Je ne me sentirai jamais vulnérable au cœur de canyon qui abrite les miens. Ses parois rocheuses défient un ciel incertain. Elles m’inspirent courage et droiture. Car si elles doivent tenir, j’en ferai tout autant. Malgré la douleur qui barre toujours mon dos et les récents malaises, cette fois je ne me laisserai pas consumer par les ténèbres. Même que l’humeur, malgré ses caprices ces derniers temps, tient bon. Puis dans ces temps de doute, je peux compter sur une alliée. Je sais qu’elle, elle comprendra.

Car le monde ne me considère plus du même œil depuis l’attaque. Je suis cet objet de verre que l’on doit protéger. Déprivée de mon humanité, je ne représente plus qu’un poste, qu’une image fragilisée, qu’une position politique incertaine. J’ai accepté depuis longtemps de me départir de mon individualité au nom de la cause; avec des résultats mitigés. Mais je sais. Avec le trône viennent des responsabilités et des attentes que je n’ai pas encore réussi à combler peut-être, mais j’apprends et je fais de mon mieux. Cette attaque ne fait que me rappeler pourquoi j’ai suivi les traces d’Elyes. Je veux incarner la force, être la voix de mon pays, je veux conserver la paix fragile sur ce continent. Pourtant, je suis sujette aux doutes, moi aussi. Quand certains ont accusé Kuni et Sakai, j’ai admis le questionnement. Je ne l’ai pas rejeté tout de suite. Il y a d’autres rumeurs aussi. J’ai accepté que je ne connaîtrai pas la vérité, pas tout de suite. Si j’ai eu peur, vraiment très peur, j’ai d’autres priorités pour l’instant.

Même encore maintenant, je peux sentir ces yeux sur nous, nous faisant vulnérables. Nos protecteurs nous observent de loin alors que nous déambulons sous un soleil pâle, mis à mal par le passage de nombreux nuages. Les oreilles de nos compatriotes éloignées, j’ai enfin tout le loisir de m’adresser à ma comparse en toute honnêteté. Et si nous avons beaucoup de choses à discuter aujourd’hui, c’est le cœur lourd que je m’approche pour prendre sa main, comme à une vieille amie. Je regarde autour, pour chercher cet Hélionceau que Ceriza veut dénicher pour sa tendre moitié, mais je ne parviens pas vraiment à voir l’ocre de la savane. Ma vision s’est embuée.

«On t’a traitée ainsi, toi aussi, après l’attaque du Grand Conseil ? Comme si tu étais amenée à disparaître à tout instant ? Tu t’es senti ainsi, toi aussi, avec cette envie de fuir, de fuir cette pitié insensée ?»

Il y a beaucoup d’amertume dans ma voix. J’entends un petit bêlement à mes côtés. Erynor tente de me soutenir à sa manière. Mais lui aussi a été ébranlé de me voir si vulnérable. Même s’il tente de le cacher.

«Je suis vraiment heureuse que tu sois là, Ceriza. J’ai l’impression que tu es la seule personne apte à comprendre présentement.»

Je tiens, je le dois. Mais la peur refait surface et je vois la scène, encore. Celle dans laquelle j’ai projetée la Midoyenne au sol, évitant une boule de feu qui a pulvérisé un de mes conseillers. Celle dans laquelle je dansais, candide, avant d’être gratuitement poignardée au cœur de la foule. Ni elle, ni moi, n’avons eu l’occasion de nous défendre. Mon poing libre se crispe.

«Y avait-il dans ton cœur ce désir de vengeance, toi aussi?»

Et comment faire lorsqu’il n’y a personne vers qui diriger toute cette colère ? Je prends une grande respiration. Rien ne sert de pleurer. Car je ne me montrerai pas vulnérable, plus jamais. Je suis Chef de Ran et je serai le pilier de mon peuple, peu importe les circonstances. Peu importe les circonstances.

