Le Lac Noctali. Un nom qui inspire de la crainte à plus d'un, mais aussi de la fascination pour d'autres. Ardashnir faisait partie de la deuxième catégorie.

Bien qu'il vivait à Enogen depuis ses treize ans, le noiraud n'avait jamais prêté la moindre attention à ce bout d'eau entouré de mystère, bien trop concentré dans ses études qu'il était. Et même plus tard, quand bien même l'occasion de s'y rendre était beaucoup plus accessible, l'historien avait repoussé maintes fois l'idée d'un geste sec de la main. Il n'avait pas besoin d'entendre et surtout d'aller vérifier rumeurs et affabulations autour d'un simple lac. Non, Artreos était beaucoup plus rationnel que cela. Et pourtant, c'est sa passion pour les recherches historiques qui allait le conduire là-bas ce soir-même.

Evidemment que le jeune homme était au courant de la légende du Lac Noctali. N'importe qui à Sakai en entendait parler régulièrement, surtout de la part des plus jeunes. Ashar avait toujours pris cela pour une imagination débordante, non pas qu'il y portait un regard négatif. C'était bon signe de voir que les futurs citoyens d'une ville n'étaient pas bridés dans leur raisonnement ni dans leur expression, même si cela était irréaliste. Enfin, c'était un bon signe jusqu'à ce que l'ancien professeur ne remarque que les adultes étaient tout autant dans le coup. En fait, l'ampleur du phénomène lui avait totalement échappé jusqu'à récemment. Mais pour autant, cela ne fragilisa pas la résolution de l'homme de lettres qui pensait toujours qu'il y avait une explication logique derrière les disparitions. Il n'aurait guère été étonné qu'il s'agissait d'un groupe de brigands bien organisés. Non pas qu'il avait envie de le découvrir, après tout.

Alors Ardashnir avait laissé couler ce sujet, qui comme beaucoup d'autres ne relevait aucunement d'une grande importance à ses études. Jusqu'à ce qu'il tombe sur certains ouvrages traitant de mythes à la Grande Bibliothèque. Le Lac Noctali y était mentionné plusieurs fois, et à chaque fois accompagné d'une légende différente. Artreos s'apprêtait pourtant à reposer les livres dans les étagères, assez excédé de ces descriptions saugrenues et surréalistes, lorsqu'il trouva un passage plus particulier. L'historien savait que les ancêtres d'Ekoe avait débarqué dans la région de Sakai juste après la Grande Traversée. En revanche, ce qu'il ignorait, c'est le rôle que le Lac Noctali avait eu dans la construction d'Enogen. Rien n'était sûr à cents pourcents, puisque des ouvrages regroupant les légendes pouvaient être écrits par n'importe qui (celui-ci était d'ailleurs anonyme). Mais l'endroit semblait avoir été une étape importante avant la naissance de la capitale de Sakai.

Ashar eut alors l'espoir un peu fou de retrouver là-bas des traces d'une civilisation dépassée, des vestiges enterrés et délabrés. Beaucoup de temps s'était écoulé depuis le périple des montagnes, et l'historien n'avait aucun souvenir de fouilles ayant déjà été organisées au lac. Bien sûr, il n'était capable de rien par lui-même, et puisque le nom Artreos n'est pas encore très reconnu, c'était presque impossible qu'il puisse arriver à mobiliser toute une équipe de recherche auprès des autorités d'Enogen. Mais ce n'est certainement pas son manque de moyen qui allait l'empêcher de s'y rendre et au moins de jeter un œil ! Avec de la chance, quelque chose serait ressortie de terre. En priant évidemment pour que personne ne fréquente cet endroit et récupère les reliques qui pourraient être découvertes sans trop d'effort.

D'habitude, l'érudit n'aurait pas insisté sur une hypothèse aussi instable et peu crédible, prétextant que cela lui aurait fait perdre plus de temps qu'autre chose. Mais c'était peut-être l'occasion de trouver bien plus que des pâtés de texte comme preuves historiques. Et puis, cela faisait longtemps qu'il n'avait pas fait du travail de terrain. Ardashnir ne se prétendrait jamais archéologue, mais il trouvait le travail de fouille amusant et cassant du quotidien tranquille et oisif de la bibliothèque. Les autres érudits commençaient de toute façon à lui courir sur le haricot, alors prendre congé du siège de culture de la capitale s'avérait une idée plutôt attrayante. Un moment en solitaire pourrait ne lui faire que du bien. Peut-être il en profiterait pour jouer avec Afelan, qui sait ? Il faudra qu'il pense aussi à acheter des Captis Ball, si jamais il veut trouver un nouveau compagnon au Statitik.

