«Rappelez-moi une fois encore la raison pour laquelle j’ai accepté que vous ne m’accompagniez à Vénovos, Lord Sitan ?»

«Car non seulement vous m’aimez bien, ma chère, mais en plus vous avez grande nécessité de moi de dorer votre image dans les murs de la grande ville. Il n’y a pas mieux que moi pour vous aider à vous faire apprécier. Ne le prenez pas mal, mais vous manquez un peu du dramatisme nécessaire à toute campagne électorale. Vous n’êtes pas… vous n’avez pas assez de… Enfin, vous voyez, non ?»

«Non.»

«Justement, c’est exactement la raison pour laquelle vous m’avez engagé, Leonys.»

Je soupire, malgré moi assez amusée par l’enthousiasme de mon «responsable de campagne» comme il aime se désigner. J’ai accepté de l’accueillir dans ma demeure de Vénovos sous une série de conditions qu’il se verra bien de respecter. À commencer par me ménager un peu ses piques et ses provocations constantes. Depuis notre départ de son manoir ce matin, il s’est montré affable, juste un peu trop heureux de ce nouveau rôle. Intarissable au sujet de son fameux plan pour «redorer mon image», je le laisse déblatérer en lui offrant un minimum de ma concentration. Le reste est dédié au petit Hélios, juché sur mon épaule, et à mon fils bien calé contre moi dans son rebozo. Napoléon ouvre la marche et les mouvements de sa queue attirent l’œil peu développé de mon fils qui le fixe avec des yeux ronds plutôt comiques d’ailleurs. Il gazouille à intervalles réguliers, et je réalise qu’il est un bébé plutôt vocal pour témoigner sa joie. Il s’est montré patient ces quelques derniers jours, vu les péripéties vécues. J’espère regagner Vénovos rapidement pour à la fois débuter ces grands projets que nous avons, mais aussi pour lui permettre de prendre un peu de repos. Pour ma part, je tousse encore à intervalles réguliers et reprends progressivement mes forces après cette mauvaise grippe.

Un petit village apparaît sur notre horizon d’ailleurs, un horizon déclinant rapidement. Ce village se trouve en réalité près des frontières avec Kuni, dans les bois de Mido. S’il ne semble pas bien étendu, j’ai confiance que nous pourrons y trouver quelque part où dormir avant d’entamer le dernier droit de notre voyage demain. Alexyr connaît bien ces routes ainsi je lui fais confiance pour nous mener à l’intérieur du village, délaissant la carriole à son entrée pour y marcher dans ce petit groupe que nous formons. L’expression peu impressionnée du Psystigri qui m’accompagne d’ailleurs vaut son pesant d’or. Le pauvre préfère le luxe associé à notre mode de vie. Pour ma part, je trouve l’endroit tout simplement charmant.

«D’ailleurs, c’est l’occasion de vous faire connaître dès maintenant Leonys. Je crois que votre campagne devrait majoritairement se concentrer sur Vénovos, là où il y a le plus de votes à gagner, puis où vous êtes la plus connue. Mais les petits villages comme celui-ci ne seront pas à négliger non plus. Même si nous nous trouvons à Mido, de nombreux voyageurs peuvent passer par ici et entendre parler de vous. Pour le commun des mortels, leur vote ira probablement au candidat dont ils se souviennent du nom bien avant la compétence.»

J’hoche simplement la tête avant de m’avancer au cœur du village. Il n’y a que peu de gens ici, pourtant je peux voir quelques bâtiments dont une école. Devant celle-ci, un homme paraît. Je fronce les sourcils en le reconnaissant, cherchant à replacer où je l’ai vu auparavant. L’illumination ne tarde pas : c’est Silver, le musicien s’étant invité chez ma cousine à Arras ! J’en garde un excellent souvenir, puisque sa musique ce soir-là, particulièrement sombre pour moi, m’avait alors rendu le moral. Un exploit en soi que peuvent affirmer avoir réussi à l’époque. Je m’en approche donc avec une certaine gêne, me convainquant qu’il ne doit pas se souvenir de la pâle jeune femme qui l’observait alors d’un œil méfiant.

«Excusez-moi… monsieur Silver ? Je ne sais pas si vous me reconnaissez, c’est Leonys Valencia. Je vous ai rencontré chez ma cousine, à Arras, vous aviez joué de la musique. Avec votre Gruikui, et la Korillon aussi !»

