« — Cooooorrvvuuuuuuussssss »

Cette fois, Corvus se leva d’un bond. Loin de s’inquiéter à l’idée de savoir quelqu’un debout à cette heure de la nuit, une chose bien plus dérangeante tracassait le jeune homme : il ne reconnaissait pas cette voix, ne l’avait jamais entendu. Par reflexe il attrapa la dague cachée à proximité son lit, scruta la chambre de son regard perçant. Les faibles rayons de lune qui passaient à travers la fenêtre ne parvenaient pas à éclairer suffisamment la pièce et comme il s’y était attendu, aucun mouvement n’attira son attention. Son cœur, pourtant, s’était mis à battre plus fort … Corvus émergeait avec difficulté. Que se passait-il au juste ? A sa gauche, finalement, une ombre bougea. Nerveux, Corvus lança la dague dans sa direction et le bruit que fit le métal en percutant le mur de pierre réveilla Salava, qui se leva d’un bond. Elle grogna, fixa l’air au-dessus d’elle.

« — Manqué »
« — On a du mal à se réveiller, peut-être ? »

La mâchoire de Corvus se serra et Salava s’agita, furieuse comme jamais. Si elle l’avait pu, elle aurait aboyé comme le plus enragé des chiens. D’un bond, le sakaien attrapa son épée, la tira de son fourreau. La faible lueur de la lune se refléta sur sa lame rouge carmin et patient, Corvus laissa le silence les environner de nouveau … mais pas pour bien longtemps. Le regard de Salava se porta soudainement derrière lui et le sakaien fit volteface, trancha l’air de son épée. Quelque chose se dissipa au passage de l’arme, laissant derrière elle un filet de fumée noire et rouge.

« — Quelle brutalité »

Au milieu de la pièce apparu alors quelque chose, d’abord indistinct. Deux grands yeux jaunes se dessinèrent dans l’obscurité, puis enfin une tête, que Corvus reconnu vaguement. Un Matoufeu ? Il lévitait dans les airs et le reste de son corps avait disparu. Loin de se laisser intimider, le jeune homme leva la pointe de son épée dans sa direction. Tout cela ne lui disait rien qui vaille. De nulle part, une patte apparue et sa griffe se posa sur la lame. L’instant d’après, l’acier se courba, devenant aussi flasque qu’un brin d’herbe malmené par le vent. Corvus l’agita et l’arme retrouva sa rigidité, lui faisait froncer les sourcils. La tête devant lui continuait de le fixer avec un sourire narquois.

« — Qu’est-ce que tu es ? » lui demanda finalement le sakaien, plus que jamais méfiant. Le chat sembla s’offusquer.

« — Oh par Arceus, Corvus. Je suis une personne, pas une chose » répondit-il. La tête tournoya sur elle-même, manqua de lui donner le vertige. Le jeune homme cligna des yeux … avait-il pris quelque chose de compromettant à son insu ? Corvus tenta de se concentrer, de rester rationnel. Salava fixait la tête avec une intensité rare … de toute évidence, elle détestait cette chose. Le reste du corps apparu finalement et l’animal se dévoila « Cela correspond-t-il mieux à ta vision des choses ? » lui demanda-t-il « Je suis Ronan le Matoufeu »

Cela ne collait pas bien sûre. Autour de lui ne brillait aucune aura, ni celle de la magie du feu, ni celle d’aucune autre … et surtout, surtout ! les Matoufeu ne lévitaient pas, ne parlaient pas. Cette chose était un pokémon à n’en pas douter, mais quoi ? Une illusion ? Ou était le vrai ?

« — Tu ne te souviens pas de moi ? » lui demanda le chat. L’animal lévitait atour de lui, glissait dans les airs comme un poisson dans l’eau « Tu ne te souviens pas de cette ombre derrière toi chez les Clavy ? » s’étonna-t-il. Non, Corvus ne s’en souvenait pas du tout. En revanche, il se souvenait très bien de cette histoire de spectre et de possessions … ça oui, il s’en souvenait très bien. Ce chat venait-il de là-bas ? « Tu as eu peur ce jour-là, hein ? » lui fit remarquer le Matoufeu, loin de s’inquiéter de l’air quelque peu perplexe du sakaien « Est-ce pour cela que tu mets toujours du noir, Corvus ? Pour que personne ne voit lorsque tu… »

« — Ça suffit ! » le coupa Corvus, excédé. Non, il n’avait pas eu si peur que cela. Bon quand même un peu, mais le chat exagérait beaucoup. Le jeune homme fixa un instant le Matoufeu, chercha une explication « Depuis combien de temps est-ce que tu es ici ? » lui demanda-t-il. Le chat fit mine de réfléchir, laissa sa queue se balancer dans les airs.

