Sous l’œil bienveillant du dragon, nous persévérons. Danaé a calqué ses mouvements aux miens, parfait reflet de mon corps qui se déplace dans ce couvert de brume. La chaleur naturelle de ces pierres volcanique fait fondre les neiges emportées par l’hiver, ce qui cause cet effet de vapeur tout autour de nous. Épuisée par cet entraînement, je dois me poser près du Drattak, consciente que je fatigue plus vite à ce stade-ci de ma grossesse. Les sages-femmes m’ont dit que je n’en ai plus que pour quelques semaines encore. Plus que quelques semaines… En observant mes deux compagnons se livrer lutte, je me dis que notre vie va encore changer, juste quand je trouvais un semblant d’équilibre. Les derniers mois ont été complexes, à commencer par cette fuite forcée de Vénovos. Le retour a été mouvementé, il y avait fort à faire pour rétablir les finances d’un pays écartelé pendant un mois. Les dommages ne sont pas encore totalement réparés et pourtant je sens que le pire est déjà derrière. J’aime être occupée, utile à ma patrie. J’aime sortir aussi, comme cette visite de Nemeroff a forcé. Je ne m’attendais pas exactement à voir le dragon paraître à ma porte aujourd’hui, une journée que je dédiais à l’exercice de la harpe ou quelque marche près de la mer. Mais sitôt je suis montée contre son dos qu’il m’emportait au large, sur cette île recluse. Au large, je peux voir Vénovos qui me paraît petite, presque insignifiante. Et moi, intouchable.

Nous en avons profité, dans un même temps, pour parfaire notre entraînement. Aetius particulièrement a démontré des progrès impressionnants ces derniers temps. La perspective de la naissance du bébé l’a animé ces derniers temps d’une énergie déterminée. Je crois qu’au final ce qu’il recherche est d’évoluer. La terre tremble sous nos pieds, c’est sa nouvelle attaque, Séisme ! Danaé recule dans un cri, cherchant une issue avant d’attaquer son adversaire d’une Forte-Paume qui échoue. Le Kraknoix l’a vu venir et esquive avec facilité avant de lui envoyer un Éboulement qui l’immobilise pour de bon. Sonnée, elle émerge en tenant son bras au-dessus d’elle en signe de capitulation. J’applaudis les efforts de chacun, bientôt imitée par deux autres paires de mains. Effectivement, Azmitia nous a enfin rejoints, en compagnie de son Alakazam, nommée Golden. Nous n’en sommes pas à notre première rencontre dans un lieu insolite : pour une raison qui m’échappe encore, la vieille dame veut à tout prix éviter les lieux publics. Cela ne va pas sans me déplaire; de toute manière j’apprécie découvrir ses nouvelles destinations à chacune de nos rencontres.

«Impressionnant, tes Pokémon deviennent plus puissants de jour en jour. Comme toi.»

Je tâte mon ventre distendu dans un réflexe, mitigée sur la question.

«Je parviens de moins en moins à marcher comme un humain normal. Je ne sais pas si on peut me décrire ainsi. Mais oui, je vais bien. Je veux dire… je vais mieux. Les fêtes de la fin de l’année ont été difficiles.»

Pour ne pas dire absolument atroces. Mais passons. Elle n’a pas besoin de tout savoir. La rose vient s’asseoir près de moi. J’apprécie sa compagnie, sa présence. Elle ne m’intimide plus comme avant.

«Pourquoi l’île Deija, cette fois ?»

«Parce qu’il y a toutes sortes de monstres ici. Et bien, tu sais comment j’aime les gros bourrins.»

Je rigole. Effectivement, la majorité de ses compagnons correspondent parfaitement à cette description. J’observe les environs. Jusqu’à présent, les Pokémon de l’île se montrés très discrets. J’ai le sentiment que cela ne durera pas.

Azmitia sourit, à sa manière toujours mesurée, toujours calculée. Alors que j’observe son visage prudent, je me dis que nous avons beaucoup de points communs. Beaucoup de réflexes semblables. Il y a toujours cette réserve chez elle, cette distance. Et combien de questions. Au fil de nos rencontres, je réalise n’en connaître que très peu sur elle. Elle est cette figure de passage dans ma vie, cette guide qui n’aspire à être davantage et moi qui n’ose pas avouer qu’au final sa présence m’est devenue essentielle, indispensable. Mon rire s’interrompt et j’observe Danaé qui est revenu vers moi. Elle a senti le changement dans mon humeur. J’aimerais lui demander qui est la vieille dame, quel est son aura, quel est son passé. Sauf que certaines choses doivent demeurer tues. La dame ne m’a jamais incité à me dévoiler ainsi elle ne connaît que des bribes de mon histoire, de mon parcours. Parfois, il y a ce feu contre mes lèvres, cette envie qui pulse sous mon crâne. Cette envie de dévoiler, dévoiler ce que je n’ai jamais partagé avec un autre humain. Me départir du poids de ma culpabilité. Avouer mon crime.

