Plus que tout le reste, il aimait l’alliage de la roche et de la végétation, dissimulés par la brume perpétuelle qui caractérisait les monts. Il régnait dans les montagnes une ambiance particulière, presque surréaliste ; Corvus aurait pu vivre et mourir ici sans s’en lasser. Traverser les montagnes, cependant, n’était pas de tout repos : Corvus risquait sa vie à chacun de ses pas. Une pierre qui roule, une branche qui tombe, un rien pouvait faire basculer son aventure en drame et loin d’être idiot, Corvus le savait. Salava, elle, n’appréciait pas plus que cela le froid ambiant. Silencieuse, elle se faufilait tant bien que mal à travers les roches et les arbustes, refusant par fierté de retourner dans sa Captis Ball. Parfois, Corvus l’entendait grogner de mécontentement lorsqu’une pierre la faisait vaciller. La chaleur de son corps faisait s’élever une fine couche de vapeur, qui rapidement finissait par rejoindre la brume ambiante. La mauvaise humeur de la Tritox, cependant, ne l’empêchait pas de fouiner à droite à gauche et d’embêter la faune présente, voire de croquer quelques malheureux lorsque l’occasion se présentait. Parfois, le destin lui rendait la pareille et cela ne manquait pas de faire sourire le jeune homme.

Corvus ne l’avait pas vu, mais le lézard noir s’était un peu trop éloignée du pseudo chemin que son maître empruntait et à force de fouiner, elle était tombé nez à nez avec un pokémon qui, de toute évidence, n’était pas décidé à la laisser s’approcher et encore moins empiéter sur SON domaine. L’animal ne s’était pas démonté et face à l’insistance de la Tritox, il lui avait asséné un violent coup d’os sur la tête, et s’en était alors suivit le cris d’enfers de Salava. Tandis qu’il s’approchait à grands pas, Corvus vit s’envoler un Strassie qui brillait de mille feux sous les rayons du soleil qui étaient parvenu à percer la brume. Lorsque le jeune homme arriva, il découvrit alors le deuxième parti de cette mésentente : c’était un Osselait qui, le cœur vaillant, se tenait face au lézard, la tête haute et la poitrine en avant. Il tenait encore son os au-dessus de lui, menaçant comme jamais, prêt à frapper de nouveau cet adversaire bien plus grand que lui. Mais Salava, elle, n’avait pas l’intention de laisser cet affront impuni.

La Tritox retroussa les babines et son dos se courba dangereusement. Elle grogna, laissa paraître ses crocs, mais le danger ne venait pas de ses dents. La marque sur son dos prit une couleur rougeâtre et l’air au-dessus d’elle devint floue, indistinct … puis, tel un volcan en ébullition, des flammes jaillirent soudainement de son dos et l’instant d’après, un jet de flammes enveloppa l’Osselait, que Corvus vit un instant disparaître. Lorsque le feu se dissipa, le pokémon reparut, des marques de suie un peu partout sur le dos. Osselait resta un instant figé et Salava émit un grognement de satisfaction, pas peu fière de ce qu’elle venait d’accomplir. Corvus crut que le pokémon allait fuir, mais Osselait demeura sur place et, vexé, il se mit à pleurer.

Il pleura si fort que ses sanglots résonnèrent à leur tour dans la montagne. Salava l’observa un instant, dubitative et presque déçue. Non mais quoi, un petit coup de chaud et il se mettait à pleurer ? Quel genre de pokémon faisait cela ? Blasée, la Tritox se contenta de s’assoir, sans quitter le bébé des yeux. Passé la surprise, Corvus lui fut tenté de laisser l’Osselait là, seul face à son malheur, mais il savait que la montagne n’était pas sans danger et ne pouvait se résoudre à abandonner le petit aux prédateurs. Un peu excédé, le jeune homme se pencha sur le pokémon.

« — Allez, calme-toi maintenant, tu vas rameuter toute la montagne » dit-il à l’Osselait. Mais cela n’eut pas beaucoup d’effet « Oh ! » l'interpella-t-il de nouveau « Tais-toi, on va avoir des ennuis ! » répéta Corvus. Mais non content de suivre ses conseils, Osselait pleura encore plus fort, inondant la zone de sanglots.

