Ardashnir soupira. Peut-être qu'embarquer sur un navire marchand n'était pas une bonne idée, finalement.

Tout d'abord, parce que cela lui avait coûté un bras. C'est sûr que les hommes de mer avaient d'autres choses à faire que d'accueillir un simple villageois sur leur rafiot. Mais le capitaine avait été clément lorsque l'érudit lui avait proposé une bonne bourse débordante d'écus. Ashar ne s'était pas trop posé la question sur le fait qu'il risquait de se faire arnaquer ou non, puisque c'était bien la première fois qu'il avait affaire au monde maritime. Impossible de déterminer si l'équipage de la Lame Bleue relevait plus du pirate que du marin honnête. A priori, il ne s'agirait que d'une tendance à l'escroquerie. Mais encore, Artreos est certain qu'il a eu de la chance concernant sa demande qui aurait très bien pu être refusée malgré tout.

Finalement, ce n'était pas ce problème de l'argent qui le gênait le plus, parce que ce processus particulier de transport allait compenser la perte financière par un gain de temps. Oh, rien ne poussait vraiment le noiraud à se presser, mais Ardashnir n'était pas très patient lorsque cela concernait ses études. Donc non, il ne prenait pas le bateau pour se rendre en vacances ou n'importe quelle autre ânerie de ce genre. Cela faisait longtemps qu'il n'était pas retourné en Kuni, et l'intellectuel espérait bien découvrir de nouvelles choses et de nouvelles personnes. Mais c'était aussi surtout l'occasion d'observer l'impact des tensions montantes entre Sakai et Mido après la malheureuse disparition du chef des forêts. Deux nations plus ou moins hostiles à une autre commune ? Un développement était à prévoir prochainement. Et il y avait beaucoup de chance que cela commence à partir du pays côtier, vu la vision négative qu'ils avaient sur Sakai depuis de nombreuses années.

C'était donc un voyage plus rapide et peu conventionnel, non pas sans son lot de surprises malgré une grande planification antérieure. Voilà d'ailleurs un bon reflet de la personnalité de l'ancien professeur, pour qui tout allait basculer radicalement prochainement. Comme l'été s'installait progressivement, le jeune homme avait bonne intuition que les conditions météorologiques seraient agréables le temps d'un séjour sur le navire. Il s'était également attendu à fournir un peu de travail pour mériter sa place d'invité au sein de l'équipage. Si le chef du rafiot avait accepté sa présence, il s'agissait au coût de l'argent et de la main d'oeuvre. Ashar ne s'en offusquait pas, il comprenait que c'était chose normale de faire des efforts à bord. De toute façon, les autres marins lui laissaient les corvées les plus faciles. Ils avaient beau avoir ri en voyant son physique de brindille, au moins ils étaient sympathiques et bon vivant. Les conditions de voyage étaient donc on ne peut plus favorables et banales.

Artreos se trouva ainsi en bonne compagnie pendant trois jours. C'était rafraîchissant de parler à des personnes autant attachées à leur métier que lui ne l'était. Même si l'équipage avait l'air brut de décoffrage et un peu rustre, ils n'étaient pas complètement stupides comparé aux croyances populaires. L'historien était plus que ravi de prodiguer du savoir ou des histoires pour divertir ces messieurs la nuit tombée. Il est vrai que beaucoup n'avaient pas reçu une éducation digne de ce nom en étant jeunes, suivant généralement les traces de leurs parents. Mais ce n'était pas pour autant qu'ils refusaient d'écouter l'intellectuel. Au moins, les discours du Sakaien avait le mérite de leur offrir une bouffée de nouveauté et d'exotisme. En retour, l'équipage l'invitait à boire de l'alcool et en profitait pour raconter des anecdotes de voyage stupides ou vulgaires pour ensuite partir dans des fous rire. La cohésion d'équipe ressortait plusieurs fois derrière leurs moqueries et insultes, et Ashar trouvait cela fascinant.

Mais voilà, les péripéties n'étaient jamais bien loin, même lorsque tout semblait paisible. A l'aube du quatrième jour, l'érudit sut qu'il avait un peu trop abusé de la bouteille la veille. C'était étonnant mais pourtant à prévoir : Ashar s'était laissé emporter par l'engouement des esprits même si cela était contraire à son côté rationnel. Il fut malade toute la matinée et se résolut rapidement à souffrir du crâne jusqu'à ce qu'il puisse se reposer. D'un seul coup, l'air maritime et salé ne lui faisait plus autant de bien. Le capitaine était venu le trouver pour lui annoncer d'une claque dans le dos que la Lame Bleue allait débarquer à Kuni, dans la ville de Venovos, dans la soirée. Bien sûr, Ardashnir s'était réjoui de la nouvelle, mais peut-être un peu trop brusquement pour son cerveau. Le capitaine se mit à rire en regardant le pauvre mousse rejoindre sa cabine temporaire, une main sur le front. Le jeune homme n'avait pas vraiment la trempe d'un marin, et cela l'amusait beaucoup. Il se demandait encore pourquoi il avait accepté de le laisser monter à bord. Mais le souvenir d'un gros sac de pièces sur son bureau lui arracha un nouveau fou rire.

