main. Parmi les échantillons, je récupère celui composé de la laine de Wattouat, avant d’étaler les autres sur la surface plane de mon comptoir, pour qu’ils soient tous visibles.

-J’utilise systématiquement le cuir de Frison pour les tenus de par ses qualités élastiques et résistantes. Il est aussi plus économique que le cuir de Tauros, tout en étant plus doux au touché, et plus résistant au soleil. Et pour ce qui est de la laine…

Je lui tends le morceau de laine, afin qu’elle puisse à son tour le manipuler.

-Contrairement à la croyance populaire, la laine de Wattouat n’emprisonne pas la chaleur. En fait, il s’agit d’un matériel proposant une grande aération, lorsqu’il est bien traitée.

Lorsque Magda et moi possédions ensemble notre boutique ensemble, elle proposait de nombreux vêtements en laine de Wattouat, et la qualité surprenait bien souvent les clients, qui avaient tous cette même idée préconçue. Elle était une couturière hors-pair, et savait tout ce qu’il y avait à savoir au niveau des différents matériaux, de leur utilité, et de la manière de les utiliser.

-Une fois traitée, cette laine est légère la plume, sans pour autant proposer les inconvénient de la plume ; elle sèche plus rapidement, et elle est plus clémente sur la peau, d’autant plus que la vôtre me semble très sensible.

Je lui fais la démonstration en lui tendant l’échantillon de plume, qui est plus dur, bien que tout de même doux.

-Bien sûr, si votre volonté est tout de même d’y aller avec la plume, il me fera plaisir de répondre à vos demandes. Mais personnellement, je vous conseil de me faire confiance.

Après tout, j’ai appris de la meilleure, sans qui cette tenue ne pourrait jamais voir le jour. Je ne peux d’ailleurs retenir un sourire en pensant à ma femme qui, depuis là où elle est, continue de répandre le bien, à travers les apprentissages qu’elle m’a offert concernant son propre art. Bien sûr, cette tenue ne sera jamais ce que ma femme aurait pu faire elle-même si elle était encore ici aujourd’hui, mais je tenterai à travers mes coutures de lui rendre hommage.

-D’ailleurs, à quel nom dois-je faire cela? Je m’excuse si vous me l’avez mentionné, je suis parfois dur d’oreille avec l’âge, mais je ne crois pas avoir capté votre nom?

- Decyfer, Decyfer Down, celle qui décrypte le monde l'entourant.

Dessie semble préoccupée. Ce qu'elle voit ne lui plait pas du tout, peut-être se trompe t'elle, bien qu'elle en doute grandement, mais ça sent pas bon. Elle se lève pour ouvrir la porte et regarder le ciel de l'extérieur en haussant un sourcil. "Un léviator si près des côtes ? Et fort en plus de cela, ils vont avoir du mal, je devrais peut-être aller les aider si c'est de nuit.".

- Vous avez de la chance vieille homme, les côtes vont-être agités demain. Vous êtes suffisamment loin de celles-ci, du moins pour votre boutique.

Croyant en l'expérience du cordonnier, l'albinos lui laisse le soin de choisir ses composants, regrettant quelques peu son intervention et ne voulant pas se mettre dans l'embarras plus que cela. Elle reste donc très silencieuse, ne parlant qu'à son crocodile un certain moment avant de reprendre en se rappelant de quelque chose.

- Oh vous ne devez pas comprendre de quoi je parles, d'ici on en voit presque jamais sans prendre la mer. Je vais expliquer. Lorsque le ciel prends cette teinte, un peu bleu métallique, c'est d'ordinaire qu'une tempête se prépare, il y en a tout le temps en mer, marins comme oiseaux ont appris à faire avec. Cependant, là, ces derniers sont en trains de fuir les côtes alors qu'ils sont prêt à prendre d'assaut des bateaux de pêcheurs sans hésiter. Une tempête et une menace pour ces grands gaillards, c'est dans la plupart des cas qu'un léviator est en période de rage, là il est sacrément proche, je dirais à 100 mètres des côtes.

