Mila se trouvait encore actuellement à Ran. Avec tous les évènements qu’elle venait de vivre en l’espace de quelques jours seulement, la demoiselle se demandait si elle avait fait du mal à quelqu’un, ou si le sort s’acharnait ainsi pour la rendre meilleure ? Elle était, pour ainsi dire, dans une situation délicate. Dans un sens, toutes ses mésaventures avaient du bon. Grâce à elle, la noble sortait de ses routes habituelles pour se concentrer sur d’autres choses, comme le combat. En tant qu’érudite, cela lui était normalement égal. Les intellectuels avaient bien entendu le droit d’être de bons combattants. Mais la réalité de leur travail faisait qu’ils n’avaient pas vraiment de temps à consacrer à de tels entraînements. Leurs études et recherches étaient beaucoup trop importantes pour eux, et elles mangeaient le temps à grande vitesse. Cela dit, dans le cas de Dame Valni, c’était différent désormais. Comme si la jeune femme oubliait presque son métier pour se concentrer sur sa propre défense et sa propre force. Ses voyages ont forgé son caractère.

Pour être honnête, la jeune femme était en proie au doute actuellement. Elle aimait grandement être une érudite. Les légendes tournant autour des Pokémon fabuleux étaient ce qu’elle aimait par-dessus tout. Mais il y avait une autre flamme qui brûlait en elle maintenant. La flamme du combat, l’envie de chercher à s’améliorer, elle et ses Pokémon. Pourquoi demandez-vous ? Parce qu’il faut savoir se protéger dans ce bas monde, comme Mila a pu l’apprendre à ses dépens. Ou alors, si on veut rester mollasson, il faut rester chez soi ou acheter une escorte. Mais ces solutions ne plaisaient pas à l’habitante de Kuni. Elle voulait voir du monde à présent, parcourir des terres et entraîner ses amis Pokémon. Rester à Kuni, avec sa vieille chouette de Krishna, très peu pour elle finalement. Mila ne savait donc pas quel chemin emprunter à présent. Rester sur la voie de la sagesse et continuer ses recherches sur sa famille et sur Zekrom ? Ou bien s’assurer un moyen de se défendre, tout en satisfaisant sa curiosité dévorante… Le choix était cornélien, mais la Bleuette semblait avoir tranché.

Se cacher au royaume de Kuni n’était plus envisageable pour elle. Cette façon de faire, c’était son tuteur qui l’avait voulu. Pas elle. Ce n’était pas en restant à Vénovos que la dame allait pouvoir en apprendre plus sur la famille Valni. D’autant qu’à Kuni, il n’y avait aucune trace de sa famille. C’était en Sakai qu’il fallait chercher, et au-delà des bibliothèques. De toute façon, elle n’avait plus le choix. D’après sa mystérieuse et inquiétante rencontre, son frère s’y trouvait… Depuis tout ce temps. Ayden Valni était apparemment en Sakai et pas ailleurs. C’était une rumeur comme une autre bien entendu, et Mila n’avait fait que de suivre des fausses pistes depuis le début. Cependant, là, c’était différent… En quelque sorte. Il y avait ce quelque chose qui poussait la jeune femme à y croire. Peut-être était-ce parce que son agresseur de l’autre fois semblait en savoir long sur Ayden ? Et son côté mystérieux renforçait l’idée que cette rumeur était vraie. Pourquoi un personnage pareil serait venu à sa rencontre spécialement pour défier Mila et lui révéler un pareil secret ? La piste était trop tentante.

De toute façon, elle avait prévu de quitter le nid. Il n’était même pas le sien en plus de cela. Krishna avait voulu qu’ils aillent à Kuni pour éviter les ennuis. Mais le temps avait passé désormais. Peut-être que Dame Valni ne risquait plus rien à revenir à Sakai et à se faire connaître ? Bien entendu, elle n’avait pas l’intention de crier sur tous les toits qui elle était… Néanmoins, si sa piste devait avancer, il faudraiy raconter la vérité aux gens qu’elle rencontre et arrêter de se cacher derrière un masque bégayant. Ce serait compliqué, voire difficile, mais nécessaire. La Bleuette le savait à présent. Son tempérament n’était plus le même après ses quelques rencontres et toutes ces folles aventures. D’autant qu’elle n’était pas seule. Ses fidèles Pokémon étaient là, et le lien qui les unissait ensemble grandissait jour après jour. Non, vraiment. Elle sentait qu’elle avait tort de rester avec son tuteur et de rester passive. Ces jours passés auprès de Balthial le cavalier, furent certainement décisifs. En fait, sans le garçon, la demoiselle n’aurait peut-être pas eu autant l’envie de sauter le pas. Mais désormais, c’était chose faite. Le Ranin était une aide précieuse et fidèle. Elle trouvait en lui un rival et un ami, voire même plus encore… Et puis il n’y avait pas que le fils Zajin. En Sakai, elle avait aussi des alliés. Pas nécessairement avec des liens puissants, mais ils ne refuseraient surement pas de donner un coup de main à la Bleuette. Alors qu’à Kuni, qui avait-elle ? Même le Chef du royaume, elle ne le connaissait pas. Elle avait bien rencontré ce pirate un peu étrange mais ce fut tout.

