HRP:

Les dimensions absurdes des Forêts Géantes n'étaient pas la seule chose qui nous rendaient nostalgiques Feuille et moi. Nous en regrettions l'humidité, les parfums, les textures, le bruit de la poké-faune omniprésente. A ces doux souvenirs sensoriels se superposaient désormais le poids d'un crime.

Alors que nous ne nous étions plus adressé la parole depuis des semaines à part pour des besoins bassement matériels, j'étais venu trouver Feuille quelques jours plus tôt, le bagage rempli.

- Il faut qu'on y retourne, Feuille. On ne va pas continuer à se morfondre. Il faut avancer.

Elle ne me répondit pas, ni de la voix ni du regard. Mais je savais qu'elle ne faisait pas la gueule. Cette histoire la touchait autant que moi: nous étions tous les deux écrasés par la culpabilité, mais pour des raisons différentes. Nous avions tous les deux intérêts à entreprendre ce pèlerinage.

Avancer, nous ne faisions pourtant que ça! Le bois des croisements commençait à reprendre les couleurs qu'elle avait perdues lors de la tempête de Septembre, et c'était en grande partie grâce à nous. Nous avions accéléré la régénération des terres en répartissant des pokemons pour fertiliser le sols sur les territoires qui en avaient besoin, reboisé, éliminé les souches perdues, nettoyés les chemins de circulation. Nous n'avions pas chômé depuis l'automne.

Seulement l'hiver arrivait, et les premières neiges avec lui. Cela impliquait une pause dans le travail du sol, pour permettre la "dormance" des plantes. Notre travail de régénération, loin d'être terminé, prenait pourtant un tournant moins urgent, et nous laissait le temps de recommencer les marquages, ce qui n'était pas spécialement une tâche très stimulante.
Cela m'effrayait de retourner sur les lieux des faits, devant cet arbre immense que les contrebandiers Sakaiens avaient entrepris de découper, sans se douter que nous les aurions découpés avant. La boue les avait ensuite dispersés, il aurait été impossible de retrouver leurs corps et ça n'était d'ailleurs pas le projet: ils étaient retournés à la terre, bien à leur place. Cependant cet arbre que nous avions sauvé resterait à jamais le lieu du crime, et retourner sur les lieux du crimes n'était jamais une bonne idée... Mais chaque jour, un arrangement avec ma conscience m'aidait à me dire que ce n'était pas un crime, mais bien un châtiment que nous avions infligés à ces crevures en Septembre.

Nous n'étions plus très loin, il nous faudrait moins de la journée pour atteindre cet arbre. Entre temps, nous avancions entre les arbres dont les feuilles semblaient déjà gratter les cieux. Les sons, les parfums, les textures revenaient au goutte à goutte, réactivaient nos souvenirs.

Ma partenaire toute verte s'inquiéta pour moi:

- Seeeee seeee?

- Ça va.

Mensonge. Ça n'allait pas du tout. Comme si je ne me sentais plus en droit de marcher ici. Avait-je l'impression d'avoir trahit la Forêt Géante en y faisant jaillir du sang alors qu'on essayait de la protéger?

Il fallait renouer contact avec le lieu. L'apprivoiser à nouveau.

Nous passâmes à côté d'un arbre à baies Oran que je reconnus: je l'avais greffé sur une souche d'arbre à baie Prine à l'époque où je travaillai ici. Il y avait des "Gourmands", des rameaux qui poussaient en dessous de la greffe et qui commençaient à tout envahir. Assez naturellement, je sortis ma serpe et commençai à les dégager.

Feuille grogna, me regarda faire avec dédain.

- Seee eeee?

- Non, je ne vais pas m'arrêter à tous les arbres qu'on croise et qui ont besoin de notre aide. Je fais ce que je dois faire, c'est tout.

- Iiiiin.

- Ne dis pas n'importe quoi, je n'essaie pas de gagner du temps... rappelle-toi que c'est moi qui ai proposé l'expédition. Et puis, si on peut rendre service à la forêt au passage, c'est jamais perdu.

- Seeeeeee ssss.