Tellement de choses ont changé depuis. Je me tiens bien plus droite, tout sourire, tenant contre moi le fruit d’une longue grossesse finalement fructueuse. Ne sachant pas à qui il a affaire, Napoléon se contente de toiser l’étranger avec intensité, tandis qu’Hélios tend le museau pour mieux l’observer, avec une curiosité qui indique qu’il se sent décidément plus en confiance qu’auparavant.

Je peux sentir le regard de Lord Sitan sur mon dos. Probablement ne s’attendait-il pas à ce que, dans ce village modeste perdu dans les bois des croisements, je trouve un visage connu. Je prendrai le temps de lui expliquer, lorsque l’occasion s’y prêtera. Pour le moment, je me remémore cette soirée non sans un sentiment de malaise. À cette époque de ma vie, je vivais un profond deuil. Ma liberté acquise, plutôt que de m’apporter le bonheur escompté, m’alourdissait à un point tel que je ne parvenais plus à me sortir la tête des eaux du désespoir. Je venais de quitter cette maison à Vénovos acquise un mois plus tôt et en plein travaux de restauration, j’aspirais à la paix pourtant la tempête m’a jetée sur les routes. Je me noyais. Silver, sans le savoir, m’a apporté une once d’espoir ce soir en me rappelant ma passion de la musique. En chantant cette chanson légère qui m’avait tant fait sourire. Bernadette oui, la Korillon, je me souviens. Je n’ai pas non plus oublié la petite Gruikui qui prêtait sa voix à son dresseur. J’étais si fatiguée à ce moment précis, si perdue et chamboulée. Il me semble que le musicien est arrivé pile au bon moment. Il ne soupçonne probablement pas l’effet qu’il a pu avoir ce soir sur mon âme chavirée.

«Il s’appelle Aster. Merci pour vos félicitations.»

Le petit, à son habitude, gratifie le barde son regard curieux et de ses gazouillements enthousiastes. Le bébé apprécie toujours les rencontres, tout comme le noble qui m’accompagne. Probablement déjà en manque d’attention, il observe l’autre en se demandant bien ce qui se trame ici.

«Vous n’allez pas me présenter, Leonys ?»

«Oui, j’y venais. Voici un bon ami, le Lord Sitan. Alexyr, voici monsieur Silver, un barde dont j’ai eu la chance de faire la rencontre à Sakai il y a un certain moment.»

«Enchanté alors monsieur Silver.»

J’offre un regard suspicieux à mon ami, qui demeure étonnamment sage pour le moment. Pas de commentaire provocateur, pas de recherche d’attention négative… Je me méfie tout de même en reportant mon attention au barde qui explique devoir nous laisser pour donner cours aux enfants du village. Instituteur hein ? Je n’aurais pas cru au départ. Comment en est-il arrivé ici, à enseigner à ces jeunes âmes ? Curieuse, je souris.

«Eh bien si cela ne vous indispose pas trop, j’aimerais bien effectivement assister à votre cours. Je suis fort curieuse de voir comment vous vous débrouillez, sans pression évidemment. Puis je n’ai jamais eu la chance d’aller à l’école dans ma jeunesse puisque tous mes cours étaient dispensés à la maison.»

Je lui emboîte donc le pas dans une minuscule pièce où s’entassent cinq bureaux. Trois élèves. Est-ce là la totalité de sa classe ? Chaque enfant est accompagné d’un Pokémon. Je reconnais Bernadette la Korillon qui me salue, ce qui me tire un petit sourire mi-amusé, mi-gêné, ainsi qu’Aria la Gruikui. Je vois aussi une Mimigal qui me fait un peu me crisper, ainsi qu’un Embrylex. Silver me présente et je me contente d’offrir un petit salut de la main aux enfants. Hélios, impressionné, cherche à se cacher dans mes cheveux. Pour sa part, Napoléon paraît presque ennuyé d’être présent ici. J’assiste au cours dans un silence respectueux, attendrie tout de même par la patience du jeune homme face à ces enfants. Ses manières sont certes peu orthodoxes, cependant elles sont intéressantes dans ce contexte. Il semble insister pour que ces petits développent une volonté propre et qu’ils apprennent à vivre ensemble plutôt qu’à se plier à des règles rigides sans même y réfléchir. Très différent de l’éducation que j’ai moi-même reçu à la maison. Assis-toi, Leonys. Tais-toi Leonys. Écoute la leçon Leonys. Travaille plus proprement Leonys. Je préfère largement cette approche plus naturelle et simple que mon éducation rigide déterminée à éradiquer toute liberté d’esprit.

