J'aime la place du grand feu de Kashai. Les flammes sont comme des lumières qui accentuent nos jeux, nos histoires, notre magie. C'est ce même feu qui, jadis, avait servit de guide à mon regard. Il avait illuminé la troupe que j'allais alors rejoindre, celle qui allait peindre un sourire sur mes lèvres et ouvrir mon cœur au ciel.

Pourtant, cette place, c'est aussi mon passé, mon enfer. Je reconnais sans encombre mon ancienne demeure même si cela fait plus de dix ans que je l'ai quitté. J'ai croisé du regard mon père qui ne m'a même pas reconnu mais pas la moindre trace de ma mère...

Nous avions tout préparé pour le spectacle de ce soir : On avait attisé les rêves des enfants, offerts l'espoir d'être tranquilles quelques minutes aux mamans, donner aux pères l'occasion d'offrir une sortie à leur femme... J'avais donné un coup de main pour préparer une sorte de scène puis j'avais répété mon spectacle de marionnette. J'étais toujours là en première partie du spectacle pour attirer l'attention, posé une ambiance calme, sobre, triste avec mes histoires, pour que le reste, ensuite, semble encore plus fascinant, plus incroyable, remplis d'espoir, de magie, et de tours qui finissent bien!

Tendis que les jumelles faisaient leurs tours en dansant debout sur leurs Galopas, je m'éloignais pourtant des "oh!", des "ah!" et des "ouah!" pour m'approcher de cette fenêtre par laquelle j'avais autrefois entraperçus la liberté. Jetant un œil discrètement à l'intérieur, je vis mon père occupé à sculpté un bout de bois sur son fauteuil, ma mère en tablier à nettoyer la vaisselle et à table, jouant avec des poupées de chiffons, une petite fille.. Je ressentis une violente douleur dans le cœur en voyant leurs rires, leurs sourires, et ma mère venir l'aider à recoudre un petit bras déchirer. Moi, elle ne m'avait jamais regardé ainsi... Je n'avais jamais eue son regards, ni son sourire, et encore moins ses bras.

Mon regards retomba sur ma main de bois. Je n'avais toujours pas compris pourquoi je n'étais pas née comme les autres. J'étais unique, me répétait souvent notre chef de troupe. Unique, oui, mais seul.

Je n'aimais pas être seul.

Je ne voulais pas être seul.

Je voulais qu'à moi aussi, ils sourient!

J'allais faire la bêtise d'entrer, comme ça, en balançant quelque chose du genre "Maman, papa, je suis revenu!" quand un bruit dans la ruelle attira mon attention. Je jetais un œil avant de siffloté d'un air amusé.

"Petit petit,
fantôme de la nuit,
si tu veux rester caché,
soit plus discret ~"

Étrangement ce ne fut pas un fantôme qui sortit de sous un vieux chiffon crasseux et déchiré mais une petite bestiole noir et blanche. Sur son visage violet était encré deux grands yeux bleus qui s'étaient fixés sur moi. Un regard à la fois dérangeant et intrigant, à la fois chaud et glacial. Je ne bougeais pas pendant un moment avant de lui sourire et m'accroupir pour être à sa hauteur.

"Et bien ma belle,
petit et joli demoiselle,
que fais-tu ici,
loin de ton nid?"

Je m'attendais à un peu tout et n'importe quoi mais pas à ce qu'elle s'approche de moi de ces petits pas tout en gardant son regard plongé dans le mien. Elle leva ses petits bras potelé vers moi et sautilla sur place d'une façon qui me fit rire, je l'avoue, avant que je ne pose ma main sur sa tête pour la caresser. J'allais m'excuser de ne pas pouvoir l'emmener avec moi quand je m’aperçus qu'elle n'avait qu'un ruban... La ou aurait du être l'autre, ce n'était que du vide... La Scrutella sautilla de nouveau, refaisant sa demande, comme si je n'avais maintenant plus d'autre choix. Je lui rendis un doux sourire et lui montrait alors mon membre en bois.

"Vois-tu ça?
Avec ce membre en bois,
je ne pourrais pas,
bien m'occuper de toi."

Son regard ne se posa pas sur ma main squelettique, non, loin de là. Il resta figé, encré, dans le mien. Elle repoussa le membre en bois pour tendre de nouveau ses petits bras en sautillant. Je ne sais pas bien ce qui lui passait par la tête, pourquoi elle voulait tant de moi, mais cela, en vrai, me comblait de joie. Je ris alors, comme après une bonne blague, avant de la récupérer contre moi pour la posé sur mon épaule. Même ainsi je pouvais sentir son regard comme une douce lame.

"J'ai compris, j'ai compris,
ma petite, devenons donc ami,
soyons la paire maudit,
ma petite.... Sissi ?"

Sissi piailla en me tapotant l'oreille, de quoi me faire rire de nouveau. Nous seront effectivement la paire maudite, ceux nées mal-aimée et mal-formée mais à deux, j'en étais sur, nous ferrions un être entier, un être parfait.

Pour dire la vérité, par la suite je n'ai plus jamais regardé par la fenêtre de mon ancienne demeure...