- Ouais, si tu veux, je ne le fais pas que pour la forêt, je le fais aussi pour moi, ça m'aide à réfléchir, voilà. T'es contente?

Elle émit un silence désapprobateur. Evidemment qu'elle n'était pas contente. Jamais contente, Feuille.

En vérité, si on s'était retrouvé instantanément devant cet arbre ancestral que l'on avait sauvé des griffes de Sakai, je n'aurais pas su quoi lui dire, ni quoi lui demander. J'avais besoin de prendre mon temps, de replanter mes racines, de faire usage de mes mains.
Je ne sais pas si Feuille le comprit. Mais elle finit par se joindre à moi, et à dégager d'autres rameaux sur des arbres fruitiers voisins.

Pour tout dire, il y avait autre chose. Une autre raison au voyage que je n'assumais qu'à moitié. Pour débloquer notre situation psychologique, je m'étais surpris à penser que la présence d'un médiateur, un troisième individu pourrait nous aider. Evidemment, on ne pourrait pas compter sur un être humain. Quant aux arbres, ils étaient des conseillers essentiels de chaque instant, mais pas toujours très bavards. Pour la seconde fois de ma vie, je pensais avoir besoin d'une présence plus organique, plus vivante.

Je m'étais donc procuré une Captis Ball. Vide.
Une partie de moi, qui avait espéré ne pas en avoir l'utilité, l'avait fourré tout au fond du sac.

Même sous l'immense canopée offerte par cette forêt pluricentenaire, certains petits arbres fruitiers avaient le bon goût de très bien supporter l'ombre et la compétition, notamment celle des arbres qui faisaient entre dix et vingt fois leur hauteur. Ce n'était pas nécessairement le cas des arbres à baie Oran, mais celui-ci avait de la chance et bénéficiait d'un ensoleillement particulièrement important. Après en avoir dégarni la base, on ne s'y attarda pas. L'arbre était vigoureux, il n'avait pas besoin de nous.

En revanche, il y avait juste derrière un arbre à baie Ceriz qui obtint mon attention, et par induction celle de mon Insécateur qui trainait un peu la patte.

Le Cerizier, comme l'Oranger, avait une véritable invasion de rameaux "gourmands" à la base de la greffe, mais il avait aussi très peu de bourgeons au regard de la saison. La fin de février approchait, et il aurait déjà dû être garni de dizaines de boutons prêts à éclore.

Alors que Feuille s'occupait de la base, j'appliquai la procédure et remontai le long du tronc, puis suivis chaque branche charpentière pour enlever d'un coup de serpe les rameaux qui pompaient inutilement de la sève et volaient leur part aux bourgeons qui n'étaient déjà pas bien gros.

Mais alors que j'attrapai une brindille, le bourgeon qui était à la base me regarda avec stupéfaction, car oui: c'était un bourgeon qui avait des yeux. Ce n'était pas rare sur un Cerizier, et ça s'appelait un Ceribou.
Il n'avait pas l'air particulièrement apeuré malgré le fait que je brandissais une serpe, mais je lus dans ses yeux qu'il était prêt à bondir la prochaine fois que je ferais un mouvement brusque. C'était typiquement le genre de parasite qui m'embêtait, mais je n'avais pas le cœur à le déloger, et de toute façon il ne se serait probablement pas laissé faire. J'enjambai donc paisiblement la créature.

Je n'eus pourtant pas pu aller bien loin derrière. Sur la ramification suivante, à peine deux pas au-delà, un nid de Noeunoeuf me barrait la route. Et cette fois-ci, les branches qui s'étendaient derrière n'étaient pas assez solides pour que je puisse prendre appui dessus sans risquer de me casser la figure.

Feuille s'affairait en bas. Je n'avais pas besoin d'elle. Il me suffisait de déplacer le nid un peu plus bas sur la branche charpentière, de faire mon affaire sur les rameaux suivants, et de le reposer ensuite au même endroit comme si je n'avais jamais été là. Je me penchai alors pour l'attraper délicatement... Quand les six paires d'yeux se tournèrent vers moi.