Le sujet pourrait paraître peu intéressant pourtant j’y prête une oreille très attentive. Ma mère a toujours refusé de me faire éduquer sur les sujets touchant les Pokémon, ainsi j’arrive à m’instruire un peu moi aussi. J’aimerais beaucoup voir un de mes compagnons avoir un Œuf ! Ce serait vraiment très mignon. Bernadette se met à tinter pour marquer la fin de la leçon. Les enfants se précipitent à l’extérieur de l’école, nous laissant entre adultes, à l’exception faite évidemment de celui qui est encore trop petit pour les suivre.

«Une belle leçon, monsieur Silver. Vous m’en voyez instruite, je ne connaissais absolument rien de la reproduction des Pokémon ou presque.»

Il m’interroge sur mes aventures et je réfléchis, partagée à savoir si je devrais les raconter ou non.

«Eh bien… Oui, j’ai vécu beaucoup de choses depuis notre dernière rencontre. Il me semble à vrai dire que ma vie n’a fait que changer depuis. Il y a bien une aventure que je peux vous raconter, celle que je viens de vivre. J’étais dans le marais de Sakai, quand je suis tombée dans les eaux vaseuses. J’étais complètement prisonnière et j’ai appelé à l’aide. Un cavalier aérien de Sakai m’a entendu et est venu à mon secours sur le dos de sa fière Airmure mais… Il est tombé à son tour ! Nous avons dû utiliser toutes nos ressources pour nous sortir de ce mauvais pas. Une fois sur la berge, trempés et épuisés, nous avons tenté de trouver refuge dans une grotte. Il faisait déjà nuit. Nous ignorions alors que quelque chose dans la nuit nous guettait.»

Je m’interromps, pour l’effet dramatique.

«Au milieu de la nuit, une créature nous a attaqués. Elle semblait humaine mais… Elle ne l’était pas. Ses mains étaient disproportionnées et griffues, il avait des yeux d’un jaune profond. Il m’a torturé de visions cauchemardesques et a attaqué mon sauveur. Il a combattu vaillamment, mais il a été blessé dans le combat, non sans avoir infligé quelques bons coups à la créature. Elle s’est finalement enfuie dans la nuit après un coup de mon katana et l’intervention de nos Pokémon réunis.»

Je m’arrête. Maintenant que je l’ai racontée à voix haute, cette histoire m’apparaît encore plus rocambolesque. Pourtant, je tremble en me remémorant ces événements, traumatisée par ce qui s’y est passé.

«J’ai réussi de peine et de misère à ramener le cavalier en sécurité. C’était ma faute s’il a été blessé… Enfin, c’était toute une aventure, monsieur Silver. Une qui ferait probablement une excellente chanson.»

Lord Sitan, cette fois, ne reste pas silencieux.

«Laissez-moi deviner, Leonys. Ce cavalier aérien c’était pas votre noble sakaien favori par le plus heureux des hasards ?»

«Taisez-vous, Alexyr.»

Cette fois, je suis sérieuse. Mes yeux trahissent la peur encore présente dans mon cœur suite à toute cette aventure vécue dans les marais quelques jours plus tôt.

Oh, mais Alexyr ne lâchera simplement pas l’affaire. Notre relation ressemble à bien des égards à celle d’un grand frère taquin et de sa petite sœur excédée. Bon, le Lord a tout de même plusieurs années de plus, même que je remarque qu’il a quelque peu grisonné depuis notre dernière rencontre. Cela ne l’empêche pas de se montrer parfaitement immature en ma présence (pas seulement en la mienne d’ailleurs) et de me taquiner à la manière d’un adolescent. Si je m’efforce de l’ignorer, je n’ai guère la retenue ces temps-cis : cette grippe a bien sûr largement limité mes réserves d’énergie en ce sens, puis le sujet, malgré moi, demeure excessivement sensible. Surtout après les révélations du jeune homme à mon endroit, il y a quelques jours déjà alors qu’il a dit avoir… un certain intérêt en ma personne. Bien entendu, je me garderais bien de le révéler à Lord Sitan et aussi à Silver, dont la curiosité semble davantage piquée par cet aspect que par tout le reste de mon récit. Jetant un regard blasé à l’un et l’autre, je cherche un moyen de me sortir de ce pétrin fort gênant. Je ne pensais pas que le barde entrerait dans le jeu du noble, pourtant nous y voilà.

«Je connais le jeune homme en question, oui, c’est un ami. J’ai eu beaucoup de chance qu’il ait croisé mon chemin par le plus grand des hasards cette journée-là, sans quoi j’aurais probablement été empêtrée longtemps dans cette situation fâcheuse.»