"Particulièrement en colère par ailleurs si Krutch peut le sentir d'ici.".

- Mais revenons-en à mes affaires, seront-ils prêt demains ?

Si ce n'est pas le cas, elle devra passer son chemin au risque d'être sérieusement blessée, ce qui lui arracherait un juron bien maturé croyez moi. De toutes façons, elle ne peut pas servir à grand chose là, à se tenir debout sans rien faire. Elle devrait peut-être sortir entraîner ses Pokémons. Maintenant qu'elle y pense …

- Il est à vous le chat ? J'en ai pas vu des comme ça depuis looooongtemps.

Un longtemps qui arrache un frisson à la blanchâtre sans que son compagnon ne puisse comprendre pourquoi. Qu'est-ce qu'elle trouve de si effrayant aux chats ? Ce ne le surprendrait pas que la raison soit stupide, il connait sa maîtresse pour être une sacrée froussarde des petites choses de la vie quotidienne, comme des hauteurs - bien que monter sur une branche ne semble pas l'effrayée pour faire des tractions, allez savoir pourquoi.

Il fait claquer sa mâchoire, pointant sa Captisball et se retrouvant l'instant d'après à l'intérieur grâce à Decyfer, la pression du léviator doit l'affecter plus qu'il ne le montre. Tôt ou tard il faudra que Dessie et lui dompte cette instinct de conservation, car ils ont en tête de trouver bien plus menaçant qu'un léviator.

Je débute sans attendre la facture, qui ira bientôt dans un tiroir où sont rangés mes contrats spéciaux. Dans une enveloppe, je regrouperai les croquis, les échantillons choisis, et les mesures, afin de m’assurer de travailler sur le bon produit, au moment venu. D’ailleurs, je prépare déjà l’échéance mentalement, songeant à débuter le projet d’ici deux ou trois jours, le temps de bien le planifier.

Decyfer Down. C’est donc le nom que j’indique sur l’enveloppe qui recueillera le projet de tenue spéciale. Un nom unique, mais qui sonne plutôt bien. Mon poignet s’active, alors que je documente le reste des informations nécessaires à la création du projet. Et une fois les informations bien inscrites pour s’assurer que je n’oublie rien, je m’attarde à calculer les montants de la facturation. Car bien qu’œuvrer dans mon domaine d’expertise soit pour moi un véritable passe-temps bien plus qu’un gagne-pain, je dois tout de même gagner ma vie. Comme à l’habitude pour les projets sur mesure, je calcule un dépôt d’un certain pourcentage servant à couvrir les matériaux, pour que dans l’éventualité où le client décide de ne pas revenir au moment de la livraison du produit, je ne perdre pas d’argent.

-Vieil homme? Appelez-moi Théo je vous prie, avant de me jeter dans ma tombe avant l’heure.

Mais alors que je m’apprête à calculer les montants dus pour ce soir, je suis interrompu par les paroles de la cliente, qui attirent mon attention. Je fronce les sourcils, avant de porter mon regard vers la fenêtre de la boutique, où se trouve un ciel qui me parait pourtant plutôt calme. Et de toute évidence, la jeune femme cerne ma crédulité, puisqu’elle s’explique bientôt, pour cette fois, émettre l’hypothèse d’une tempête se préparant au loin. Un Léviator? Mon sang se glace à l’idée de cette bête aussi près de la côte, et aussitôt, mes pensées se dirigent vers Dor et Mouë, qui sont en ce moment même à la maison, justement au bord de la côte. De nouveau, mon regard se tourne vers l’extérieur, cette fois avec une certaine inquiétude. Si la cliente dit vrai, ma fille et mon Capumain pourrait être en danger. Déjà, la dernière tempête a bien ébranlée la maison, alors je ne sais pas ce qu’elle pourrait faire contre la rage d’un Léviator. De toute évidence, pas grand-chose.

