« Fendragon ! Viens par ici.

-Tout de suite, sir ! »

Le chevalier Laurent a besoin de moi on dirait. Je délaisse la lame que je suis en train de polir pour aller à sa rencontre. Il me salue, et j’en fais de même. Cet homme est un type bien. Je sais que même s’il est mon supérieur, il me considère à ma juste valeur.

« Fendragon, navré de te tirer de ton travail. J’ai besoin d’une escorte pour un bateau qui va traverser l’océan. »

Je déglutis. Une… Escorte ? Eh bien, je ne pensais pas avoir une telle mission après mon cuisant échec. Cela dit, je suis surpris mais c’est normal. Tout le monde a le droit à l’erreur dans l’armée, c’est comme cela. J’ai juste plus de mal à l’admettre que les autres.

« O-Oui, bien sûr sir Laurent !

-Je sais ce que ça représente pour toi. Mais ça ira, tu peux voler maintenant. »

Il a raison. J’hoche la tête avec détermination pour signifier que je suis prêt. Et fier aussi. Lors de ma dernière escorte, je n’ai pas été à la hauteur. Pas du tout. Quelqu’un est mort par ma faute, à cause de mon incompétence. Que Kyogre me pardonne… Et voilà que je prie encore.

En tout cas, je suis déjà paré. Sir Laurent m’a donné les directives à prendre et je ne perds pas une seconde de plus pour m’envoler vers les quais grâce à mon Ptéra.

Je sens le vent qui fouette mon visage. C’est une sensation que je sais apprécier désormais. Je n’ai plus peur de chavirer de Duma et cela se ressent dans notre vol. Nous formons une équipe soudée, et ce malgré le caractère tempétueux de mon ami.

Le trajet n’est pas bien long grâce à ses ailes. Nous y voilà et j’aperçois déjà le navire que je dois protéger un peu plus loin. Je marche dans sa direction, la gorge nouée. Je suis courageux mais j’ai encore des choses à surmonter, c’est ainsi.

Une fois sur place, je rencontre un homme aux cheveux grisonnants et à l’œil expert. Lui, il sait ce qu’il fait, j’en ai la conviction. Son air sévère ne me rassure pas vraiment, mais je ne suis pas là pour me dégonfler.

« Artemis Fendragon je présume.

-Celui-là même. Enchanté de faire votre connaissance, sieur Terra.

-Humf. Ce navire contient des épices et de l’or. Je suis étonné que vous soyez le seul chevalier que l’on m’envoie. Mais c’est la crise pour tout le monde j’imagine. Faites votre travail, c’est tout ce que je demande. »

Ceci clôture notre bref échange. Je le regarde tourner des talons et monter sur le bateau, sans un mot. Il n’est pas très bavard mais ce n’est pas pour me déplaire. Peu commode, il va droit au but, c’est peut-être un avantage pour moi.

Je chevauche à nouveau mon Ptéra, avant d’indiquer au capitaine que je surveillerais depuis les airs. Il acquiesce et prend place, tandis que le reste de l’équipage termine les préparatifs.

Je sens la peur qui m’habite. Ce n’est pas rien. Ce bateau est magnifique, une fierté de Kuni pour sûr. Et puis de l’épice et de l’or… Je peine à y croire. Sir Laurent me surestime un peu, c’est ce que je pense. Sauf que je suis là désormais, et c'est à moi de veiller sur ce navire.

Le vent marin fait frémir les narines de Duma. Il connait très bien cette sensation iodée depuis le temps. Même s’il craint l’eau, je sais que sa confiance ne s’érode pas au contact de l’air salé et cela me rassure.

« Aller mon ami. Nous allons réussir. »

Je dis cela mais c’est plus pour me rassurer. Je ne peux pas prévoir si la mission sera un succès total. Une chose est sûre en tout cas : je vais faire de mon mieux et je ne laisserais pas le passé se reproduire.

