Il existe ici une quiétude assourdissante. J’ai perdu l’habitude. Pourtant, ces derniers temps, on me l’impose plus souvent que coutume; le tout dans l’espoir de me voir emprunter le chemin du repos, celui dont je n’ai pas besoin. Sans désirer jouer l’incomprise, j’ai le sentiment de m’adresser à une foule de sourds, centrés sur leur propre culpabilité plutôt qu’un désir réel de me protéger. Je ne suis plus une enfant. J’ai adopté la position de Chef de nation et j’ai décidé de l’assumer, malgré les dangers. Alors tant pis pour tous ceux qui prétendent avoir mon bien à cœur : je ne cesserai pas de vivre au nom de la sécurité. Ce repos-ci, je l’ai choisi. Loin des regards, j’ai erré loin de notre campement jusqu’à trouver ce terrain joliment boisé, puis cette grotte doucement illuminée par un soleil hivernal. À l’abri d’une brise plutôt fraîche, je soupire d’aise, me posant quelques instants sur un rocher.

Depuis l’attaque de la Fête des Morts, plus rien n’est pareil. Je surprends tous ces regards; est-ce de la pitié ? J’ai l’impression qu’on craint mon départ à tout moment, comme si j’étais vouée à disparaître. Une chose fragile plutôt que la guerrière que je suis réellement. Oh, je me suis octroyée une nuit, une seule nuit dédiée à la beauté et au vice. J’en paie désormais le prix. Avec un soupir, je me rappelle mes nouvelles convictions : celle de ne plus baisser ma garde désormais. Quelque chose se trame à Ekoe et je n’ai pas l’intention de laisser cet ennemi gagner du terrain. Même que je suis habitée par un sentiment que je n’avais jamais ressenti avant : le goût de la vengeance. Je contemple un instant cette émotion avant d’être surprise par l’arrivée de deux petits êtres inopportuns : Baila tout d’abord, ainsi que Nadim. La Teddiursa a probablement mené le garçon jusqu’à moi, suivant mes traces dans la neige ou me repérant avec son incroyable flair. L’ourson a énormément grandi depuis que je l’ai capturé dans les escarpements, dans une grotte assez semblable à celle-ci. La petite s’avance avec assurance, contemplant l’endroit avec une expression émerveillée.

«Wow… Tu as trouvé un endroit très joli, Aryël !» vient s’exclamer Nadim comme pour appuyer ce que la Teddiursa ne dit pas en mots.

Le fils de l’ex Chef de Ran vient s’asseoir à mes côtés sans y être invité. Je l’en empêche pas, de toute manière je suis plutôt contente de le voir malgré mon envie de solitude.

«Par contre, j’ai fait mieux. Il y a non loin une rivière avec une cascade. Je me suis dit que je te proposerais d’y aller avec moi, mais je comprendrais que tu veuilles être seule.»

Je l’observe longuement, partagée. Parmi tous mes proches, Nadim est de loin la personne qui a le mieux pris l’attaque dont j’ai été victime. Celui qui a affronté la réalité avec maturité et discernement. Son attitude n’a pas changé auprès de moi. Il respecte mon rythme et mes barrières. Je me demande comment un gamin de onze ans peut être aussi adéquat dans une pareille situation. Puis je me souviens qu’il n’a pas eu une vie facile, malgré tout. J’imagine que ces choses-là forgent le caractère.

«Il me ferait plaisir de t’accompagner, Nadim.»

Je me redresse et invite Baila à nous rejoindre alors que nous sortons de la grotte, en direction de cette fameuse rivière. Nous progressons en silence, si ce n’est des jeux d’Abeille, la Lixy de Nadim, et des grondements réguliers de la Teddiursa qui n’apprécie pas beaucoup qu’elle l’approche. Puis, arrivés à destination, je surprends une silhouette près de la rive.

«Hé ! Bonjour ! Qui va là ?»