Pensif, je prends une longue gorgée de thé, me demandant s’il ne serait pas plus sage de les faire venir à la boutique tous les deux pour la nuit, juste au cas où la matelot dirait vrai. Deux couchettes sont installés à l’étage, pour les fois où mes projets nous garde à la boutique jusqu’aux petites heures de la nuit, ainsi, nous pourrions facilement dormir ici. Mais d’un autre côté, je ne veux pas alerter ma fille pour rien, si la jeune femme se trompe. Après tout, que connais-je d’elle, outre ce qu’elle m’a déjà mentionné? Pourtant, il y a dans sa voix cette honnêteté pure, qui malgré moi me pousse doucement vers la première option ; celle de la sécurité avant tout.

Soudainement, la gorgée de thé chaud s’éjecte de ma bouche dans une fontaine de liquide, projetée directement vers la cliente. Sous la surprise, Gaël, revenu depuis peu de sa fuite du Kaiminus, effectue un bond de surprise absolument incroyable avant de pousser un miaulement strident, et repartir sans plus attendre de là où il est venu!

-Demain? Vous voulez rire?

Ne réalisant qu’à présent mon dégât, je m’empresse de sortir un chiffon, que je tends à la jeune femme, avant de me mettre à éponger le comptoir, qui a par la même occasion subit un sort semblable à cette dernière.

-Pardon, je suis vraiment désolé, quel manque de professionnalisme de ma part! C’est juste que d’ordinaire, je demande un délai d’approximativement une à deux semaines pour les projets sur-mesure. Dans certains cas je peux m’organiser pour le faire en moins de temps, mais demain…? Pour y arriver dans un tel délai, il me faudrait…

Je m’interromps, le temps de pousser un long soupir.

-Travailler toute la nuit…

Chose qui ne serait pas une première pour moi…

Le visage de la décripteuse s'attendrit à la réaction du vieille homme. Elle ne peut pas non plus l'épuiser avec ses demandes égoïstes. Elle s'assoit sur le comptoir et agite gentiment ses jambes, regardant encore et toujours la fenêtre. Si le cordonnier ramène sa fille ici, est-ce qu'à deux cela fera moins de travail ? De toutes manières, ne doit-il pas la mettre à l'abri comme elle à l'air d'être sur la côte ? Puis, cela serait mérité de le faire travailler après qu'il l'ait littéralement aspergé.

- Hm, peut-être avant de vous mettre au travail, vous pouvez ramener votre fille et les objets précieux ? Comme ça vous travaillerez l'esprit tranquille et moi je pourrais aller aider en bas.

Il en allait de soi que Dessie comptait bien accompagner le tanneur dans son petit voyage vers chez lui. Elle ne va pas rater une occasion d'avoir plus de choses à faire. Elle n'attend donc pas la permission du brave monsieur et se lève pour tenir la porte, souriant à moitié de malice on va pas se mentir. Elle en profite pleinement d'avoir l'ascendant en ce moment et ricane en continuant de parler.

- Vous pourrez m'offrir un thé comme ça, cela rattrapera votre tâchante maladresse.

Elle avance en première ligne, pourquoi suivre quelqu'un lorsque l'on a fait ce chemin des dizaines de fois ? La mer l'appel, elle pourrait y retourner les yeux fermés même en étant à des kilomètres de distance. Le son des vagues qui se rapprochent, les pêcheurs se préparant pour la pêche de leur vie, Dessie est bien contente de ne pas s'être trompée en regardant le ciel, cela lui semble de plus en plus évidant à chaque pas, ça fait du bien de se flatter l'égo parfois.

- Dessie t'es déjà de retour ?

- Oh bonjour, je ne suis que de passage vous n'aurez pas de crainte à vous faire je serais pas là longtemps.

- Tu nous donnes des fausses joies vile canaille! Tu vas nous aider avec le léviator ?