Excédée, Salava se désintéressa de la situation et s’éloigna de quelques pas, cherchant une nouvelle créature à importuner. Face à l’inefficacité de ses paroles, Corvus demeura silencieux, cherchant un moyen de faire taire ce pokémon que d’autres auraient déjà abandonné depuis longtemps. Le jeune homme s’accroupit et fouilla alors dans son sac et en sortit une petite bourse en tissus sombre et épais. Corvus sortit de ce petit sac une baie d’un bleu profond et à sa vue, Osselait cessa immédiatement de pleurer. Ce calme soudaine attira l’attention de Salava, qui s’empressa de rejoindre son maître. Le jeune homme tendit la baie au pokémon, qui l’avala ni une ni deux sans se poser de question. Outrée par la scène, Salava fronça les sourcils … de quoi ? Le bébé avait à manger et pas elle ?! Elle fusilla Corvus du regard, blessée dans son orgueil.

Les sanglots d’Osselait apaisés, Corvus se releva. Alors qu’il s’apprêtait à reprendre la route, le jeune homme sentit derrière lui le pokémon encore couvert de suie. Lui qui croyait en avoir fini avec lui ! De nouveau, Corvus s’arrêta pour regarder l’Osselait, qui s’arrêta à son tour, le regard levé vers le sakaien. Le pokémon laissa échapper un Ossssss interrogatif et son regard fit des aller-retour entre Corvus et son sac.

« — Non non, c’est fini, il n’y en a plus » affirma le jeune homme en tentant d’éloigner le pokémon « Retourne d’où tu viens maintenant » déclara-t-il en désignant la montagne.

Mais loin d’écouter les paroles de Corvus, Osselait le talonna. Corvus répéta plusieurs fois l’opération, mais Osselait ne le quittait plus. Lorsque Salava tentait de s’en mêler, le jeune pokémon levait son os dans sa direction, menaçant comme jamais … et comme la tête de la Tritox se souvenait de sa très récente rencontre avec cet os, elle reculait vivement à chaque menace. Finalement, Corvus abandonna l’idée de l’éloigner, curieux de voir jusqu’à quand et jusqu’où la créature était prête à le suivre.

Quelques secondes après l’apparition du Feunnec arriva un jeune homme aux cheveux roux comme le feu. Il se figea un instant en apercevant le groupe, s’excusa de les avoir déranger. Corvus était presque heureux de constater que le Feunnec n’était pas seul, car conscient que la créature n’était pas de cette région, le jeune homme n’aurait pu se résoudre à l’abandonner et lui serait venu en aide, ce qui n’aurait pas manquer de retarder son voyage ; fort heureusement, la venue de ce qui était vraisemblablement son maître raya cette potentialité.

Salava regardait toujours méchamment le Feunnec, aussi Corvus dû-t-il être aimable à sa place.

« — Ce n’est rien, vous ne nous dérangez pas » répondit le sakaien. Des geignements ? C’était peu de le dire ! Corvus avait eu de la chance que les pleurs du pokémon n’aient pas ameuté toute la montagne ! Certains pokémons étaient plus dangereux qu’il n’y paraissait et si Corvus n’était pas trouillard, il était suffisamment avisé pour ne pas vouloir s’y frotter « C’est cet Osselait là qui fait tout ce boucan » affirma-t-il en désignant le pokémon qui se tenait encore à côté de Salava, l’air menaçant.

Osselait se tenait là, comme s’il lui avait toujours appartenu. Le feu de Salava avait dû lui chauffer la cervelle, Corvus ne voyait pas d’autres explications. Pendant un instant, le regard du jeune homme s’attarda sur le Feunnec … de Ran, Corvus ne connaissait que les geysers, aussi n’en n’avait-il encore jamais croisé auparavant. Corvus s’accroupit et tendit la main pour voir si le renard acceptait le contact.

« — C’est bien une Feunnec, je n’en n’étais pas certain » déclara Corvus tout en laissant le pokémon s’approcher s’il le souhaitait. Puis il se releva finalement, sous le regard noir de Salava la Tritox, jalouse comme jamais « Vous venez de Ran, n’est-ce pas ? » demanda finalement le jeune homme.

C’était une déduction logique, mais pas forcément évidente ; lui-même avait un Tritox, pourtant il ne venait pas de Ran mais de Sakai. L’étranger, cependant, avait un air du sud qui ne trompait pas. Observateur de nature, Corvus avait appris à reconnaître les gens, bien que son jugement n’était pas toujours sans erreur.

