HRP:

Le refuge était loin derrière. Charlie avait dû négocier pour ne pas se faire materner outre mesure par Doline, mais elle lui devait beaucoup: grâce à elle, son corps et son esprit étaient de nouveau capables d'affronter le monde, et le voyage du retour à Vénovos était possible. Et il commençait par une étape fatidique: la traversée des pics de Sakaï.

Charlie n'avait eu à franchir que deux cols pour les voir se profiler. Ils n'étaient pas dur à reconnaître, leur silhouettes imposantes semblaient être les doigts d'une version titanesque de Groudon cherchant à s'extraire du noyau de la terre. Au voyage aller, les survoler avec Corvaillus et Draïeul s'était révélé être un spectacle fascinant. A hauteur humaine et les pieds collés à la roche, le rapport de domination était inversé: la hauteur et la raideur des pics était écrasantes. C'était encore plus vrai lorsqu'on se tenait à leur pieds.

Charlie se trouvait entre deux d'entre eux. Se hisser jusqu'à ces colonnes de pierres s'était révélé éprouvant: Charlie était une athlète aguerrie, mais sa condition physique laissait à désirer. Cependant, elle avait pu atteindre le col entre les pics en ne comptant que sur elle-même, sous le regard attentif du Monorpale qui lui tournait autour, sans jamais sortir de son fourreau ni s'approcher d'elle pour lui offrir une prise supplémentaire. Mais désormais qu'elle se tenait aux portes d'Ekoe et qu'il lui fallait parcourir le même dénivelé dans l'autre sens, elle se sentit vaciller.

- Allez Charlie. Pas le droit de flancher maintenant! Pas après ce que tu as vécu ces derniers jours.

Le Monorpale, qui au lendemain du Chaos avait pris l'habitude de lui indiquer le chemin, semblait du même avis. Que ce soit pour rebrousser chemin ou en trouver un autre plus sûr, faire demi-tour n'était pas une option.

- En avant.

Prudemment, elle entama sa descente, face à la pente, en étudiant soigneusement chacun de ses mouvements. Il lui suffirait de poser le pied sur une roche peu solidaire pour faire une chute dont elle ne se relèverait pas... Ses pouvoirs magiques tous neufs l'avaient mystérieusement préservée d'un écrasement fatal des jours plus tôt, mais elle n'était pas prête à tenter le destin. L'heure était à la concentration.

Flottant, Monorpale n'avait pas autant de contraintes à gérer. Il n'était pas une gêne, seulement une présence à laquelle la grande Charlie avait dû se résoudre à s'habituer. Elle ne misait pas sur son soutien, et de toute manière il lui était difficile de savoir si elle pouvait compter sur lui pour le défendre des dangereuses créatures rocheuses qui arpentaient les lieux pendant qu'elle avait les mains collées à la paroi. Les locataires sauvages des pics étaient de plus en plus grouillants à mesure qu'elle avançait dans la descente. Pour l'heure, ils n'osaient pas s'approcher trop près, mais si l'un d'entre eux était suffisamment affamé, il suffirait d'un moment d’inattention pour mettre la chevalière dans une situation très délicate...

- Bon... Tout le monde est là?
- Yep.
- Yep.
- Yep.
- Yep.
- Yep.

- Ne parlez pas tous en même temps, guignols! Comptez-vous!
- Un!
- Un!
- Un!
- Un!
- Un!

- Laissez tomber. Quelqu'un peut m'expliquer comment on s'est débrouillé pour louper l'assaut deux fois de suite?

- Parce que le plan était foireux.
- Parce que le plan était foireux.

- Comment ça? On avait dit qu'on visait l'oeil, qu'est-ce qu'il y a de compliqué?

- On ne s'est pas mis d'accord sur lequel.
- On ne s'est pas mis d'accord sur lequel.

- Et le Séléroc lévite, impossible d'atteindre son oeil sans faire une colonne.
- Et le Séléroc lévite, impossible d'atteindre son oeil sans faire une colonne.
- Et le Séléroc lévite, impossible d'atteindre son oeil sans faire une colonne.

- On a travaillé la colonne des dizaines de fois, c'est quoi votre problème?