Je n’ai aucune intention de laisser la colère me consumer, de la méprendre pour de la force. Trop se sont perdus entre les mains de la douleur; non pas moi. J’ai appris, malgré moi, à mon rythme cahin-caha, oui peut-être ai-je boité sur ce chemin. Et je suis tombée -oh!- à plusieurs reprises. Qu’on me le rappelle s’il le faut, tant pis. Je n’ai aucune hésitation à regarder à ma suite. Au contraire, j’aime constater par moi-même le chemin parcouru, tout en sachant les sommets encore à atteindre. Il a fallu apprendre à la dure, dans un monde que je ne pensais pas si hostile, mais peut-être était-ce simplement une partie de la pédagogie. Ce cœur émotif qui me compose demeurera, malgré mes efforts pour en alléger les réactions vives. Aujourd’hui par contre, c’est moi qui tiens les rênes. La colère est là, elle contracte mon abdomen d’un étau désagréable, elle anime mes mains de soubresauts et fait s’emballer le tambourinement régulier dans ma poitrine. Sauf que cette fois je suis en mesure de la laisser de côté. Je veux agir, j’ai ce désir qui pulse, ce besoin même. Qu’on me laisse être qui on m’a formée à devenir. Même maintenant, je peux sentir les réfractaires, ceux qui au final n’ont pas réellement confiance en moi. Au-delà de cette situation, cette attitude déplaisante cause d’autant plus de frustrations.

J’ai adressé mes mots, mes émotions, mes témoignages, à la bonne personne. Non seulement Ceriza m’a toujours été sympathique, j’ai le sentiment profond qu’elle comprend parfaitement ma position. Alors qu’elle commence son propre récit, je l’écoute sans la regarder, sans être pour autant inattentive. Au contraire, je bois chacune de ses paroles, y cherchant appui et guidance. Je redresse néanmoins les yeux en sa direction alors qu’elle évoque sa bien-aimée, décrivant une scène que je peine à imaginer. Je fronce les sourcils, déstabilisée par ce changement de trame m’ayant pris au dépourvu, restant silencieuse dans l’objectif de réfléchir sincèrement à ses mots. Est-ce que la protection qu’on cherche à m’offrir provient réellement de l’affection qu’on peut me porter ? Il me semble qu’entre toutes les personnes qui gravitent autour de moi, seul celui qui m’aime véritablement a conservé son calme, Nadim. En apparence du moins. Mon cœur se serre d’imaginer sa détresse réelle. Après avoir perdu deux parents aux mains de la maladie, il y a encore probablement ce traumatisme en lui. Je soupire. Il y a quelqu’un d’autre aussi. Mais je n’y parviens pas. Pas à excuser son comportement des derniers temps, pas à penser à lui maintenant. Je dois être forte.

«Peut-être. J’aimerais simplement que le processus pour guérir de cette tentative d’assassinat m’inclue. Qu’on me considère. Qu’on soit attentive à mes besoins aussi. Qu’on me considère comme une humaine, et non comme une peine. J’ai été patiente, Ceriza, je n’en peux plus. Il me semble que je n’ai plus vu sourire depuis très longtemps. J’ai besoin de prendre soin de moi aussi, même si ça signifie de rejeter certaines personnes, ne serait-ce que pour un temps. Est-ce cruel de parler ainsi ?»

Ma question est sincère, teintée d’une certaine angoisse. Me voilà qui culpabilise pour toutes ces choses dont je ne suis pas réellement responsable. Je me laisse dévier souvent sur cette pente glissante, qui gruge lentement mais sûrement un moral déjà vacillant. Je ne suis pas la seule à culpabiliser néanmoins.

«Comment peux-tu dire quelque chose d’aussi absurde ? Tu m’as rendu la pareille de plus d’une manière déjà. Ne minimise pas ta part dans ma guérison.»

Cette simple conversation suffit à soulager un poids dans ma poitrine. Il fait du bien de parler sans se sentir jugée. Et aussi de discuter avec légèreté. Je reconnais bien ma collègue dans son discours, cette éternelle hédoniste, à la recherche de plaisir.

«Malgré mon gabarit, j’ai une assez pauvre résistance à l’alcool, je faisais la risée de mon unité lorsque j’étais dans l’armée. S’il fallait que je te prenne un peu de temps pour une escapade…»

Je regarde autour de nous.

«Alors ce serait pour explorer un peu de ce vaste monde. Peut-être que nous trouverions des réponses ainsi. Quelque chose rôde à Ekoe. Quelque chose qui veut notre peau.»