Baila se crispe. Contrairement à moi, l’oursonne ne tolère pas bien les visages inconnus, préfère une vie plus solitaire. Malgré ses airs durs, je crois qu’elle a eu peur, elle aussi. Mes Pokémon ont dû composer avec des émotions très contradictoires ces derniers temps. Beaucoup sont encore jeunes et vulnérables, comme Erynor et Mélusine. La Teddiursa a beau avoir vécu une vie plus difficile, semée d’embûches, je crois que rien ne la préparait à l’attaque sur un membre de sa petite famille. Par réflexe, elle se place devant Nadim et moi en grognant doucement malgré le ton enthousiaste que j’ai employé pour héler l’inconnu. Avec un certain malaise, j’essaie d’attirer son attention pour éviter qu’elle n’effraie l’autre, mais ce n’est pas la peine. Deux Pokémon nous approchent en chahutant, attirant plus de grognements et même une tentative de coup de griffe de la part de Baila, en guise d’avertissement. Je ne suis pas inquiète pour ma part, je suis leurs mouvements avec amusement. Je ne connais aucun des deux créatures, probablement originaires d’autres régions que la mienne. J’interroge Nadim à ce sujet. Le petit prince a passé tellement de temps à la bibliothèque qu’il connaît fort probablement quelque chose à leur sujet.

«C’est un Kaïminus, mais je ne connais pas l’autre. Deux types aquatiques, je crois.»

L’inconnu semble en avoir un trio. Le pêcheur solitaire retire sa capuche, dévoilant un visage aux traits ambigus. J’ai l’habitude, ne m’en formalise pas donc. J’approche toujours avec bienveillance. Néanmoins je ne sais pas trop comment réagir en voyant l’autre ligoter ses Pokémon d’un coup de canne à pêche…

«O-oh… Ce n’est vraiment pas nécessaire vous savez ? Ils ne m’embêtaient pas du tout.»

Je vois que la pêche a été bonne. L’inconnu me propose une part, ce qui a le don de me tirer un sourire. Nadim suit, un peu plus nerveusement. Il n’a pas l’habitude d’échanger avec des gens du peuple comme moi.

«Ce serait avec plaisir, merci beaucoup pour votre générosité.»

Je m’assois non loin de la rive, appréciant la beauté de cette rivière aux reflets argentés. Je sursaute néanmoins en entendant le bruit caractéristique du vol. Noarfang et Roucarnage se sont posés à proximité, amenant avec eux leurs cavalières. En les reconnaissant, je me redresse aussitôt pour me diriger vers elle. Je dois réfréner l’envie de la serrer dans mes bras. On m’a rappelé assez souvent que ce n’est pas tous qui apprécient mes élans d’affection.

«Amanda ! Mikona ! Quel hasard de vous croiser par ici ! Nadim, tu n’as jamais rencontré Mikona, viens par ici.»

Le jeune garçon est déjà auprès de moi, observant la jeune femme avec une jeune qui n’est pas coutume. Il tend la main comme le petit être poli qu’il est.

«Enchanté, madame Kotori.»

Abeille la Lixy court à ses pieds. Pour sa part, Baila est restée près de l’inconnu, qu’elle surveille encore avec des yeux suspicieux. Au moins, elle est calme.

«Nadim et moi revenons d’un petit séjour à Kuni, où j’ai participé au salon d’adoption. J’ai un tout nouveau Pokémon désormais.»

«Et elle n’est pas sympathique du tout !»

Nadim rigole bien entendu, même s’il a à moitié raison. Rosaly la Mystherbe, que j’ai adoptée, ne semble pas vraiment s’entendre avec qui que ce soit. Nous avons un long chemin à parcourir pour développer notre relation, mais si j’ai réussi avec un Pokémon aussi sauvage que la Teddiursa ici présente, j’y parviendrai aussi.

«Mais siii, à sa manière.»

Je tâte la balle de la Mystherbe avant de l’en sortir. Le Pokémon plante apparaît pour mieux considérer tout le monde réuni ici de son œil sévère. Ça sent déjà la baston. Je devrai garder un œil sur elle. L’attention se porte sur la pêcheuse, qui nous proposait quelques instants plus tôt un peu de ce poisson.