- Terrain trop raide. Pas comme à l'entraînement.
- Terrain trop raide. Pas comme à l'entraînement.
- Terrain trop raide. Pas comme à l'entraînement.

- Si la colonne se cassait la figure, on se mangeait toute la falaise!
- Si la colonne se cassait la figure, on se mangeait toute la falaise!

- C'est justement pour ça qu'on l'avait bossée, pour éviter tout cassage de figure intempestif!

- Chef! Derrière vous!
- Chef! Derrière vous!

- L'ennemi est de retour!
- L'ennemi est de retour!
- L'ennemi est de retour!

- Bon, retour au plan initial! Configuration Eclate-Roc? Paré?

- Paré!
- Paré!
- Paré!
- Paré!
- Paré!

- EN AVANT!

- YAAAAAA!
- YAAAAAA!
- YAAAAAA!
- YAAAAAA!
- YAAAAAA!

***

Charlie n'avait pas été prise pour cible, mais le danger représenté par la faune locale la rattrapa tout de même. Concentrée sur sa descente, elle ne voulait pas regarder, mais face au vacarme en amont elle dût bien s'y résoudre, par précaution. Pendant son bref coup d'oeil, elle distingua un grand rocher flottant aux allures de croissant de lune, et une farandole de boules étincelantes qui se jetaient sur lui comme pour le pourfendre.

Elles y parvinrent. Le Séléroc fut propulsé par leur assaut, et tous furent emportés par leur élan, rebondissant sur la falaise. Les chocs éjectèrent des pierres droit sur Charlie, qui n'eût qu'un bref instant pour s'écarter sur le côté et planter son épée dans la paroi pour s'offrir une prise de secours. Les cailloux la frôlèrent, et bientôt le Séléroc dont le visage était incrusté de petits soldats dévala la pente à son tour, trop vite pour que Charlie puisse esquiver cette fois-ci. Elle n'eût que le temps de voir tout ce monde lui fondre dessus...

Au moment où l'impact aurait dû avoir lieu, un bruit métallique avait retenti. L'instant d'après, la chevalière était intacte, toujours agrippée à son sabre. Les pokémons continuaient de rouler en aval, mais leur trajectoire avait été déviée.

En levant le nez, elle eût l'explication. Monorpale était à l'origine de cette déviation, il avait chargé le Séléroc au dernier moment. Mais pour ce faire, il avait dû faire ce que Charlie ne l'avait jamais vu faire à ce jour: il avait sorti la lame de son fourreau.

- Olrik... Est-ce possible?

Doline l'avait prévenue que la lame pourrait être d'une couleur anormale. Mais même dans ses prévisions les plus folles, elle ne s'était pas préparée à la découvrir aussi rouge que l'étoffe. De quel métal avait été forgé cette arme? Était-ce de la rouille? Le sang des ennemis qui ne s'était jamais effacé? Quelque maléfice inquiétant?

Pas le temps de fantasmer là-dessus. Le plongeon vers le continent était loin d'être terminé.


***

- Pas trop sonnés? Accrochez-vous!

- On l'a eu?
- On l'a eu?

- Il est où?
- Il est où?
- Il est où?

- Plus bas. Il va revenir, mais on l'a bien amoché! Beau travail, la légion.

- On a failli se fracasser contre la paroi une douzaine de fois!
- On a failli se fracasser contre la paroi une douzaine de fois!
- On a failli se fracasser contre la paroi une douzaine de fois!

- Et on a survécu. Le monde chantera nos exploits un jour.

- Mouais.
- Mouais.
- Mouais.
- Mouais.
- Mouais.

- Chef-chef! Lever de lune à l'horizon!
- Chef-chef! Lever de lune à l'horizon!

- Quels sont les ordres?
- Quels sont les ordres?
- Quels sont les ordres?

- Pas de mouvements brusques. Laissez-le s'approcher, restez en formation Eclate-Roc et attendez mon signal.

- C'est que... Il ne s'approche plus des massses!
- C'est que... Il ne s'approche plus des massses!
- C'est que... Il ne s'approche plus des massses!

- Et il n'a pas l'air content...
- Et il n'a l'air content l'pas...

- De quoi?
- Que doi?
- Do queoi?

- Misère! Il utilise un Choc Mental, aux abris!