Solo

La sensation du vent qui me secoue les cheveux est délicieuse. Je dois avouer que c’est ma première sortie en mer à dos de Ptéra. Et je vais être encore plus honnête : j’ai rarement eu l’occasion de naviguer, même si je suis né à Kuni.

C’est un comble, mais c’est comme cela. Je ne sais même pas si Papa a le pied marin. Il préfère la terre ferme et le bois, alors la question ne m’a jamais effleuré l’esprit.

En tout cas, tout est calme pour le moment. Duma se sent bien, je peux même profiter de ces précieux instants pour lui offrir des caresses et quelques doux mots. Il est très courageux. Ce doit être épuisant de me porter à chaque fois. Bon d’accord, il est bien plus grand que moi. Mais tout de même. Je me sens toujours un peu coupable de me servir de lui comme moyen de transport.

En contrebas, je peux voir que les marins s’activent. Ils sont sur le pont, aux aguets du moindre changement de direction du vent. Je me demande alors si une tempête est prévue ou non. Le soleil brille mais tout habitant du pays de Kyogre le sait bien : la météo peut changer d’un instant à l’autre une fois sur les flots.

Je ne sais pas si je serais en mesure de les aider en cas d’orage. Dans un premier temps, je devrais quitter les airs. Ensuite… Eh bien je ne suis qu’un jeune homme en armure, rien de plus. Face aux éléments de la nature, je suis insignifiant. Je suis bien placé pour le savoir.

… Je devais peut-être m’occuper l’esprit avec autre chose. Ce n’est pas le moment d’attirer le mauvais œil sur le navire.

L’eau est magnifique. Les rayons de l’astre se reflètent dessus et nous offre un spectacle incroyable de lumière. Cela me fait vraiment du bien de contempler la mer de cette façon. Je dois dire que depuis l’inondation de Vénovos, je ne suis plus très à l’aise avec les grandes étendues bleues.

Il y a aussi des Pokémon qui accompagnent le bateau. C’est amusant et réconfortant. Ils sont plusieurs, des poissons de plusieurs espèces. Je peux en nommer quelques-unes grâce à mes racines. Mais je ne vois pas celui que je recherche pour le plaisir de le voir. Oh bien sûr, j’aime tous les Pokémon et je suis ravi dès que l’un d’eux croise mon champ de vision.

Mais en plus de Kangourex, je sais que Maman affectionnait particulièrement un habitant de la mer… Dommage, je n’en verrai peut-être pas aujourd’hui.

Ce que je peux faire, en revanche, c’est donner une pause à Duma. Il la mérite bien et comme tout est calme, je pense que je peux nous le permettre. J’indique donc à mon compagnon ailé le pont pour qu’on puisse s’y poser. Il descend en douceur et me dépose.

« Merci mon grand ! »

Il est encore plus aisé de constater l’activité de l’équipage d’ici. Il y a des cris et des rires de toute part. Ces marins sont habitués à leur environnement, cela ne me fait aucun doute.

Tandis que je laisse mon Ptéra se reposer, je m’approche d’une rambarde pour observer l’eau et les Pokémon qui l’habitent. Mon regard tombe rapidement sur un Rémoraid et… Un Relicanth ! Incroyable. Ce sont des poissons très rares. Certains marins racontent qu’ils sont plus vieux que l’espèce humaine.

Quelle chance.

Je me penche alors un peu pour les saluer.

« Bonjour vous deux ! »

Les deux poissons me regardent. J’ai même l’impression qu’ils partagent ma joie. Tient, voilà que le Rémoraid effectue un bond gracieux avant de replonger. C’est très mignon.

J’espère qu’ils resteront aux côtés du bateau pendant encore un moment. Je vais aller voir si sieur Terra a besoin de moi en attendant.

Solo

Le bruit de mes pas est étouffé par les éclats de voix des marins. Tandis que je traverse le pont pour rejoindre la cabine du capitaine, je ne peux empêcher mon regard de se balader.