« — Hum, en voilà une bonne question … je t’ai vu avec la fille. Le Lion de Kuni » répondit-il « Moi aussi je la trouve jolie. Tu aurais dû la faire tomber de l’Airmure, ça aurait été drôle. La robe aurait été en moins bon état, bien sûr » déclara-t-il « Est-ce que tu penses qu’elle va te rendre la broche ? » Le visage de Corvus s’assombrit. Est-ce qu’il les avait espionné ? « C’est regrettable, ce qui est arrivé à tes petits oiseaux, vraiment » affirma le matou. Corvus fronça les sourcils. Les Minisanges ? Est-ce que ce soi-disant Matoufeu était vraiment là depuis tout ce temps ? Le sakaien fixa un instant le chat.

« — Les Minisanges. C’est toi qui les as mangé ? » lui demanda-t-il soudainement, comprenant enfin. Maintenant, il en était presque certain … depuis tout ce temps, il avait accusé Salava !

« — C’était moi, oui … ou bien, peut-être pas » répondit le Matoufeu « Peut-être était-ce Salava, je n’en sais rien. Tu lui as demandé ? » questionna-t-il, moqueur. Il jeta un regard à la Tritox, qui le fusilla des yeux.

Corvus se mura dans un silence pensif, sans cesser de fixer le chat. Quel genre de pokémon pouvait bien faire cela ? Le Manoir de Clavy était encore chargé de bien trop de secrets pour lui laisser ne serait-ce qu’entrapercevoir la réponse. Corvus avait le sentiment, depuis plusieurs semaines, de cumuler les questions sans réponses. Qu’est-ce que ce chat faisait là ? Que voulait-il ? Comment était-il parvenu à se cacher tout ce temps, sans que personne ne s’en aperçoive ? Bien vite, le Matoufeu le coupa dans ses innombrables questionnements

« — Le ténébreux Corvus, silencieux et austère » déclara le chat « Je t’ai trouvé très distrayant, et ton château aussi. J’ai adoré vous épier. Je dois te dire, les deux Grahyèna qui gardent ton jardin ne sont pas des lumières. Vraiment » affirma-t-il « J’ai même visité la crypte sous le château. Vous êtes vraiment étranges, vous les Eddaryon. Dormir sous vos morts, vraiment ? » déclara le Matoufeu, l’air un peu dégouté « La stèle d’Eddar est vraiment … édifiante » assura le chat, puis il prit une voix plus grave, faussement solennelle « Nous aimons nous repaître de ceux qui voudraient nous soumettre » récita-t-il. Et il se mit à rire « Il devait en avoir des amis celui-là ! Vous avez bien fait de changer de devise. Tu devrais cacher les inscriptions en haut de la cheminée, cela vous trahira un jour »

Sans un mot, Corvus l’observait faire des va-et-vient dans les airs. Tout comme Salava, le sakaien ne le quittait pas des yeux. Il n’avait pas abaissé sa garde et laissait la pointe de son épée suivre le mouvement régulier du chat.

« — Qu’est-ce que tu fais ici, et pourquoi est-ce que tu apparais maintenant ? » lui demanda finalement Corvus. La situation l’amusait moyennement, pour ne pas dire pas du tout. Si un pokémon avait pu s’introduire ici, cela signifiait que le château n’était pas aussi bien gardé que cela et Corvus goûtait peu à cette idée.

« — Oh, et bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, je me suis … lassé » lui répondit le Matoufeu « J’avais envie de voir ta réaction en l’apprenant, je dois avouer que je suis déçu. Je m’attendais à une réaction plus ... palpitante. Distrayante. Est-ce que c’est cette fille qui t’embourbe la tête ? »

« — Si tu parles encore d’elle, je te coupe la langue » rétorqua le jeune homme, qui sentait sa patience s’amoindrir à mesure que les minutes passaient. A ces mots, le Matoufeu disparut dans un nuage de fumé, mais malgré son absence Corvus pouvait l’entendre rire.