- Cela dépends du monsieur s'il me fait ma tenue à temps.

Changeant du tout au tout lorsqu'elle a fini de parler à ce pêcheur, elle sautille pour aller un peu plus vite plus lentement, ou elle peut le faire. C'est qu'elle est un peu connue en temps que pêcheuse, ne serait-ce que pour sa condition.

- C'est un joli coin, vous savez choisir où vous mettre ! Personnellement j'habites vers le là-bas, c'est sympa aussi.

Agitant la main, le bras que dis-je, tout le corps ! Decyfer pointe sa belle maison d'enfance, bien qu'elle ne soit pas visible.

- C'est sacrément proche par contre, et fragile, je plains la facture salée que vous allez recevoir, quoiqu'il me semble qu'en cas de pokémon belliqueux ce soit remboursé. C'est qu'on a une bonne cheffe.

Je me gratte le crâne tout en fixant le carnet où repose le croquis de la tenue de Decyfer. Comment diable suis-je censé terminer ce travail colossal en une nuit? Pourtant, la révélation que j’offre à la cliente ne semble pas la mener à changer ses exigences. En fait, plutôt que de se réviser et m’offrir un délai plus raisonnable, elle me propose plutôt de mieux travailler en sachant Mouë en sécurité en la ramenant ici. Je pousse un nouveau soupir alors que je comprends que rien ne pourra la faire déchanter. Et si, dans la plupart des commerces, le slogan nommant le client comme roi est généralement une évidence, il a toujours été particulièrement important dans ma boutique. Decyfer est donc reine ici à mes yeux, et qu’y a-t-il de plus important pour un sujet que de répondre aux exigences d’une reine?

-Certes, s’il y a quelque chose que j’ai appris à travers mes années de paternité, c’est que le moindre risque est un risque de trop.

Je ne sais pas jusqu’à quel point la prédiction de la marine est fondée, mais le moindre risque est à mes yeux trop grand. Je me redresse donc à mon tour, pour suivre la cliente qui s’est semble-t-il donné comme mission de m’accompagner jusque chez moi. Après le traitement que je viens de lui faire subir, il est la moindre des choses pour moi de l’inviter chez moi, histoire qu’elle puisse se réchauffer un peu, et possiblement même se changer, avant d’attraper froid avec tout ce liquide recouvrant son vêtement. Honteux de ce que j’ai fait subir à ma cliente, je l’invite ainsi à m’accompagner, bien que je sens que même si je n’avais rien dit, elle se serait probablement tout de même joint à moi.

La maison n’est pas bien loin de la boutique, mais il faut tout de même quelques minutes de marches pour s’y rendre. Je suis certain qu’un de ces jours, le trajet à parcourir pour me rendre de mon domicile à mon atelier deviendra trop difficile, et alors, il deviendra une évidence qu’il me faudra déclarer la retraite. Mais pour l’instant, je trouve plutôt que le trajet fait du bien, et que prendre l’air à chaque jour est bénéfique pour moi.

-À vrai dire, je n’avais jamais été un fan d’océan avant. C’est ma femme qui avait eu envie de découvrir ce côté-ci de pays, et depuis, je dois avouer être coupable de ne plus pouvoir m’en défaire.

Et puis, même si je voulais rentrer à Ran, je doute que ma fille, elle, soit prête à vivre ce changement. Sans qu’elle n’en parle véritablement, j’ai toujours eu l’impression qu’il était important pour elle de rester sur la terre qui l’a vu naître, en compagnie de ses défunts parents.