Je n'avais jamais été un grand partisan des Noeunoeufs. Je les avais toujours trouvé désagréables, méprisants et vicieux sous leurs airs solidaires. A vrai dire, j'avais tendance à détester leurs gueules: les regarder c'était comme se faire insulter facialement par six têtes de bébés hantées, quand ils ne nous insultaient pas tout court en faisant un brouhaha insupportable. Mais là, cela n'avait pas grand chose à voir avec le stéréotype. Ils étaient silencieux, et n'avaient pas l'air d'avoir envie de me cracher quoi que ce soit à la figure. Solidaires, ils l'étaient: le gros au centre et le plus fragile derrière, comme d'habitude. Mais pas d'animosité palpable comme ils en avaient l'usage.

Je soutins leur regard, en les analysant un par un, immobile, et alors que j'étais sur le point de soulever le nid, je sentis un petit frémissement dans leur groupe.

- Je ne vous veux pas de mal. Il faut juste que je vous bouge pour faire mon travail, et ensuite je vous remets. Vous verrez, vous aurez même davantage d'espace et de lumière quand j'aurai terminé.

Il y eut un silence, je savais qu'ils n'avaient pas capté un traître mot, j'espérais simplement qu'ils aient compris que je venais en paix.

J'eus la réponse très vite: l'un d'entre eux m'envoya un sourire.

J'y repense encore avec étonnement. Je ne me souvenais pas avoir vu un pokemon me sourire souvent, mais alors un groupe de Noeunoeuf! Il fallait alerter les érudits de Sakai au plus vite!

C'était celui sur la droite qui avait souri le premier. Le chef au centre l'avait imité, et tout le monde avait imité le chef. Leurs yeux n'étaient pas froncés. Ils regardaient simplement un être humain avec une serpe sans intention violente et qui leur parlait sans violence. "C'est bon, allez-y", semblaient-ils me dire. "Vous avez notre confiance". A peu de choses près, on aurait presque pu comprendre "Merci de ne pas nous avoir éclaté la cervelle et mangé le cœur, nous vous devons une reconnaissance éternelle!".

Un peu secoué, je stoppai mon action, reposai le nid, et m'assis sur la branche pour les observer encore un peu plus longtemps. Leurs sourires se muèrent en "ô" curieux. "Qu'est'ce qu'il fait? Il change d'avis?".
Et puis de nouveau des petits sourires. "Pas grave. Faites comme vous voulez. Restez assis là si ça vous chante. Tant qu'on est vivant, pas de soucis."

Je commençai à avoir envie de les connaître d'avantage, et d'échanger avec chacune de ces six petites têtes. Plus encore, en songeant qu'un Noeunoeuf finissait par devenir un Noadkoko et en réfléchissants à ce que cela pourrait m'apporter dans mon travail, la perspective de leur proposer de venir avec moi se faisait de plus en plus grande.

Ma Captis Ball était dans mon bagage. Mon bagage, lui, était au pied de l'arbre.

- Feuille? Tu pourrais me monter mon sac s'il te plaît?

Feuille leva la tête vers moi. Après quelques secondes de suspicion, elle attrapa le sac et vola à ma hauteur mais sans me le passer, pour voir de quoi il était question, projetant son ombre sur les Noeunoeufs qui la regardèrent en se secouant un peu.
Elle m'adressa un regard rempli de points d'interrogation.

- Siiiiiiiiin?

- Mais non, on ne va pas les manger. Mon sac?

Elle examina les six êtres à nouveau, qui eux, lui rendirent à nouveau des petits sourires, et même des petits "Oe! Oe! Oe!" de salutation. S'ils ne se montraient antipathiques ni la présence de Feuille ni à la mienne, alors nous avions affaire à un bon candidat pour la médiation dont notre relation avait tristement besoin.

Elle me passa enfin le bagage. Le temps de sortir la Captis Ball de la poche de derrière, l'activais et la posais délicatement dans le nid au contact des œufs, en espérant qu'il se passe quelque chose.

FEUILLE

Mon sang ne fit qu'un tour. "Alors c'était ça que tu avais en tête? Recruter? Je suis plus assez saine pour toi, c'est ça? Salaud!"

