Il n’aurait jamais cru se languir de la pluie. Il a grandi ainsi, en symbiose parfaite avec une humidité permanente, harassante, de laquelle on ne peut échapper. Cette moiteur qui vous enserre, ce souffle contre votre nuque. Évoluer à Sakai signifie s’y conformer. Elle vous domine de toute manière, aucune manière d’y échapper. Delsin l’a laissé à la frontière de son royaume d’origine pour s’aventurer sur les brasiers ardents de Ran. L’air sec le gifle de ses brises insolentes. Il tente vainement de se préserver de l’affection d’un soleil insistant, mais rien n’y fait. Heureusement, dans l’amertume du canyon, il a découvert une traînée d’or aux reflets d’azur. Brisé de fatigue, il s’est réfugié sur les rives poussiéreuse de ce trait aqueux et tranquille, lui offrant l’asile et la bénédiction. Il a su alors que sa destination se trouvait à sa portée. Avide, il a plongé ses mains en son cœur pour cueillir ses eaux salvatrices, y plongeant sa gourde et nettoyant sa peau de la rudesse du canyon. Il respire à nouveau, l’humidité de la rivière Serpentine comme une vieille amie contre ses traits fatigués.

Delsin voyage depuis plusieurs jours déjà, une semaine presque, en direction du cœur de Ran où il espère retrouver la trace d’une migration de Lackmécygne, qu’il étudie en ce moment. En émergeant de sa trempette improvisée, le jeune homme remarque une forme flotter contre les eaux calmes de la rivière. Serait-ce…? Il se croit encore en proie d’un cruel mirage et pourtant. À mesure que sa vue s’affine, ses soupçons se confirment. Un de ces oiseaux gracieux s’est posé entre les roseaux, profitant de cette oasis pour s’alimenter. Doucement, l’Érudit rejoint la berge où il a abandonné son sac, y cueillant son carnet (son précieux carnet !) où il se met à griffonner quelques notes. Une pression familière contre épaule lui indique que Utashtan est rentré de sa balade aérienne pour se camper à son endroit favori. Delsin n’a pas besoin de vérifier. Ils se connaissent par cœur désormais et les mots ne sont plus utiles entre eux. Il poursuit donc son observation méticuleuse du Lackémcygne, y joignant un dessin joliment réalisé. Une grande paix s’empare du garçon tandis qu’il suit les moindres mouvements de la créature qui plonge et émerge au rythme de sa faim, cueillant dans la vase quelque algue à se mettre sous le bec.

Une paix qui cède rapidement place à un émerveillement silencieux. Des roseaux émerge un deuxième Lackmécygne, une femelle cette fois. Son approche discrète attire l’attention du mâle qui semble la reconnaître. D’un mouvement du cou, il la salue. La femelle émet une sorte de roucoulement touchant, presque plaintif. De toute évidence, le couple a été séparé un moment avant de se retrouver, sous le soleil ardent de Ran. Delsin a abandonné sa prise de notes, complètement obnubilé par le spectacle qui s’offre à lui : les deux cygnes ont entrepris une danse complexe de gestes répétés, calculés, et tendres. Le couple valse, presque sans bruit, sur les eaux de la Serpentine. Le garçon se sent privilégié d’assister à ce moment unique. Pourtant, il n’est pas seul. Il sursaute en surprenant l’approche d’un autre humain, probablement inconscient de ce qui se produit sur la rivière. Avec discrétion, le jeune homme se redresse doucement, attirant l’attention de l’humaine, et lui faisant signe de rester silencieuse d’un geste. Il sursaute quand un grand fracas survient : les Lackmécygnes s’envolent finalement, vers une destination inconnue, peut-être en direction du reste du groupe. Mais au moins ils se sont retrouvés. Delsin sourit, s’exclamant avec enthousiasme :

«Ah ! Vous avez vu cette danse? Cette grâce ? Quelles incroyables créatures. Vous savez, ils dansent ainsi pour fêter leurs retrouvailles après de longs mois de séparation. Un couple de Lackmécygne se forme pour la vie; ce sont des Pokémon particulièrement loyaux. On dit que le mâle peut parfois parcourir des kilomètres pour faire une offrande à la femelle qui couve leurs œufs.»

Delsin a le cœur romantique, malgré lui. Il se redresse franchement pour faire face à la jeune fille, d’environ son âge il suppose et à l’impressionnante chevelure rosée. Poliment, il se présente, d’humeur guillerette après avoir assisté à ce moment si précieux.

«Pardonnez-moi ce long discours, je suis simplement passionné. Je suis Delsin Ketera, j’étudie les Pokémon. Et voici Ushi, mais je vous conseille de ne pas trop vous approcher.»

Justement, le Passerouge lance des regards venimeux en direction de l’inconnue, toujours aussi peu accueillant.