- Bwahuahsh
- Eaahhahjhuhu *bonk*
- Ahasuhauhsu
- Baudbubbzubu *bonk bonk*
- Auauauiauiui
*bonk bonbonk*

- AUX ABRIS, J'AI DIT!!

***

Les prises se faisaient de plus en plus rares, et les pierres toujours plus lisses et mobiles. Monorpale la suivait toujours en flottant à une hauteur bien trop haute pour qu'elle puisse espérer s'accrocher à son manche, de toute façon elle n'avait aucune envie de toucher cette chose. L'aura qui s'en dégageait était bien trop malsaine.

Alors que la sueur perlait sur la tempe de Charlie, son attention se laissa absorber par un regard sur sa droite. Un peu plus loin, un vaste Rhinocorne l'observait en train de batailler avec la pente. Pas de menace, ni de mouvement brusque: le quadrupède tout de roche vêtu était intégré à son milieu naturel.

Il avait l'air paisible. Pendant un instant, elle l'envisagea comme un éventuel destrier. Les plaques dorsales rendraient les premiers chevauchements difficiles, mais avec une selle ad hoc tout était envisageable. Mais il y avait quand même un mystère: avec une telle carapace, comment est-ce que ces monstres se débrouiller pour ...

Et puis une pierre se déroba sous son pied. La question resta piégée dans les limbes de son subconscient, puisque la chevalière se mit à chuter. Dans un réflexe, elle agita ses bras pour trouver un point d'accroche dans ce début de glissade...
Miracle! Elle en trouva un. Loin de se douter que c'était elle qui l'avait fait jaillir de la paroi par la force magique que les Bêtes lui avaient confié, elle s'y accrocha de toutes ses forces, et se balança habilement pour atterrir sur une plateforme un peu plus bas. Sauvée.

Pourtant, plus bas, le Séléroc de tantôt resurgissait d'entre les rocs, et les pierres flottaient autour de lui. Ses pouvoirs psychiques se déchaînaient sur la petite patrouille de boules jaunes qu'il s'appliquait à tourmenter, non sans secouer le pierrier et menacer l'équilibre précaire de Charlie sur son maigre espace. Ses yeux se levèrent vers Monorpale.

- Tu peux demander à la tête de lune d'arrêter ses affaires? Même si ce n'est pas le projet, elle va peut-être finir par avoir notre peau. La mienne, du moins.

Le glaive se rapprocha du rocher lunaire. Les deux entités flottantes échangèrent un regard silencieux qui ne présageait pas spécialement un accord pacifique, puisque le Séléroc continua à s'agiter.

Charlie avait choisi son camp, et c'était celui d'Hexadron.
La petite horde de soldats jaune avait de toute façon gagné sa sympathie depuis qu'elle les avait vus s'accrocher à leur ennemi avec ténacité plus tôt, mais pour se tirer de là elle s'en remettait à leur victoire.

- Olrik! C'est le moment de montrer ce qu'il reste de leader en toi. Fédère l'escouade, et flinguez-moi cet astre de malheur pendant que je me tire de là.

***

- Tout le monde respire?

- Beuaeuhh
- Beuaeuhh
- Beuaeuhh
- Beuaeuhh
- Beuaeuhh

- Au moins vous êtes en phase.

- Chef-chef, il faut battre en retraite!
- Chef-chef, il faut battre en retraite!
- Chef-chef, il faut battre en retraite!

- L'ennemi est passé aux choses sérieuses!
- L'ennemi est passé aux choses sérieuses!

- Les pouvoirs psychiques, c'est trop pour notre petite cuirasse!
- Les pouvoirs psychiques, c'est trop pour notre petite cuirasse!

- On tient à la vie!
- On tient à la vie!
- On tient à la vie!

- Justement! Ne lâchez rien. Aidons-nous, et le ciel nous aidera!

- Et comment?
- Et comment?

- En nous envoyant des renforts, peut-être?
- En nous envoyant des renforts, peut-être?
- En nous envoyant des renforts, peut-être?

Le coordinateur écarta ses petits boucliers de ses yeux et regarda en l'air. A travers les épais nuages d'Avril, le soleil s'était frayé un chemin et projetait sur lui l'ombre du Monorpale.

