La Baie de Plaisance. L'administration devait se foutre de lui, forcément. Ou bien c'était une nouvelle forme de punition pour sa mauvaise conduite auprès de la population locale. Dans tous les cas, c'était l'affaire d'un complot contre sa personne, et cela ne plaisait pas du tout au chevalier Heisemberg. Il aurait largement préféré un énième sermon pour le rappeler à l'ordre plutôt que de devoir partir en mission de… Enfin, pour mener à bien une opération sur… La collecte des déchets. Dans le littoral. Une requête séante de sa position prestigieuse, bien sûr que c'est évident.

… NON ! Il n'y avait certainement rien de plus insultant pour un soldat de son rang que d'obliger celui-ci à conduire des rondes d'informations auprès des touristes. Des. Putains. De touristes ! Et tout seul en plus ! Non pas que la tâche était insurmontable, mais elle était en tout cas beaucoup plus longue et chiante ! Vladimir n'avait même pas pu compter sur son fidèle écuyer, Artemis Fendragon, parce que, par le plus grand des hasards, c'est aujourd'hui que tombait sa journée de repos. A croire qu'on l'avait espionné exprès pour décider de quel jour l'emmerderait le plus pour aller faire de la prospection dans le sable. En armure de plaques complète, c'est tout simplement de la folie !

Et puis vas-y que ça faisait bien rire les plaisanciers. Evidemment, il faut qu'ils viennent ramener leur gueule, comme si c'était déjà pas assez frustrant de les voir se relaxer tranquillement tandis que lui était censé surveiller chaque centimètre carré de la plage pour repérer le moindre détritus. Quel boulot à la con. C'est qu'on lui avait donné un sac, en plus ! On attendait réellement qu'un Chevalier d'Or s'abaisse à ramasser des déchets, non mais. C'était censé être la corvée des nouvelles recrues, ça ! Au lieu de quoi, ses supérieurs avaient décidé de le tourner en une ridicule attraction de foire qui attirait les sales morveux. Ah, putain ! Ce qu'il pouvait les détester avec leurs questions débiles !

'Est-ce que je peux toucher votre armure ?' non. 'Et votre épée ?' non 'Est-ce que vous avez un casque ?' non. 'Une monture ?' non. 'Vous pouvez jouer au pirate avec nous ?' non putain de merde cassez-vous ! L'accès de colère du jeune homme avait fait pleuré plus d'un enfant et rebuté plus d'un parent. Sérieusement, qui a bien pu penser une seule seconde que d'affecter Heisemberg à cette fonction était la chose la plus censée et logique du monde ?! Vu la réputation qu'il se traînait à la caserne, le paladin n'aurait jamais dû se retrouver dans une situation pareille ! La punition n'avait rien de pédagogique, il n'y avait absolument aucune leçon à retenir parce que cette mission faisait encore plus ressortir le caractère de merde du soldat ! L'effet escompté était totalement contre-productif, sauf si l'objectif premier avait été de le torturer. Là, oui, Vladimir était dans un état de détresse pas possible. Mais il n'y avait rien à gagner là-dedans. On le narguait, le moquait et l'insultait en l'envoyant à la plage. Cela ne faisait qu'alimenter son éternel aigreur et dédain.

Et avec le soleil qui inondait l'extérieur de ses rayons, l'épéiste pouvait au moins remercier son père d'avoir opté pour la couleur blanche, et pas noire, pour son armure fétiche. C'était déjà assez galère comme ça de se déplacer, et il était hors de question que le Kuniois ne retire ne serait-ce qu'un gant, même pour souffler un peu. Il avait un honneur à défendre et une réputation à soutenir, même si c'était bien le pire endroit du monde pour. Il fallait qu'il se calme, que Vladimir respire un coup. Le brun avait déjà dû endurer pires situations que celle-ci avant de devenir Chevalier d'Or. Et quand on y repensait, cela s'apparentait tout à fait à une patrouille de routine, sauf que le cadre s'y prêtait moins bien. Et qu'on voulait qu'il récupère les objets perdus ou utilisés, mais ça, c'était pas près d'arriver. Et que si jamais quelqu'un venait à se noyer, il serait dans l'obligation légale d'aller lui porter secours. Et donc de retirer sa protection. Oui bon en fait, ça n'avait rien à voir avec une patrouille de routine. C'était juste l'enfer, argh !