Après quelques minutes de marches, nous arrivons finalement à la demeure familiale qui, malgré les dégâts subis par la tempête, tient toujours fièrement. J’invite mon invitée à entrer, et nous arrivons tout de suite dans la pièce principale. Il s’agit d’un petit salon aux planchers et murs de bois, avec au centre de la pièce une grande cheminée de pierre servant à réchauffer la maison, abritée par de part et d’autre un canapé, un fauteuil et une chaise berçante. À droite, plus près de la porte d’entrée, est installé l’escalier menant à la mezzanine, qui servait autrefois d’atelier créatif pour Madga mais qui depuis l’arrivée de Mouë me sert de chambre, puisque la petite avait besoin d’une chambre. Chambre qui se situe au côté gauche du salon, juste à côté d’une salle de bain rudimentaire.

Au fond du salon se situe une ouverture donnant sur la cuisine, où de grandes fenêtres donnent sur l’océan, bien que ces temps-ci les fenêtres ne donnent plus de lumière, et sont plutôt placardées d’imposantes planches servant à empêcher de mauvais temps de briser les vitres pour venir s'infiltrer à l’intérieur. Plus loin sur la droite se situe un coin-repas, lui aussi offrant d’ordinaire une vue sur la mer.

-Ce n’est pas grand-chose, mais je vous en pris, faites-comme chez vous pendant que je prépare du thé qui cette fois je l’espère, ne finira pas sur vos vêtements.

J’adresse à la cliente un clin d’oeil malicieux avant de me diriger vers la cuisine, où se trouve ma fille qui a déjà débuté le souper. Il est vrai qu’il est plutôt tard, et je suis soulagé de voir qu’elle a entrepris la préparation. Mon estomac se met d’ailleurs à gargouiller lorsque les odeurs viennent me chatouiller les narines. L’adolescente s’est affairée à préparer un mijoté de poisson aux épices et aux pommes de terre, un véritable délice comme seule elle sait les préparer.

-Prépare une portion de plus, tu veux bien? Nous avons de la visite.

Mouë acquiesse, et pendant que je m’affaire à servir des tasses de thé, celle-ci s’empresse d’ajouter un peu de poisson, histoire de ne manquer de rien au moment de manger. Suite à quoi nous rejoignons tous les deux Decyfer au salon. Je m’apprête à effectuer les présentations, quand je suis interrompu par ma fille, qui s’approche de l’invitée, un drôle d’air au visage.

-T’es un mec ou une nana? C’est pas vraiment clair…

Aussitôt ma fille a-t-elle libéré ses paroles que je me sens devenir aussi rouge que la flamme d’un Dracaufeu.

-M-mais par tous les légendaires Mouë! Ce n’est pas comme ça que je t’ai élevée jeune dame! Excuses-toi immédiatement!

Et pourtant ma fille n’en fait rien, et se contente d’observer Decyfer en attente d’une réponse. Par Arceus, est-ce possible d’avoir plus honte encore?

Hm, directe celle-ci. Decyfer se contente de boire une gorgée du thé servit, préférant le café, mais on fait avec ce qu'on a. Pas mal d'information s'ajoutent à ce qu'il sait déjà du duo parent/enfant, de très intéressantes informations pour tout dire, mais guère importante pour l'heure. Elle s'attendait à avoir ce genre de question venant d'une chippie, ce n'est pas vraiment un sujet tabou et rien que pour voir la gène sur le père cela vaut le coup, mais ça la fait quand même rougir quelque peu.

- Un homme, si cela t'importe tant. cela me dérange pas de ne pas être vu comme je l'aimerais, mais au delà de l'éducation, évite de demander la prochaine fois, tous ne sont pas aussi mous que moi.

Toujours en gardant son irremplaçable sourire, Dessie doit admettre que la jeune femme a de très bons yeux pour avoir ne serait-ce qu'un doute. D'ordinaire, ses cheveux et ses yeux attirent bien plus l'attention sur le reste, mais il y a des exceptions apparemment. Kuni ne finira jamais de la surprendre.

Reportant son attention sur la maison, là encore, elle ne peut s'empêcher de penser que c'est un mignon endroit, avec un peu de clémence Kyogre épargnera sans doutes le lieu de la colère du serpent de mer. !Ce serait dommage que le cordonnier finisse à la rue momentanément, surtout avec un si bon thé. Elle cherche du regard des petits gâteaux de thés, elle les demande puis en grignote un entre deux aspirations.