- SSSEEEEAAAA !

Le comportement de Teion m'avait rendue folle de rage. Je lui arrachai son sac des mains et m'envolai le plus loin possible.

-Hein?! Feuille! Non, rends-moi ça, reviens! Feuille!!! Qu'est-ce que tu fous! Reviens! Fais pas l'imbécile!!!

Le vrombissement frénétique de mes ailes, en plus de couvrir son appel, faisait fuir toutes les espèces autour de moi.
J'étais évidemment malade de jalousie. Qu'est-ce qui pouvait justifier mon remplacement, ou même la perspective d'inclure quelqu'un d'autre dans l'équipe, après ces années de collaboration? Et pour quelle recrue? Une barquette d’œufs? Ah ça! Ils auraient l'air malin quand Teion leur mettrait une serpe entre les coquilles, qu'il leur demanderait de marquer le moindre arbuste qui ferait quinze fois leurs six hauteurs réunies! Pour sûr, ils sauraient quoi faire lorsqu'il s'agirait d'élaguer, fertiliser des sols, sélectionner la bonne essence d'arbre pour reboiser! Il aurait pu choisir n'importe qui, mais franchement, six morceaux de cerveaux atrophiés? La honte!

Je m'arrêtai au sol et posai le sac de Teion par terre, essoufflée. La densité végétale était un peu moins forte autour de moi, et pour cause: toute l'eau et les minéraux étaient pompées par des racines gigantesques. En les suivant du regard, j'arrivai à un arbre inhabituellement vaste.

Il me fallut quelques secondes pour reconnaître celui qui avait servi de théâtre à notre petit drame de Septembre. C'était là.

Je ne m'en étais pas rendue compte, mais j'avais volé assez vite entre les feuillus et les résineux, et pendant plutôt longtemps, sans but réel, et sans savoir où j'allais, l'essentiel étant d'être le plus loin possible de Teion. Il fallait croire que mon instinct avait horreur du vide, et qu'il avait repris les commandes pour m'emmener à la seule destination possible.

Maintenant que j'y étais, je n'étais plus obligée d'attendre que Teion me rejoigne. Il devait sûrement être en train de s'amuser avec son nouvel ami l'omelette en kit... Pourvu qu'il prenne son temps, surtout! Quel abruti.

Je me tins droite, et décidai de faire face au lieu, de faire face à l'arbre.

Dans la précipitation de l'horreur et de la tempête, nous n'avions pas pris le temps de le regarder en Septembre.
Ce n'était pas un arbre fruitier, mais un Séquoia. Il s'élevait au dessus de tous ses voisins, à quatre-vingt mètres au dessus du sol à la louche, c'était clairement le patriarche du coin. Son tronc était si ample qu'on aurait dit qu'il était constitué d'une grappe de troncs agglomérés entre eux. Les premières branches charpentières ne commençaient qu'à partir de trente mètres de haut et se déployaient en vastes rameaux garnis de nombreuses aiguilles. En deçà, c'était tout simplement un pilier aux teintes rouges qui jaillissait des entrailles de la terre, avec d'épaisses racines déployées tout autour. J'étais debout sur l'une d'entre elles.

Je tâtai le sol de ma lame. Très minéral, il était assez pauvre. Il fallait dire que les pluies torrentielles ne l'avaient pas ménagé.

Pourtant, on ne pouvait pas dire que la mort imprégnait l'endroit. Les feuillages alentours frissonnaient. La nature avait rapidement repris ses droits sur le secteur, comme partout dans le reste de la jungle...

BATTLE MUSIC!



FEUILLE

Derrière moi, un frisson. Le feuillage frémit, et à travers lui on distinguait d'autres feuilles, plus vivantes et organiques, avec deux boulettes rosâtres au bout.

Des Ceribous, il y en avait des colonies entières dans le coin. Teion et moi avions pris le temps de greffer des arbres à baies Ceriz, et voilà le résultat. Ces bestioles pompaient allègrement les nutriments réservés aux baies Ceriz pour grossir leur petite masse. Ce spécimen était particulièrement rouge, et donc gorgé de sucre... et de vice.