Même à moi, je sonne beaucoup trop sur la défensive, ce qui ne va pas sans faire sourire mon ami à mes côtés. Si seulement je pouvais effacer ce rictus… Il est absolument ridicule et infondé. Parfaitement infondé. Bref. Je remarque que nous avons perdu la concentration du musicien, probablement en train de s’inspirer de cette fabuleuse aventure pour une chanson ! J’espère avoir la chance de l’entendre sous peu, convaincue qu’elle me satisfera. Silver déjà se perd dans ses pensées, ce qui me met l’eau à la bouche ! Malheureusement, nous sommes interrompus par la venue d’une nouvelle personne dans ce cercle si particulier, une femme d’ailleurs plutôt jolie qui se présente comme étant la chef de ce petit village. Lui faisant un salut respectueux, je me tends un peu tout de même, comme toujours lorsque je fais la rencontre de nouvelles personnes. Un art pas du tout inné chez moi que la socialisation. J’imagine que cela me prépare aux prochaines semaines d’élection.

«Enchantée madame Chenoa. Nous ne faisons que passer, nous sommes en route vers Vénovos. Nous espérions trouver refuge ici pour la nuit.»

Je n’ai pas tellement à en révéler plus à ce point-ci. Je tâche de me montrer affable, or cela ne m’est pas exactement naturel et surtout quand je me sens timide comme à l’heure actuelle. Heureusement, la conversation bifurque rapidement en direction de Silver, plus particulière sur sa fameuse leçon sur la reproduction des Pokémon. La dénommée Morgane semble avoir un outil de taille à proposer au barde : un Œuf de Pokémon. Je me penche vers celui-ci pour mieux l’observer, curieuse de savoir ce qui peut bien se cacher à l’intérieur. Comme elle est venue, la chef s’éclipse en nous laissant seuls. Silver semble être un homme sollicité au cœur de ce petit patelin !

«Ce pourrait être intéressant, effectivement, je connais beaucoup sur la politique et disons que le sujet ne me laisse pas du tout indifférente.»

«Même que vous avez devant vous une future candidate au poste de conseillère économique.»

«Alexyr…»

Je n’avais pas l’intention de le dévoiler mais tant pis j’imagine. Heureusement, nous sommes une fois de plus interrompus par l’arrivée d’une autre personne, cette fois d’une gamine de la classe de l’enseignant qui parle si vite et avec tant d’insistance, que je reste bouche bée un instant. Est-ce ainsi qu’agira un jour Aster ? Je devrai m’y faire. Cette petite, aussi mignonne soit-elle, bien être bien étourdissante à long terme.

«Je vous suis, monsieur Silver, c’est votre cours après tout. Puis je suis plutôt curieuse de voir ces Œufs. Je n’ai assisté à une naissance de ce genre qu’une seule fois, c’était celle de mon petit Héricendre. Hélios, ça te tenterait de voir ça ?»

La petite souris électrique répond par un «Pi piiii !» enthousiaste qui me tire un sourire attendri. Je le pose sur le sol et il hésite quelques pas avant de s’avancer en direction de l’enfant aux étonnants yeux vairons. Il me semble toujours aussi craintif, tout en étant curieux. Par mesure de précaution, je préfère prévenir la petite des dangers qu’elle pourrait courir en s’approchant d’un peu trop près.

«Il est plutôt peureux alors fais attention. Son talent spécial, Statik, pourrait te paralyser. J’ai déjà vu un homme qui faisait deux têtes de plus que moi être totalement immobilisé par les pouvoirs d’un autre Pichu. Mais ne t’inquiètes pas, il est très gentil.»

«Pour ma part, je vais vous laisser à votre leçon, je vais chercher un lieu où je pourrais travailler sur notre plan de campagne, Leonys.»

J’hoche la tête, me doutant que le Lord goûte un peu moins au fait de se trouver dans cette forêt entourée d’enfants. Alors qu’il s’éloigne, je me retourne vers l’enseignant, excitée de voir ce qui nous attend dans la forêt.

Cette petite expédition semble tout autant motiver Hélios que moi et c’est avec joie que j’emboîte le pas à Luce, cette enfant de la classe. De toute évidence très énergique, elle me fait bien penser à moi au même âge. Elle a au moins la chance d’avoir un enseignant à l’écoute de ses besoins, capable de canaliser son énergie débordante en variant ses activités pédagogiques : ce n’était pas du tout le cas de mes précepteurs qui n’avaient à l’idée qu’une manière d’enseigner. À vrai dire, il me semble avoir entendu dire que la chose se reproduisait aussi dans les écoles kunioises, assez rigides sur leurs méthodes d’enseignement. Malgré moi, je me questionne un peu sur celles de Silver. Quelle expérience le barde a-t-il pour occuper ce poste ? Je ne connais de lui que notre brève rencontre à Arras, de toute manière, je ne peux guère juger. Une part de moi est un peu déboussolée par cette manière de faire les choses et l’autre immensément curieuse. Rien au monde ne m’aurait plus comblée que de faire de l’observation participante comme ceci et d’apprendre par le même procédé lorsque j’étais en âge de le faire. C’est drôle comme je n’avais jamais questionné les méthodes de mon éducation (celle plus formelle effectuée par mes précepteurs) avant ce jour. Cette petite rencontre ne manque pas de me donner des idées.