Difficile de définir mes besoins parmi un tel chaos interne. Autour de moi, je n’ai qu’un soutien approximatif, peu sincère. Du moins de ma perception. Peut-être me laissai-je contaminer par mes émotions négatives. Dans les moments de doute, j’apprends progressivement à me fier à mes propres expériences. Ces désirs qui m’habitent sont peut-être indécis et compliqués, tant pis. Je pense qu’à l’heure actuelle, j’ai besoin de suivre cette voix intérieure. Après, après peut-être serai-je plus disponible aux paroles sages, à la protection de mes proches. Ceriza me rassure en m’affirmant qu’elle respecterait ma volonté tout en ne me laissant pas m’éloigner trop longtemps. Encore une fois, elle prononce exactement les mots qu’il me fallait entendre. J’aimerais tant qu’Idriss comprenne les choses de la même manière. Peut-être un jour. Lui aussi a beaucoup perdu dans son parcours de vie. J’imagine qu’il s’agit de sa manière à lui de composer avec la situation. Le sourire de ma vis-à-vis se reflète bientôt sur mes propres lèvres, timidement. Il y a encore trop d’incertitudes pour véritablement me perdre dans ces instants complices. Je baisse les yeux, ne réalisant pas que la Chef midoyenne a entrepris de fouiller dans ses affaires pour en tirer un parchemin. Je réagis plutôt à ses paroles ensuite avec un rire bref et désabusé.

«Oh, à ce sujet, les rumeurs courent d’ailleurs. Certains accusent Kuni et Sakai alors que d’autres racontent que j’aurais été attaquée par un monstre ou un spectre. Dans les instants de doute, les gens perdent toute contenance. Oui, certes, nous aurions plus de réponses à l’heure actuelle. Peut-être cela m’apporterait peut-être la paix. Dites-vous que vous avez eu la chance d’y faire quelque chose. J’étais la guerrière, j’aurais dû voir le coup venir. Je n’aurais jamais dû baisser ma garde entre les bras d’I-…»

Je ne conclus ma phrase, soupirant longuement. Je préfère ne pas m’avancer sur ce terrain avec Ceriza dans les parages. Pas envie de penser non plus à tout ce que j’ai pu ressentir ce soir-là, avant l’attaque. À la sensation de liberté, délicieuse. Je saute plutôt sur le sujet que m’amène la femme.

«Vous ne devriez pas avoir à vous priver. Ildra et vous… vous vous aimez. Ce n’est pas juste de porter ce fardeau. Ou même de s’empêcher. Car de l’extrême prudence émane une certaine victoire pour nos ennemis, non ? Ce sont eux qui ont le contrôle. Dès que j’irai mieux, je me lancerai à leur poursuite, peu importe qui ils sont ou ce qu’ils désirent.»

Je n’ai guère l’habitude de me montrer aussi décidée dans un acte qui pourrait paraître violent. Mon entraînement n’a pas réussi à forger chez moi un esprit pragmatique. À mes yeux, toute vie en vaut une autre. Néanmoins, ceux qui cherchent à régner par la terreur doivent être arrêtés. Je grimace, sentant ma blessure m’élancer. Je soupire. Ceriza essaie de détendre l’atmosphère, je devrais en faire autant. Même son fidèle Autan me paraît triste. Je tire une balle à ma ceinture, celle de la Tylton qui a éclot alors que nous rentrions du Grand Conseil. Mélusine apparaît, brillant presque sous l’éclat du soleil. L’oiseau est toujours aussi timide, ainsi se dissimule-t-elle dans mon cou dès qu’elle en a l’occasion. Néanmoins, elle observe nos interlocuteurs avec intérêt.

«Qu’y a-t-il sur ce parchemin ?»

Ma voix est plus douce. J’adresse un regard à la meneuse, lourd de sens. Un remerciement silencieux pour son écoute, et en quelque sorte une promesse. Je tenterai d’alléger mon humeur, de trouver une sérénité dans notre sortie. Même s’il reste encore fort à discuter, nous avons aussi besoin de nous distraire.