- Et toi, t'es une femme du coup ou tu es encore trop jeune ?

Elle méchante ? Nan, elle est passée à autre chose déjà, mais c'est toujours amusant d'être taquine sur ce genre de sujet qu'elle sent être un peu sensible mais sans plus. Une fois le thé fini et la tasse reposée, la jeune femme se lève et se dirige vers ce qui semble être la salle de bain, bien décidé à retirer ses vêtements tachés, mais non sans passer quelques secondes ses mains prêt de la jeune fille sans filtre pour comparer leurs tailles.

- Mh, je peux lui emprêter quelque chose le temps que vous me fassiez ma commande ? j'ai laissé mon sac à la boutique. Mes vêtements aussi du coup, ou au pire je prends l'un des votre.

N'attendant qu'à moitié une réponse, elle prends le chemin de la douche et y passe un sacré moment. Peut-être vingt minutes ou plus, le temps qu'il lui fallait pour qu'en ressortant elle ressemble bien plus à ce qu'elle désire et en bonus avec un petit venalgue sur l'épaule pour ne pas user l'eau des deux parentés. Passant sa main sous son menton pour en ronronner à la douceur de ce dernier, Dessie se dirige vers la porte, peu importe les vêtements de qui elle a emprunté, bien qu'elle nage sans doutes dans ceux du cordonnier et qu'elle soit obliger de serrer la ceinture pour maintenir le tout. Heureusement que ce n'est pas loin.

- Je vais vous attendre dehors.

Sans en rajouter, elle sort et inspire l'air marin. Cela détends, même lorsque nous le sommes déjà. C'est une évolution du stade de détente, un superbe moment donc. Regardant encore la mer danser sous la lune, Dessie regarde son venalgue et caresse à son tour son menton.

- Cela fait du bien de revenir un moment, tu aimes l'endroit toi ? Je devrais montrer l'endroit à Imadragon aussi.

Oh, j’ai terriblement honte du comportement de ma fille, ne me méprenez pas. J’ai même terriblement honte, et je crois que le rouge qui m’est monté au visage si brusquement en est la preuve. Pourtant, d’un certain sens, je suis malheureusement peu surpris par la franchise et l’impulsivité derrière cette question qu’elle a sortie comme on demanderait quel temps il risque de faire demain. Ma fille reste d’ailleurs plantée là, à attendre que Decyfer réponde à son interrogation, malgré mes protestations. Et avant que je puisse indiquer à notre invitée qu’elle n’a pas à répondre, celle-ci rend à Mouë une réponse qui, si au début lui arrache un sourire narquois, vient rapidement lui placer au visage une moue boudeuse. C’est que l’adolescente n’a jamais été du genre à se laisser remettre à sa place. Qu’il s’agisse de moi ou d’un inconnu, depuis la première fois où j’ai rencontré la petite, elle n’a jamais bien pris la critique, ou tout ce qui s’y rapporte. Et d’ailleurs, son humeur n’est pas prête à s’améliorer suite à la question de la cliente, qui vient la chercher au plus profond de ses entrailles. Je sens Mouë se hérisser à la moquerie camouflée que lui lance la jeune femme qui s’est maintenant laissée tentée par les douceurs qui lui sont proposées.

-Nah mais hey! Tu me reprends sur mes questions absolument légitimes, mais tu vas le laisser me parler comme ça?!

