Les domestiques lui firent grand accueil lorsqu’il se présenta au Manoir Corvaillus et lorsque Ewa, sa mère, les rejoignit pour fêter son retour, Corvus ne manqua pas de lui présenter ses nouveaux pokémons : Shama, son Osselait trouvé aux Pics de Sakai ainsi que Saphira, la Draby qui l’avait aidé à trouver l’oiseau d’acier. Malgré toutes les réjouissances engendrées par son retour et la fatigue qui le mettait à plat, Corvus avait hâte d’être au lendemain, hâte de présenter sa prise à Cassius, son instructeur.

Le lendemain, bien évidemment, arriva avec une lenteur incroyable. Le soleil était à peine levé lorsque Corvus se présenta dans la cours d’entraînement, ou se trouvait déjà Cassius et son fidèle Charkos. Il fut d’abord étonné de voir le garçon ici de si bon matin, avant de finalement se rappeler la raison de son absence prolongée. Il offrit à Corvus un échange de poigne vigoureux et s’empressa d’écouter le récit du jeune homme. Cassius était un homme grand aux cheveux courts et au visage marqué par l’âge et l’expérience. Sa peau pâle faisait sortir ses yeux d’un bleu cristallin ; il était moins large que Corvus, et pourtant pas moins fort. Les recrues présentes s’arrêtèrent pour les regarder, enviant la familiarité du sakaien à l’égard de l’instructeur.

« — Allez, montre-nous ça, fils d’Eddar » déclara finalement Cassius en gratifiant le jeune homme d’une claque sur l’épaule, qui n’aurait pas manqué de le faire tomber si Corvus n’y était pas si accoutumé.

Les deux hommes se dirigèrent alors vers une immense fosse creusée dans le sol, au-dessus de laquelle était tendu un large filet de métal aux chaînes lourdes et anciennes. Vestiges des premiers âges durant lesquels les cavaliers aériens dressaient encore leurs montures, cette fosse, profonde de plusieurs mètres, ne servait plus aujourd’hui qu’à l’entraînement des jeunes recrues. Jadis utilisée pour contenir les pokémons capturés, sa longue inutilisation se voyait à chaque recoin, pour peu que l’on y fasse attention : depuis trop longtemps immobiles, de la mousse avait recouvert çà et là les chaînes qui composaient le dôme. Corvus se souvenait encore de son premier vol dans cette immense cage … il s’en souvenait comme si c’était hier et avait su ce jour-là qu’il était fait pour ça.

Corvus ne joua pas avec la patience de son instructeur et lança la Captis Ball qui contenait l’Airmure dans la fosse. Libéré de sa prison sphérique, l’oiseau d’acier émit un cri qui déchira le ciel et qui termina d’attirer l’attention de tout le camp. Cassius lui-même eut un mouvement de recul en découvrant la créature.

« — Bon sang, Corvus ! C’est un sacré spécimen que tu as ramené là ! » déclara l’instructeur en observant d’avantage le pokémon qui, plus bas, s’était mis à examiner la fosse d’un regard mauvais. Corvus la vit faire quelques pas, les ailes déployées comme jamais.

« — C’est une femelle. Je vais l’appeler Skadia » affirma Corvus, tandis que Cassius la détaillait, du moins autant que cela lui était possible à cette distance. Finalement, l’instructeur fronça les sourcils.

« — Qu’est-ce que tu lui as fait ? » lui demanda-t-il, un peu surpris de la voir en si mauvais état. C’était vrai : Corvus ne l’avait pas sorti de sa Captis Ball depuis sa capture et Skadia portait encore les marques de son combat contre son équipe. Son armure d’acier était couverte de suie et de poussières et l’une de ses plumes était tordue « On dirait que ta Tritox l’a calciné » ajouta-t-il finalement.

« — Electrocuté » le reprit Corvus « Mon Pichu l’a électrocuté » précisa le sakaien.

« — Ton … quoi ? Ton Pichu ? » s’écria presque le formateur, bien incapable de dissimuler son étonnement « On parle bien de la même souris jaune que ta copine t’as donné à Venovos, ce machin pas plus grand que ma b… ? »

« — Elle ne me l’a pas donné et ce n’est pas ma… » le repris précipitamment Corvus, le coupant dans ses remarques salaces. Le jeune homme fronça les sourcils … non mais, d’où sortait-il cette version de l’histoire ? Et surtout, comment en avait-il entendu parler ? « Qui est-ce qui t'as parlé de ça ? » lui demanda subitement Corvus, suspicieux comme jamais. Le sakaien se souvenait très bien de ne pas avoir raconté cette histoire à n’importe qui ; en vérité, il était presque sûr de ne pas en avoir parler tout court. Pendant un instant, un silence sépara les deux hommes. Cassius fit une moue du visage et, plutôt que de répondre à la question de Corvus, il fit le choix de reporter son attention vers l’Airmure prisonnière de la fosse.