Car malgré l'ambiance de cathédrale qui régnait au pied du Séquoïa, cette boule de chair était désormais impossible à ignorer. Elle emplissait tout l'espace de son mépris. J'avais dû perturber son petit nid en traçant ma route jusque-là, puisqu'elle me dévisageait avec un air de défi.
Elle voulait en découdre. J'en eus le cœur net lorsqu'elle se plaça au centre d'un rayon de soleil qui perçait la canopée, et se mit à grossir, grossir...

Je n'avais pas envie de faire jaillir la violence à nouveau en cet endroit redevenu calme et libéré de tout risque de tempête, mais il était hors de question que je laisse cette saleté me sauter à la figure. Je la fusillai du regard, avec l'intensité de la tueuse que j'avais déjà été ici, et je lus un début d'hésitation dans son regard... une ouverture.
En lui fonçant dessus, je lui crachai toute ma rage à la figure sous la forme d'une "Onde Vide", attaque à distance qu'elle encaissa de plein fouet... avant de me charger à son tour et de me frapper en plein dans l'abdomen.

J'étais à terre. Renversée par un Ceribou. Pourvu que Teion ne me voie pas comme ça! Je me relevai précipitamment, et la chargeai à mon tour: avec mes ailes, j'avais l'initiative. Le choc la projeta en arrière contre le Séquoïa... contre lequel elle prit appui et me chargea à nouveau, mais dans la tête cette fois-ci. Pour une boulette, elle était lourde, véloce et coriace. Je commençais à croire que je ne ferais pas le poids, et cela me retourna le cerveau. Perdre? Face à un fruit, un pâté rose sans bras ni jambes?

Je tentai à nouveau l'intimidation par le regard, et elle me chargea à nouveau. Je fus propulsé avec une telle force que je m'éclatai contre le grand pin dix mètres derrière moi, lequel déversa sur moi une dizaine de pommes de pins dans la secousse.

J'arrivai à peine à me relever. Encore un coup comme celui-ci et je tombais dans les pommes, d'une façon moins littérale et beaucoup plus désagréable. Il fallait que je la finisse... mais mon ennemie s'était à nouveau placée sur le chemin du soleil, et se gorgeait de ses rayons pour se régénérer.

Qui sait ce qu'il me serait arrivé si j'avais perdu à ce moment-là? La Ceribou aurait-elle dansé sur ma dépouille? Aurait-elle convoqué toute sa famille pour me dévorer jusqu'à l'os? C'eût été une fin bien ironique! Exterminée par la poké-diversité dont j'ai voulu protéger le milieu naturel à la saison passée...

Ce fut pourtant cette même biodiversité qui me sauva. Alors que la Ceribou préparait son assaut final, une demi-douzaine de petites boules blanchâtres s'interposa. "Oe Oe Oe Oe Oe Oe", faisaient-elles, alors que l'ombre de Teion se dessinait entre les troncs.

- Ça suffit, Feuille. Repose-toi un coup.

L'humiliation était totale. Mon partenaire me voyait à terre, et envoyait une horde de Noeunoeufs pour me tirer d'affaire. Boulettes contre boulettes roses. J'eus envie de terminer le travail qu'ils avaient tous commencé, et m'éclater la tête contre le pin pour en finir.

Pourtant, le spectacle se révéla surprenant. Les Noeunoeufs ne se jetèrent pas dans la mêlée. Au lieu de cela, ils se mirent à danser. Ils sautillaient les uns par dessus les autres, comme si une force invisible était en train de jongler avec eux. C'était à la fois ridicule, très curieux, et surtout complètement hypnotisant...
Et je ne crus pas si bien dire: la Ceribou, à force de les suivre du regard, s'écrasa au sol de sommeil.
Ces crétins de Noeunoeufs l'avaient hypnotisée!

Ils se regroupèrent puis se retournèrent vers moi, en s'inclinant pour m'adresser un salut tout en politesse. Fragilisée, je ne leur répondit pas avec autant de bienveillance:

- Pas la peine de crâner, les oeufs... Vous n'êtes pas les seuls à savoir faire des choses que personne d'autre ne sait faire.