Il y avait donc beaucoup d’arguments pour partir. Et puis après ce qu’elle avait dit à Balthial, ce serait malvenu de revenir en arrière. Mila n’avait pas le choix. Ou plutôt justement, elle l’avait et elle l’avait choisi. La jeune femme prendrait son courage à deux mains pour se rendre là où on lui avait indiqué une sorte de rendez-vous bizarre. Il n’y avait alors qu’un détail à régler. Quoique c’était bien plus qu’un détail… Son tuteur. Il n’allait pas apprécier la décision de sa Princesse. Mais qu’importe. Elle venait simplement prévenir Krishna par politesse et pour éviter qu’il ne s’inquiète de trop. Après tout, ce n’était pas son but de faire souffrir le vieillard. Sur ce, il était temps. Après une grande inspiration, la Kunioise rentra chez elle à dos d’Airmure, comme elle était venue. Le voyage fut tranquille, mais long, comme à l’accoutumée. La demoiselle arriva donc à destination plusieurs jours après.

Vénovos.

Cela serait dans quelques instants un lieu fatidique. Il pourrait devenir le théâtre d’une séparation douloureuse ou bien le théâtre d’un consentement mutuel. La boule au ventre, la Bleuette poussa la porte de sa maison, après l’avoir déverrouiller.

…

C’était calme. Pas que Krishna avait pour habitude de faire beaucoup de bruit, mais tout de même. On dirait qu’il n’y avait personne. Un peu déboussolée, Mila s’avança et chercha après le Corbeau. Finalement, elle le trouva assis devant une fenêtre. Bon, il l’avait vu arrivée dans ce cas. Alors démasquée, la demoiselle s’engouffra dans la pièce et elle éleva le ton doucement pour se faire entendre.


Seul le silence lui répondit. La noble pouvait déjà sentir sa gorge se nouait à cause de la pression ambiante. Bien entendu, elle ne s’attendait pas à des retrouvailles chaleureuses, mais tout de même.


Mila n’irait pas par quatre chemins. Elle savait que cette façon de faire pour amadouer était inutile avec son tuteur. Il se fichait éperdument des belles paroles et des excuses. Il voulait toujours en venir au fait. La Bleuette hésita donc à s’excuser de sa « fugue ». Cela dit, elle le fit tout de même, par respect.


Toujours aucune réaction. Cela poussa la jeune femme à continuer.


Cette fois, le vieux renifla. Mais ce fut tout. Bon, c’était au moins une réaction comme une autre. Même si pour le coup, ce n’était pas très rassurant. La douce continua tout de même.


…

Elle mentait, mais tant pis. Si c’était pour convaincre son tuteur, cela était nécessaire. Mais le Corbeau humain restait toujours muet. Si bien que Mila commençait à perdre du courage. Chaque mot qu’elle soufflait lui faisait mal au cœur. Elle ne voulait pas abandonner le vieux, mais il ne viendrait pas avec elle de toute façon.

La jeune femme s’arrêta net lorsque Krishna se leva de son siège. Il se dirigea vers elle d’un air grave et fermé. Mila avala sa salive difficilement, tournant le regard pour ne pas affronter celui de son ainé. Voilà la tempête.


Ces paroles transpercèrent le cœur de Dame Valni.


Mila ouvrit la bouche pour s’excuser, mais Krishna ne lui en laissa pas le loisir. Il l’empêcha de dire quoi que ce soit en plaça un doigt inquisiteur en l’air.


…


Un coup de massue s’abattait à chaque mot dans l’esprit de Mila. Elle tremblait et elle avait des larmes qui roulaient sur ses joues. Son tuteur n’était pas tendre avec elle. Il avait raison sur certains points, notamment le fait qu’ici, ils étaient en sécurité. Néanmoins…


Pardon ?