« — Tu n’as pas choisi la voie la plus facile, Corvus » déclara-t-il en changeant de sujet « Cela fait bien longtemps que nous ne dressons plus les pokémons sauvages. Nous les élevons et les faisons naître ici, avec nous, ainsi ils sont dociles dès le départ » expliqua Cassius « Là, c’est … ça va être compliqué, Corvus. C’est un savoir qui s’est perdu » affirma-t-il finalement. Un nouveau silence les environna un instant, mais Corvus s’était attendu à cette remarque.

« — Ce n’est pas perdu, juste oublié » rétorqua le jeune homme. L’instructeur le regarda d’un air surprit, avant de finalement comprendre ses intentions. Il tenta de persuader le garçon de revoir son jugement, mais c’était peine perdue. Sans attendre davantage, Corvus prit le chemin vers la fosse.



Les pas de Corvus le conduisirent vers l’arène, pourtant le jeune homme n’avait aucune idée de ce qui l’attendait en bas. Bien sûre, il savait que Skadia allait très certainement tenter de le tuer ou peu s’en fallait … comment l’en empêcher ? Comment l’amadouer ? Corvus n’en savait rien, mais il refusa de céder à la peur. Lorsque la porte de la fosse fut finalement devant lui, Corvus déverrouilla la lourde grille que le séparait de l’arène, et parce qu’il savait que Skadia serait incapable de sortir par-là, le jeune homme la laissa ouverte derrière lui … il était courageux, mais pas inconscient.

Lorsque Corvus entra dans l’arène, Skadia l’accueillit avec un cri strident. Ses yeux jaunes reptiliens le fixèrent avec intensité et avec tant de haine que le jeune homme se figea un instant. Soutenant le regard de l’oiseau d’acier, Corvus fut glisser son épée hors de son fourreau et le tintement de l’acier résonna dans la fosse comme un chant funeste. Skadia brailla de nouveau à son encontre, plus menaçante encore, mais rien n’était en mesure de décourager le jeune homme. Absolument rien.

Corvus fit un pas en direction de l’Airmure et Skadia fit alors claquer son bec vers lui, manquant de peu de lui arracher un morceau de bras. Au-dessus de lui, le jeune homme entendit Cassius l’appeler, mais Corvus refusa d’y faire attention. De toute sa hauteur, Skadia était plus grande que lui de dix bons centimètres … son corps tout entier tendu, l’Airmure se mit à lui tourner autour et Corvus lui emboita le pas. Le jeune homme percevait le bruit métallique de ses griffes à chaque pas qu’elle faisait. Les ailes déployées, ses plumes tranchantes comme des lames fraichement aiguisées s’entrechoquaient à chacun de ses mouvements ; l’une d’elle était tordue et menaçait de tomber à tout moment. La danse qui s’en suivit s’avéra tendue, périlleuse, délicate. Corvus savait ce qu’il avait à faire, mais en avait-il la force ? Rien n’était moins sûre. D’autres que lui, certainement moins cruels, n’auraient pas manqué de laisser du répit à cette bête fatiguée, éreintée et à bout de force ; là était bien le problème. Corvus était persuadé que, s’il laissait le temps à l’Airmure de se remettre de sa capture, jamais il ne serait en mesure de la dresser. Non, il devait le faire maintenant, où il serait trop tard.

Skadia fut la première à rompre la danse. Avec une vivacité que Corvus ne lui avait pas imaginé, elle tenta de lui saisir le bras. D’un bond en arrière, Corvus l’évita de justesse et abattit le plat de son épée sur son crâne. Le bruit de l’acier contre l’acier résonna, mais loin de sonner l’oiseau de Ran le coup décupla sa fureur ; d’un coup d’aile, elle tenta de le faire tomber, bien en vain. Malgré tous ses efforts pour attraper cet avorton, son bec se refermait irrémédiablement dans le vide … alors, puisque la terre ferme limitait ses options, Skadia quitta d’un bond le sol et lança en direction du sakaien un vent tranchant, acéré. Afin de l’éviter, Corvus fut forcé de se jeter un sol et Skadia profita de sa faiblesse pour fondre sur lui, et ses griffes d’acier se refermèrent finalement sur lui. Le cœur du jeune homme se figea, tandis qu’il sentait le poids toujours plus lourd de l’oiseau sur lui. Penchée au-dessus de lui, Skadia le regarda avec une intensité qui le glaça … qu’attendait-elle ? Est-ce qu’elle hésitait ? Corvus soutint son regard, quand soudainement un nouveau choc sur la tête attira l’attention de Skadia ailleurs. Furieuse, elle se rua vers le lieu d’origine, s’éloigna de la terre ferme. Se relevant, les yeux de Corvus se posèrent sur une lance et lorsque le jeune homme leva le regard vers les tribunes en amont, il comprit que Cassius s’en était mêlé. A toute vitesse, Skadia fila dans sa direction, laissant tout l’occasion à Corvus de se remettre de ses émotions … mais l’oiseau d’acier percuta finalement le filet de fer qui s’étendait au-dessus d’elle et pour la quarantième fois depuis qu’elle était là, elle brailla à l’encontre de cette chose qui la retenait. Avec l’énergie du désespoir, elle força pour tenter de briser les chaînes, qui résistaient à chacun de ses assauts. Corvus profita de cette diversion pour s’éclipser et quitter la fosse, encore un peu hagard à l’idée d’avoir frôler la mort. Lorsqu’il fut à porter de voix, Cassius l’interpella.