Un mousse se trouve non loin de moi. Il n’a pas l’air très âgé, peut-être même que nous avons le même âge. Il trime si bien que des veines apparaissent sur ces biceps. J’aurais pu être à sa place… En y réfléchissant bien, je faisais des corvées similaires à l’armée. J’en fais toujours.

C’est tout moi. Je suis incapable de rester sans rien faire. Alors, parfois, lorsque j’ai du temps je m’occupe de polir puis de ranger les armes de mes collègues. Je ne le fais pas pour avoir une quelconque reconnaissance. C’est juste pour avoir de quoi occuper mes mains.

Ce mousse… Il frotte les planches avec beaucoup d’ardeur. Cela me démange. J’ai envie de lui venir en aide. Un regard par-dessus mon épaule m’indique qu’il n’y a personne qui fasse attention à moi. Je m’approche donc du jeune homme, avant de lui tendre une main réconfortante.

Il me regarde tout d’abord d’un air étonné. Je peux voir des cernes creuses de là où je me tiens. Mince. Nous nous ressemblons vraiment…

« Bonjour. Je m’appelle Artemis.

-Moi c’est Jack. Tu veux un truc ?

-Désolé, en fait, je viens voir si tu as besoin d’aide. »

Je peux le voir qui se mord la lèvre inférieure. Je crois que mon aide n’est pas requise… Ou plutôt qu’elle n’est pas autorisée.

« T’es bien gentil tu sais. Mais c’est mon boulot. Et on va m’en donner davantage si tu m’aides alors…

-J-Je comprends ! Pardon… Ton équipage est strict, non ?

-Pas tant que ça. Faut bien ça pour voyager en mer. On touche du bois –littéralement- que le soleil soit avec nous. Si une tempête se pointe, on va devoir redoubler d’efforts. C’est là que la discipline se montre efficace. »

Les paroles du mousse me font réfléchir. Je le salue avant de reprendre ma destination vers le bureau du capitaine. La discipline… Je ne connais que trop bien, malgré mes écarts lors de la tempête de Vénovos.

En parlant de tempête, c’est vrai que nous avons de la chance. Mais je sais que cela n’est peut-être pas pour longtemps encore. La mer est capricieuse ; elle change d’avis comme bon lui semble.

Soudain, j’entends un cri rauque. En tournant la tête, je peux voir deux oiseaux bleus. Ils ont l’air un peu crétin, ce sont des Nigosier. Pour ma part, je trouve qu’ils ne méritent pas leur réputation. Ces Pokémon sont tout aussi intelligents que les autres. Il me semble même que celui-là est particulièrement vif.

« Hey les amis. Vous profitez du voyage ? »

Je ne peux pas m’empêcher de saluer tous les Pokémon que je croise. Ils sont nos égaux, malgré ce que beaucoup pensent.

Les deux oiseaux me regardent à l’unisson avant de me saluer à leur façon. Je suis bien heureux de les voir. Eux aussi sont un bon signe en mer. Plus il y a de vie près d’un bateau, moins le risque d’une tempête est grand ! Je ne suis pas marin, mais je connais quelques trucs à ce sujet.

Je reprends finalement mon chemin, avant de foncer dans quelqu’un. C’est sieur Terra. Sa mine sévère m’accueille avec froideur.

« C’est quoi votre problème, garçon ? Vous devriez surveiller la mer du ciel. Vous ne savez pas qu’il y a des pirates non loin ?

-Non… Pardonnez-moi, je l’ignorais. Je voulais simplement savoir si… J-Je retourne à mon poste. »

Quelque chose me dit que je ne devrais pas me taire aussi facilement. Mais bon. En tout cas, cette révélation me préoccupe. Personne ne m’a dit qu’il y avait des pirates dans les environs. Bien sûr, ce n’est pas très étonnant, c’est juste que… J’ai encore beaucoup de choses à apprendre, c’est certain.