«Tu es certaine que tout va bien, Leonys?»

«Oui. Je viens juste de réaliser que je ne retourne jamais la question. Comment allez-vous, Azmitia ?»

Son expression change du tout au tout. La confusion s’y peint. J’ai le sentiment troublant qu’on ne lui a pas posé la question depuis fort, fort longtemps. Elle se contente d’hausser les épaules avec désinvolture, dans l’objectif probablement de m’éloigner du sujet. Dans les faits, je connais ce désir parfois intense, voire obsessif, de la solitude. Je sais aussi que ce désir possède son lot de lourdeur, de doutes et de ressentiment. Peut-être a-t-elle pris l’habitude. Mais si elle prend tous ces moyens pour me visiter alors, quelque part, j’en doute.

«La prochaine fois, nous nous rencontrerons chez moi.»

Je le décrète avec beaucoup de conviction, si bien qu’elle redresse la tête plutôt que d’ignorer ma remarque, ce qui aurait été totalement son genre.

«Je n’aime pas…»

«Les villes, je sais. Mais ma demeure est isolée, avec une vue parfaite sur la mer et le ciel. La prochaine fois, je ne serai plus seule. Je veux que rencontriez ma fille dans un lieu sécuritaire.»

«Ta fille ?»

Je souris. J’ignore bien sûr le sexe de mon enfant, mais j’aime bien l’idée d’avoir une fille. Seul l’avenir me le révélera. J’hausse les épaules à mon tour avant de me redresser soudainement. J’ai entendu un bruit dans les environs. Un Gruikui surgit des buissons en poussant des rugissements curieux. Si j’ai sursauté, je me calme rapidement en saluant la bestiole qui s’approche un peu pour observer mon ventre.

«Hé bien, tu es amusant toi. Eh oui, il y a un petit humain là-dedans. Je te gage que tu n’en avais jamais observé de tel auparavant.»

Ma main se crispe à nouveau sur mon arme alors que je me redresse. Quelque chose d’autre se cache dans la forêt de l’île, quelque chose de beaucoup plus grand que ce petit cochonnet. Un humain, à n’en pas douter.

«Révélez-vous !»

J’ai presque jappé en direction du bruit, pointant mon katana en cette direction. Azmitia a fait signe à Nemeroff de s’approcher, mais le dragon ne semble pas trop affolé, tout comme Danaé qui me dépasse avec sa curiosité habituelle, malgré mes protestations.

Je ne peux empêcher mon cœur de s’affoler et la peur me gagner. À mes côtés, Azmitia s’est refermée, scrutant les environs avec une prudence que je ne lui connaissais pas. Pour ma part, je ne me déleste pas de ma méfiance, sursautant alors qu’un cri retentit non loin. Celui, à n’en pas douter, d’une jeune fille. Émerge de la végétation une jeune femme ou une vieille adolescente, un peu gênée par sa réaction devant l’immense dragon qui lui fait face. Nemeroff a plutôt penché sa tête vers le côté, ses grands yeux naïfs attentifs aux mouvements de la nouvelle venue. Clairement intéressé, il avance un museau frémissant en sa direction histoire d’avoir un meilleur positionnement pour la sentir. Je peux comprendre que le Drattak soit impressionnant. Pourtant le gros dragon ne possède aucune malice. Il accueille l’inconnue d’un semblant de sourire qui au final pourrait l’intimider encore plus… Bel essai. Pour ma part, je réalise ne pas avoir encore baissé ma propre arme. Je m’empresse de le faire, voyant que l’autre ne semble pas en porter elle-même. Le Moufflair qui l’accompagne pourrait être un défi de taille par contre. Danaé s’est approchée de la créature, ce qui me fait un peu grimacer. Je n’aimerais pas que mon alliée se trouve aspergée de sa bombe puante.