Non, bien sûr que non. Être constamment à l’affût, impossible. Même le plus grand des guerriers ne peut assurer une telle constante. Sauf que je ne suis plus une simple soldate désormais, mais bien une meneuse de royaume. J’ai toujours eu le sentiment d’être insuffisante et aujourd’hui ce sentiment me plonge dans les tréfonds d’une estime fragilisée. Je cherche un second souffle, une manière de me défaire de mes démons, car j’aspire à mieux. Or, il n’existe qu’une manière pour moi de me racheter : faire mieux. Toujours mieux. Sitôt ma santé me le permettra que je reprendrai avec acharnement mon entraînement, que je braverai toutes mes limites. Non, la perfection ne peut exister pourtant il s’agit d’un idéal vers lequel tendre. Je me tais, sachant que Ceriza me dira de m’apaiser, que je ne fais que me torturer l’esprit de ces pensées. C’est facile pour elle. Tout est facile pour elle. Elle n’a jamais connu la même adversité. Toutes ces choses qui sont attendues d’elle, elle les réalise avec assurance et talent. Moi… Moi je ne suis encore que cette pauvre gamine d’Orion. Je peux sentir ma poitrine se compresser douloureusement à cette pensée, et mon abdomen encore enflammé par ce souffle ardent, celui de la colère. Je me demande quand elle s’apaisera, si seulement ce doit être le cas un jour.

Elle cède place, timidement, à la culpabilité. Cette vieille amie. J’aimerais tant pouvoir assurer la sécurité de la chef midoyenne, lui permettre de vivre son amour auprès de sa dulcinée. Je me dégoûte de cette instabilité, qui met un frein aux projets de mon amie. Je soupire, lui offrant un petit sourire désolé, car j’aurais aimé qu’il en soit autrement. Je sens un poids atterrir sur ma tête : Melusine vient s’y poser en chantonnant. De toute évidence, la petite Tylton n’est pas alourdie des mêmes tracas que moi. Elle salue timidement la midoyenne et le Colombeau, qu’elle n’aura probablement pas oublié. Nerveuse soudainement, elle se cache dans mes cheveux, y formant probablement un important fouillis. Peu soucieuse de mon apparence, je ne l’en dissuade pas, mais je soupire un peu devant sa gêne.

«Aller Melusine, va t’amuser un peu avec Autan. Il ne mordra pas, promis.»

Je la repousse doucement du revers de la main et elle prend son envol de manière récalcitrante, s’approchant du Colombeau en saluant une fois de plus. Puis elle s’élève vers le ciel tandis que Ceriza m’explique ce qu’elle est venue chercher par ici. Un Hélionceau ! Quelle brillante idée ! Dans ce pays, Némélios est un Pokémon grandement estimé.

«Ohh, un Hélionceau ! Mais oui, effectivement ! Vous êtes brave de vous aventurer par ici pendant cette période, car les mâles ne sont pas bien patients en cette période et les attaques nombreuses. Cependant je n’ai aucune crainte qu’à nous deux nous pourrions gérer la traque d’un mâle territorial.»

Ce projet me fait déjà du bien. Je fais la connaissance de Cinerem, une Goupix aux couleurs exceptionnelles. Je lui offre toutes les caresses demandées, surprenant par le même fait un roulement de yeux de la part d’Erynor. Jaloux, va.

«Elle fait effectivement office de définition du mot même de «mignon». Où l’avez-vous dénichée ? On dirait un spécimen chromatique. Je n’en avais jamais vu de telle !»

Nous nous mettons à marcher avec une lenteur effarante. À ce rythme, nous ne trouverons jamais la bête convoitée. J’ai beau ne pas être très pressée de mettre fin à cette balade à deux, je reconnais le besoin de voyager plus rapidement. Le canyon et ses savanes sont vastes. Nous pourrions passer des jours sans croiser le moindre félin. J’ai une solution à ce problème. Avec un sourire énigmatique, je rappelle le Wattouat à sa balle avant de faire appel à un autre de mes alliés : Alyn le Bastiodon. Le dinosaure s’étire, la queue battante, en attente d’instructions.

«Ça vous dirait de faire un tour ? On aurait une meilleure vue de là-haut.»

Et je souris comme une enfant fière de son petit protégé. Son «petit» protégé haha.

J’ai confiance qu’auprès d’Autan, Mélusine trouvera un ami de choix. Ceriza n’a pas tort en ce qu’elle affirme au sujet de son compagnon. Je connais effectivement peu de Pokémon aussi dévoués et gentils que lui. Il n’y a qu’à repenser à la manière dont il a pris soin d’elle alors qu’elle était toujours bébé. À présent, la Tylton a bien grandi, de plus en plus habile en vol. Bientôt, elle et le Colombeau ont disparu quelque part dans les rares nuages paresseux au-dessus du canyon. Je ne m’en effraie pas pour autant, au contraire. Il est bon de la voir s’éloigner en toute confiance. Cela change de son habitude d’être constamment blottie contre moi par crainte du monde extérieur. J’ai espoir que cette expérience lui offre l’assurance nécessaire pour répéter ce genre d’escapade.