C’était le bouquet final. Si l’érudite voulait partir, alors ce serait la première et la dernière fois. Comme un oisillon qui prend son envol et quitte le nid pour ne jamais y revenir. L’idée était tentante en soi. Mila avait vingt-cinq ans, elle n’avait plus besoin d’un tuteur. Mais ce vieil homme… Elle le connaissait depuis toute petite. Il avait tant pris soin d’eux. La Bleuette lui devait tout. Son éducation, son épée, Amarok. Sa sécurité, son toit, ses études… Et cela faisait beaucoup. C’était une dette probablement impossible à rembourser. Mais de se faire jeter ainsi faisait très mal. Il était comme un grand-père pour elle, au final. Une attache familiale. Qui allait disparaître pour de bon si elle faisait le choix de partir, comme prévu.

Le cerveau de Mila tournait à plein régime, tandis que ses yeux étaient toujours humides. Que faire ? C’était une décision lourde de conséquence. Si elle partait, elle serait définitivement libre de faire ce qu’elle voulait. Elle se rendrait à Sakai et retrouverait peut-être son frère. Mais voilà. C’était un peut-être. Si au bout du compte, au bout de toutes ces souffrances, il n’y avait rien… Alors la demoiselle perdrait tout. Qu’en restant ici, elle pouvait exercer son métier, tout en ayant un toit et à manger pour ses Pokémon et elle-même. Le revers de la médaille, c’est que cela impliquait de rester enchaînée comme elle l’était actuellement. Ce n’était pas douloureux car Krishna était un homme qui prenait soin d’elle. Mais ce n’était pas ce qu’elle désirait le plus…

Soudainement, la voix du vieux raisonna.

Il avait raison. Mais dans les faits, Mila n’avait pas imaginé qu’elle se ferait rejetée ainsi. Elle s’était attendue à des remontrances, un sermon… Sans plus. C’était donc une tempête qui se jouait en elle. Comme si elle avait un Lugia dans l’esprit et qu’il remuait tout à grand renfort de coup d’aile. De plus, l’état de détresse de l’érudite n’y changerait rien. Le vieillard était connu pour être insensible aux larmes et aux pleurs. Bien au contraire, il attendait la réponse avec impatience…

Commença Mila, la voix tremblante. Elle renifla, ce qui n’était pas très élégant, mais tant pis.


Elle serrait les poings à tel point que cela lui faisait mal. C’était dit. Et le vieux Cornèbre l’avait bien compris. Il toisa du regard la Bleuette, malgré sa taille inférieure.


Il alla ensuite se rasseoir comme si la conversation n’avait pas eu lieu… La demoiselle resta interdite pendant un instant. Elle ne réalisait pas vraiment la situation. Mais cela n’y changerait rien, alors elle se rua vers sa chambre à l’étage. Une fois dans sa pièce intime, Mila se dépêcha de rassembler des objets. Elle ne s’encombrait pas de grand-chose, son sac n’étant pas des plus grands. Mais il suffirait pour contenir des objets de soin et de la nourriture. Des Balls, celles de ses Pokémon. Son livre ébène sur Zekrom. Mais également quelques bricoles de petites tailles, de quoi pouvoir vivre à la belle étoile au cas où. Sa bourse et ce fut tout. Le bagage de fortune pesait son poids, mais il faudrait faire avec. Elle avait aussi Sieglinde à ses côtés, comme d’habitude. Enfin, la demoiselle oubliait certainement quelque chose mais c’était le cadet de ses soucis. Elle respirait vivement, touchée par l’émotion de la situation. Tant et si bien qu’elle ressentit le besoin de s’asseoir sur son lit une dernière fois.

Mila resta immobile pendant plusieurs minutes. Puis, elle s’empara de la Captis Ball d’Amarok. C’était le Pokémon offert par son tuteur, son tout premier compagnon Pokémon… La jeune femme serra la Ball contre elle, avant de la ranger et de se lever. Elle repassa mentalement ses affaires pour s’assurer d’avoir le nécessaire. Ensuite, elle quitta la pièce et sortit de la maison. Plusieurs pas plus loin, l’érudite se retourna pour observer la bâtisse. Krishna n’était plus à la fenêtre. Ce fut alors avec un énorme pincement au cœur que la demoiselle quitta le nid. Pour de bon.