- Vous ne croyez pas si bien dire.

Le leader de la patrouille obtint l'attention de l’œil unique du glaive.

- Quel est ton nom, ô chose flottante pointue et bizarre?

- ...

- Hum. Tant pis. Tu sais te battre?

- ...

- Je vais prendre ça pour un oui. Tu es prêt à nous prêter lame forte?

- ...

- Alors marché conclu.

Les petits yeux du chef se tournèrent vers Séléroc dont l'agressivité n'avait pas décrue.

- Compagnie... L'ami pointu couvre nos arrières. La bataille ne fait que commencer. Formation charge!

- Ça va barder.
- Ça va barder.
- Ça va barder.
- Ça va barder.
- Ça va barder.

Et cela barda.

Le glaive frotta sa lame contre son fourreau, et pour la toute première fois, Charlie put entendre Monorpale produire un son. Et quel son! Strident et métallique, il était à destination du Séléroc: celui-ci avait beau ne pas avoir d'oreilles, le grincement de type "Strido-son" le fit tressaillir de toute sa masse. Une ouverture pour l'Hexadron qui profita de cet instant de faiblesse pour le charger violemment...

Mais la lune était solide, et il en fallut bien davantage pour la fissurer. L'escouade de heurta à une forte résistance rocheuse, et fut sonné par son propre assaut. Sans attendre, Séléroc chargea donc les soldats jaunes à son tour, et leur armure ne les protégea que modérément puisqu'ils furent éparpillés sur la paroi, dévalant chacun un peu plus bas que l'autre. L'ennemi les avait séparés pour mieux les mater chacun leur tour...

Il dut pourtant reporter le projet: un nouvel affreux strido-son du Monorpale le fragilisa à nouveau. Il voulut contre-attaquer et charger Monorpale, mais le malheureux caillou lunaire avait affaire à un spectre que son attaque traversa de part en part sans l'égratigner. L’œil du glaive suivit malgré tout la trajectoire perdue du Séléroc, comme pour le provoquer.

Charlie observait tout cela de très haut, redoublant d'effort pour ne pas glisser. Elle n'était pas rassurée par le duel.

- Prudence, Olrik! Qu'est-ce que tu attends pour l'attaquer physiquement, il va te...

Trop tard, le glaive avait déjà essuyé un choc mental. Il ne tarda pas à s'en remettre, car aussi fantomatique qu'était son corps, il était fait d'acier: les techniques psychiques avaient sur lui un impact tout relatif.

- On tient le bon bout, les gars! Le sabre nous couvre, on se reforme, hop hop!

- Qui il manque?
- Qui il manque?
- Qui il manque?

- Moi!
- Moi!

- Rangez-moi vos tronches derrière les trois autres. La charge n'a rien donné, on repasse en éclate-roc! La lune est dure à cuire, mais à force de la fragiliser, on finira bien par ouvrir une brèche. On est bon?

- Bons pour la brèche!
- Bons pour la brèche!
- Bons pour la brèche!
- Bons pour la brèche!
- Bons pour la brèche!

- GO!

*Clarkackak*

Et brèche se fit. Attaquer dans le dos n'était pas une stratégie que l'Hexadron approuvait, mais contre les créatures capables de pouvoirs psychiques, tout était permis. Une entaille s'était créée dans la roche.

Séléroc, furieux, s'apprêta à punir définitivement ceux qui l'avaient abîmé, mais il n'en eût jamais l'occasion: Monorpale se décida enfin à attaquer, et sa lame écarlate infligea de multiples coups d'estoc rapides comme des dards d'insectes sur la fissure crée par la petite patrouille. Elle eut raison du Séléroc qui s'effondra lourdement sur le pierrier, emportant avec lui un amas de pierre... qui en fit glisser un autre à son tour.
La montagne s'apprêtait à gigoter.

- Chef-chef? C'est pas clair, on l'a eu ou on l'a pas eu?
- Chef-chef? C'est pas clair, on l'a eu ou on l'a pas eu?

- Les cailloux sont fort bavards tout à coup!
- Les cailloux sont fort bavards tout à coup!
- Les cailloux sont fort bavards tout à coup!

- Mes enfants... On l'a eu, mais je crois bien qu'on s'est eu aussi. Accrochez-vous bien, ça risque de picoter un peu.