Devant les explications de la pêcheuse, je ne peux m’empêcher d’écarquiller les yeux. Pour avoir vécu depuis ma tendre enfance dans la région la plus sèche de tout le continent, je n’avais jamais même imaginé la situation que décrit l’autre, qui semble avoir une belle expérience dans son domaine malgré son jeune âge. En fait, je n’ai jamais pêché moi-même, préférant la terre ferme de toute manière au grand large qui, je dois l’avouer, m’effraie un peu. Les routes sont simplement plus sûres sur terre, surtout à la hauteur de Chevropolis. Peu de navires osent s’aventurer aussi au sud, là où des rochers impressionnants viennent piquer les flots tumultueux. Malgré tout, la capitale est équipée d’un port qui reçoit des cargaisons venues d’ailleurs; ceux-là qui préfèrent encore tenter leur chance dans les eaux que sous le soleil ardent du canyon. Définitivement, nous sommes d’éléments contraires, ce qui ne fait que m’amuser au final.

«Il n’y a pas beaucoup de pêcheurs dans mon pays, et les occasions de pêcher, rares. La rivière étant en crue une partie de l’année, il faut attendre les saisons plus douces pour espérer y attraper quoi que ce soit. Puis la pêche en haute-mer par chez nous est impossible. Voilà pourquoi nous consommons le poisson kuniois ou midoyen majoritairement.»

Je n’en mange pas souvent, donc. Je préfère d’autres types de viande de toute manière, quoique mon alimentation en est plutôt pauvre malgré tout. Je prends place près du campement de la pêcheuse, fascinée par ses techniques, et très intéressée à goûter tout ce qu’elle aura à offrir. D’ailleurs, notre attroupement a attiré quelques Pokémon à nous, dont un Flobio. Baila grimpe sur mes genoux, salivant presque devant le poisson qui grille. Ma gourmande amie ne rechignera pas du tout à mettre les pattes sur l’un d’entre eux.

«Si vous désirez que je vous appelle par votre prénom, alors je vous intime à en faire de même avec moi ! Vous pouvez m’appeler Nadim.»

Voilà que je reconnais mon petit prince, toujours aussi sympathique avec autrui. Il a d’ailleurs pris place près de la jeune fille et la bombarde de questions sur ses oiseaux, et bien sûr sa Luxray, toujours aussi volubile. Les conversations vont de bon train quand finalement, la pêcheuse annonce qu’il est temps de manger. Je partage ma part avec Baila, mais Rosaly refuse le plat tendu par la cuisinière. Je m’en doutais bien, elle ne se nourrit elle-même que de plantes. Les fruits proposés par Mikona lui tentent bien plus et elle s’éloigne pour en grignoter quelques uns. Lorsque nous avons fini de manger, j’ai l’impression qu’il me faudra rouler jusqu’à notre campement. J’ai le sourire fendu jusqu’aux lèvres.

«C’était délicieux, franchement. Je ne pensais pas autant aimer le poisson. Merci énormément pour ce repas, je ne sais pas comment vous rendre un peu de votre hospitalité.»

Rosaly la Mystherbe s’est relevé un peu brusquement, se dirigeant vers Amanda. Je ne comprends pas tout d’abord, avant de me souvenir de la proposition qu’avait faite la conseillère avant le repas. Mon amie a ce petit sourire provocateur, sans être pour autant irrespectueux. Elle a envie de réclamer ce combat suggéré quelques moments plus tôt.

«Eh bien, on dirait que Rosaly a envie d’un peu d’exercice. Si ça tient toujours, un petit combat vous dit ? Vous pourriez vous joindre à nous Decyfer.»

«Oui, vous pourriez faire un combat tous en même temps ! Chaque Pokémon pour soi !»

Devant l’accord de tous, je me place à une certaine distance, loin du campement de Decyfer pour éviter tout accident. Je me sens lourde après ce repas, mais je tâcherai d’être attentive pour la Mystherbe. Celle-ci sautille déjà d’un pied à l’autre, prêt à en découdre. Nadim se propose pour arbitrer, avec bien sûr sa fidèle Abeille à ses côtés. Sitôt il lance le signal que la Mystherbe bondit vers l’Efflèche, lui balançant son Toxik poisseux. Elle roule ensuite dans une tentative d’esquiver une contre-attaque avant de s’en prendre au Kaiminus de son Méga-Sangsue. Elle est motivée !