Cela me convainc. J’appelle Duma et je l’enfourche. Nous reprenons la voie des airs pour le moment. Il faut être vigilant et précis comme un aigle…

De là-haut, je peux voir le Rémoraid, le Relicanth et les deux Nigosier de tout à l’heure. Pourvu qu’ils nous accompagnent encore un peu.

Solo

La mer est toujours calme. Quelle bonne nouvelle. Une tempête serait le pire problème à affronter avec ce bateau.

Cela dit, je ne peux pas m’empêcher de penser aux pirates. Ces malandrins des eaux sont, parait-il, très tenaces. Je n’aimerais pas les croiser. Mais dans un sens, je trouve que nous avons beaucoup trop de chance jusqu’à présent.

Personne dans les environs… C’est juste étrange. Si des pirates arpentent les mers voisines, ils doivent être au courant de ce transport. Selon sieur Terra, il y a tout de même de l’or et des épices à l’intérieur du bateau… Je ne sais pas pour eux, mais à leur place, je m’empresserais de le piller.

Oui, décidemment, c’est trop calme. Il n’y a que les Pokémon aquatiques pour m’offrir une distraction. Les deux Nigosier sont partis maintenant, je peux les voir au loin. Ils ont eu raison de profiter d’un peu de repos. Quant aux poissons, il en arrive encore davantage.

D’ailleurs, je ne reconnais pas celui qui… Eh bien. Il a la tête à l’envers, non ? Je déglutis. Est-ce qu’il a mal ? Hm, je ne pense pas. C’est l’espèce qui est ainsi. En tout cas, c’est la première fois que je vois ce Pokémon. Son apparence n’est pas la plus flatteuse, mais je n’ai rien à lui reprocher.

Sauf peut-être le fait qu’il s’approche un peu trop de la coque du navire.

Duma aussi sent que le vent tourne, façon de parler. Ce nouvel arrivant dans les flots prépare quelque chose, j’en suis presque certain. D’ailleurs, il y a un Babimanta qui le suit de près. C’est probablement un signe.

Bien Artemis, voilà ton travail qui débute. Je ne pensais pas avoir à parler à des Pokémon pour ce genre d’escorte, mais pourquoi pas ? J’aime autant négocier avec eux qu’avec des humains.

Nous nous approchons donc de la surface de la mer. Les reflets du soleil s’y reflètent avec grâce ; le tout scintille, c’est magnifique.

« Hm… Excuse-moi ? Tu n’as pas l’intention de frapper le bateau ? »

Le poisson au visage retourné me fixe de ses yeux globuleux. Je le fixe en retour… Pendant quelques secondes. Les joutes visuelles ne sont pas mon fort.

« Tu devrais partir. Il y a des pirates dans le coin. Ce sont des humains sans scrupules qui pillent et qui attaquent tout le monde… Même les Pokémon. »

Il ne bronche pas. J’ignore si mes paroles l’atteignent seulement. Que faire… ? Tiens, j’ai comme l’impression que mes deux amis de tout à l’heure veulent m’aider. Ouf, grâce à eux, je pense que nous évitons un gros problème.

Je préfère éviter de me battre lorsque cela est possible. C’est donc tout naturellement que je laisse les Pokémon régler cela entre eux. Celui qui est atypique baisse vite les nageoires face à trois autres confrères à écailles.

« Merci les amis ! »

Ils ont l’air heureux de me venir en aide. J’aime lorsque l’entente entre humains et Pokémon est aussi brillante. Mais le bonheur ne dure jamais bien longtemps. Alors que je fais signe aux créatures marines, j’entends les cris de sieur Terra. Il m’appelle.

Avec Duma, nous regagnons donc le pont du navire.

« Vous voilà enfin ! Dites-moi que je rêve… Vous faisiez ami-ami avec les poissons ou quoi ? Nous avons de la visite ! »

Mon cœur rate un battement.

Lentement, dans un geste calculé, je tourne la tête vers l’horizon. Le soleil commence à se coucher, mais ce n’est pas le plus inquiétant.

Je le vois, cet étendard au sourire moqueur.

Solo