L’expression figée de concentration et de détermination d’Hélios aurait suffi à faire fondre n’importe quel cœur de pierre, assurément. Le Pichu est cette brise printanière, ce nouveau souffle. L’observer ainsi perdu à la tâche m’inspire à en faire autant; je cesse toute instruction pour simplement le regarder faire. À ses joues crépitent les premiers fruits de ses efforts soutenus, quelques étincelles prometteuses. Cette fois, il ne se laisse pas impressionner par l’électricité qui court sous sa fourrure, même qu’il l’accueille. Je me recule de quelques pas, pour protéger mon fils davantage que moi-même. La souris électrique ne possède pas la précision nécessaire pour assurer notre sécurité après tout, et ici l’exercice n’a pas cet objectif. Sans craindre sa foudre, je préférais l’éviter à Aster tout de même, puis offrir l’espace essentiel à Hélios pour finaliser sa charge. Voilà ce que nous tentons de développer grâce à nos petits entraînements quotidiens, qui ne durent jamais plus d’une trentaine de minutes mais qui développent, progressivement, la puissance cachée de mon allié. Un pas à la fois, il parvient à mieux cerner l’étendue de ses pouvoirs. Parallèlement, je tente d’en faire de même avec mes propres capacités magiques, bien décidée à mieux comprendre cette part de moi. À le voir fournir autant d’efforts pour parvenir à ses fins, je puise une force insoupçonnée.

Le Pichu tente de calmer sa respiration, sa charge désormais complète. Les étincelles courent désormais dans tout son corps. C’est le moment de relâcher ! Ce moment fatidique où il a rencontré de grandes difficultés lors de nos précédents entraînements. Une lueur bleutée l’entoure soudainement; voilà qui est nouveau ! Il y a un fort bruit et l’énergie qui l’entourait se retrouve projetée vers l’avant, à quelque distance, sur un rocher qui crépite un moment. Hélios rouvre les yeux, les oreilles dressées, pour constater sa victoire : car sur le roc une cicatrice noircie indique bel et bien la réussite de son entreprise. Son expression de surprise lentement se mute en pure joie. Il se met à sautiller d’un pied à l’autre. Il a réussi, il a utilisé son attaque Éclair ! Je reviens vers lui, le cœur gonflé de fierté. Il se précipite en ma direction pour enlacer ma jambe. Ses grands yeux noisette pétillent d’un enthousiasme que je ne lui connaissais pas.

«Félicitations, Hélios ! Tu vois, je t’avais bien dit que tu y arriverais !»

Autant nommer qu’à ce stade-ci, il ne reste de ce-dit cœur de pierre qu’une misérable flaque vaincue par le charme magnétique de cette espèce. Drôle. Sans avoir connu Soleil, j’imagine que je n’aurais jamais été particulièrement attirée par celle-ci, portée je l’imagine sans mal par certains préjugés. Le Pichu de Sakai a su abaisser mes réserves, à l’instar de son maître d’ailleurs. J’aurais bien aimé partager cette victoire en leur compagnie je dois l’avouer, puis frimer devant cette petite réussite aussi. En connaissant le chemin parcouru par Hélios pour parvenir à ce résultat, il va s’en dire que je ne pourrais être plus fière. Il y a quelque temps, le pauvre craignait son ombre, entre autres choses. Incapable de s’affirmer ou même de reconnaître sa valeur. À bien des égards nous ne pourrions être plus être plus semblables. Je tends la main au Pichu qui y grimpe avant de se hisser jusqu’à mon épaule. À l’instant où je fais volte-face, je peux le sentir se crisper, car sur le chemin du jardin, une silhouette s’est dessinée.

Lord Sitan n’a pas changé, pas d’une once. Son regard à l’étincelle provocatrice, son sourire narquois, sa moustache parfaitement taillée et sa démarche assurée, presque féline. Ô combien j’ai eu du mal à cerner ce curieux personnage avant de réaliser que la majeure partie de son personnage n’est que fumée et illusions. Le noble se plaît dans le déséquilibre, apprécie dire ces choses que peu osent, d’une brutale franchise. J’ai parfois l’impression sordide qu’il aimerait voir le monde brûler, pourtant c’est une idée faussée par les apparences. Lord Sitan a bon cœur, même qu’il redonne la majeure partie de sa fortune pour des causes louables. Loin de l’assumer, il préfère entretenir sa mauvaise réputation. À croire qu’il aime qu’on le déteste. Pour ma part, je n’y suis jamais véritablement parvenue, même si ses mots m’ont blessée plus d’une fois. Il a son charme, simplement, indéniable, une fougue que l’on rencontre que chez une poignée d’individus.

«Leonys, Leonys, Leonys !» il tire sa référence à la manière d’un artiste adulé, exagérant ses mouvements de manière presque grossière. «Vous, sur ma propriété, un honneur inespéré. J’espère ne pas vous avoir fait attendre trop longuement avec votre… rat. Ô ARCEUS CIEL ! C’est lui ! C’est le petit Arthur !»

Je n’ai guère l’occasion de réagir qu’Aster m’est brutalement arraché depuis son rebozo. Aetius, qui se tenait en retrait depuis tout à l’heure, jappe presque en voyant l’homme s’emparer de cette manière de mon enfant. Pour ma part, j’ai tout bonnement cessé de respirer et mon vent, cette fois contrôlé, vient pousser Lord Sitan en ma direction. Rageuse, je reprends Aster qui s’est mis à chigner, heureusement bien patient devant les extravagances de notre hôte.

«Pas touche, Alexyr. Je jure que la prochaine fois je laisserai Aetius vous dévorer. Même que je regarderai alors qu’il vous écartèlera.»