«Vous ne dérangez rien, simplement un petit entraînement. Je suis Leonys, voici Danaé, Aetius, Nemeroff et…»

En me retournant en direction d’Azmitia, je remarque que celle-ci fait «non» de la tête. Ses prunelles turquoise se sont assombries d’une panique que je n’explique pas. L’échange ne dure qu’une fraction de seconde, suffisante pour que je prenne la décision spontanée de mentir, comme semble me l’intimer la vieille dame.

«Ma grand-mère, Victoria.»

Je caresse doucement mon ventre, une habitude que j’ai prise au courant de ma grossesse lorsque je suis préoccupée ou pensive. J’entends Azmitia respirer de nouveau. Elle s’avance prudemment vers la blondine qui nous fait face.

«Enchantée. Ne crains pas Nemeroff, il risque plus de t’inonder de câlins que de te faire le moindre mal. C’est une impressionnante créature que tu as là.»

Sans la moindre crainte, le dame se penche vers le Moufflair pour l’observer. Elle tend la main sans le brusquer, avec son calme habituel. Pour ma part, je n’ai guère l’intention de m’approcher en sachant quels dommages une telle créature peut causer. Par contre, je suis intéressée par l’espèce de chenille qui monte contre la jambe de l’étrangère.

«Ça, c’est un Pyronille correct ? Vous êtes une dresseuse expérimentée on dirait.»

Probablement plus que moi. Je n’ai encore qu’une toute petite équipe, mais elle est forte et soudée. Un jour, j’en imposerai grâce à mes alliés évolués et puissants. Un jour, je me sentirai plus confiante moi-même. Alors que cette idée me traverse l’esprit, je sursaute alors qu’un projectile vole en ma direction : c’est un Flamiou ! Je l’évite de justesse avec un petit cri. Il atterrit sur ses quatre pattes avant de disparaître dans les buissons avec un rire.

«Eh bien, les Pokémon de cette île sont certainement originaux…»

Alors que je prononce ces mots, une immense créature à carapace traverse le campement de fortune, avec juché sur le dos une petite créature baveuse qui nous adresse un petit sourire. Je les observe avec une sorte de surprise mêlé d’un certain dégoût : loin de moi l’idée de toucher une telle chose avec la texture qu’elle semble porter. Puis il faut mentionner que son protecteur, un autre Pokémon que je ne connais pas, a quelque chose d’intimidant. Vaut mieux rester à distance. Il y a aussi un Magby et un autre Pyronille qui viennent traîner dans le coin, visiblement glacés alors qu’il fait plutôt bon dans la chaleur naturelle de cette terre volcanique. Danaé et Aetius se joignent à eux, tentant de les amener à jouer pour les distraire un peu. Je souris, attendrie. Même si je n’apprécie pas particulièrement les rencontres avec les inconnus, cette jeune femme n’a rien de menaçante. Peut-être pourrais-je lui faire un peu confiance, comme me l’a enseigné Azmitia. Malgré tout, je ne demeure pas exactement à l’aise, surtout en voyant la vieille dame prendre au mot les mots de la blondine pour gratouiller avec énergie la Moufflair. Oh par Arceus. Je refuse de recevoir un jet de la moufette géante, je refuse catégoriquement. Ma prudence envers la créature doit se faire sentir, mais je ne peux pas faire autrement.

«Merci de leur part. Mon équipe est petite, mais nous sommes soudés, à la manière d’une famille. Nous nous entraînons durement pour un jour espérer être plus puissants, un peu comme votre Moufflair.»

J’aimerais beaucoup voir mes compagnons changer, et ne plus rien avoir à craindre de ce monde. J’observe un moment Danaé, qui rigole en taquinant le Magby. Déjà, la petite possède une assurance que je n’aurai jamais. Je la jalouse, en un sens. J’aimerais me sentir ainsi.

«Vous ne semblez pas être d’ici, je me trompe ?»

Je reconnaîtrais cette manière franche de parler de mon pays, et le teint basané par le soleil côtier. À vue de nez, je dirais plutôt midoyenne, mais c’est difficile à dire.

«Nous avons de la chance pour le moment que les habitants de l’île soient accueillants. Si jamais les choses devaient mal tourner, comptez sur nous pour vous mener en sécurité, sur le dos de Nemeroff. Je ne sais pas combien de temps vous désirez rester, nous n’en avons plus que pour quelque temps.»

Azmitia nous observe de loin, surveillant la conversation, où je m’évertue de me montrer sympathique, voire avenante. Je tripote nerveusement mon ventre à plusieurs reprises, stressée de socialiser. Mais quelque chose chez cette jeune femme attire mon intérêt : on dirait une aventurière, celle que j’ai rêvé d’être à une époque.