Une réaction en chaîne bruyante et périlleuse s'enclencha: le glissement de terrain se propagea jusqu'aux pieds des petis soldats, et il ne tarda pas à atteindre ceux de Charlie, et du Rhinocorne dont cela semblait être le cadet des soucis. La chevalière, en proie à une panique tout à fait légitime, choisit de s'inspirer du quadrupède pour ne pas y céder. Elle avait survécu à pire les jours passés, son armure et la magie des Bêtes suffiraient à la protéger de la colère des pics de Sakaï... Mais il allait falloir faire preuve de coordination.

Elle voulut lancer une Captis Ball sur l'Hexadron pour protéger la patrouille d'un sort funeste, mais comme elle ne parvint pas à mettre la main dessus à temps elle se résigna à les laisser se débrouiller. Après tout, ils avaient patrouillé dans ces pierriers toute leur vie, ils en avaient vu d'autre.

Flottant, Monorpale n'avait pas non plus besoin d'une telle protection, et la chevalière le voulait avec elle dans cette épreuve:

- Amène-toi!

Bizarrement, le Rhinocorne qui jusque-là n'avait pas bougé crut que c'était lui qu'on venait d'apostropher. Alors il se mit à surfer paisiblement à travers les cailloux roulants, et se hissa jusqu'à la chevalière, au grand étonnement de celle-ci.

- Je ne m'adressais pas à toi, gros bidule, mais si tu insistes...

Sans vraiment y réfléchir - les circonstances ne le permettaient pas - elle sauta en prenant appui sur la crête de la bête, et l'enfourcha sans mal. Ce bestiau cornu serait donc son destrier de fortune.

Ils dévalèrent ensemble le pierrier en pleine déstructuration. La gigantesque carcasse du Rhinocorne n'était pas de trop pour encaisser les secousses, les tremblements étaient tels que Charlie ne pouvait plus rien observer: elle dût se résoudre à s'accrocher à la bête de toutes ses forces, le heaume contre sa carapace, en espérant qu'elle savait ce qu'elle faisait. Entre deux chocs, elle crut apercevoir une demi-douzaine de petites sphères jaunes voltiger au gré de la fureur des monts.

- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA

- EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE
- EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE
- EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE
- EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE
- EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE


Il y eut des bonds, des fracas, des chutes...

... et puis pendant une demi-seconde, plus rien. Un silence absolu.

En somme, une chute libre, qui se solda par un vacarme plus terrible encore.

Bien des secondes plus tard, lorsque l'avalanche fut terminée, Charlie se dégagea tant bien que mal. La pente touchait à sa fin, mais des rochers l'avaient recouvert de toutes part. Elle aurait dû être morte... Pourtant, elle se hissait à nouveau parmi les vivants. Monorpale lui flotta autour, comme pour la féliciter d'être en vie.

- Mon corps est donc officiellement surhumain, Olrik.

"Voilà qui nous fait un autre point commun!", aurait sûrement répondu son ami dans cette situation. Elle avait beau n'avoir aucune preuve que l'âme d'Olrik était dans cette relique guerrière, le prétendre semblait l'aider à avancer. Elle lui adressa un sourire en demi-teinte.

Près d'eux, le Rhinocorne ne peina pas à s'extraire à son tour des roches qui l'avaient enseveli. Rien ne semblait décourager ni ennuyer cette force de la nature. Entre lui et la petite légion dorée - où était-elle passée, d'ailleurs ? - Charlie dut reconnaître que la robustesse de la faune sauvage locale la séduisait quelque peu.

Et c'était tant mieux, car elle aurait à l'affronter une dernière fois avant de quitter les pics de Sakaï. Deux ultimes silhouettes s'élevaient vers l'Est.

***

Un peu plus loin, un petit bouquet de cornes rouges dépassait subtilement des éboulis.

- ...
- ...
- ...

- Quoi?

- Qu'est-ce qu'on attend pour se dégager?
- Qu'est-ce qu'on attend pour se dégager?

- D'être sûr que l'avalanche soit bien finie.

- Ça fait trois minutes, chef-chef...
- Ça fait trois minutes, chef-chef...
- Ça fait trois minutes, chef-chef...