Evidemment, les civils étaient des incompétents complets aujourd'hui, à croire qu'ils s'étaient donnés le rendez-vous pour bien moisir la mission du preux paladin. Le premier cas 'grave' à être reporté fut une mère qui l'interpella parce qu'elle n'arrivait plus à retrouver son gosse. Vlad laissa donc tomber son sac vide malgré ses nombreuses réticences pour commencer à faire le tour de la plage en compagnie de la pauvre cruche, qui lui raconta comment s'appelait son môme, à quoi il ressemblait, où elle l'a vu pour la dernière fois et bla bla bla. A un moment, le soldat avait tout simplement arrêté d'écouter et se contentait d'observer les gestes suspects, faisant un très mauvais boulot pour rassurer la pauvre femme. Mais oh, au moins il se bougeait les miches, c'était pas rien. Même s'il y avait quatre-vingt-dix-huit pourcents de chance que son gamin soit juste irresponsable et inconscient des règles de sécurité, mais indemne. Il restait tout de même une fraction de possibilité à prendre en compte, noyade ou kidnapping n'étant pas à exclure. Là, ça pourrait devenir beaucoup plus sérieux et inquiétant.

Au final, rien de dramatique ne fut découvert. Après un quart d'heure à ratisser le banc de plage, la mère reconnut la bande d'amis de son fils et alla les questionner, le guerrier plus si fier sur les talons. Clairement, il y avait quelque chose de louche avec ces jeunes. Ils étaient cinq, mais au moins deux retenaient un fou rire et un troisième semblait trembler dans ses bottes sous la présence d'un agent de l'ordre. Vladimir se joignit donc à l'interrogatoire, en forçant moins qu'habituellement évidemment. Ca restait des adolescents écervelés, pas la peine de leur foutre la frousse de leur vie. Mais l'échange ne menait nul part. Les mioches n'avaient aucune idée d'où pourrait se trouver Danny le disparu. Il y avait Ohmassacre sous roche avec ce groupe-là, mais clairement le Chevalier d'Or n'avait pas le temps de s'attarder dessus. La mère à ses côtés était en train de devenir hystérique et hurlait le nom de son gosse en plein dans ses oreilles. C'est qu'elle avait du coffre, cette nana ! Il ne savait pas encore combien de temps il allait pouvoir supporter ce purgatoire, vraiment.

Et c'est quand le duo d'adultes s'apprêta à faire demi-tour que Vladimir remarqua un truc suspect par terre, un éclat de couleur au milieu des grains dorés. Un des mioches, celui qui semblait prêt à se pisser dessus, était placé devant de manière pas si innocente que cela. L'homme en armure n'eut même pas besoin d'analyser la situation qu'il poussa sans ménagement le garçon pour s'accroupir et… C'est pas vrai ! Pourquoi faut toujours que les gamins, ça soit con sérieux ? Ni une ni deux, la Foudre Impériale de l'armée de Venovos plongea avec force sa main dans le sable, grattant ardemment son chemin sur quelques centimètres. La frustration lui donnait des ailes, et c'est en un rien de temps que son gant métallique sentit un bout de tissu et tira dessus. Une jeune garçon émergea alors dans une cascade de sable en criant de surprise, soulevé par la poigne de fer du paladin en colère. La mère accourut pour récupérer son mioche, bruyante comme pas permis. Elle commença par remercier Arceus de lui avoir rendu Danny et se mit à le choyer pendant une bande minute, ce que Vladimir trouva d'absolument répugnant.

Il se retourna vers le groupe de jeunes, qui avaient au moins la décence d'afficher un air coupable ou penaud. Faire perdre son temps à un Chevalier d'Or avec des blagues pareilles… Heisemberg comptait bien leur passer un sacré savon, mais il semblerait que la folle dingue soit passée d'un seul coup du mode 'mère aimante' à 'mégère des familles'. Elle tenait son gosse par le bras et se mit à rouspéter la bande d'amis, comme quoi ils avaient fait quelque chose de pas bien, qu'ils étaient irresponsables et ce genre de truc. Eh ben, si même maintenant les civils lui piquaient son boulot, qu'est-ce qu'il était censé faire sur cette putain de plage ? En tout cas, c'est clair que Vladimir ne s'attarda pas près de la farouche dame. Il avait eu son quota d'hurlements pour la journée. Nan, au lieu de cela, l'épéiste blanc retourna à son spot d'observation, là où il pouvait prendre en compte une grande partie de la plage en un seul coup d'oeil. Il avait laissé son sac à merde, en plus. Même s'il ne comptait pas s'en servir, manquerait plus qu'un petit malin vienne le lui chouraver sous le nez pour vraiment pourrir cette journée au possible.