«Il me faudra remercier Autan d’avoir pris en charge Mélusine ainsi. La pauvre a du mal à s’éloigner de moi, je n’ai jamais connu de Pokémon plus timide qu’elle.»

Je reporte mon attention sur Alyn qui lui attend impatiemment que nous montions contre son dos. Il observe la Chef midoyenne avec curiosité. Ce n’est pas la première fois qu’ils se croisent après tout, mais peut-être n’en a-t-il pas souvenir. Il balance la queue de droite à gauche en tout cas, heureux de se dégourdir les jambes. Ceriza n’hésite même pas à monter, ce qui me fait sourire. Ma collègue est ce drôle de mélange entre raffinement et audace qui me plaît énormément. Je bondis à sa suite, intimant le dinosaure à avancer d’un serrement de cuisse. Le Goupix chromatique semble bien déçu de ne pas nous accompagner, néanmoins la midoyenne a une tâche spécifique pour le petit renard. L’échange entre les deux me tire un sourire amusé. Moi-même j’aurais très certainement cédé devant cette adorable bouille. On dirait qu’elle a plus de volonté que je n’en posséderai jamais devant une paire de yeux mignons.

Ceriza fait le récit de la manière dont elle a obtenu cette petite Goupix, justement, une histoire qui me fait bien rigoler. J’avoue que j’aurais probablement eu une réaction semblable à celle d’Ildra sans savoir. Pour Mélusine, c’était différent puisque je ne connaissais pas encore très bien cette espèce. Mais la différence est aussi moins marquée chez ces renards, comme s’ils avaient en quelque sorte pâli. Dans tous les cas, Cinerem s’active à chercher une piste. Du dos du Bastiodon, nous avons une meilleure vue sur la savane. C’est une belle journée pour une chevauchée, puis Alyn à son habitude se montre doux, faisant bien attention au roulement de son bassin pour éviter de nous donner le mal des transports.

«J’aurais probablement cru pareil, à vrai dire. Les Pokémon sont des créatures vraiment surprenantes. Je me demande ce qui cause certains d’entre eux à avoir une teinte différente.»

Si j’observe quelque chose ? La beauté de mon royaume ? À vrai dire, j’ai aussi négligé la surveillance. Cependant, devant le rappel de mon interlocutrice, je remarque quelque chose au loin. Je serre les cuisses pour intimer la monture à se presser et bientôt, une carcasse encore fraîche d’hisse à notre droite. Pas encore nettoyée par les oiseaux, hum. Cela signifie que le repas ne date encore énormément.

«Une chasse récente d’un de ces lions à n’en pas douter. Gardez l’œil ouvert, nous ne sommes pas bien loin du but.»

Même qu’il me semble entendre un grognement non loin… Peut-être même un peu trop près que ce que je ne le voudrais.

La vie du canyon en est une impitoyable. Sans un certain cercle de soutien et surtout un esprit débrouillard, la survie n’en est pas du tout assurée. La loi du plus puissant règne sous le soleil ardent de la savane. Je le constate à l’approche maladroite cet Hélionceau, définitivement unique au vu de sa fourrure pâle. Affamé, il se précipite contre la Goupix qui, bien plus agile, l’évite sans aucun mal avant de lui faire subir une attaque psychique qui le projette au sol où le pauvre semble attendre le coup final. Mon cœur ne se serre pas à sa vue; j’ai déjà été témoin à maintes reprises de ce genre de scénario. Loin de sa communauté, probablement chassé par les siens, il ne fera pas long feu. Il se nourrit de la carcasse abandonnée avec désespoir. Est-ce qu’il s’agira de son dernier repas ? En tout cas, il lui reste un peu de feu intérieur, puisqu’il se permet tout de même un grondement qui me tire un sourire amusé.

«C’est ce qui arrive lorsqu’ils sont chassés trop tôt. Un petit tel que lui passe habituellement dix-huit mois à deux ans près de son parent pour apprendre à chasser. Quand il y a changement de pouvoir au sein d’une tribu, le mâle triomphant chasse tous les petits de son prédécesseur. Ça encore c’est quand il les laisse en vie. Il a eu de la chance, mais je doute qu’il survivra très longtemps dans la nature vu son état.»