Cette pêcheuse n’est certainement pas comme les autres. Simplement sa manière de s’exprimer ou même d’échanger avec ses Pokémon, un peu brusquement à mon goût. J’ai connu des gens plus rustres, j’ai connu des gens moins accueillants ou polis, ce n’est pas ça vraiment le souci, juste que j’ai un peu de mal à la suivre alors qu’elle distribue à qui mieux mieux des Captis Balles à quelques Pokémon sauvages du coin. Deux jolis spécimens d’ailleurs, je comprends l’attrait. Puis cette Mushana semblait très douce envers les autres compagnons de Decyfer. Intéressant contraste après s’être fait ainsi menacer. Je n’ai pas oublié de quelle manière elle a saucissonné ses «amis» au début de notre échange. J’aurai au moins l’occasion de juger au mieux avec ce combat. La véritable relation de la jeune fille et de son Kaïminus se révélera. En tout cas, le petit crocodile sait bouger et à cet effet je lui devine un avantage certain sur Rosaly. La Mystherbe est un Pokémon qui œuvre près du sol, de manière assez statique généralement. Elle saura tenir à distance Krutch avec un peu d’efforts, car s’il ose s’approcher ce sont des attaques très efficaces qu’il se mangera en plein dans la gueule ! L’excitation me gagne devant l’énergie évidente de ma nouvelle alliée qui sautille d’un pied à l’autre, prête à en découdre. Or, le Kaïminus s’attaque d’abord à l’Efflèche qui utilise Étonnement puis Vent Mauvais pour le repousser.

Je sursaute en entendant une nouvelle voix à proximité, appelant la conseillère midoyenne. Vu le ton employé, cela semble absolument urgent, ainsi je me retourne en direction d’Amanda pour scruter sa réaction. Elle semble tout aussi surprise que moi, et aussi inquiète. La présence de sa mère est synonyme d’urgence, et bientôt, la jeune femme nous apprend devoir quitter ce qui ne me surprend guère à ce point-ci. À regret, je la salue une dernière fois.

«Vous n’avez pas d’excuses à présenter, nous comprenons parfaitement. N’hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit.»

Et en ce sens, je signifie réellement «si vous avez besoin d’aide», car Mido demeure un royaume allié et je ferai tout pour aider si c’est possible. J’ai tout de même une pensée pour Ceriza. J’espère sincèrement qu’il ne lui est rien arrivé. Nadim, pour sa part, les salue avec regret.

«Ne vous inquiétez pas, je vous écrirai pour vous faire le portrait détaillé du combat.»

Je ne doute pas un seul instant qu’il tiendra sa promesse, d’ailleurs, même si au final ni Amanda, ni Mikona ne lui en tiendrait rigueur. Après leur départ, le combat reprend, mais je suis distraite et préoccupée par les raisons qui ont poussé la conseillère à quitter si promptement. Les Hurleurs ? Je n’en ai jamais entendu parler, mais je ferai un suivi certainement. Cela m’intéresse. Pour sa part, Rosaly y donne tout ce qu’elle possède, contre un adversaire qui n’est pas à prendre à la légère. Néanmoins, l’issue du combat n’est jamais révélée, puisqu’avant la fin, un éclair blanc vient tous nous faire sursauter : c’est une évolution ! La Mystherbe a cédé place à un Pokémon que Nadim me décrit comme étant Ortide. Aussitôt, une odeur nauséabonde s’échappe de la fleur au-dessus de sa tête mais j’en fais fi pour m’avancer vers elle, sautillant sur place d’excitation

«Ohhh comme tu es jolie ! Quelle belle évolution !»

Les yeux de Rosaly s’arrondissent de surprise. Elle ne devait pas exactement s’attendre à une telle réaction de ma part. Or, je suis simplement contente qu’elle m’offre la confiance nécessaire pour évoluer. J’étais certaine que nous pourrions créer un lien durable. D’ailleurs, mes compliments semblent l’avoir légèrement amadouée. Plus personne n’est dans l’esprit d’une bataille désormais. De toute manière, il est l’heure de rentrer à notre tour.

«Merci beaucoup une fois de plus pour le poisson et pour le combat, Decyfer. C’est grâce à vous si Rosaly a évolué ! Je dois rentrer maintenant, tout comme dame Kotori, des responsabilités m’attendent. Prenez bien soin de vous.»

J’offre des salutations à tous ses compagnons avant de prendre le chemin du retour au camp, avec Nadim et bien sûr Rosaly qui n’émet plus de mauvaises odeurs, seulement un doux parfum de fierté.