Tout comme Corvus avait vu juste concernant le garçon, le dénommé Arsène avait, lui aussi, vu juste concernant le sakaien.

« — Nous venons d’Enogen, en effet » déclara-t-il en s’incluant avec Salava. Ces montagnes, il les connaissait bien. Une partie de sa formation de cavalier aérien s’était faite ici, au sommet des montagnes de l’ouest, que leurs ancêtres avaient jadis su traverser. Quant à son savoir concernant les pokémons, Corvus trouva juste de se justifier et de rendre à César ce qui lui appartenait « Ma mère est érudite à la Grande Bibliothèque. C’est à elle que je dois mes humbles connaissances en matière de pokémons » affirma le jeune homme. Il y avait cependant dans sa voix une fausse pointe d’humilité, car Corvus savait bien qu’il s’y connaissait en pokémon. Après tout, n’avait-il pas grandit dans la plus grande bibliothèque du continent ?

Corvus avait ce défaut : il était peu avenant au premier abord et, de toute évidence, il ne faisait rien pour arranger les choses, même si cela n’était pas toujours intentionnel. Son statut de nobliau crevait les yeux et même s’il avait voulu le cacher, le jeune homme en aurait été incapable.

« — Corvus, de la maison d’Eddar » se présenta-t-il à son tour « Je me dirige vers le Grand Canyon de Ran. J’espère y capturer un Airmure » déclara le sakaien.

Bien qu’il avait souvent voyagé aux côtés de son père, notamment à Ran, c’était la première fois que Corvus s’aventurait aussi loin seul. Il avait pris cette mission comme une quête personnelle, comme une tâche qu’il devait accomplir seul, mais la route était longue jusqu’au Grand Canyon et, en ces temps de troubles, périlleuse. Qui sait, peut-être ce garçon aurait-il de bons conseils à lui donner, lui qui venait de Ran ?

« — Que faites-vous si loin de Ran ? » lui demanda finalement Corvus, intrigué de voir un ranin au cœur des montagnes hostiles de Sakai. Son ton se voulait foncièrement curieux, et non pas soupçonneux. Sakai n’en était pas encore à garder ses frontières et les gens étaient encore libre de circuler comme il le souhaitait d’un territoire à l’autre … pour l’instant.

Si Corvus était d’un naturel solitaire, l’idée de cheminer avec Arsène ne le dérangeait pas, bien au contraire. Les tensions régnaient plus que jamais à Ekoe et plus encore à Ran, dont la cheffe avait manqué de mourir durant leur bal masqué. Non, la proposition d’Arsène était inespérée et non contente d’être utile, elle ne manquerait pas d’avoir le mérite de rendre son voyage moins ennuyeux.

« — Je serai heureux de faire le voyage avec vous. Avoir un ranin à mes côtés ne sera pas de trop en ces temps troublés » lui répondit Corvus.

Corvus n’était pas du genre bavard, mais il pourrait bien faire un effort pour ce garçon. Le regard du jeune homme se porta un instant vers l’Osselait qui, désormais, s’intéressait à la Feunnec. De toute évidence, c’était la première fois qu’il en voyait un et il la détailla sans gêne aucune. Les pokémons n’avaient pas autant de convenance qu’eux et en cela, leur vie était ô combien plus simple.

La chance semblait sourire à Corvus, car non content d’être ranin, Arsène semblait savoir où trouver les Airmures. C’était un savoir non négligeable car si Corvus savait que les oiseaux d’acier vivaient dans le Grand Canyon, le jeune homme n’en savait pas davantage. Autant chercher une aiguille dans une meule de foin.

« — Les Airmures me sont familiers, pourtant j’avoue ignorer beaucoup de choses à leur sujet. A Sakai, nos Airmures sont domestiqués depuis des générations. Côtoyer des spécimens dociles est une chose, les traquer sur leur territoire une autre … votre savoir me sera utile, assurément » affirma le sakaien « Sans compter que je n’ai aucune idée du genre d’endroit où ils peuvent se cacher » ajouta-t-il. C’était vrai : Corvus savait que, comme beaucoup d’oiseaux, les Airmures aimaient se nicher en hauteur, mais son savoir s’arrêtait là.