C'est ainsi que l'historien se rendit au Lac Noctali à la nuit tombée, bien trop excité pour avoir pensé à prendre quelques précautions avant de venir. Merde, il n'avait même pas voulu attendre le lendemain dans la journée, craignant de tomber sur un voyageur. Ashar prenait vraiment des risques, mais au moins il se sentait vivre. Il sentait qu'il pourrait faire un pas de plus dans son projet de recherche, qu'il trouve quelque chose ou non sur place. Et surtout, il pourrait rester à l'écart de ces académiciens sans saveur, qui ont trop peur de se salir les mains. Le noiraud n'était pas comme eux, il avait besoin d'une bonne dose d'action de temps en temps pour s'assurer que ses capacités cognitives soient au maximum. L'esprit s'aiguisait sous le coup des erreurs et du danger. Ashar avait compris cette leçon depuis si longtemps déjà, mais sa volonté docile de satisfaire ses parents alors qu'il n'était encore que professeur l'avait empêché de sortir de sa cage. Dire qu'il avait tu ses rêves pendant toutes ces années, et qu'il aura fallu qu'on l'incrimine injustement pour qu'il se libère de ces chaînes. Vraiment, la situation était ironique.

Artreos se remémorait ces souvenirs avec une pointe de mélancolie pendant qu'il faisait lentement le tour de l'étendue d'eau, à l'affut du moindre signe hors de l'ordinaire. L'endroit était désert, mis à part pour quelques Pokémon sauvages qui vivaient leur propre vie. Le décor n'était pas très accueillant, mais l'ancien professeur n'en avait honnêtement rien à faire. Il n'était pas courageux, pas vraiment non. Mais son attention était rivée vers le sol, alors qu'est-ce qu'il en avait à faire des alentours lugubres ? Il faisait encore assez clair pour voir quoi que ce soit, mais après une demi-heure à arpenter la rive, l'érudit n'avait rien trouvé d'intéressant. S'il s'agenouillait pour remuer un peu la terre qui paraissait suspecte, rien ne vint récompenser ses efforts. Ou alors c'était un coup de son imagination, et son irrépressible envie de trouver quelque chose de concret pour démontrer qu'il ne faisait pas tout ce travail pour rien -pour prouver qu'il n'était pas un incapable, qu'il pouvait être utile- était en train de lui jouer des tours. Ce genre de doute l'a déjà assailli plus d'une fois ces temps-ci. C'est pour cela qu'il avait besoin de s'éloigner de la société, même l'espace d'un instant. Quitte à se retrouver au pire endroit possible.

Sa petite escapade était loin d'être terminée.

Ardashnir aurait dû rester sur ses gardes. Traîner au Lac Noctali était déjà relativement une mauvaise idée de base. Encore plus lorsque la nuit s'apprêtait à tomber. Mais lorsque des découvertes sont en jeu, l'historien oublie assez vite son instinct de conservation. Sans compter le pragmatisme inhérent à la classe d'érudit auquel il a toujours appartenu et s'attache en permanence. La connaissance était sa seule véritable alliée en ces temps compliqués. Ou du moins, c'est ce qu'avait pensé le jeune homme un peu trop rapidement.

Ses misérables fouilles n'avaient rien donné, si ce n'est d'attirer un petit démon qui faillit lui causer la peur de sa vie. A vrai dire, Ashar l'avait davantage entendu arriver plutôt que remarqué. Comme il avait entendu un mouvement précipité à sa gauche, à une dizaine de pas de sa position. D'un côté, un humain, et de l'autre un Pokémon. L'humain avait en premier attiré son attention, parce que beaucoup plus rare en ces terres désolées. Mais le Pokémon avait certainement dû prendre l'hésitation de l'ancien professeur pour une invitation à la taquinerie. En pivotant légèrement, Artreos tomba nez-à-nez avec le grand œil unique d'un Zarbi.

Le corbeau lâcha un petit cri étranglé en se reculant. Bon, même si il était logique et rationnel avant tout, cela n'excluait pas qu'un Pokémon puisse le prendre par surprise dans un décor pareil, tel un fantôme. Mais cela n'en était pas un, et c'était le plus important. Les rumeurs étaient infondées. Elles le devaient. Quel genre d'intellectuel était-il si il se laissait convaincre du pire par un concours de circonstances tout ce qu'il y a de plus singulier ? La lettre flottante profita de la stupeur de l'érudit pour lui tourner autour, comme s'il s'agissait d'une malédiction ou d'un sortilège. Ardashnir ferma momentanément les yeux, oubliant presque qu'il y avait un inconnu qui avait clairement dû le repérer.

Respirer. Ce n'était qu'un simple Pokémon sauvage, qui n'avait même pas l'air hostile ! Mais cet œil… L'historien avait honte de ressentir une pointe d'angoisse à cet instant précis. Les organismes n'étant pas normalement constitués au niveau de leur vision, c'est-à-dire qui n'avaient qu'un seul ou plusieurs yeux, en bref tout ce qui était différent d'un être à deux yeux naturels… ça le mettait horriblement mal à l'aise. La sensation d'être scruté était obsédante et rarement l'humain était capable de soutenir le regard en face, même quand les yeux étaient « seulement » aveugles. C'était stupide, une peur irrationnelle. Mais elle était bien ancrée dans le jeune homme, qui céda alors à mi-chemin entre la panique et la colère. Ce Zarbi était en train de lui faire perdre tous ses moyens !