- Entendu. A toi de jouer, alors.

A moi de jouer? Ces six têtes de baie venaient-elles de me donner un ordre?

Je me retournai vers Teion qui me regarda, les bras croisés, avec son sourire en coin avant de me lancer:

- Ça va mieux? Alors finis ce que tu as commencé.

Je me relevai tant bien que mal, et m'avançai devant les Noeunoeufs, face à la Ceribou endormie. J'étais tentée de profiter de son sommeil pour lui rentrer dedans au plus vite, mais Teion me fit signe.

- Patience, Feuille. Puissance.

A présent qu'il le disait, cela semblait évident. Je m'étais faite rétamer par cette petite peste rose parce que j'avais tout misé sur l'agressivité, sans rassembler mes forces comme elle l'avait fait dés le début.

Ce fut donc à mon tour. L'énergie, je l'avais: je n'avais plus qu'à la canaliser, pour la faire jaillir au moment opportun.

La Ceribou dormait toujours. Alors je continuai le processus, et rassemblai ma puissance, jusqu'au dernier moment...

HEX

Lorsque enfin la Ceribou releva le nez en l'air, encore dans le cirage, elle eut à peine le temps de retrouver cette "Feuille" du regard que celle-ci l'avait déjà chargé avec une férocité nouvelle, si fort qu'elle vola à travers la zone, comme une vulgaire balle dans laquelle on aurait shooté. Dans le jargon, c'était ce qu'on appelait un coup critique, et c'était là tout le but de la manœuvre orchestrée par monsieur Teion: c'était pour laisser à cette Insécateur le temps de rassembler ses forces que nous avions endormie l'ennemie.

Lorsqu'elle atterrit, la Ceribou était au bord de la crise de nerfs, et voulut charger Feuille à nouveau, mais Feuille avait des ailes. Monsieur Teion l'encouragea avec justesse:

- Finis-la! Vive-attaque, maintenant!

Elle frappa à nouveau le parasite, et l'envoya voltiger dans le décor une bonne fois pour toutes.

Essoufflée, Feuille se tourna vers monsieur Teion, peut-être pour y trouver une forme de reconnaissance, puis vers nous, les six Noeuneoufs, qui nous étions mobilisés pour effectuer une petite danse de la victoire en son honneur, en sautillant autour d'elle comme pour la féliciter dans notre langage:

- Ouais! Ouais! Ouais! Ouais! Ouais! Ouais!

- Oh, mais barrez-vous, sérieux...

Elle ne l'avoua pas sur le moment, car c'était là son caractère, mais elle nous devait une fière chandelle. Pas seulement parce qu'elle avait grâce à notre aide remporté son premier véritable combat face à une espèce sauvage menaçante - aussi petite et rose soit-elle, mais également parce qu'elle savait qu'elle pouvait désormais compter à nouveau sur monsieur Teion pour la tirer d'affaire en cas de pépin.

Quant à ce monsieur Teion, il semblait avoir retrouvé une certaine confiance en Feuille également. Nous l'apprendrions plus tard, mais c'était probablement lié à ce qu'il s'était passé ici quelques mois auparavant. Qui sait, ce petit moment de violence maîtrisée leur avait peut-être permis de retrouver une dynamique de combat plus saine...

TL;DR a écrit:

Résumé:

Ceribou utilise Croissance, son tau de coup critique augmente.
Insécateur utilise Gros'yeux, Ceribou perd en défense.
Insécateur utilise Onde Vide. Ceribou subit des dégâts à distance.
Ceribou utilise Charge. Insécateur subit des dégâts au torse.
Insécateur utilise Vive-attaque. Ceribou subit des dégâts physiques.
Ceribou utilise Charge. Coup critique. Insécateur subit des dégâts à la tête.
Insécateur utilise Gros'Yeux. Insécateur rate son attaque.
Ceribou utilise Charge. Insécateur subit des dégâts au torse, ses PVs sont dans le rouge.
Ceribou utilise Aurore, et récupère les 2/3 de ses PVs.