Car si un jour je dois véritablement m’hisser au conseil, je refuse que mon implication ne se limite qu’à la gestion de l’économie. Je veux aussi lancer des projets sociaux destinés à améliorer le sort du plus grand nombre de personnes. Notamment, du côté de l’éducation, j’aimerais beaucoup changer les perspectives. Je demanderai à Silver ce qu’il peut en penser, ne serait-ce que pour l’expérience de la chose. Je suis aussi curieuse de savoir comment il s’est retrouvé à ce poste. Pour le moment, je me prête au jeu de la petite classe, me cachant derrière un arbre en observant le sujet d’étude de la journée : une Nidorina et son Œuf qui ne tardent pas à se montrer. Je souris, attendrie, en tâchant de calmer un peu Aster qui menace de compromettre la leçon en gazouillant et pleurnichant quelque peu. Probablement un peu inconfortable dans cette position qu’il a tenu longtemps, il me faudra bientôt penser à le sortir de son rebozo et le nourrir. On dirait au moins qu’Hélios s’est fait une amie en Bernadette, puisqu’il la suit un peu partout à la manière d’une ombre. Je pense que sa musique l’amuse grandement.

La leçon reprend, et devant cette théorie je ne peux que me montrer attentive. À vrai dire, je n’en connais pas assez sur les Pokémon pour juger. J’espère simplement que ce que Silver affirme sur Nidoran ne s’applique qu’à cette espèce, puisque j’ai toujours espoir que Danaé n’enfante un jour, elle y serait si naturelle ! Quelqu’un m’a déjà dit que au contraire, Riolu ne pouvait se reproduire. Alors qu’en est-il ?

«Monsieur Silver, pardon de vous interrompre mais… Qu’en est-il d’autres espèces ? J’ai entendu dire par exemple que Pichu et Riolu ne peuvent pas se reproduire, mais que leurs évolutions oui. Est-ce que c’est vrai ? J’avoue avoir du mal à imaginer Hélios avoir des bébés, c’est lui-même un enfant.»

En entendant son nom, le petit redresse la tête en ma direction, curieux de savoir ce que je veux dire. Son expression change néanmoins très rapidement alors qu’un grondement se fait entendre au loin. Entre les arbres se dessine une silhouette distincte, menaçante, celle d’un Tyranocif. Je n’ai aucune idée de la raison de sa présence dans cette forêt, mais une chose est certaine, il ne semble pas bien heureux de celle de la Nidorina et son Œuf et se dirige en sa direction. D’un bond, je sors de ma cachette, brandissant la balle de deux de mes alliés qui apparaissent dans un jet de lumière. Danaé et Ariane font face à la bête.

«Silver… éloignez les enfants, je vais tâcher de l’éloigner du village.»

La créature hurle et je réalise qu’elle est blessée et probablement furieuse. Dans son pied, une épine empoisonnée est profondément enfoncée. Un cri funeste s’échappe à nouveau de sa gorge et mon sang ne fait qu’un tour : il s’agit d’un adversaire de taille. Mes alliées seront-elles assez puissantes pour lui faire face ?

«Il a mal…» je fais, sans trop savoir quoi y faire.

L’angoisse me gagne. Malgré nos entraînements réguliers, j’ignore si nous avons ce qu’il faut pour l’emporter contre un adversaire aussi puissant qu’un Tyranocif et d’autant plus lorsque celui-ci se trouve en pleine perte de contrôle suite à sa blessure au pied. Le dard, plutôt que de l’affaiblir, semble décupler sa férocité et sa force. Tenter de le raisonner se serait avéré inutile, même si j’espère encore de manière totalement utopiste que Silver trouvera une solution parfaitement pacifique à cette situation. Un Pokémon en furie tel que lui pourrait aisément détruire le village ou même s’attaquer à des innocents. Son œil fou se dirige vers Ariane et Danaé qui ne flanchent pas devant son regard mauvais, son Groz’Yeux. Du moins, en apparence. Car je devine que cette intimidation ne les a pas laissé indifférentes. Le dinosaure fait claquer sa queue sur le sol, renversant un arbre au passage qui émet un son d’agonie sans toutefois tomber. Je me sens me crisper, jetant un coup d’œil inquiet vers Silver qui s’occupe effectivement d’évacuer les enfants en direction du village. Un de ses compagnons d’ailleurs se joint à nous, la petite Gruikui. Je sens mon cœur se serrer. Sans vouloir porter de jugement hâtif, le Pokémon du barde ne semble pas être très avantagé contre une bête telle que celle-ci. Qu’espère-t-elle apporter à ce combat, si ce n’est sa dévotion et sa bravoure ?