C'est à cette pensée que tout se mit à dégénérer. En repoussant d'un geste rapide la danse du F volant, Ardashnir empoigna la Captis Ball qu'il cachait à l'intérieur de son manteau pour en sortir son compagnon Statitik. Habituellement, il était bien la dernière des personnes à se mettre en position de combat. Pour l'ancien professeur, c'était inutile d'envoyer son Pokémon taper ou se faire taper. Mais depuis le début de ses instigations au lac, des pensées amères virevoltaient dans son esprit. Le Psy était juste le catalyseur d'une frustration accumulée inefficacement. Ashar détestait s'emporter de la sorte, parce qu'il se sentait faible de suivre ses passions plutôt que la raison. Mais l'endroit mettait ses nerfs à vif. Le sang commençait à battre dans ses tempes. Il n'avait presque aucune expérience en Combat Pokémon. Ca passe, ou ça casse.

Afelan pousse un petit cri en détalant le long de la jambe de son maître, jusqu'à se hisser sur son épaule. Le Zarbi en face ne semblait pas plus bouleversé que cela, probablement excité à l'idée de se faire un nouvel ami créature. Il se trompait lourdement.

« Allez, Afelan. Sécrétion ! »

A l'ordre, la petite tique se mit automatiquement en posture d'attaque et cracha de la toile qui frappa le Zarbi par surprise. Afelan n'avait presque jamais combattu de sa vie, mais tout comme tous les autres Pokémon domestiqués, il y avait un instinct d'obéissance à réveiller, pour peu que le dresseur y mettait de la volonté.

La créature sauvage s'embourba dans les fils collant, tombant alors comme une souche. Tout comme il y avait un instinct chez les Pokémon capturés, il y en avait un tout aussi puissant chez ceux en liberté.

Ashar et Afelan ressentirent tout à coup une onde de force qui fit reculer l'humain, plantant ses pieds dans la terre. Le petit insecte de foudre s'accrocha tant bien que mal sur le tissu de son dresseur, n'étant pas désigné le Pokémon Crampon pour rien. La fameuse Puissance Cachée avait fait mouche avec un type indéterminé. Au moins, Afelan n'avait pas l'air d'avoir souffert plus que de raison. L'attaque ne devait pas être efficace, peut-être même à puissance normale.

Mais la distraction était suffisante pour que le Zarbi se délie convenablement. Il pouvait à nouveau planer en l'air, mais les filaments restants entravaient une partie de ses mouvements, le déséquilibrant de temps en temps. La bête sauvage était à la fois plus lente et plus facile à toucher. Ardashnir prit son opportunité, s'écartant suffisamment du champ de bataille pour être sûr de ne pas se faire toucher à la prochaine attaque.

« Utilise Vol-Vie ! »

La tique hirsute fit un bond prodigieux en s'appuyant sur son dresseur pour atterrir sur le symbole F. Afelan n'eut aucun mal à régénérer sa vitalité en suçant littéralement celle du Zarbi, qui se dégagea quelques secondes après dans un violent geste acrobatique. Le Statitik toucha sol sans problème, se préparant déjà à encaisser Puissance Cachée de nouveau.

L'historien se doutait bien que le match allait ressembler de plus en plus à un jeu de paume : le Zarbi ne possédait qu'une seule attaque, et Afelan trouvait un certain intérêt à toujours utiliser Vol-Vie. Le combat allait donc se faire à l'usure, ce qui angoissait le jeune humain. Il n'avait pas du tout prévu d'envoyer son Pokémon se faire castagner, Afelan risquait de prendre gros et étant si loin de la civilisation de Sakai, c'était un pari trop risqué.

Ashar décida de changer de tactique, en espérant que la chance soit de son côté. Il demanda à sa petite bête d'utiliser la capacité Cage-Eclair dans l'espoir de paralyser le cyclope Psy. L'effet fut immédiat, et Afelan put enchaîner deux attaques offensives pour mettre à mal son opposant, qui commençait sérieusement à perdre la main.

Soudainement, l'ancien professeur ordonna à son compagnon de stopper l'assaut pour s'approcher du perdant. Le F géant était au sol, mal en point, gêné par les toiles d'araignées accrochées à lui. Malheureusement, Artreos n'avait rien sur lui pour soigner les dommages. Il priait silencieusement pour que la créature sauvage ait retenu la leçon. De cette manière, l'humain s'affaira à détacher les quelques fils pour libérer le Zarbi, quitte à se prendre une attaque de plein fouet.

Ce qui n'arriva pas. Certainement par peur, la lettre volante prit non-littéralement ses jambes à son cou pour fuir loin du duo. Ardashnir se sentait un peu coupable à présent. Il n'avait jamais voulu blesser un pauvre Pokémon innocent, mais n'ayant pas supporté de se faire importuner de la sorte, il avait réagi sans réfléchir. Cela ne lui ressemblait pas. Il se perdait de vue, lui et ses objectifs, depuis un moment déjà…

Le Lac Noctali n'allait pas laisser une bonne impression pour l'homme de lettre. Déjà qu'il s'y était rendu avec des appréhensions sur les épaules, voilà qu'il y avait commis une mauvaise action. Le corbeau ne se sentait pas forcément proche des Pokémon, préférant largement la compagnie des humains qui eux, pouvaient parler. Mais ce n'était pas une raison pour avoir fait ce qu'il avait fait ce soir. Si seulement l'érudit avait une Captis Ball vierge sur lui, il aurait pu se lier d'amitié avec le petit Zarbi. Au lieu de cela, il l'avait violemment chassé de son propre domaine. C'était pitoyable.