Ashar ne perdit pas de temps pour s'installer sur sa couchette, et en un clin d'oeil il libéra son Statitik de sa Captis Ball. La petite bête semblait étrangement joyeuse d'être libre. L'historien avait supposé qu'un bateau n'était sûrement pas le meilleur environnement pour son Pokémon, alors il avait décidé de laisser Afelan à l'intérieur de sa Ball la plupart du temps. Il semblerait pourtant que le noiraud ait sous-estimé l'amour qu'avait la tique électrique pour son dresseur, ou bien il en était totalement inconscient. Toujours est-il que Afelan en profita pour demander des grattouilles, et bientôt la bête se retrouva sur le dos alors que l'érudit caressait vaguement son ventre poilu. C'était le point faible du Statitik, et l'activité passive était suffisante pour faire sombrer l'humain dans le sommeil. Même s'il n'était pas fatigué, il espérait chasser le mal de crâne qui le hantait.

Sa sieste fut brutalement interrompue après une durée indéterminée par le bruit d'une porte qui claque en grand. Quelqu'un venait de pénétrer dans sa cabine et semblait lui hurler des ordres. Ardashnir devait émerger trop lentement de son état ensommeillé, parce que l'inconnu (ce n'était clairement pas un membre de l'équipage au vu de son attitude) l'empoigna par le col pour le jeter rudement à terre. La douleur était moindre que la surprise cependant, et l'érudit se retourna prestement pour demander des explications. La vue d'une arme pointée dans sa direction le réduisit rapidement au silence. L'homme lui aboya quelque chose comme rentrer son Pokémon dans sa Ball, et l'historien découvrit Afelan tremblant dans la couchette. Il ne fallut qu'un instant à l'insecte hirsute pour disparaître dans un éclair rouge, bien à l'abri. Ensuite, la Captis Ball fut arrachée des mains du jeune homme par l'inconnu hostile, qui le poussa alors sur le pont.

Le spectacle qui s'offrit devant ses yeux bleus lui glaça le sang, même s'il mit quelques secondes à comprendre que le navire marchand était abordé et saccagé. Par des pirates.

Mais bien sûr ! Comment avait-il pu oublier de prendre en compte un tel facteur ?

L'alcool était une chose. Même si c'était sous le coup d'une impulsion qu'il avait cédé, Ardashnir savait qu'il n'y aurait pas de conséquence désastreuse au bon déroulement de ce voyage. La météo, le droit d'accès, le travail manuel, l'érudit avait pris en compte tout cela pour garantir une traversée sans surprise ni problème, et jusque là, tout allait bien. Mais il avait complètement effacé la menace pirate du tableau. A vrai dire, cela lui semblait tellement surréaliste, de subir une attaque de plein fouet du jour au lendemain, qu'il se rendit difficilement compte qu'on l'empoignait de force pour le traîner quelques part.

La prochaine chose qu'il sut, c'est qu'on le balança sans ménagement au fond d'une pièce obscure. A nouveau son corps embrassa le plancher dans un contact douloureux. Ardashnir mit quelques secondes à reprendre ses esprits. Il essayait de se remémorer ce qu'il lui est arrivé pendant les cinq dernières minutes. La scène était floue, tant la surprise était grande, mais l'érudit finit par déduire qu'il avait été fait prisonnier. Par les pirates.

Sans Pokémon ni arme, encore confus et perdu, Artreos ne pouvait pas faire grand-chose. Il n'avait aucune idée de ce que ces barbares allaient faire de lui. Il imagina bien que ces affaires avaient été pillées, et maintenant il se retrouvait sans rien, avec en prime sa vie en danger. Le stress de la situation l'empêchait de réfléchir efficacement. Il ne savait pas si les autres marins étaient indemnes, si eux aussi avaient été faits prisonniers. Il ne savait même pas quelle était l'heure de la journée.

Ardashnir soupira. Peut-être qu'embarquer sur un navire marchand n'était pas une bonne idée, finalement.