Rapidement, Aria témoigne de l’étendue de sa détermination à nous aider en évoluant sous nos yeux. Désormais Grotichon, elle fait un peu plus le poids contre ce Tyranocif excédé qui, peu impressionné, hurle à nouveau. À trois, ou plutôt quatre comme l’Embrylex du musicien se joindra à nous, nous avons peut-être une chance de le repousser sans trop de dommages. Le petit dinosaure pourra effectivement se charger de retirer l’épine de la patte de ce monstre tandis que les autres se battent.

«Ariane, donne-nous une chance, utilise ton voile !»

Le papillon des neiges se met à battre des ailes aussitôt, d’où s’échappe une brume colorée qui entoure la clairière d’une aura surnaturelle. Sans l’urgence de la situation, j’aurais pu trouver ce spectacle absolument fascinant, comme les rubans colorés qui oscillent autour de nous possèdent une beauté incomparable. Ce voile si particulier a le pouvoir de nous protéger des attaques de notre adversaire, au moins en partie. Le Tyranocif ne tarde pas d’ailleurs à lancer le premier assaut avec une pluie de roches en direction des trois Pokémon. Danaé accuse un premier coup, mais la Beldeneige parvient à éviter les coups. La Lucario ne flanche pas, il en faudra plus pour l’impressionner après tout. Une orbe se forme contre ses paumes puis se trouve projetée contre le dinosaure, touchant sa cible qui devient encore plus furieuse. Son aurasphère aura certainement laissé ses marques ! Après tout, cette attaque est doublement avantagée contre un Pokémon de type Roche et Ténèbres tel que ce colosse.

«Super coup, Dan ! Maintenant, aide Ariane avec ton Strido-Son !»

Ces deux Pokémon n’ont jamais collaboré en combat auparavant. Même que la Beldeneige en est probablement à ces tous premiers véritables combats. Sa nature si douce en fait une adversaire peu agressive; il vaut donc miser sur les attaques spéciales, à distance. Strido-Son parviendra à baisser les défenses du Tyranocif, du moins je l’espère. Ariane s’élance vers son adversaire et émet une onde qui l’atteint de plein fouet. Ces deux attaques combinées l’ont désorienté. Il hurle et tend une patte vers la papillon qui ne parvient pas à se reculer à temps. Prise entre ses pattes, elle ne peut rien contre le Croc Feu qui s’en suit.

«Vite Ariane, défais-toi avec Blizzard !» je crie, angoissée pour mon alliée.

Un vent enneigé s’échappe désormais d’elle, mais le Tyranocif ne défait pas sa prise sur l’insecte. Danaé s’élance en sa direction, brandissant un os d’énergie qu’elle balance sur la gueule du dinosaure, qui relâche finalement mon alliée. Au bord de l’épuisement, Ariane vole tant bien que mal jusqu’à moi. Je l’accueille dans mes bras en lui soufflant à l’oreille d’utiliser son Danse Plume, une technique lui permettant de regagner un peu de sa puissance. Je reste auprès d’elle pour la rassurer. Son tronc garde une marque cruelle de la morsure enflammée du Tyranocif. Pendant ce temps, Danaé joute avec son os. Son adversaire est en furie : ses prunelles ne sont plus que deux orbes rouges et fous.

«Silver, pouvez-vous nous aider avec Aria ? Il faut distraire le Tyranocif assez longtemps pour permettre à votre Embrylex de retirer l’épine !»