Peut-être était-ce le cadre peu rassurant, mais Ardashnir broyait du noir. Il avait beaucoup de respect pour l'espèce des Zarbi, étant à l'origine de l'alphabet articulé des humains, véritables témoignages de l'évolution humaine. Alors en arriver à une telle extrémité  le démoralisait. Le corbeau se souvenait à présent pourquoi il refusait souvent de se battre. La douleur n'était pas quelque chose qu'il aimait voir, et encore moins causer. Mêle dans les règles de l'art.

Au moins, il pouvait se consolider dans son malheur en voyant que Afelan n'était pas trop mal en point. Pour plus de sécurité cependant, son dresseur décida de le mettre à l'abri. Décision qui ne fut aucunement objectée par la tique électrique.

Et maintenant ? C'était une bonne question. Une question à laquelle le jeune homme eut à peine le temps de penser qu'un déclic se fit dans son cerveau. Il n'était pas seul ! Quelqu'un d'autre était dans le coin…

Là ! Des bruits de bataille, des éclats de voix ! Artreos était tellement absorbé dans les conséquences de son acte qu'il avait complètement oublié la présence d'autrui. En se retournant pourtant, il se rendit rapidement compte de la situation : l'autre personne était en train de mener un Combat Pokémon, tout comme l'historien venait de le faire. Enfin, apparemment l'inconnu avait aussi terminé sa session. Le danger était donc passé.

Et leur regard se croisèrent.

… Finalement, le danger était peut-être toujours présent.

Ardashnir n'allait pas le cacher, l'homme qu'il était en train de fixer lui faisait froid dans le dos. Peut-être était-ce une illusion due au cadre lugubre de la rencontre, ou bien un nouveau pic irrationnel de frayeur, mais l'inconnu semblait animé d'une lueur bestiale, sans compter la lame qu'il venait de ranger à ses côtés. Et à présent, deux yeux écarlates s'accrochaient fermement sur leur nouvelle proie. C'était l'érudit, par ailleurs.

L'écho des ordres et aboiements du sombre personnage secouait encore le pauvre homme de lettre, qui se retrouva un peu interloqué et un peu pétrifié à la fois par l'approche du plus jeune. Artreos n'osait pas engager la parole, ne sachant pas vraiment à quoi s'attendre avec un individu pareil. Même si l'agitation des combats était passée, le guerrier était toujours attentif, toujours sur le qui-vive en dévisageant le noiraud, qui le laissa faire son inspection.

Clairement, l'autre cherchait à imposer sa présence, et si au départ cela avait légèrement apeuré Ashar, maintenant que l'inconnu était plus près, l'érudit voyait bien qu'il ne dégageait pas d'hostilité directe. Mais plutôt de la condescendance, ou de la moquerie. Le jeune homme ne manqua pas la tactique d'intimidation qu'utilisait le drôle de personnage. D'abord ignorer sa proie pour la rappeler à sa situation de faiblesse, avant de l'adresser avec un ton supérieur et insinuer des choses cruelles. Ashar écoutait et attendait son tour pour prendre la parole, craignant de vive représailles.

Ainsi, le jeune épéiste comptait jouer sur les nerfs du lettré, ce qui fonctionnait un peu, il fallait le dire. Disons que, une fois avoir repris ses esprits, Ardashnir était conscient de la situation délicate dans laquelle il se trouvait. L'arrogance du personnage l'énervait, et c'était volontaire. Après tout, qui aimait être pris de haut ? Mais l'heure n'était pas à la confrontation, pas sur un terrain aussi inégal entre les deux partis. Alors par réflexe, Artros regarda légèrement autour, prenant en compte son environnement pour essayer d'en tirer quelque chose si jamais l'échange se mettait à déraper.

La fuite n'était malheureusement pas une option viable, l'autre avait l'air en pleine forme alors que l'ancien professeur n'avait jamais pratiqué la course de sa vie. La trentaine n'était encore pas la vieillesse, loin de là, mais il avait vraiment peu de chance à s'en sortir en choisissant cette option. Se battre l'était tout autant, vu que Afelan était hors-concours. Le corbeau ne pouvait donc compter que sur lui-même, puisque l'inconnu n'avait pas l'air du genre à faire des concessions et le laisser tourner les talons comme si de rien n'était. Infériorité numérique et militaire, puisque au grand jamais Ashar ne se baladera avec une arme. Il était mal barré.

La possibilité la plus sécuritaire était encore de jouer le jeu, et surtout de ne pas se laisser décontenancer. En gardant la tête froide, l'érudit serait plus à même de déceler les signes avant-coureur chez son interlocuteur. Non pas qu'il pourra forcément faire quoi que ce soit pour contrer les éventualités. Mais au moins, le poète aura moins de chance d'être pris par surprise, et donc de faire une erreur de perception. La perspective de mener une joute verbale ne faisait pas peur au Sakaien, par contre. C'était bien là le seul champ où il aurait une chance de tenir tête à son adversaire du moment. Mais désamorcer le conflit grandissant était la priorité actuellement.

« Si vous étiez réellement un bandit, j'imagine que vous n'auriez pas attendu d'entamer la conversation avant de passer à l'action ? » La voix de l'érudit était calme, nullement accusatrice ou ironique. Il s'agissait avant tout d'une observation, et non pas un jugement envers le guerrier. Malgré tout, son visage quelque peu crispé et son corps totalement immobile trahissait des signes de nervosité. Ashar se mit d'ailleurs à déglutir, méfiant.

« Mon nom est Ardashnir Artreos. Je travaille en tant qu'historien résidant actuellement à la capitale, Enogen. Mes recherches m'ont conduit à me rendre dans ce lieu spécifique, que je pensais de prime abord abandonné. L'arrivée inopinée de ces Pokémon m'a effectivement pris par surprise. Mais je concède être davantage intrigué par votre présence dans ce tableau désolé. »

A cela, le noiraud parcourut le décor du regard, avant de relaxer doucement sa posture. L'ancien enseignant voulait transmettre son ouverture à l'échange, sa volonté de mener une conversation en toute civilité. Après tout, Ardashnir avait pris les devants en expliquant les motifs de sa présence, vu que c'était certainement la prochaine question qu'aurait posée l'individu singulier. A voir maintenant si l'autre comptait lui rendre la faveur. Mais avant…

L'historien lâcha un petit rire pour détendre l'atmosphère, arborant un léger sourire, « Pour vous répondre, je ne me considère vraiment pas comme courageux. Et j'avoue ne pas avoir tout à fait su à quoi m'attendre en me rendant ici en premier lieu, sans préparation adéquate. A vrai dire, je me suis laissé emporté par mon empressement et mon désir de découverte. Mais je ne suis pas déçu. Je suis tombé sur quelque chose de plus inhabituel et plus intéressant que ce que j'étais originalement venu chercher. Je me demande s'il en est de même pour vous ? »

Comme Ardashnir pouvait s'y attendre, l'inconnu transpirait une attitude assez théâtrale et expressive à travers ses gestes et paroles. Autrement dit, aux antipodes de ce qui faisait l'essence de l'historien. Ce n'était qu'une affaire de minutes avant que l'un des deux hommes, très certainement l'épéiste brutal, ne se lasse de ce petit jeu des civilités et que la situation ne se mette à déraper véritablement. Une issue pas vraiment envisageable et enviable pour le Sakaien qui se retrouvait acculé contre son gré dans un endroit des plus dérangeants. Personne n'entendrait les appels à l'aide de l'ancien professeur, ici en pleine nuit. L'autre savait qu'il avait la main mise sur la situation et s'en amusait grandement.

Ainsi, Noctali était son appellation. Et mercenaire était son métier. Evidemment, c'était plus facile de se cacher derrière un titre -qui, il fallait le reconnaître, correspondait bien à la description de l'homme en question, avec ses cheveux de corbeau et ses yeux carmins- quand on entreprenait ce genre d'activité. Ashar ne s'y connaissait en rien au monde des prestations mercenaires, n'ayant jamais eu recours à ce service dans le passé. Mais l'ancien professeur n'était pas dupe. Du moment qu'il y avait des écus à la clef, les types comme Noctali étaient prêt à accomplir n'importe quel boulot ingrat. Y compris meurtre ou disparition. Alors si en plus il était le soi-disant plus connu dans le métier, c'est qu'il devait avoir pas mal de missions à son compteur.

Le plus vieux avait amplement le temps de réfléchir pendant le monologue assuré de l'épéiste. Et l'espace d'un instant, une pensée irrationnelle traversa l'esprit en ébullition de l'intellectuel. Et si Noctali avait été envoyé pour se débarrasser définitivement de l'agaçant Artreos ? Ce n'était pas un secret que le jeune n'était pas très apprécié sur ses lieux de travail. Jamais il n'avait reçu de menace directe de la part de ses collègues, personne n'était assez stupide pour se rabaisser à ce genre d'intimidation dans le monde de l'érudition. Non, les signes de haine et de dégoût étaient beaucoup plus subtils et contrôlés. Sans parler de harcèlement, Ardashnir avait déjà eu son lot de commentaires désobligeants et de regards accusateurs. Noctali, juste en face, était justement l'incarnation physique de ce mépris particulier à son égard.

Il n'était pas impossible que l'historien ait laissé présager sa dernière destination avant de quitter la Grande Bibliothèque. Plus d'une fois, l'érudit avait été renvoyé à cause de ses exclamations pour les découvertes qu'il faisait. Honnêtement, Ashar ne se souvenait pas s'il avait fait quelque chose de spécial avant de partir, et cela l'inquiétait. Il était plus prudent que cela d'habitude. Ca, ou c'était le caractère de cette rencontre qui le déstabilisait tellement qu'il en perdait ses moyens. En réfléchissant sur la question, la pensée irrationnelle devenait de plus en plus plausible. Ce Noctali pouvait très bien jouer le jeu et l'ignorant afin de tourmenter l'homme de lettres avant de s'en débarrasser au fond du lac. Si tel était le cas, la proie qu'était le corbeau n'avait aucune chance de s'en sortir. Divertir l'attention du guerrier était un plan temporaire, mais qui mènerait inévitablement au même sort funeste.

Bien sûr que Artreos était venu sans préparation, l'endroit était réputé pour être abandonné ! Non pas que de toute façon, il avait quelque capacité à manier une arme en premier lieu. Le noiraud n'avait seulement pas compté sur d'autres sombres possibilités bien présentes. L'érudit s'était toujours pensé invincible et intouchable dans l'enceinte si respectable de la Grande Bibliothèque. Une agression aurait tout de suite été repérée et punie. Mais Ardashnir n'était pas à Enogen, maintenant. Il se trouvait au milieu de nul part, en face d'un homme qui avait l'avantage sous tous les plans. Il ne serait pas exagéré de dire que l'ancien enseignant était réellement en train de flipper pour sa vie. Beaucoup trop de paramètres inédits pesaient sur son esprit et alourdissait sa réflexion : le cadre lugubre, le combat Pokémon, l'arrivée du mercenaire…

Peut-être que si le noiraud avait frappé sa tête contre un tronc pour reprendre ses esprits, il se serait rendu compte qu'il se laissait aller à la paranoïa, chose qu'il abhorrait largement. Malheureusement, Ashar était déjà trop empêtré dans l'illusion pour espérer en sortir par lui-même. Et ce n'est pas la dernière remarque -ou plutôt question- du mercenaire qui allait apaiser sa crise intérieure. Rien qu'en voyant comment il traitait son compagnon de poche, Artreos n'osait même pas imaginer ce que Noctali comptait faire par la suite.

La meilleure solution était encore de répondre à la demande, même si le silence mortuaire du lac eut tout le loisir du monde pour s'étirer entre les deux hommes, tant l'érudit trouvait cela difficile de déglutir et trouver sa voix. Comme auparavant, celle-ci n'était heureusement pas tremblante. Ardashnir pouvait remercier sa tendance d'être et d'agir placidement pour dissimuler sa nervosité à l'oral. Comme d'habitude par contre, son corps n'était pas si réceptif. La gêne gestuelle était apparente comme sous un soleil de midi.

« Eh bien, je ne peux pas vraiment parler au nom de mes collègues, là n'est pas ma place. Mais en ce qui me concerne, je n'ai pas vraiment l'habitude de me rendre dans ce genre de lieu inhabituel. Pour dire la vérité, c'est une grande première pour moi que de me retrouver dans ce type de situation. Je suis un homme d'intérieur, c'est vrai. Mais j'aime aussi me rendre sur le terrain pour faire des découvertes. Seulement, je n'avais pas compté sur… la présence d'autrui, et… »

La tension était telle que l'historien se mit à dériver en plein milieu de sa phrase. Il n'arrivait plus à garder la face, à jouer le jeu. Pas avec la menace qui planait au-dessus de sa tête comme une Vaututrice affamée.

Artreos poussa un soupir fatigué, et son visage se déforma en une légère grimace alors que sa stature s'affaissa. Autant en finir au plus vite.

« Ecoutez. » commença-t-il lentement et gravement, « Si vous devez régler votre besogne, je vous saurais gré de cesser de me tourmenter et de passer à l'action rapidement et efficacement. Je promets de ne pas opposer de résistance, si c'est ce que vous essayiez de jauger au travers vos questions. »

A ce moment-là, l'intellectuel choisit de détourner le regard pour fixer un point dans l'horizon, l'air résigné.

« Il m'est simplement dommage de ne pas avoir une idée arrêtée sur ce qui a causé ultimement mon trépas, une fois le premier pas franchi dans ce monde désolé. Peut-être pourriez-vous éclairer un homme perdu et confus avant de lui ôter la vie : devrais-je maudire mon arrogance ou ma naïveté ? »

Le silence revint quelques instants, avant que le visage du noiraud se relaxe soudainement. Un petit sourire fleurit tristement sur ses lèvres tremblantes. Une pathétique vision, certainement

« Ah, cela n'a pas vraiment d'importance pour vous, j'imagine. J'ose seulement espérer que vous accéderez à ma requête. Cela me ferait on ne peut plus plaisir. »

Peut-être que s'il s'était retiré du monde de l'érudition, son passé ne l'aurait pas rattrapé en ce jour funeste. Peut-être que s'il ne s'était pas reclus de la société, il ne se serait pas retrouvé dans cette situation désastreuse. Peut-être que s'il s'était davantage consacré à l'établissement d'une équipe Pokémon, il aurait pu tenir tête à l'agent envoyé pour le tuer. Tant de regrets que Ardashnir n'avait jamais considérés auparavant.