« — Qu’est-ce que tu t’imaginais, hum ? Que t’allais l’amadouer avec tes beaux yeux ? » lui demanda le formateur. Mais le regard fixé sur l’oiseau en contrebas, Corvus demeura silencieux. Cassius respecta son silence, jusqu’à ce que Corvus le brise de lui-même.

« — Laissez-là là-dedans, sans eau ni nourriture » déclara finalement Corvus « Nous verrons bien qui a le plus de patience » affirma-t-il, le regard toujours posé sur Skadia, qui avait finis par regagner le sol. Malheureuses pour elle, Corvus savait se faire patient lorsqu’il le fallait, bien trop patient.

« — On a essayé de récupérer la plume comme tu l’avais demandé, mais personne ne veut descendre en bas » déclara finalement l’instructeur.

Lorsque Corvus jeta un regard dans la fosse, il découvrit Skadia calme, les ailes repliées et le regard dans le vide ; couchée, elle était ramassée sur elle-même et rien ne bougeait si ce n’était ses yeux jaunes, perçants. Comme il savait si bien le faire, Corvus demeura un instant silencieux.

« — Je vais le faire » déclara-t-il finalement « Je vais descendre récupérer la plume. Nous avons attendu suffisamment longtemps » affirma le jeune homme. N’y croyant pas ses oreilles, Cassius s’offusqua. Quoi ? La dernière fois ne lui avait-il pas suffit ?

« — Vous êtes obstinés, vous les Eddaryon. Un jour, cela vous portera préjudice » affirma-t-il. Mais comme à chaque fois en de telles circonstances, Corvus n’y fit pas attention. Au lieu de cela, il se dirigea de nouveau vers la fosse, comme il l’avait fait trois jours auparavant.

En guise de bienvenue, Skadia le fixa de son regard perçant, sans un cri, sans un mouvement. Elle surveilla chacun de ses faits et gestes, couchée à la manière d’une poule couvant un œuf. L’épée à la main, Corvus s’avança dans la fosse, plus méfiant que jamais, sous le regard inquisiteur du grand oiseau d’acier. Bientôt, le sakaien fut à portée de la plume qui gisait au milieu de l’arène et d’un léger coup de pied, Corvus la fit bouger. Bien que tordue à une extrémité, elle faisait presque deux mètres ; de forme allongée, elle était légère et plate, rouge d’un côté et couleur acier de l’autre. C’était parfait pour ce qu’il voulait en faire et sans attendre, le jeune homme se pencha pour la ramasser. A son grand étonnement, Skadia ne tenta rien à son égard. Elle se contenta de l’observer, jusqu’à ce qu’il eut disparut derrière la lourde grille qui fermait l’arène.



Lorsque Corvus descendit pour la troisième fois dans la fosse, l’accueil de Skadia fut différent. Elle se leva à son approche, darda son regard acéré sur lui à la recherche des précieux lambeaux de viande. Là où avait flambé la haine se trouvait désormais une certaine curiosité, qui ne manquait pas d’être attisée par l’appât du gain substantiel qu’était la nourriture. Corvus avait gagné cette manche et si le plus dur restait à venir, le sakaien avait bon espoir d’y parvenir.

Skadia ne mit pas longtemps à comprendre que la vie aux côtés des humains était ô combien plus facile que celle qu’elle avait eu jusqu’à présent. La nourriture y était abondante et l’Airmure se rendit vite compte que, non contente de se faire une place parmi les montures aériennes, elle parvenait largement à dominer les oiseaux du camp militaire. Elle avait également vite compris que Corvus Eddaryon, celui-là même qui l’avait capturé, n’était pas n’importe qui ici et qu’il semblait jouir, lui aussi, d’une certaine autorité sur ses pairs. Cet humain lui ressemblait : tout comme elle avait été la prédatrice suprême du Grand Canyon, Corvus semblait être le grand rapace de cette contrée ô combien étrangère pour elle. Les autres humains ne s’avisaient pas de le contrarier ni de l’importuner ; en cela, il était bien différent de tous les mâles Airmures qu’elle avait pu rencontrer jusque-là. Si le concept de captivité était désormais acquis dans son esprit, Skadia était heureuse de se savoir monture d’un homme comme lui. Il était ferme mais juste, patient mais pointilleux et c’était tout autant de points qui, elle le savait, lui permettrait de devenir plus forte qu’elle ne l’avait jamais été.