L’espace d’un instant, Corvus observa les alentours. Salava s’était éloignée et vaquait à ses modestes occupations, tandis que l’Osselait humait le vent, le nez en l’air.

« — Vous avez trouvé toutes les plantes qu’il vous fallait ? Je connais bien ces montagnes ainsi que les herbes qui y poussent … les plus utiles sont souvent les mieux cachées » affirma le sakaien.

C’était bien vrai : les baies et les herbes les plus efficaces étaient souvent les plus rares et leur utilisation souvent abusive n’y était certainement pas pour rien. Corvus ne manquerait pas de l’aider si d’aventure il lui manquait des choses, autrement rien ne servait de s’attarder davantage ici. La route promettait d’être longue et leur voyage ne faisait que commencer.

Corvus prit soin de garder en mémoire les informations données par Arsène. Les montagnes de Ran … sans doute parlait-il du Grand Canyon qui traversait la nation du sud. Ainsi, il y avait des dragons là-bas ? Pendant un instant, le sakaien douta s’être suffisamment préparé. Attraper un oiseau était une chose, combattre des dragons une autre … bah ! Il verrait bien le moment venu, non ? Loin d’être un tueur de monstres, Corvus n’en était pas pour autant sans défenses. Les années de formations au sein de l’armée de Sakai ne l’avaient pas laissé sans connaissances ni sans une certaine condition physique.

Du chahut au loin attira l’attention du sakaien. Des ennuis, déjà ? Devant eux, un Makuhita s’était semblait-il donné pour mission de briser la coquille d’un Crabicoque, qui profita de l’inespérée diversion engendrée par l’arrivée des deux humains pour se carapater sans demander son reste. Bien décidé à en découdre, le Makuhita se tourna vers eux, loin de se laisser impressionner par la tentative vaine de cet humain qui tentait de le faire fuir. En signe de défis, il leva un poing vers le ranin, s’attirant ainsi les foudres de sa Feunnec. Du coin de l’œil, Corvus chercha Salava … elle brillait de son absence. Avait-elle singulièrement éviter les problèmes ? Cela lui ressemblait bien.

Le poil hérissé de la Feunnec sembla faire réfléchir le pokémon combat, car déjà son attention s’était tournée vers le sakaien. Avait-il de la gelé dans la tête, pour s’imaginer qu’il avait la moindre chance contre eux ? Il fallait le croire oui, car le Makuhita ne semblait pas près de renoncer. Contre toute attente cependant, l’Osselait s’interposa entre Corvus et le pokémon sauvage. Son adversaire faisait deux fois sa taille, pourtant cela ne semblait pas l’intimider le moins du monde, car déjà il tendait vers lui son os en guise de défi. Trop heureux de trouver un prétendant pour échanger quelques coups, la présence du pokémon combat n’en demeurait pas moins ennuyeuse, car il était vraisemblablement décidé à ne pas laisser passer les deux humains tant qu’il n’en aurait pas terminé avec l’Osselait.

Corvus, qui avait instinctivement porté sa main sur son épée, se ravisa en devinant ce qui s’apprêtait à se passer. Un combat hein ? Pourquoi pas.

« — Et bien, je crois qu’il a trouvé quelqu’un pour en découdre avec lui » déclara le sakaien « Cet Osselait a un certain cran, je dois le reconnaître. Je suis curieux de voir comment il va s’en sortir » affirma le jeune homme.

Après un grondement un peu étrange – est-ce que cette petite chose venait vraiment de rugir ? –  l’Osselait jeta son os en direction du Makuhita. L’arme tournoya dans l’air, fila à toute allure, et l’os n’aurait pas manqué d’atteindre sa cible si le pokémon adverse n’avait pas eu la dextérité de l’attraper en plein vol. Comment était-ce possible ? Corvus lui-même s’en trouva surpris, et plus encore l’Osselait qui eut un mouvement de recul en voyant son os désormais aux mains de son adversaire. Satisfait de son petit effet, le Makuhita eut un sourire, puis brisa d’un coup de genou l’arme du petit Osselait. L’os se rompit dans un craquement sec qui glaça le sang du sakaien … balançant les restes de ce qui avait été une arme, le Makuhita se mit en position de combat, frappa ses poings l’un contre l’autre. L’Osselait était désormais à sa merci, et il n’allait en faire qu’une bouchée.