J’ignore si ce sont mes mots ou alors le regard peu impressionné de Cinerem, dans tous les cas, le bébé lion s’enfuit sans demander son reste, le ventre arrondi par ce repas inespéré. Dommage, s’il était resté auprès de Ceriza, il aurait connu une vie de roi, avec des repas gastronomiques à volonté en plus de la stimulante compagnie de ma comparse. Je m’apprête à nous éloigner d’un coup de hanche sur les flancs de ma monture quand un rugissement, suivi de plusieurs autres, se fait entendre. Je me crispe aussitôt, scrutant l’horizon où apparaissent non pas un mais plusieurs Némélios. L’Hélionceau de tout à l’heure s’empresse de nous rejoindre, terrorisé, prenant place derrière la Goupix pour s’éviter les foudres de ce groupe. Je conserve mon calme en sortant mon bouclier que je place instinctivement de manière à protéger Ceriza des flammes potentielles qui pourraient pleuvoir sur nous. Je préfère rester à dos de Bastiodon, car ce faisant que ces créatures décideraient d’attaquer, il pourrait briser leurs rangs pour nous éloigner. Or, ces grands chats sont plus habiles et plus rapides qu’Alyn, en un rien de temps elles nous auraient rattrapé. Il faut mieux combattre maintenant, et j’ai l’adversaire parfait pour ces Némélios.

«Neven, à toi, débarrasse-nous !»

L’Azumarill émerge de sa balle avec son énergie caractéristique. Il se balance d’un pied à l’autre, cherchant à intimider le groupe qui, nécessairement, le considère plutôt d’un œil gourmand. La souris aquatique doit leur sembler plus tel un repas qu’un adversaire de taille. Grave erreur. Car ses adorables petits pas ont une fonction bien précise.

«Désolée à l’avance, chère Ceriza, il semblerait qu’il va pleuvoir légèrement.»

Étrange de l’affirmer alors qu’en levant le nez, il n’y a pas un seul nuage dans ce ciel. Pourtant, une couverture nuageuse se forme bel et bien au-dessus de nos têtes, noire et menaçante. S’y échappe une bonne bordée de pluie qui persistera un moment. Je peux déjà me sentir me tremper, tant pis. Ce sera toujours mieux que d’affronter ces Némélios en pleine puissance.

«Pas fou pour Vibraninf. Alyn nous les tiendra à distance, mais je suggère tout de même de bien vous accrocher s’il doit ruer. Neven, tu sais quoi faire !»

D’ailleurs, le premier Némélios, une des quatre femelles, lui saute à la gorge et le fait tomber au sol. Suspendue au-dessus de lui, elle le menace de ses crocs. Heureusement, mon compagnon est doté d’une bonne défense et a la capacité d’endurer des coups bien plus vicieux. Je peux voir un sourire fendre son visage alors qu’il empoigne la lionne par le cou et lui réserve les multi coups de son Câlinerie. Le chat proteste et feule avant de se reculer, un peu sonné par la puissance de l’Azumarill. Définitivement, parmi mes compagnons, il est le plus apte au combat et celui qui y prend le plus grand plaisir aussi. Trois autres femelles s’avancent en direction d’Alyn, qui leur offre une vue sur son bouclier. J’espère que ce Vibraninf de la chef midoyenne saura nous défendre adéquatement. Neven cherche déjà à revenir en notre direction, renversant une Némélios de son Hydroqueue. Une autre crache un jet de flammes à quelques centimètres à peine du Bastiodon qui se cambre pour l’éviter, menaçant de nous expulser de son dos. Je gronde en m’accrochant de toutes mes forces à lui, espérant qu’il tiendra bon. Le combat fait rage autour de nous et nous sommes déjà surmenés…

Jusqu’à ce cri. Semblable au phénix, ce cri mélodieux et épique qui déchire le ciel. Je lève les yeux pour apercevoir une flamme pure, un éclat de lumière ardent, qui fond en notre direction à toute vitesse. Alors qu’elle écarte les ailes, sa silhouette se dessine avec plus de netteté : une Altaria toute d’or vêtue se jette dans la mêlée, sur la lionne qui depuis le flanc de Bastiodon tentait de nous attraper. Sa Furie se déverse sur elle. J’entends la Némélios crier de douleur, un œil crevé, avant de s’enfuir sans demander son reste.