- Il faudrait qu'on rejoigne la patronne maintenant, elle va s'inquiéter.
- Il faudrait qu'on rejoigne la patronne maintenant, elle va s'inquiéter.

- La patronne? Quelle patronne? La proprio du glaive, c'est ça? Qui a dit que c'était la patronne?

- Moi.
- Moi.
- Moi.
- Moi.
- Moi.

- Eh bien détrompez-vous, Rabutas molles. Jusqu'à preuve du contraire je vous commande, et j'aurai le dernier mot sur la question.

- ...
- ...
- ...
- ...
- ...

Il flotta alors un parfum de résignation sous les graviers.

- Allons. Retrouvons-la.

L'une après l'autre, les petites têtes jaillirent de la surface de la terre comme des Ceriflor saluant le soleil, rejoignant le monde respirable. Il était temps de se rallier à la patronne en question: après tout, son armure n'était pas moins dorée que la leur, et sa bravoure non plus.

Parmi les deux silhouettes au travers desquelles il allait falloir passer, il y avait un bouclier sur pattes. L'ennemi d'Olrik le glaive était donc tout désigné. Pourtant, celui-ci rentra dans son fourreau, son œil unique toujours grand ouvert pointé vers ce petit quadrupède.
La deuxième ombre était en fait une ribambelle de six petites. En plissant les yeux, Charlie crut reconnaître l'Hexadron qui l'avait accompagné pendant la descente, mais elle dut se rendre à l'évidence que ce n'était pas eux en voyant la première horde rappliquer à ses côtés. Les deux petites troupes dorées se retrouvèrent rapidement face à face.

- Ecartez-vous!

- Entendu.

- La voie est libre.
- La voie est libre.
- La voie est libre.
- La voie est libre.
- La voie est libre.

Les six adversaires se regroupèrent en deux rangées de trois, comme un couloir. La horde de Charlie était sceptique.

- Ce n'est pas le protocole! Vous êtes censés nous rentrer dedans jusqu'à ce que nous renoncions à quitter les montagnes.

- Est-ce vraiment nécessaire?
- Est-ce vraiment nécessaire?

- On ne va quand même pas s'entre-dévorer pour si peu!
- On ne va quand même pas s'entre-dévorer pour si peu!
- On ne va quand même pas s'entre-dévorer pour si peu!

- De grâce, passez donc. On respecte votre décision!

- C'est hors de question! Matez-nous!

- Nous ne saurions l'assumer.

Le chef Einar ordonna la formation éclate-roc à son escouade d'un petit mouvement de ses boucliers latéraux.

- Alors vous assumerez votre perte. Préparez-vous à mourir!

- Taïauuuuut!
- Taïauuuuut!
- Taïauuuuut!
- Taïauuuuut!
- Taïauuuuut!

- AAAAAAAH!
- AAAAAAAH!
- AAAAAAAH!
- AAAAAAAH!
- AAAAAAAH!
- AAAAAAAH!

S'en suivit une spectaculaire bataille dans laquelle les fuyards se retrouvèrent plongés malgré eux. Les petites cornes rouges des uns rentrèrent abondamment dans la cuirasse jaune des autres, et du nuage de poussière résultant on voyait parfois jaillir une boulette jaune éjectée de la mêlée, avant d'y être absorbée à nouveau.

Pendant que les Hexadrons réglaient leurs différents, Charlie s'avança vers la Dinoclier.

- Je désire passer, petit écu.

La petite chose s'inclina et fit quelques pas sur le côté.

- Décidément. Moi qui pensais avoir affaire aux derniers gardiens de céans... Olrik, ne perds pas ton temps à cogner la cuirasse de cette forteresse en mousse.

Pourtant, Olrik n'en avait aucune intention. Car quelqu'un s'était déjà chargé de défier la Dinoclier: le Rhinocorne, décidé à se mesurer à sa solidité, fondit droit sur sa petite tête ovale.

- Ah. En ce cas, laissons les locataires de Sakaï s'expliquer entre eux.