Teion rappelle Insécateur.
Teion appelle Neounoeuf.
Ceribou utilise Puissance. Son tau de coup critique augmente.
Noeunoeuf utilise hypnose. Ceribou s'endort.

Teion rappelle Noeunoeuf.
Teion appelle Insécateur.
Ceribou fait un somme.
Insécateur utilise puissance. Son tau de coup critique augmente.
Ceribou fait un somme.
Insécateur utilise puissance, encore une fois.
Ceribou se réveille!
Insécateur utilise Vive-Attaque. Coup critique.
Ceribou utilise Charge. Ceribou rate son attaque.
Insécateur utilise Vive-Attaque. Coup critique.
Ceribou est KO.

Insécateur et Noeunoeuf se partagent évidemment l'expérience, parce que bon, faut pas déconner non plus. ♫

Le Séquoïa géant, de toute sa majesté, avait observé la scène sans l'ombre d'un mouvement. Il était comme un pilier qui soutenait le ciel.

Feuille et notre nouvel allié n'avaient pas chômé. Combiner leurs forces ne s'était pas révélé aussi infaisable que prévu. Nous partions pourtant de loin.

Je m'avançai au milieu de la scène, et récupérai mon sac, en adressant à Feuille un regard mi blasé mi complice. Je n'étais toujours pas sûr de comprendre pourquoi elle l'avait emporté, ce qu'elle comptait obtenir de moi en me piquant mes affaires et en se taillant le plus loin possible. Beaucoup de non-dits et de frustrations refoulées cristallisés dans cette action spontanée. Mais je l'avais retrouvée, et Hex et moi lui avions sauvé la mise: elle allait bien, et c'était là l'essentiel.

A présent que ce Ceribou hargneux était retourné pomper de la sève dans d'autres buissons, il n'y avait aucun obstacle entre nous et l'endroit. Je me tins silencieux face à l'arbre pluri-centenaire, et Feuille m'imita, suivie des six oeufs qui, même sans vraiment comprendre ce qui était en train de se jouer, se joignirent à nous dans le silence.

L'endroit n'avait plus rien à voir avec le jour où nous y avions éliminé les intrus Sakaiens. Le soleil prêtait à la scène une douceur inouïe pour un mois de Mars, même en pleine jungle, ainsi que de belles ombres zébrées un peu partout. Passé l'intensité du combat, les sons des pokémons à l'entours avaient retrouvé une stabilité reposante.

Nous n'étions pas venus chercher les dépouilles de nos victimes, même si elles n'étaient probablement pas aussi loin sous le sol que nous voulions bien le croire. Nous étions venus pour demander pardon à la forêt de l'avoir maculée... et pour le faire, aucun mot n'était nécessaire.

Je m'approchai lentement du tronc du Séquoïa, puis en effleurai l'écorce du bout des doigts, avant de me retourner vers mes deux compagnons. Feuille, impassible, renifla un coup. Les Noeunoeufs, quant à eux, suivaient chacun de mes faits et gestes avec une curiosité toute innocente. Je leur souris, avec l'intuition d'avoir trouvé ce que nous étions venus chercher ici.

Plus rien ne nous retenait, si ce n'était la quiétude du lieu. Et peut-être la perspective de se faire rattraper par la nuit sans avoir trouvé un lieu pour un campement digne de ce nom.

Nous allumâmes un feu, pour y faire griller toutes sortes de baies que nous avions trouvé sur le chemin. Nous en fîmes goûter certaines à Hex, qui visiblement n'avait jamais eu l'occasion de faire griller quoi que ce soit, puisque chacune de ses six petites têtes sembla embarquée dans un voyage sans retour à chaque bouchée. J'essayai de leur parler, ils me répondaient avec leurs mots. On ne se comprenait pas vraiment. Mais Feuille, avec toute la mauvaise volonté du monde, parvint à nous faire un semblant de traduction.

Ils disaient globalement qu'ils avaient toujours vécu heureux, qu'ils n'avaient jamais eu d'embêtement, et que la forêt avait toujours été douce avec eux.

- Ne vous inquiétez pas. Il n'y a pas de raison que ça change. Nous y veillerons.