Hors-Jeu:

«Pourquoi nous faire arrêter, Leonys, je t’en prie ?»

«J’ai besoin de dégourdir mes jambes.»

Surtout, de m’éloigner d’elle. Je saute presque depuis la cariole, m’avançant sur ce terrain plat à perte de vue. Mon regard se porte aussi loin qu’il le peut, vers le ciel et l’océan et la brise ! Je respire bien mieux désormais, libérant tour à tour Napoléon et Danaé. Le petit chat s’éloigne d’un bond, zigzaguant entre les hautes herbes, tandis que la Lucario reste à mes côtés. J’hésite devant une troisième balle, celle d’Oreste. L’Absol rend mal à l’aise ma sœur, néanmoins. Je ne ferai pas exprès pour causer son émoi, même si je ne le comprends pas exactement. Oh, bien sûr, mon allié a cette vilaine cicatrice qui lui barre le visage, ces puissantes griffes et ce regard peu chaleureux. Ce ne sont pas des raisons de le craindre. Depuis qu’il fait partie de notre équipe, il n’y a pas plus loyal et protecteur que lui. Il aurait probablement apprécié la vue de cette plaine, d’ailleurs. Je me ravise néanmoins, faisant plutôt appel à Ariane qui s’accroche à ma robe tandis que je marche vers l’horizon. J’entends ma sœur et ma mère quitter elles aussi le chariot pour s’avancer, avec prudence, en ces contrées sauvages.

«Fais vite alors, sinon nous te laissons là !»

Je souris, lui tournant le dos. Voilà une idée tout à fait alléchante. Il me semble que ma mère ne fait que me critiquer depuis notre départ d’Enogen et je n’en peux plus de ses paroles blessantes. Ici, elle se retrouve dans mon élément. Je me retourne brièvement pour la voir grimacer devant «ces bêtes» qui m’accompagnent. Elle a toujours refusé de m’offrir un Pokémon, ces créatures qui selon elle sont indignes de notre présence. Ce ne sont que des objets utiles à ses yeux. Bien entendu, je ne partage pas son opinion. Glorianna aussi semble fébrile et nerveuse face à cette escapade inattendue. Elle n’a pas l’habitude certainement. Je la vois sursauter alors que mes bottes se couvrent de boue, dans une flaque laissée là par la pluie de la nuit.

«Leonys, tu vas salir ta robe…»

Oui, j’en ai bien l’intention. Je décide de ne pas lui répondre pour observer les alentours. Des mouvements se font sentir dans les herbes hautes, suggérant la présence de Pokémon curieux de notre halte. Je ne le mentionne pas aux deux autres. Je sens que nous allons bien nous amuser.

Je crois simplement rêver alors que les hautes herbes s’écartent pour laisser deux spécimens passer. Les souvenirs affluent, des souvenirs bien tendres. Il est des rencontres qui vous biaisent à jamais, et parmi celles-ci, celle de Soleil le Pichu. En voyant son semblable, à l’écart et à l’air un peu triste je dois dire, je peux sentir tous les pores de ma peau fondre, mon cœur se suspendre. Car non seulement il s’agit d’un Pokémon apprécié chez moi – très apprécié même – celui-ci est sauvage et donc libre, peut-être, de rejoindre mon équipe ? Pas comme le compagnon de Corvus dont j’ai déjà planifié en long et en large le kidnapping élaboré sans toutefois céder à la tentation. La souris électrique hein, pas le cavalier aérien. Même s’il ne manque pas de charme, il n’égalise en rien celui de cette créature. J’émets donc, à la vue de celui-ci, un son presque inhumain, à moitié contenu dans ma gorge :

«AYUNPICHUUUU!»

«Euuh… à tes souhaits ?»

«Non, un Pichu.» je fais en détachant chaque syllabe et en pointant l’intéressé du doigt.

Celui-ci, reconnaissant probablement le nom de son espèce, a redressé sa petite tête en ma direction. Son regard plonge néanmoins à nouveau vers le sol devant la manière dont son compagnon, un Moumouton, lui hurle dessus. Je rêve ! On ne s’en prend pas à mes amis électriques de cette manière ! Glorianna observe la scène en fronçant les sourcils.

«Ce Moumouton n’a pas l’air très gentil avec lui.»

«Non, c’est aussi mon impression.» je m’avance de quelques pas. «Hé, gros tas de laine ! Laisse ce Pichu tranquille. Il ne mérite pas de se faire engueuler ainsi.»