Ma menace claque à la manière d’un fouet. De toute évidence il ne s’attendait pas à de telles paroles de ma part, à la violence de mes yeux. Avec un de ces sourires imbéciles, il dresse ses deux mains dans les airs en guise de paix.

«Doucement maman Ursaring, je ne vais pas lui faire de mal. Mais j’ai compris, pas touche. Wow, est-ce vraiment le Kraknoix d’Arthur ?»

«Le Kraknoix, oui.» cet entretien décidément débute très mal. Pourquoi suis-je venue ici ? Je me doutais bien que les choses se dérouleraient ainsi. Lord Sitan était son meilleur ami après tout et ce, depuis toujours. «Il a évolué à la naissance d’Aster.»

«Il est magnifique, Leonys. Un vrai Torres ! Il ressemble déjà énormément à son père. Oh qu’il me manque, qu’il me manque !»

Je ne dis rien.

«J’imagine que vous n’êtes pas venue ici pour discuter de l’enfant. Je dirais bien que vous avez l’air en forme ma chère, mais il faut vous regarder, vous avez la pâleur de la mort.»

«Une simple grippe, je devrais être remise dans quelques jours. Je suis effectivement venue ici pour discuter affaires. Pour adresser certaines choses.»

«Marchons alors. Vous savez que je réfléchis mieux lorsque je me trouve en mouvement.»

Il me tend son bras que je saisis. J’ai l’habitude de cet homme, heureusement. Sans quoi j’aurais bien suggéré à Hélios de tenter de nouveau son Éclair, cette fois avec une cible bien en tête. Je ne peux lui en vouloir d’avoir apprécié Arthur de son vivant, après tout je suis aussi tombée sous le charme de cet homme. Alexyr, lui aussi, a connu son lot des sautes d’humeur d’Arthur. Les jardins de sa demeure défilent.

«Je vais le faire. C’est ce que j’étais venue vous dire.» je fais après un long silence songeur.

«Quoi donc très chère ? Épouser ce noble sakaien ? Franchement vous auriez pu garder les histoires de cœur à Kuni, il y a du choix pourtant. Vrai que Corvus Eddaryon est une jolie prise néanmoins, bâti comme un Tauros. Vous savez ce qu’on dit sur les grands pie-»

«ALEXYR. Non. Arceus, non !»

J’aimerais prétendre ne pas être totalement mortifiée et rougissante devant ses deux suggestions. Je tâche de me défaire de l’image mentale. Idiot d’Alexyr. Visiblement, ma réaction l’amuse énormément alors qu’il écarte les deux mains de manière suggestive. Je détourne la tête et relâche son bras en m’éloignant, furieuse.

«Si vous n’allez pas me prendre au sérieux alors je me demande bien pourquoi je suis ici !»

«Allons, allons, laissez-moi m’amuser un peu à vos dépends, Leonys, vous êtes une proie si facile.»

«Alexyr?»

«Hum ?»

«Allez vous faire foutre.»

«Oui, bon. Mérité. Et souhaitable, il fait un moment vous savez…»

Je l’ignore. En remettre ne ferait que l’encourager. Il devient rapidement plus sérieux, me rejoignant au petit trot.

«Je vais me présenter aux élections.»

«Oh ? Oh ! Fabuleux, fantastique ! La Lionne de Kuni, pour succéder au Lion ! Qu’on vous voit rugir à Vénovos, ils n’ont rien vu.»

Je m’arrête pour le regarder.

«Je ne succède pas à Arthur. Je suis ma propre personne Alexyr et si vous êtes ici pour me comparer à lui sans cesse, si c’est la raison de votre appui, alors vous pouvez le garder. Si vous désirez me soutenir, alors plus de lettres imprudentes, plus de jeu. Vous le faites car vous croyez en moi et rien d’autre. J’ai passé assez de temps dans l’ombre du «Némélios de Kuni», imaginez-vous que je m’en suis lassée.»

Lord Sitan sourit. Sa tête dodeline de part et d’autre de sa tête et un doigt vient caresser un pan de moustache. Il se met à me tourner autour, en me réservant un examen qui me tend d’inconfort. Pourtant, il ne démord pas, perdu dans des pensées qui lui appartiennent, puisqu’il ne se donne pas la peine de les partager.

«Vous avez raison. Cette lettre était imprudente. J’avais envie de vous tester un peu, ma chère, je voulais voir si vous aviez ce qu’il fallait pour le rôle. Vous avez changée depuis notre dernière rencontre et je dois avouer aimer ce que je vois. J’ai parfois de drôles de manières de témoigner d’affection, mais vous êtes de la famille à mes yeux Leonys. Il me ferait très plaisir de vous voir à ce poste, non pas pour marcher dans les pas d’Arthur. Devenir conseiller l’a complètement débilisé, il n’avait pas ce qu’il fallait. Il n’était pas fort comme vous.»

Je soutiens son regard. Pour une fois, je crois qu’il est sincère, qu’il a laissé son masque de provocation. J’ai toujours cru qu’Arthur était plus fort que moi, plus… tout plus que moi à vrai dire. Pourtant je n’ai aucun doute que mon vis-à-vis a raison sur ce qu’il avance. Mon époux s’est perdu à force de poursuivre d’impossibles exigences. Dans ses tentatives désespérées pour se sortir de la noyade, il a failli m’emporter moi aussi.

«Vous pourrez compter sur mon appui. À cet effet, nous avons fort à faire. Une campagne électorale n’est pas mince affaire à organiser après tout.»

Alors qu’il m’entoure les épaules de son bras, je me dégage avec un soupir. Effectivement, nous aurons fort à faire. Lord Sitan est définitivement un drôle d’allié mais j’ai confiance qu’il m’ouvrira le chemin vers la victoire.

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