Le regard courroucé de Nadim me hante encore. Nous aurons l’occasion de discuter plus en détail tout à l’heure, de nous expliquer. Il me semble que l’enfant docile qu’il était se mute tranquillement en un adolescent déterminé à prendre les décisions par lui-même. Comme tout enfant de cet âge néanmoins, il manque encore cruellement de maturité ce qui l’empêche à l’occasion de faire des choix éclairés. Est-ce le début d’une longue série de conflits entre nous ? Je frissonne à cette idée. Je n’ai aucun désir d’entretenir cette animosité, c’est pourquoi j’ai toujours laissé faire un peu ce qu’il désirait mon jeune protégé. Peut-être cela l’a-t-il rendu un peu capricieux désormais. Il va s’en remettre. J’imagine. J’espère… Je porte plutôt attention aux dires de mon interlocuteur, qui semble avoir finalement trouvé un compromis entre les deux élans de son cœur déchiré. Je souris avec énormément de satisfaction, voilà qui me semble être un plan tout à fait acceptable, même si cela implique pour lui de quitter l’armée. Il s’agira d’une grande perte. Mais ainsi, il sera plus libre de ses actions et surtout de suivre son cœur. Je retiens l’information, car les mercenaires peuvent effectuer des tâches autrement indélicates pour les membres de l’armée, lorsque la discrétion est davantage de mise. Elyes, mon prédécesseur, avait une confiance mitigée envers certains hauts placés de son armée et faisait souvent affaire à des mercenaires. Si le besoin s’en fait sentir, je saurai où placer la mienne.

«C’est effectivement un excellent compromis. J’accepte bien entendu votre démission de l’armée. Je ne me placerais jamais entre un homme et ses projets, à moins que ceux-ci n’entravent la sécurité de mon pays bien entendu. Ce n’est pas le cas ici alors je ne vois pas pourquoi je refuserais.»

Je plonge ma main dans ma besace d’ailleurs, où j’en sors un simple morceau de parchemin, décoré du sceau me représentant. Mon propre sceau personnel, d’une grande valeur à Ran. Je le montre à mon interlocuteur avec un air mi-grave, mi-complice. Ce n’est pas rien de remettre ce sceau, mais au vu de ce que le jeune homme a accompli pour nous sauver plus d’une fois, je pense la chose parfaitement méritée.

«Mon sceau personnel. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous saurez où me trouver. Ce parchemin vous permettra d’éviter des ennuis avec vos supérieurs lorsque vous démissionnerai, puis vous garantira l’accès à moi si vous en avez besoin. Je ne remets pas ce sceau à tous, je vous en prie conservez-le précieusement. Si j’apprends qu’il est tombé entre de mauvaises mains, je serai très, très déçue.»

Pour ne pas dire qu’il n’y a pas un endroit à Ekoe où il pourrait fuir la justice. Ce sceau, entre de mauvaises mains, pourrait me mettre en danger. C’est un gage de respect et de partenariat. Qu’il en fasse bon usage. Il revient sur mes mots alors, tentant de me rassurer quant à Nadim. Me considère-t-il réellement comme une mère ? Une figure d’autorité peut-être. Je sens bien qu’il aimerait s’illustrer, me protéger comme je puis le faire pour lui. Je crains néanmoins qu’il ne veuille brûler des étapes.

«Son amour ne fait aucun doute. Cependant il n’a pas à le faire aux dépens de sa santé. Il pourrait juste profiter de son enfance plutôt que d’espérer tant être plus vieux. L’âge vient bien assez vite après tout.»

Je soupire. Mon pauvre interlocuteur a du mal à tenir debout. Il est temps pour lui de se reposer, à l’instar de mon jeune protégé. Pour ma part, je ressens aussi une certaine fatigue devant toute cette aventure, mais d’autres rencontres diplomatiques m’attendent cet après-midi. Je pose une main amicale sur l’épaule de Balthial.

«Je vais devoir vous laisser, cavalier, mais sachez que je ne vous oublierai pas. Pour votre part, n’hésitez pas si un jour vous en avez le besoin. Ma porte sera ouverte pour vous.»

Je me redresse en lui offrant un ultime sourire, avant de me diriger vers l’intérieur pour recevoir quelques soins avant la suite. Il n’y a pas de pause pour une meneuse… malgré tout j’ai l’impression d’en avoir vécu une auprès de Balthial et notre incroyable aventure.