De toute évidence, mon intervention a vexé le mouton plutôt que de le dissuader. Il râcle le sol en bêlant de plus belle. Glorianna se cache aussitôt derrière moi, mais je ne suis guère inquiète. J’ai vu du coin de l’œil une forme prête à sauter sur sa proie, ainsi je joue le jeu.

«Tu ne me fais pas peur. J’ai connu de pires brutes que toi.»

D’un bond, il s’élance dans une charge qui aurait probablement fait très mal sans l’intervention soudaine de Napoléon, surgissant des hautes herbes, pour nous défendre. Le Pichu se terre sur le sol en le voyant bondir, transi de peur. Or, sa cible est toute autre. Le Psystigri saute sur le dos du mouton et le griffe directement sur le dessus de la tête. Le Moumouton bêle et s’arrête d’un coup, expédiant le petit chat sur le sol. Inquiète, j’observe le chat se relever. C’est la toute première fois qu’il combat à mes côtés et je dois m’avouer impressionnée par sa persévérance, puisqu’il se redresse. Ses yeux brillent d’un éclat étrange, surnaturel, et je devine que nous aurons une démonstration des pouvoirs psychiques du Psystigri. Effectivement, celui-ci fait fondre sur son adversaire une Rafale Psy de toutes les couleurs, ce qui pousse le Moumouton à reculer en s’écriant de douleur. Furieux, il revient à la charge et renverse Napoléon d’un Coup d’Boule bien senti.

«Napoléon !»

Il feule en se redressant, probablement plus mécontent d’avoir sali sa fourrure que du choc qui visiblement a dû être peu agréable. Avec un feulement, il utilise son pouvoir à mon sens le plus impressionnant : Choc Mental ! La technique fait s’élever du sol le Moumouton qui se met à beugler sans comprendre. Impitoyable, le chat le fait valser sur le sol. N’y tenant plus, le Pokémon de type Normal prend la fuite sans demander son reste. Satisfaite, j’attrape Napoléon pour un câlin dont il tente désespérément de se défaire.

«D’accord, d’accord, petit guerrier. Tu as été formidable ! Merci de nous avoir défendus.»

Il se lèche la patte comme pour signifier qu’il se fiche bien des compliments. Nous savons tous qu’il s’agit d’un jeu d’acteur parfaitement hypocrite. Je redresse les yeux vers le Pichu, qui est toujours recroquevillé contre lui-même par peur du Psystigri. Ennemis naturels, je peux comprendre sa réaction face à ce prédateur habile.

«Ne t’inquiètes pas, petit Pichu, nous ne te ferons aucun mal.»

Modé combat:

«Qu’est-ce que… qu’est-ce que cette abrutie fait encore ?»

Je ne porte aucune attention à la voix de ma mère, derrière nous. Je porte plutôt tout mon attention sur le jeune Pichu qui toujours aussi effrayé se cache de ses grandes oreilles en tremblant. Notre combat n’a pas manqué de rameuter le voisinage. Un Posipi et un second Psystigri, celui-ci une femelle de ce que je puis en juger, applaudissent nos efforts pour nous débarrasser de cet autoritaire adversaire, désormais en déroute. Je n’ai que peu l’occasion de combattre, voilà quelque chose qui me manque à vrai dire. Il me faudrait trouver le temps pour parfaire notre entraînement, comme nous le faisions auprès d’Azmitia il y a quelque temps.

«Ah, vous êtes-là toutes les deux ! Arceus, Leonys, redresse-toi. Toujours à patauger dans la boue parmi ces… créatures.»

Je soupire. Vénovos ne m’a jamais paru si loin, si loin. Je décide une fois de plus de l’ignorer pour présenter ma main au Pichu. Celui-ci redresse deux prunelles effrayées en ma direction, le corps parcouru de tremblements. Pauvre petit. Je tente un petit sourire vers lui, m’excusant d’un froncement de sourcil compatissant.

«Le Moumouton est parti, il va te laisser tranquille maintenant.»

«Leonys, tu as fini maintenant ? Nous rentrons.»