«Mélusine… Par Arceus, c’est Mélusine !»

Le mâle déjà s’approche. Il n’avait pas prévu de se livrer à ce combat on dirait, mais cette fois nous allons y goûter…

Ce combat devient vite un désordre impossible et je tâche de rester concentrée pour ne pas perdre mon emprise sur le Bastiodon qui piaffe nerveusement sur le sol qui devient de plus en plus boueux à mesure que la pluie d’abat sur nous. À présent, de très nombreux Pokémon s’affrontent, me faisant l’impression d’une petite armée, destinée à nous protéger. Je serre les dents en voyant le mâle s’approcher, sachant qu’il représentera un adversaire d’autant plus puissant que les femelles avant lui. D’un ordre bref, j’indique à Alyn de conserver son calme et de se reculer. Il ne peut pas se mêler aux combats lui-même, sans quoi Ceriza et moi nous trouverions en bien fâcheuse posture. Il s’exécute docilement, à son habitude, malgré tout nerveux. Mélusine, pour sa part, nous tourne autour en menaçant quelque lionne qui aurait de nouveau l’audace de nous sauter à la gorge. Je la suis du regard, subjuguée par sa beauté. Qui eut cru que se dissimulait chez ce doux et timide oiseau une volonté et une combattivité telle que je peux l’observer aujourd’hui ? Comme pour lui faire écho, une autre créature ailée fond du ciel, fonçant directement sur le Némélios qui hurle de douleur. La Chef Midoyenne salue l’arrivée de son compagnon alors que celui-ci projette sa Lame d’Air vers le félin pour en stopper l’approche.

Les compagnons de Ceriza attaquent en cœur. Mélusine les rejoint pour accabler le lion de violents coups de bec. Clairement, le roi de la savane en a plein les pattes. Rappelant Neven pour qu’il se joigne aussi aux efforts, sachant bien que sitôt le meneur du clan mis en déroute les femelles subordonnées en feraient autant, je scande d’une voix guerrière :

«Préparez-vous au dernier assaut ! D’un même mouvement, MAINTENANT !»

Devant la puissance combinée de nos alliés, le lion ne peut que capituler à son tour et prendre la route inverse, imité bien sûr par les quelques autres Némélios qui n’avaient toujours pas fui. Neven scande sa joie d’une telle victoire malgré les dommages importants qu’il a pu subir. Mélusine, tant qu’à elle, vient prendre place sur mon épaule, bien plus lourde qu’à mon souvenir. Je caresse son long cou gracile, le cœur emplit de fierté. La pluie s’amenuise et s’arrête. Les nuages au-dessus de nos têtes lentement se dissipent, cédant ses droits au véritable maître du canyon, le soleil.

«Quelle aventure ! Félicitations à tous, c’était un rude combat. Vous allez bien, Ceriza ?»

Je saute à terre, proposant ma main à ma collègue pour l’aider à faire de même. L’Azumarill vient à me rencontre et je lui offre une tendre caresse entre les deux oreilles. Je suis heureuse d’avoir pu vivre ce combat avec lui. Je ne réalisais pas à quel point cela pouvait me manquer. Entre autres choses. Il faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie si vivante. Je me retourne vers Ceriza pour l’observer. Notre conversation, cette mission improbable à la recherche d’un Hélionceau, puis ce combat épique… Il me semble que la midoyenne a tout orchestré de manière à m’apporter, sans être permanente, une paix ou un baume à mes blessures récentes. Celles qui n’ont rien à voir avec la chair.

«Merci pour… pour tout à vrai dire.» je décide de ne pas m’étendre. Je pense que de toute manière elle aura parfaitement compris. Je lui suis redevable d’avoir été à l’écoute de mes plus profondes vulnérabilités aujourd’hui, d’avoir su les retourner en forces. «Je pense que vous avez trouvé ce que vous cherchiez. Cet Hélionceau a fièrement combattu malgré ce que je pouvais en penser au départ. Il ferait un fier compagnon pour Ildra.»

Avec un sourire, je lève un regard vers le ciel avec la sensation que toutes ces péripéties n’ont pas seulement amené Mélusine à évoluer.

Hors-Jeu: