Grace aux conseils des ouvriers qui s’échinaient toujours plus sur ce vaste chantier qu’était la reconstruction de Venovos, le cavalier aérien trouva la boutique d’un vieil homme aux doigts tordus par les âges. Minuscule, son échoppe ne payait pas de mine et Corvus ne s’y serait jamais arrêté si les hommes ne lui avaient pas certifié que le vieillard aurait de quoi résoudre son problème. En entrant, une odeur d’herbe l’agressa un instant. Partout où son regard se posaient ses yeux découvraient des choses étranges : des pierres de toutes les couleurs – Corvus en reconnaissait certaines – ainsi que des objets entassés çà et là, des dents, des lambeaux de tissus, des griffes et même une couronne dont Corvus ignorait l’utilité. Tout cela servait-il vraiment aux pokémons, vraiment ? Corvus fut coupé dans son observation par le vieillard qui le questionna quant à sa présence. S’arrachant à sa contemplation non dénuée de curiosité, le sakaien se tourna vers le marchand.

« — On m’a dit que vous pouviez m’aider. L’un de mes pokémons s’est battu et a perdu une écaille dans l’entreprise. Il semble aller bien, mais son armure est désormais vulnérable. Vous auriez quelque chose pour la reconstituer, ou pour l’aider à la reconstituer ? » demanda le jeune homme.

Corvus n’y croyait pas des masses, mais maintenant qu’il était là, autant essayer non ?

« — De quelle espèce s'agit-il ? » lui demanda le vendeur en guise de réponse, sans s’étendre davantage. Corvus semblait avoir trouvé aussi loquace que lui.

« — Un Hypocéan » lui répondit le jeune homme. La réaction du vieillard ne se fit pas attendre.

« — Un sakaien, avec un Hypocéan ?! » se stupéfia-t-il. Son ton frôlait l’indignation et pendant un instant, Corvus fut tenté de lui demander de quelle manière ce parfait étranger avait-il su qu’il était sakaien – comme si cela n’était pas évident – mais le marchand ne lui en laissa pas l’occasion : déjà, il partait dans son arrière-boutique et le soldat l’entendit farfouiller « Hum ... j'ai peut-être ce qu'il vous faut » l’entendit-il lui dire entre deux grincements de tiroir.

Finalement, l’homme revint avec une écaille dans la main, qu’il déposa sur le comptoir. Corvus l’avisa un instant, la détailla … épaisse, elle était teintée d’un bleu qui tirait sur le jaune. A quel pokémon cette écaille appartenait-elle ? Corvus n’en avait pas la moindre idée.

« — C’est une écaille de dragon des vastes contrées de Ran. Je vous la laisse pour quarante écus » déclara le vieil homme. Corvus manqua de s’étouffer.

« — Quarante écus ?! » s’indigna le sakaien « J’espère au moins que vous avez tué le dragon vous-même à ce prix-là » affirma le soldat, presque courroucé.

Et puis, à quoi pouvait bien lui servir une écaille, hein ? Allait-elle remplacer celle qui manquait ? Le cavalier offrit au vieil homme un regard désapprobateur, qui ne lui fit ni chaud ni froid.

« — Vous voulez soigner votre Hypocéan oui ou non ? » lui demanda-t-il, un air de défi dans la voix.

Corvus sentit sa mâchoire se serrer de mécontentement. A ce prix-là, sans doute avait-il plus vite fait de se rendre lui-même à Ran – venait-elle vraiment de Ran, cette écaille ? – malheureusement pour lui Corvus n’avait pas tellement le choix, aussi fut-il bien obligé de donner à cet escroc les écus demandés. Radin le sakaien ? Si peu … si peu.


***

Par pur coïncidence ou par réelle chance, l’écaille vendue par le vieux kuniois correspondit exactement au creux laissé par l’écaille manquante, à un détail près : la couleur ne correspondait pas, aussi Jedha considéra-t-il longtemps ce point dans ce tableau qui, de toute évidence, le chagrinait bien plus que Corvus n’aurait pu l’imaginer. Loin de se débiner, le pokémon ne manqua pas de le lui faire comprendre.

« — C’est bon, ne fait pas ton précieux … ça ne se voit presque pas » lui mentit Corvus en guise de réponse.

L’Hypocéan n’était pas de cet avis bien sûr et s’agita, soulevant des gerbes d’eau à chacun de ses mouvements. Si Corvus était un homme globalement patient, la situation l’amusait peu – pour ne pas dire pas du tout – et la désapprobation du pokémon eau lui pesait quelque peu, jouait sur son humeur.

« — Je suis navré, je n’ai rien de mieux à te proposer » déclara le jeune homme, finalement excédé.

Cela ne consola pas l’Hypocéan, qui bombait le poitrail pour mieux observer cette écaille si différente. Il battait des nageoires, retournant au passage le fond marin et faute d’obtenir satisfaction – non, l’écaille n’allait pas changer de couleur comme ça par enchantement – il s’éloigna en furie de la plage pour rejoindre les eaux plus profondes de la mer. Furieux, Corvus le vit nager à toute vitesse, zigzagant comme un fou à en crée des sillons.  

« — Arrête, tu vas la faire tomber ! » gronda le sakaien.

Non, ce radin de Corvus ne voulait pas voir ses quarante écus disparaitre si prestement au fond de l’océan ! Mais l’Hypocéan n’en avait cure : il continuait son manège, évacuant à sa manière sa frustration … ou bien faisait-il autre chose ? Corvus n’en savait rien, et d’agacement il s’apprêtait à abandonner l’hippocampe lorsqu’un calme soudain tomba là où jusqu’à présent s’était tenue une furie. L’eau malmenée tangua pendant un long moment, insinuant le doute dans le cœur de Corvus … Jedha, où était-il passé ? Avait-il rejoint les abysses de la mer ? S’était-il éloigné au large des côtes ?

Finalement, la réponse se présenta d’elle-même.

Sans crier garde, une forme nouvelle et plus imposante émergea de la mer, brisant la surface de l’eau avec une soudaineté qui manqua de faire sursauter Corvus. Si le sakaien reconnaissait indéniablement son pokémon, force était de constater qu’un changement s’était opéré durant cet étrange instant de calme que le jeune homme avait pris pour autre chose. L’Hypocéan que Jedha avait été avait laissé place à quelque chose de nouveau, de plus grand, de plus … draconique. En le découvrant, Corvus eut un mouvement de recul, et non sans vanité le dragon de mer le défia un instant du regard, laissant paraître sa longue nageoire dorsale qui se dressait fièrement sur son échine. Loin de s’approcher, l’Hyporoi décrivit avec lenteurs des cercles, brisant de son poitrail la surface de l’eau. Sur sa tête se dressaient deux excroissances semblables à des cornes et son regard rubis bravait quiconque l’affrontait … de toute évidence, ceux qui disaient les Hypocéans fiers n’avaient jamais rencontrer d’Hyporoi.

Son calme enfin retrouvé, Jedha disparu finalement de nouveau sous les flots pour ne plus reparaître. De toute évidence, le dragon de mer avait trouvé une manière bien à lui de résoudre son problème d’écaille disgracieuse, et désormais les eaux de Venovos semblaient lui appartenir.