Ma fille s’est à présent tournée vers moi, à son tour absolument rouge, pour me lancer un regard que je ne lui connais que trop bien lorsque les choses ne tournent pas en sa faveur. D’un réflexe, je redresse les mains, comme pour implorer sa clémence avant qu’elle ne s’en prenne d’avantages à moi. Et avant que je ne puisse tenter de résoudre le conflit qui vient d’éclater dans mon salon sans aucune raison, l’invitée tourne les talons pour se diriger vers la salle de bain, afin de prendre une douche. Et s’il se serait normalement agit d’une drôle de situation qui m’aurait fait titiller, puisque je n’aime d’ordinaire pas qu’on se promène à sa guise chez moi sans avoir demandé la permission au préalable, j’avoue que dans ce cas-ci, je n’ai aucunement l’intention de reprendre notre invitée sur ses manières. Car d’une part, je suis en partie responsable en l’ayant plutôt aspergé de thé, et d’une autre part, je donnerais n’importe quoi pour séparer les deux demoiselles qui pourraient autrement se sauter à la gorge d’un instant à l’autre.

-Okay donc on le laisse faire son sauvage, et en plus on lui offre notre douche et notre nourriture, alors que moi j’vais surement finir la soirée dans ma chambre? Cool, ouais! Très cool Théo!

L’adolescente me lance un nouveau regard noir, et je ne peux m’empêcher de songer que si elle avait des couteaux dans les yeux, je serais probablement une nouvelle portion de viande dans le mijoté à l’heure qu’il est.

-Enfin, qu’est-ce qui te prend, Mouë?! Je ne t’ai pas élevée à traiter les gens de cette manière! Et puis arrêter de dire « lui » pour l’amour de Virizion! Ce n’est pas –

Je n’ai pas le temps de finir cette petite tranche de morale que ma fille a déjà tourné les talons pour aller s’enfermer dans sa chambre, tout en s’assurant bien de claquer la porte assez fort pour qu’on l’entende à quelques maisons d’ici. Dans un soupir, je m’approche de la porte de sa chambre, pour tenter d’entrer, mais sans grande surprise, elle a barré la porte.

-Mouë, je t’en prie, ne soit pas comme ça…

Sa réponse? Quelques jurons, et un coup de pied dans la porte. Par le trio légendaire, je suis bien trop vieux pour ce genre de bêtises… Puisque la méthode douce ne fonctionne clairement pas, je sais que je n’aurai d’autres choix que d’employer les grands moyens. Alors que notre invitée est toujours sous la douche, je m’affaire à préparer quelques provisions, juste au cas où cette tempête serait aussi violente que le prétend cette dernière. J’emballe le mijoté, dont l’odeur sublime a à présent envahie presque toute la maison, avant de m’emparer de quelques autres aliments et de quelques biens. Pas qu’il y ait vraiment grand-chose possédant une grande valeur chez nous, mais je m’assure tout de même d’attraper l’alliance de Magda, toujours fidèlement posée dans une petite boîte près de mon lit, ainsi que quelques souvenirs précieux. J’emballe le tout au moment où Decyfer sort de la salle de bain, et m’indique qu’elle attendra dehors. Alors que celle-ci est déjà à l’extérieur, je me dirige vers la porte de chambre de ma fille, que j’ouvre sans problème avec la clé que je garde précieusement pour ce genre de situation, et avant qu’elle ne puisse réaliser ce qui se passe, je l’agrippe par la taille pour la hisser sur mon épaule, jambes devant et tête pendant vers l’arrière, un peu comme on trimballerait un sac de pommes de terre. Dans la surprise, celle-ci échappe un cri de surprise, sans pour autant se débattre, tant elle ne s’y attendait pas.

-On retourne à la boutique, et je ne veux pas entendre un mot de ta part, c’est bien clair?

Je me fais ferme, bien que tout de même bienveillant. Je sens quelques petits coups de protestations dans mon dos, alors que ma fille me cogne sans grande violence de ses poings, mais à ma demande, elle reste silencieuse, si on ne compte pas ses grognements mécontents. Et sans un mot de plus, nous sortons de la maison pour rejoindre la cliente, et retourner vers la boutique, où je sais déjà que nous passerons une nuit longue, épuisante, et très certainement pénible.