Plus facile à dire qu’à faire…

Résumé de combat:

Aria, je dois bien l’avouer, m’impressionne grandement. Qui aurait cru que cette adorable Gruikui se muterait en une guerrière telle que celle qui affronte le Tyranocif sans sembler même effrayée ? Danaé lui envoie un sourire presque complice, probablement heureuse de pouvoir compter sur elle en l’absence d’Ariane. Ses cognes font bien du dommage au vu de leur type et je me doute qu’à ce rythme, la Lucario et la Grotichon pourraient bien vaincre le dinosaure de pierre. Pour la première fois, je vois ce combat d’un œil optimiste, peut-être même un peu trop. La créature s’est reculée de quelques pas, comme pour reprendre son souffle. Est-ce là un signe que nous la tenons ? Tout nous y porte à croire, si ce n’est de l’attaque soudaine du Tyranocif qui ouvre sous les pieds de nos compatriotes ses Lames de Roc acérées ! C’est Aria malheureusement qui se prend l’attaque, et mon cœur cesse de battre alors qu’elle est projetée près de son maître.

«Ça va Aria ? Arceus, cette chose est puissante !» je fais en serrant les dents.

Ce n’est pas le moment de désespérer. Déjà, la détermination de la Grotichon m’inspire à en faire tout autant. Je raffermis un peu ma prise sur Ariane qui, lentement, reprend de l’aplomb grâce à sa technique lui permettant de se soigner. Danaé s’occupe de provoquer la grosse bête pour éviter que son courroux ne se tourne vers nous, faisant jouer sa Charge d’Os tout près pour l’embêter. Je peux voir que la Lucario aussi commence à s’épuiser : lentement mais sûrement ses moyens la quittent. Je peux voir sa poitrine se soulever de plus en plus rapidement alors que son endurance s’égrène. Heureusement, le barde n’est pas à court de solution, proposant une offensive peu orthodoxe mais efficace pour couvrir et dissimuler nos compagnons parmi une brume toxique. Relâchant le papillon des glaces, je me recule pour placer Aster à une distance sécuritaire, le tenant contre moi avec angoisse.

Aria s’échauffe de nouveau, cette fois avec un Nitrocharge à répétition qui a le don de rendre notre adversaire d’autant plus confus. Les charges d’Éboulement de celui-ci rendent toutefois toute circulation difficile devant lui. Il faut agir vite, et maintenant que Ariane est remise de ses blessures, je compte bien l’utiliser à notre avantage. La santé de ce Tyranocif ne tient plus qu’à un fil, il nous faut donc créer l’ouverture nécessaire pour porter le coup final. La Beldeneige saute donc de nouveau dans la mêlée, évitant prudemment les rochers qui cascadent vivement autour d’elle. Les yeux sur son objectif, l’insecte parvient à se rapprocher assez pour lancer son Blizzard qui finit d’assaillir le colosse de pierre. Dans un cri furieux, la bête oscille, déséquilibrée. Des ombres, une lueur jaillit, le heurtant de plein fouet : l’Aurasphère aura fait mouche et touché sa cible qui, dans un hurlement de défaite, s’écroule violemment au sol. Quelques secondes après le contact avec le sol herbeux de la forêt, la terre tremble encore sous nos pieds. La silhouette est parcourue de tremblements et de spasmes, indiquant que le Tyranocif pourrait toujours se redresser.

«Silver, c’est le moment de retirer l’épine !»

Pour ma part, je me suis repliée contre mon fils qui hurle à tue-tête, complètement terrorisé par le combat s’étant déroulé devant lui. La peur me parcoure toujours les veines : car même si pour le moment le Tyranocif est hors d’état de nuire, rien ne nous garantit qu’il en sera de même encore pour longtemps. Pourvu que Morgane et sa bande viennent rapidement, peut-être qu’ainsi le dinosaure se dissuadera et repartira des forêts d’où il est venu.

Le sang pulse encore à mes tempes alors que je jette des coups d’œil réguliers et prudents en direction du Tyranocif. Ariane déjà revient en notre direction, les pleurs d’Aster causent toujours son émoi et elle cherche à le rassurer en caressant son visage de ses antennes. Si ce manège distrait l’enfant quelque peu, je devine qu’il mettra un moment à se calmer réellement, tant que moi-même ne serai pas plus apaisée. Je surveille la scène se déroulant devant nous alors que l’Embrylex rejoint la grande carcasse du dinosaure fauché par ce combat, inquiète de le voir se remettre sur pied. Heureusement, l’épine est retirée grâce aux efforts de Jean-René et la bête ne semble pas être prête à se réveiller de sitôt. Un drôle de silence tendu s’installe ensuite, comme une attente à connaître la suite des choses. Aria incarne bien notre questionnement à tous en se retournant en direction de Silver. Je réalise alors mon propre désemparement, dans la panique je n’ai plus osé bouger. Le plan du barde me convient néanmoins parfaitement, et j’hoche la tête pour signifier mon accord, l’œil encore grave. Tant que nous ne serons pas éloignés, je ne pourrai respirer convenablement, même si pour l’instant nous sommes tirés d’affaire. Je fais donc signe à Danaé, encore trop remuée pour parler. La Lucario s’éloigne de son adversaire en reculant, comme par crainte de le voir lui sauter à la gorge de nouveau. Une fois parvenue à notre hauteur, elle se retourne, non sans jeter de nombreux regards derrière elle.