Amusant de voir ce que la perspective d'être sur le point de mourir pouvait inspirer. Ceci était la dernière bataille qu'allait perdre l'historien. Tout ce temps passé à tenter de faire ressurgir la vérité sur son passé, juste pour disparaître sans une trace. On ne retiendrait du nom d'Ardashnir Artreos qu'un professeur décadent, un érudit dépravé, incapable de faire avancer la cause générale. Un historien de pacotille que personne ne regrettera. Pas même ses propres parents.

Le noiraud était prêt. Noctali n'avait qu'à faire un geste de la main pour lui ôter la vie, l'épée déjà brandie au clair de lune. C'était au tour du mercenaire de jouer.

Ardashnir n'a jamais été d'un naturel fataliste. Pour lui, il y avait toujours de l'espoir tant qu'il y avait une volonté de se battre pour ce qui semblait vrai et juste. La principale motivation de l'érudit ? Oeuvrer pour le bien commun à travers les différentes découvertes historiques qu'il entreprend. Bien sûr, il serait erroné de ne pas prendre en compte sa vive curiosité. Le noiraud mentirait s'il disait qu'il n'avait aucun projet d'aller un jour explorer la crête montagneuse qui sépare le continent. Quant à la notoriété, le jeune homme avait su garder la tête froide lors de son ancienne carrière. Ce n'était pas la même échelle que ce qui lui était accessible en tant qu'historien indépendant, mais Artreos a de ce fait déjà pu goûter à son heure de gloire. Et bien qu'il s'en est réjoui, ce n'est clairement l'objectif premier à atteindre pour le corbeau.

Alors, qu'est-ce qui clochait ? Ardashnir n'avait pas découvert de secrets majeurs. Il ne pouvait pas encore mettre les voiles pour une autre contrée, pas après son dernier voyage catastrophique (le traumatisme était encore trop frais dans son esprit). Il n'avait pas agi au contraire des règles de la société. Ou du moins, sans se faire prendre. Il n'avait abordé personne et ne lui avait manqué de respect de manière évidente. Non, l'érudit n'avait rien fait qui n'était sorti de l'ordinaire. Rien fait qui ne mériterait que l'on lui offre une sentence de mort. Mis à part se rendre dans un endroit délabré et possiblement maudit. Où il avait fait la rencontre d'un personnage plus qu'atypique et frustrant. En vérité, c'était sa propre incompétence qui avait mené le noiraud à cette échéance.

La probabilité d'un tel scénario l'avait tout bonnement laissé sceptique à première vue, si bien que Ashar s'était d'abord retranché dans son côté irrationnel, mis en exergue, contre son gré, devant la fougue lugubre du mercenaire et le cadre environnant dérangeant. Mais en analysant à nouveau la situation, surtout en prenant en compte les dernières paroles de Noctali, il était clair que l'ancien professeur avait parlé et jeté les armes trop vite. La discussion venait de passer d'une dynamique de prise de pouvoir à un quiproquo des plus ubuesques. Le destin pouvait parfois se montrer imprévisible, et les coups du sort (même s'il détestait le concept en lui-même), bien qu'inexplicables, étaient tout simplement possibles. C'était la faute à pas de chance, comme diraient certains. s'il avait croisé le chemin d'un être hostile. Et rien d'autre.

Alors voilà deux hommes confus, plantés au beau milieu de nul part, ne sachant que tirer de leur altercation contre-nature. Pour sa part, Ardashnir, tout bonnement résigné à perdre la vie ce soir-là, éprouvait finalement un immense soulagement en entendant Noctali en personne prétendre qu'il n'allait pas mourir de sa main (se convaincre soi-même est toujours plus impactant lorsque l'argument est exprimé à l'oral, et de la bouche d'un autre, qui plus est). Mais ce n'est pas pour autant que l'annonce réchauffa le coeur du corbeau de la Grande Bibliothèque. Ashar se trouvait toujours en position de désavantage, face à un homme qui redoublait toujours d'efforts pour enfoncer ses faiblesses. Sans compter qu'il commençait à faire frisquet, et que si ça avait été un autre, l'homme de lettre serait peut-être étalé sur le sol dans une flaque écarlate à l'heure qu'il est. La rumeur sur les brigands du lac ne lui semblait plus aussi absurde que quelques heures auparavant.

Son imprudence aurait pu lui coûter beaucoup. Il aurait dû fuir le combat Pokémon pour fuir la conversation humaine. C'était lâche, oui, mais Ardashnir n'était pas pointilleux sur l'image que renvoyaient ses actions. Mince, rien que sa simple présence à Enogen, pour le monde de l'érudition en tout cas, était déjà une erreur en soi. Noctali n'avait pas tiqué à l'entente de son nom, certainement parce que l'épéiste n'était pas du genre à s'intéresser aux actualités intellectuelles. En fait, à l'entendre parler, le dangereux garçon n'avait pas l'air de porter cette caste de métier dans son coeur. Et c'était assurément un euphémisme. En sa qualité d'historien, le Sakai aurait dû s'en sentir affecté. Mais une partie de lui était bien trop reconnaissante de pouvoir encore respirer pour s'arrêter à des insultes de bas-étage. D'autant plus que même si Noctali vulgarisait l'ensemble, certaines de ses paroles n'étaient pas dénuées de vérité.