Le spectacle promettait d'être divertissant.
La corne du Rhino fut à l'épreuve non pas de la robustesse tête de la Dinoclier, mais de son habileté: elle s'abrita sous une butte de justesse, laissant son assaillant finir sa course dans le vide et déraper dans les graviers un peu plus loin. Forte de son succès, elle adressa au Rhinocorne un petit rugissement provocateur comme pour l'inviter à reproduire son attaque. Le Rhino, malgré son tempérament résolument décontracté, ne pouvait pas rester indifférent à cette affront, et la chargea à nouveau.

La seconde tentative d'abri de la Dinoclier échoua pourtant, faute d'anticipation, et les deux têtes s'entrechoquèrent dans un fracas Brouhabamesque. Aucun des deux n'en sortit intact.
Ce choc se reproduisit à deux reprises, sous les yeux et les oreilles désolés de Charlie qui ne savait plus vraiment où se mettre. Elle ignorait si elle devait être touchée par la dévotion protectrice de ce Rhinocorne désabusé, ou s'il s'agissait là d'un règlement de compte du même genre que celui que les Hexadrons locaux étaient en train de mener à terme - chaque membre de la horde Einar tenait désormais un membre de l'escouade ennemie à sa merci, y compris leur couard de chef qui était presque littéralement écrabouillé contre un menhir. Einar et ses soldats avaient essuyés des échecs car la troupe ennemie était fuyarde et n'hésitait pas à s'abriter où elle le pouvait, mais à force de charges et d'éclate-roc, chacune des six boulettes avait fini par capituler l'une après l'autre.

- Assez rigolé. Les petits soldats, si vous avez fini vos affaires ramenez-vous, on a de la route!
Quand à vous, les deux têtes de roc! Ne vous battez pas pour Olrik et moi, nous n'en valons pas la peine. La prochaine fois que nous repartons à l'assaut des montagnes, barrez-nous plutôt la route ensemble pour voir si nous sommes dignes d'aller plus loin.

Sa voix sembla apaiser les cuirasses. Le rhinocorne abandonna les hostillités et se rangea aux côtés de Charlie. Quant à la Dinoclier, hésitante, elle finit par l'imiter.

- Hum... Il y a un malentendu. Vous ne pourrez pas nous barrer la route si vous la partagez avec nous.

- Noooooooo.

Si le cri de la petite Dino ressemblait à une négation, la chevalière désespéra de comprendre. Elle se résigna à accepter chacun des quadrupèdes dans ses rangs. Aucun d'entre eux ne représentait une monture acceptable pour la raccompagner à kuni, ils étaient bien trop petits... Pour le moment.

Juste avant de partir, un petit bruit retentit derrière Charlie et sa nouvelle armée. La horde d'Hexadron ennemi avait rassemblé le peut d'énergie qui lui restait pour se regrouper en une petite grappe piteuse, et se serrait timidement en regardant partir la chevalière et ses acolytes, pour s'assurer que la menace était terminée. Hélas pour eux, la jeune femme le remarqua. Et comme elle était un peu joueuse, elle fit un signe au Rhinocorne. Le malheureux s'était heurté à la solidité horripilante du Dinoclier, il avait bien droit à une petite compensation!

- Vas-y. Fais-toi plaisir.

Et le Rhinocorne chargea joyeusement l'Hexadron ennemi, qui incapable du moindre mouvement, éclata en six morceaux sous l'effet du choc. Les boules jaunes s'éparpillèrent violemment d'un bout à l'autre du plateau.

Après ce strike, Rhinocorne semblait plus détendu que jamais.

- Tu me plais, gros bidule. Incisif dans la décontraction... tu me rappelles mon vrai père. Je vais donc t'appeler Björn.

L'horizon oriental était désormais libre. Charlie n'avait plus qu'à se jeter dedans, accompagné des six paires de pattes vaillantes de la horde Einar, de Björn le Rhinocorne fraîchement nommé, puis de la Dinoclier qu'elle baptisa Maiken. Et bien sûr, toujours le sinistre Olrik qui avait désormais non pas une, mais neuf existences à hanter.

Les dix silhouettes s'enfoncèrent vers l'Est. Adieu les pics de Sakaï? Rien de moins sûr... Charlie avait prit goût à l'endroit. La prochaine fois qu'elle repartirait à l'assaut de l'occident, elle le ferait par la terre, et ce serait là son point d'entrée. Cela ne faisait aucun doute.