Je l’ignore encore. J’ai réussi à attirer l’attention de la souris électrique, nous progressons. Il se redresse un peu pour me regarder, curieux de ce que je viens d’affirmer. Comme pour vérifier mes dires, il jette un regard prudent aux alentours, pour s’assurer de la véracité de mes paroles. Il y voit deux Psystigri et l’autre souris électrique, mais pas de Moumouton. Je ne le sens pas exactement rassuré, ainsi je fais signe aux deux Pokémon sauvages de s’éloigner et prends Napoléon dans mes bras.

«Tu es vraiment mignon tu sais. Aller, sois un peu brave et redresse-toi.»

Il s’exécute, les yeux encore pleins de larmes. Il me rappelle tant mon cher Soleil ! J’approche prudemment mon doigt de lui et il le renifle en me surveillant du regard. Je lui gratte doucement le ventre, ce qui semble lui plaire, puisqu’il s’apaise légèrement, émettant un petit cri satisfait.

«Voilà qui est mieux non ?»

Le regard du Pichu a changé. Même si j’y lis toujours une forme de crainte, de toute évidence ma présence ne le trouble plus autant qu’avant, même qu’il redemande des caresses en frottant ses petites joues sur mes doigts. Loin de me méfier malgré l’exemple concret que j’ai pu avoir en face de la puissance cachée de ces souris électriques, je multiplie les câlins à son endroit. Bientôt, il grimpe contre mes genoux. Ma mère peste toujours derrière nous, mais j’entends Glorianna la faire taire. Elle semble très intéressée par ce qui se trame ici et sa curiosité la pousse à s’approcher. Le jeune Pichu redresse la tête vers elle avec un léger mouvement de recul, mais au moins il ne s’est pas caché comme tout à l’heure, ce qui est plutôt bon signe. Évidemment, un projet se dessine sous mon crâne, une idée bien fixée depuis le moment que je l’ai vu. Un coup de cœur absolu. À vrai dire, ce petit rongeur me rappelle un peu mon propre parcours : j’ai aussi vécu sous l’autorité de quelqu’un qui n’avait pas mon intérêt à cœur. Moi aussi, je n’ai pas vraiment appris à vivre par moi-même, à m’affirmer. Moi aussi, j’ai beaucoup trop peur de ce monde et de ses dangers. Pourtant, je pense pouvoir être une bonne guide pour lui pour s’affirmer et prendre sa place.

«Pichu, j’aimerais… te proposer de venir avec nous. Tu as vécu avec ce Moumouton longtemps on dirait, il devait te protéger des dangers. Moi je pense que tu serais en mesure d’affronter les dangers toi-même, avec un peu d’entraînement. Nous pouvons t’y aider et assurer ta sécurité en attendant. Être ta nouvelle famille aussi si tu le désires.»

«Ri-dicule !»

«Maman… taisez-vous. Je veux voir ce qu’il dira.»

Et moi donc. Je retire une balle vide à ma ceinture et la montre au petit qui la regarde sans comprendre tout d’abord. Je conserve un sourire assuré, histoire de ne pas l’affoler davantage. Il semble avoir pris une décision néanmoins en donnant un énième câlin à ma main. J’active donc le bouton de la balle et mon nouveau compagnon y disparaît. Après avoir hésité quelques instants dans ma main, la balle s’immobilise enfin, confirmant la capture de ce petit bonhomme. Alors que je me redresse en effectuant une petite danse de la victoire, je vois Glorianna sourire elle aussi.

«Il est vraiment très mignon, wow ! J’aimerais avoir un Pokémon comme lui.»

C’est la première fois que j’entends ma sœur affirmer quelque chose comme ceci. Je ne peux m’empêcher d’ouvrir la bouche, bien rond, avant de me reprendre. Non loin, un nouveau duo de Pokémon a fait son apparition. Une Skitty se lèche la patte paresseusement alors qu’un Laporeille, jaillissant de nulle part, se met à l’attaquer d’un trop plein d’affection. Glorianna, ayant suivi mon regard, fronce les sourcils.

«Hé, le Laporeille ! Ça suffit, laisse la Skitty tranquille !»

Dès lors qu’elle prononce ces mots, je sais ce qui va suivre. Elle chasse le lapin trop affectueux et se met à discuter, elle aussi, avec le Skitty, comme je l’ai fait avec le Pichu quelques instants plus tôt. Je peux bien voir qu’elle est nerveuse et peu assurée. Elle vient, sans le réaliser, de jeter les bases d’une longue amitié. Alors je lui tends une autre balle vide, Glori écarquille les yeux. Elle a compris.