« — Tu crois vraiment que c’est avec ma langue que je parle ? » répondit-t-il. Pendant un instant, Corvus le chercha des yeux. Ce Ronan était malin et n’avait même pas répondu à la moitié de ses questions. Comprenant que son arme ne lui servait à rien – il en avait mis du temps – le cavalier abaissa son épée.

« — Qu’est-ce que tu es ? » lui demanda de nouveau Corvus. Le chat reparut au détour d’un meuble et cette fois, une aura l’entourait. Sa couleur, plus sombre que la nuit, conforta Corvus dans l’idée que le pokémon n’était pas un Matoufeu.

« — Je te l’ai déjà dit, fils d’Eddar : je suis un Matoufeu. Regarde : Maaaaatoufeu » imita-t-il exagérément. Le chat sauta sur un meuble de manière à échapper à Salava et, s’asseyant, il se mit à se toiletter négligemment « Tu es d’une lenteur désobligeante. M’est d’avis que tu n’es pas très malin, Corvus de la Maison d’Eddar. Tu n’as toujours pas deviné ? » demanda le chat, un peu déçu. Il prit une inspiration « Mon premier est la fin de Cadoizo, mon second le début de Rubombelle, mon dernier rime avec Altaria. Mon tout est, ma foi, maître du paraître : tout le monde me connaît sans me reconnaître » énonça le chat.

Et à ces mots, le Matoufeu sauta dans le vide et se mua en garçon. Salava eut un mouvement de recul et cette fois, Corvus ne put s’empêcher de pointer de nouveau son épée vers lui. Le sakaien le détailla un instant tandis que le garçon le fixait. Ses yeux turquoises brillaient sous la pâle lueur de la lune et ses cheveux d’un violet presque noir, ébouriffés, lui cachaient une partie du visage. L’adolescence n’avait pas encore gagné ses traits d’enfants et un sourire sournois à l’attention du sakaien laissa paraître deux canines plus proéminentes qu’il ne l’aurait fallu. Corvus fronça les sourcils … sa tête lui disait vaguement quelque chose mais il n’aurait su dire comment ni pourquoi.

« — Zorua » déclara-t-il simplement.

Bien sûr que c’était un Zorua. Le garçon baissa son regard vers Salava, fit mine de lui grogner dessus avant de reporter son attention en direction du sakaien.

« — Bravo, Corvus. Maintenant, laisse-moi te montrer mon meilleur tour » déclara le garçon, et son apparence changea de nouveau. Corvus peina à y croire, mais face à lui se tenait désormais la copie parfaite de lui-même « Ta mère t’a peut-être vu nu courant dans le château, j’en suis sincèrement confus » révéla le Zorua, faussement désolé.

Salava était folle de rage. Corvus se voyait parler – en illusionniste parfait, Ronan faisait bouger ses lèvres à mesure qu’il parlait – mais la voix du Zorua demeurait dans son esprit, créant un contraste déroutant, dérangeant. Est-ce que ce sale renard avait vraiment fait ça ? Corvus ne voulait même pas y penser.

« — Si tu as vraiment fait ça, tu le regretteras » lui promis le sakaien. Corvus était un homme de parole « Tu ne m’as toujours pas dit ce que tu faisais là. Tourmenter ce château est-il ton seul dessein ? » lui demanda-t-il.

Corvus se vit sourire. Sans un mot, Ronan s’approcha de la fenêtre, évoluant non sans peine dans ce corps qui n’était pas le sien. Ceux qui connaissaient Corvus ne s’y seraient pas trompés : si l’apparence était parfaite, les mouvements du pokémon trahissaient l’illusion. A cette idée Corvus – le vrai – eut un sourire … Ronan avait encore du chemin à faire. Le Zorua ouvrit la fenêtre et pendant un instant, le sakaien se demanda ce qu’il faisait. Qu’avait-il encore en tête ? Corvus se vit humer l’air et observer l’extérieur. Ronan tourna un regard sournois en direction du sakaien.

« — Il n’appartient qu’à toi de trouver la réponse » répondit-il mystérieusement.

Et il se changea en Minisange et, s’envolant par la fenêtre, disparut dans la nuit.