En s'approchant pourtant, le paladin constata que le sac en question était en train de remuer. Allons bon, encore un gosse qui voulait lui faire une farce ?! Vladimir piétina les derniers mètres qui le séparait du contenant avant de le prendre et le secouer violemment. Mais c'était beaucoup plus léger qu'un être humain, ça… C'était… Un Pokémon ?!

Qu'est-ce que c'était que ça ?! Du jaune, du vert. Et… Ah putain de merde de fait chier sa mère !

Quelque chose s'accrocha sur le visage du paladin, qui sur le coup de la surprise et de l'agression en perdit l'équilibre pour se retrouver le derrière dans le sable. Mais c'est dégueulasse ! Sa main venait de retirer une toile gluante !

« C'est quoi ce bordel ?! »

Ah, Vladimir croyait qu'il ne l'avait pensé que très fort, mais en fait c'était sorti tout seul. Aussi naturellement que son ennemi sortit de sa cachette, c'est-à-dire qu'un petit Larveyette quitta le cocon douillet que représentait le sac. L'insecte n'était pas content et semblait prêt à lui cracher de nouveau à la gueule. Le Chevalier d'Or n'attendit pas de découvrir ce funeste destin pour envoyer valdinguer la bête d'un bon coup de botte. Le Pokémon roula un peu plus loin, sonné. Mais le calvaire de l'humain n'était pas encore terminé.

*Cling cling*

« Quoi ? Tu veux mon portrait p't'ête ?! »

*Cliiing~*

« Mais c'est pas vrai ! T'es en train de te foutre de moi là ! »

*Cliclicling*

« Tu vas voir ! J'vais t'en coller une, moi ! »

De l'extérieur, cette scène était d'une profonde débilité. De l'intérieur, c'était pas mieux. Heisemberg était tellement remonté qu'il n'avait même pas pris le temps de se relever pour sauver sa dignité. Au lieu de cela, il pointait un doigt accusateur en direction du Korillon flottant sur place. Le brun détestait les bruits de cloches, leur tintement lui cassait les oreilles. Quand c'était des petites, bien sûr. Les grosses faisaient juste mal à s'en arracher les tympans, et en plus le bruit se réverbérait dans son armure. Heureusement qu'il ne se rendait jamais à l'église de Venovos.

Toujours est-il que le Kuniois finit par interrompre ce moment honteux quand il se remit sur pied, avec la traître sensation d'infimes grains courants déjà entre les interstices de son équipement.

« Ah, fait chier ! Ca va rester toute la journée, maintenant ! »

Le Korillon, pour sa part, semblait se délecter de chaque nouvelle plainte du paladin. Bien sûr, la clochette n'hésita pas à détaler en voyant l'ombre bipède découpée sur le sol se rapprocher hâtivement. Voilà que Vladimir se retrouvait tout seul, puisque le Larveyette s'était avoué vaincu pour le moment et avait battu retraite temporairement. Le Chevalier d'Or n'avait plus rien pour évacuer sa colère, à présent. Et ça l'enrageait encore plus. Pourquoi l'avait-on affecté à la plage en premier lieu ?! Tout seul en plus ! Le descendant Heisemberg comptait bien aller faire part de son mécontentement auprès de l'administration !

Mais pas le temps de continuer à se plaindre intérieurement ! Deux civils l'accostent avec inquiétude, un homme et une femme tous deux de la vingtaine, voire un peu moins. Impossible de savoir s'ils avaient assisté de loin au spectacle, alors Vladimir mit en place son plus beau regard noir. C'est qu'il commençait à crever de chaud, et on venait encore l'emmerder ! Intimidés, les jeunes gens bégayèrent maladroitement, mais le paladin comprit le plus important du message. Apparemment, le quatuor (puisqu'ils étaient quatre à la base) avait fait le con dans une des grottes du littoral, sur l'extrémité de la plage. L'un de leur pote se serait blessé et ils ne savaient pas quoi faire pour le sortir de là. Ils n'étaient encore que des adolescents un peu stupides, et ça se voyait.