Artreos se mit alors à ressentir de la sympathie pour l'étrange personnage. C'était spontané, c'était dangereux et ça pouvait carrément avoir l'effet du retour de bâton. Mais l'autre homme était franc avec lui. Une franchise déconcertante, certes. Mais après quelques minutes d'échange, Ashar avait compris le fonctionnement de Noctali et s'y était habitué. Inutile d'attendre du respect, de la compassion ou de l'inquiétude de la part du mystérieux mercenaire, l'historien n'avait qu'à balayer les remarques désobligeantes et la discussion reprendrait son cours. Tous deux exprimaient des réticences plus ou moins appuyées face aux érudits. Cela leur faisait au moins un point commun.

C'est ainsi que dès qu'il put en placer une (à comprendre, une fois que Noctali eut son compte d'exclamations et de boniments), Ardashnir prit quelques instants pour détendre sa posture. C'était une décision audacieuse que de se relaxer en présence d'un esprit en ébullition comme celui de l'inconnu, qui pourrait alors choisir de très mal prendre ce geste. Mais honnêtement, l'érudit de la Grande Bibliothèque était fatigué d'être constamment sur ses gardes et d'essayer de tenir la cadence avec un personnage aussi tonitruant que Noctali. Non, Ashar avait décidé de suivre le courant et de voir ce que cela allait donner. Ce n'est pas comme s'il pouvait lutter contre, de toute façon.

« Ah ah, je ne voudrais pas brider votre entrain… Mais disons que ce que vous assumez relève davantage du conte de fée que de la réalité, j'en ai bien peur. Il n'est nullement question de découvertes exceptionnelles ou d'excavation de sombres secrets. Et je ne crois pas que ce que j'ai pu entreprendre récemment puisse appeler à la peine capitale, malgré ce que j'ai pu penser précédemment. Selon toute vraisemblance, c'est mon nom qui doit causer problème, je le crains. »

Oui, bon. La déclaration manquait peut-être d'un peu de clarté. Ardashnir se dégagea la gorge, l'attitude tranquille depuis que Noctali avait baissé son arme.

« Si jamais vous avez entendu parler du patronyme Artreos dans le monde de l'érudition, il est très probable que ce soit en mal. On ne peut pas dire que je me traîne une réputation décente dans les environs, contrairement à vous qui prétendez être un mercenaire renommé. Je ne doute pas une seule seconde de vos talents à l'épée, pour ainsi dire. »

L'ancien professeur n'était pas encore hors de danger, et pourtant il s'exprimait avec un certain détachement et un calme apparent. Son corps n'était plus aussi tendu, même si le jeune homme présentait toujours des réserves aux yeux les plus subtils.

En ce qui concerne les soudaines confession et flatterie partielles, Ashar essayait de rééquilibrer les forces en opposition. Adopter une approche plus pathétique, mais aussi plus ouverte, allait peut-être lui attirer des railleries. Mais pour la première fois depuis le début de la discussion, Noctali semblait prêt à l'écouter, et non plus lui rire à la face. C'était une carte que le Sakaien ne pouvait pas jouer d'avance. Il lui fallait plonger tête la première pour en découvrir le résultat, aussi imprévisible que cela puisse être.

Evidemment, l'esprit curieux du noiraud ne mit pas longtemps à refaire surface. Il était érudit avant tout, et surtout malgré tout. Et ce n'est pas la grosse frayeur de ce soir qui allait changer cet homme du tout au tout. Entêté au possible, le corbeau porta sa main au niveau de son menton, signe qu'il se mettait à réfléchir à voix haute. Passer d'une tactique à une autre sans transition, c'était bien son genre.

« Mais je m'interroge sur votre présence. Que peut bien pousser un homme de votre trempe à se rendre dans un endroit aussi malfamé ? La première supposition que j'hasarderais serait l'entraînement. En pleine nuit, pourtant ? Cela me semble bien excessif. Et si vous n'êtes pas en mission, hm… »

Pour sa part, l'homme de lettres avait vaguement invoqué son travail comme motif de sa venue, ce qui avait eu l'air d'avoir suffi. L'inconnu avait prétexté être à la recherche de valeureux adversaires, mais c'était un peu trop gros pour être normal. Quand bien même, l'autre personnage était tout sauf normal. C'est vrai quoi, choisir cet endroit, à cette heure-ci… Ardashnir avait des doutes. Soit quant à la sanité de son interlocuteur, soit quant à son honnêteté.

Une information contre une autre. Si Noctali désirait en apprendre plus sur la situation de son aîné, il allait devoir élaborer sur la raison de sa venue au Lac éponyme. Ardashnir voulait garder l'échange civilisé, mais depuis trop longtemps le mercenaire imposait le rythme de l'échange, ce qui n'était pas pour le rassurer. L'érudit espérait simplement que l'épéiste ne retournerait pas dans son rôle en ré-invoquant son arrogance, et surtout son arme. Au pire, si jamais le mercenaire ne voulait pas répondre, soit. Ashar pourrait vivre sans cette pièce du puzzle. Il fallait juste espérer qu'il n'avait pas encore tout fait déraper.