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Le temps passa sans que l'érudit ne puisse faire quoi que ce soit de productif. Un des marins criminels lui avait rendu visite, et ensemble ils avaient pu discuter un peu. Apparemment, le pirate regrettait le geste, ne voyant pas ce qu'un intellectuel dans son genre pouvait apporter à la bande. C'était sous couvert de paroles brutes que Ardashnir apprit que le dénommé Ichigo avait le coeur à la bonne place quand il lui proposa de l'aider à s'échapper dès qu'ils toucheraient terre. Le geste était louable, mais faisait monter encore plus de question auprès de l'historien. Tout ce que put lui fournir le jeune homme avant de se faire rappeler sur le pont, c'est qu'une partie de l'équipage de la Lame Bleue avait été "disposée". Le Sakaien n'osait même pas imaginer les implications d'un tel mot. La panique revenait à grands pas tandis qu'il se retrouva à nouveau seul pour Arceus savait combien de temps.

Ashar se contenta de patienter, craignant beaucoup trop pour sa vie pour tenter de s'évader. En pleine mer, une telle audace était tout simplement suicidaire. Comme s'il allait se jeter dans les flots, ha ! Non, la situation était inextricable. Sans compter que l'ancien professeur voulait récupérer son Pokémon. Pas au point de risquer sa vie pour reprendre la Captis Ball, mais si jamais il arrivait à convaincre Ichigo de lui rendre Afelan, le noiraud en serait extrêmement soulagé et reconnaissant. Déjà, il fallait voir si le plan du pirate allait porter ses fruits. Après tout, cela n'était peut-être qu'un mensonge pour lui donner de faux espoirs ? Si tel était le cas, Artreos savait qu'il aurait peu de chance de s'en sortir vivant, et cela le terrifiait. Il était complètement inutile à un gang hors-la-loi des mers, il n'avait aucune compétence, connaissance ou richesse qui méritait que l'on préserve sa vie. Son coeur battait la chamade, le lettré n'osait tout simplement plus bouger.

Jusqu'à ce que la lumière en provenance de l'ouverture de la cale ne lui revienne à nouveau en pleine figure. Laissé à ruminer de sombres pensées pendant de longues minutes, ou des heures, Ardashnir ne pouvait contenir sa joie lorsqu'il aperçut la figure d'Ichigo. Celui-ci lui intima de se montrer plus discret en lui tendant un objet sphérique. Afelan ! Oh, le Sakaien se trouvait à jamais en dette envers le jeune pirate. Il le remercia à profusion, mais il fallait bouger au plus vite. Ils n'avaient pas beaucoup de temps pour s'échapper. Ashar suivit donc les instructions du matelot à la lettre, et la tension ne quitta son corps que lorsqu'ils réussirent à toucher la terre-ferme et s'éloigner un peu du navire. Si l'érudit était ravi d'être enfin libre, il ne pouvait certainement pas oublier les implications de la présence des pirates ici : le village côtier dans lequel ils avaient abordé était en train de se faire piller. Entre ça, l'équipage de la Lame Bleue dont le sort était inconnu et le risque inconsidéré que prenait Ichigo en trahissant les pirates, il n'y avait franchement pas de quoi se réjouir.

Ardashnir n'était qu'un homme. Pour le moment, il était impuissant à apporter de l'ordre à la situation. C'était difficile à avaler, de ne pas pouvoir aider ces pauvres Kuniois en détresse. Mais il n'avait pas d'arme. Il n'avait pas de formation au combat Pokémon. Il n'était qu'un civil parmi tant d'autres, qui s'est retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. L'historien n'était même pas capable d'aider son libérateur ! Ichigo était comme prisonnier de la bande. Le jeune homme rêvait de s'échapper à son tour, mais il savait pertinemment que son passé allait forcément le rattraper, en brulant tout sur son passage. Le noiraud en était profondément attristé et désolé, mais il ne pouvait rien faire. Ichigo comprenait. Il avait toujours cet air froid depuis le début de leur rencontre. Il s'était déjà résigné à son sort. Mais si jamais un jour, Ardashnir parvenait à devenir beaucoup plus puissant, peut-être que le marin aurait une chance. L'érudit était bien le seul au courant de sa condition, le seul à comprendre sa position, et donc le seul à lui venir en aide. Mais aujourd'hui était trop tôt.

Alors ce n'était qu'un au revoir. Ashar ne pouvait pas se débarrasser de ce sentiment de reconnaissance éternelle envers son sauveur. Il n'oublierait pas cette sombre rencontre qui avait failli lui coûter la vie. Si jamais un jour les deux hommes recroisaient chemin, le poète promettait de faire son possible pour libérer Ichigo de ses chaînes. C'était bien la moindre des choses qu'il puisse faire pour réellement le remercier. C'est ainsi que commença tout doucement sa quête de devenir plus fort, complètement fauché et perdu dans un territoire inconnu après avoir manqué de mourir, notamment grâce au soutien de son équipe Pokémon qu'il comptait prochainement agrandir.