La forêt me paraît encore une fois presque trop silencieuse et grave alors que nous la traversons. Aster continue de pleurer, bien qu’avec moins d’intensité, jusqu’à ce que nous parvenions au village. Pour ma part, je suis la guidance de Silver à la manière d’un automate, sans lui je me serais probablement perdue. Arrivés au village, nous trouvons à l’inverse une forte activité, qui me tire un sursaut. Morgane distribue ses ordres, ordres qui me font grimacer. Même si je peux comprendre le bien-fondé de la chose, l’idée de tuer cette créature me répugne. J’espère simplement qu’elle n’offrira pas de résistance et s’en ira sans plus importuner le village. Je reste auprès de Silver alors qu’il explique la situation, calmant progressivement mon fils. Je ne peux m’empêcher de nombreux regards en direction de la meneuse du village, avant de finalement m’exprimer.

«Je ne pense pas que son intention était de nous faire du mal, il aura peut-être besoin de soins. Cette épine l’incommodait, il combattait de manière désordonnée et folle ce qui nous a permis de prendre le dessus. Soyez prudents, il reste très dangereux.»

J’en profite d’ailleurs pour rappeler Ariane à sa balle. Danaé, pour sa part, reste à mes côtés, soutien immuable. La chef de village nous questionne sur notre état et je devine que toute cette situation est terminée. Je peux enfin souffler, et la perspective de relaxer m’apaise aussi. Véritable miroir de mes états d’âme, le bébé hoquette quelques sanglots avant de finalement se calmer. Il se contente de chigner doucement, de moins en moins en souvent, jusqu’à finalement se taire. Il faudra encore un moment avant qu’il ne puisse s’endormir, mais au moins il semble moins troublé que tout à l’heure.

«Merci de votre hospitalité, Silver.» je fais en prenant place sur la paillasse. De m’asseoir en lovant le petit contre moi nous réconforte tous les deux. La Lucario, elle, est restée à l’extérieur, pour ne pas encombrer l’espace. «Nous n’aurions pas pu faire face à cette menace sans vous, Aria et Jean-René.»

Je sursaute à l’approche de deux enfants de la classe de l’enseignant. Les voir arriver en si grande forme me rassure, je sais au moins qu’ils vont bien. Ceux-ci, curieux, cherchent à connaître tous les détails de cette étonnante rencontre. Et surtout pourquoi ? Pourquoi ce Tyranocif traînait-il par là ?

«Peut-être que ce Tyranocif a voyagé depuis d’où il vient, mais cela m’apparaît peu probable. Selon moi, il a été déplacé par un humain, peut-être un Pokémon qui a été capturé puis relâché dans la nature ? En tout cas, il connaissait beaucoup d’attaques et était puissant.»

Le saurons-nous même un jour ? À la porte, une silhouette s’est dessinée, celle du Lord Sitan qui sourit presque avec amusement.

«Dans quel pétrin vous êtes vous fourrée encore une fois, Leonys ? À croire que vous attirez les problèmes.»

Malgré la provocation dans sa voix, je devine aussi son soulagement. Ainsi est mon vieil ami : il ne s’exprime jamais directement et ne se montre jamais vulnérable. Il me tend mon sac, salvateur, puisque j’y récupère une couverture pour me couvrir alors que je donne le sein à Aster, qui s’était mis à téter vigoureusement ma robe. Ce petit rituel achève de me calmer. J’offre un signe de tête au noble pour le remercier de son geste.

«Sans vouloir me montrer inconsidérée, j’aimerais savoir s’il est possible de se procurer quelque chose à manger ? Vu l’heure, je pense qu’il nous faudra camper dans le village, Lord Sitan.»

«Je pense effectivement que ce serait la meilleure solution. Nous pouvons aider à la préparation du repas, Leonys ici présente a de grands talents dans ce domaine.»

Je fusille l’homme du regard. S’il y a bien un talent dont je suis totalement dépourvue, c’est bien la cuisine. Néanmoins la faim me tenaille ! Puis ce ne peut pas être pire que d'affronter un Tyranocif dans la forêt, n'est-ce pas ? L'hospitalité du village n'a pas fini de m'émerveiller j'ai l'impression.