Vladimir n'avait même pas pris la peine de ramasser son sac après l'attaque du Larveyette. Il avait eu un pressentiment qu'il allait devoir se remettre à courir à droite et à gauche, alors il ne s'était même pas foulé pour reprendre sa mission d'observation. Tant pis si le vent emportait le machin au loin, ça lui donnerait une excuse. Mais pour l'heure, le guerrier blanc allait bien s'amuser à patauger dans la marée montante. Oh oui, quel délice. Il n'était même pas soigneur en premier lieu ! Ils s'attendaient à quoi les mioches, à un miracle ?! Parce que le seul endroit où Heisemberg est capable de faire des choses prodigieuses, c'est sur un champ de bataille. Pas. Une. Plage !

La Baie de Plaisance était une plaie à parcourir d'un bout à l'autre. Evidemment, fallait que ça tombe sur le mauvais côté, celui qui était le plus éloigné. Le Kuniois avait beau prétendre que cela l'entraîner à marcher sur du sol irrégulier, cela ne calmait en rien son exaspération et la démangeaison dans ses mains. Il voulait frapper quelque chose, là, maintenant, tout de suite ! Surtout que les civils n'arrangeaient pas leur cas. Peut-être qu'ils pensaient qu'en racontant toute la vérité et donc tout ce qui s'est passé, à la manière dont on avoue un crime, allait rallier le Chevalier d'Or à leur cause par sympathie. C'était tout le contraire. Vladimir n'en revenait pas d'être tombé sur des têtes de nœuds pareils ! Qui s'amuse à explorer une vieille grotte pourrie, en premier lieu ?

Un jeu d'Action ou Vérité, évidemment. Aussi évident que le nez au milieu de la figure, ou pour le cas de l'épéiste, du bandeau jaune autour de sa tête. Oui, c'était con de faire la comparaison d'une métaphore (où était-ce l'inverse ? ouaip non, c'était de la merde), mais si cela pouvait lui occuper l'esprit deux minutes, peut-être qu'il arriverait à contenir son envie de meurtre. Au final, réfléchir sur ses lacunes littéraires lui embrouillait encore plus le cerveau. Fils de chevalier de renom, Vlad avait eu le droit à la partie éducation 'bourge'. Cela ne lui avait pas vraiment réussi, comme on pouvait s'y attendre. Il ne comprendrait jamais ce que les érudits pouvaient trouver de passionnant dans des bouquins de trois-cents pages.

Mais les voilà à l'entrée de la grotte ! Avec son odeur salée, son eau qui s'infiltre dans les chaussures et ses stalactites (ou -mites ?), le guerrier serrait les dents pour ne pas laisser couler un flot d'obscénités. Pour une fois, il était tellement frustré que de s'énerver, bah ça allait l'énerver encore plus. Enfin bref. Un des adolescents avait un Salamèche pour éclairer l'obscurité, c'était un début. Malheureusement, il ne fallait pas en attendre plus de leur part. Pourquoi ils avaient les chocottes de retourner là-dedans, tout en sachant qu'un de leur compagnon était à terre, était au-delà de la compréhension du Kuniois. Le trajet était court, à peine une minute ou deux. Et effectivement, Heisemberg ne s'était pas attendu à ce que ce soit aussi sérieux.

La personne à terre, une jeune femme, avait le visage gonflée par les larmes et la douleur, et sa jambe était en sang quand bien même il y avait un tissu par-dessus. L'autre sur place était aussi une fille qui avait un Muciole à ses côtés pour éclairer l'espace. Celle qui n'était pas blessée semblait incroyablement tendue, c'est le garçon qui expliqua en détail ce qui était arrivé. Avec leur jeu débile, l'imprudente avait dû sauter de rocher en rocher sur quelques mètres. Le Chevalier d'Or n'avait même pas besoin d'entendre la suite, alors il fit signe au jeune homme de se la boucler. La gamine avait glissé et été retombée. Problème, en plein sur l'une des pierres. D'où l'état inquiétant de sa jambe.

Le guerrier n'était pas expert en la matière, mais les escarmouches avec les criminels rapportaient parfois de vilaines blessures à la caserne. L'adolescente devait avoir une fracture quelque part dans sa jambe puisqu'elle avait trop mal pour se relever, sans compter la bonne grosse éraflure. Pour l'instant, elle semblait bien consciente de son environnement et de sa condition, vu comment elle tressaillit au contact du soldat. Vladimir n'avait pas vraiment de remord, il faisait cela dans le but de rendre compte le plus précisément possible des dommages. Mais un cri strident retentit soudainement, le faisant se retourner à vive allure.

La dresseuse au Muciole recula précipitamment, et les deux autres se prenaient dans les bras en tremblant de peur. Quelque chose venait dans leur direction, et bientôt deux ombres se dessinaient sur le sol…